Shanwuwei, Bukong, Jingangzhi et d’autres ont déclaré que le sens du Sūtra de Mahavairochana était le même que celui du Sūtra du Lotus mais que, en matière de mudra et de mantras, le Sūtra du Lotus était inférieur1. Par contre, les moines Liangxu, Guangxiu et Weijuan2 ont déclaré que le Sūtra de Mahavairochana ne peut être comparé au Sūtra de la Guirlande de fleurs, au Sūtra du Lotus ou au Sūtra du Nirvana et qu’il ne représente que l’un des sūtras de la période Vaipulya3.
Au Japon, le Grand Maître Kōbō a dit : « Le Sūtra du Lotus est même inférieur au Sūtra de la Guirlande de fleurs, et donc, évidemment, on ne peut pas le comparer au Sūtra de Mahavairochana4. » Il a également affirmé : « Le Sūtra du Lotus a été enseigné par Shakyamuni alors que le Sūtra de Mahavairochana a été enseigné par l’Ainsi-Venu Mahavairochana. Ces sūtras ont donc été enseignés par deux bouddhas différents. De plus, l’Ainsi-Venu Shakyamuni n’est qu’un messager de l’Ainsi-Venu Mahavairochana. Il a enseigné les doctrines exotériques, qui ne représentent que la première étape vers les doctrines ésotériques5. » Il a aussi déclaré : « Le Bouddha du chapitre “Durée de la vie”, essence du Sūtra du Lotus, est un bouddha, du point de vue des enseignements exotériques ; mais, du point de vue des enseignements ésotériques, il n’est rien de plus qu’un homme du commun enchaîné et entravé par les illusions et le désir6. »
Après réflexion, moi, Nichiren, je voudrais dire ceci : le Sūtra de Mahavairochana est l’une des traductions les plus récentes7 et a été transmis en Chine par le Maître indien des Trois Corbeilles Shanwuwei [Shubhakarasimha], sous le règne de l’empereur Xuanzong, de la dynastie des Tang, lors de la quatrième année de l’ère Kaiyuan [716]. Le Sūtra du Lotus est l’une des traductions les plus anciennes, transmise en Chine par le Maître des Trois Corbeilles Kumarajiva au temps de la dynastie des Jin postérieurs [384-417]. Il y a un intervalle de plus de trois cents ans entre les deux.
Plus de cent ans après l’introduction du Sūtra du Lotus en Chine, le Grand Maître Tiantai Zhizhe établit, pour les études doctrinales, la classification des cinq périodes8 et des quatre enseignements9. Il réfuta les interprétations doctrinales énoncées par les érudits des quelque cinq cents années précédentes et, par sa pratique de la méditation, s’éveilla à la doctrine des trois mille mondes en un instant de vie, en comprenant pour la première fois le principe du Sūtra du Lotus. L’école Sanlun [devenue l’école Sanron au Japon], qui avait précédé le Grand Maître Tiantai, et l’école Faxiang [devenue l’école Hossō au Japon], apparue après lui, enseignèrent l’une et l’autre la doctrine des huit états10 mais ne firent aucune mention des dix états. Ces écoles n’étaient donc pas en mesure d’établir la doctrine des trois mille mondes en un instant de vie.
L’école Huayan [devenue l’école Kegon au Japon] fut créée par divers maîtres de la Chine du Nord et du Sud, avant la venue de Tiantai. Ces maîtres déclaraient que le Sūtra de la Guirlande de fleurs était supérieur au Sūtra du Lotus mais, à cette époque, ils n’en parlaient pas comme de 872l’école « Huayan »11. Ce sont les Maîtres du Dharma Fazang et Chengguan qui, sous le règne de l’impératrice Wu, épouse de l’empereur Gaozong de la dynastie des Tang, furent les premiers à utiliser ce terme.
Dans ses interprétations doctrinales, cette école pose le principe des cinq enseignements et, dans ses pratiques de méditation, énonce les doctrines des dix mystères et des six aspects. Ces enseignements semblent extrêmement impressionnants et l’on pourrait penser que, en s’appuyant sur eux, Chengguan aurait pu réfuter les enseignements de Tiantai. Mais, en fait, Chengguan se contenta d’emprunter la doctrine des trois mille mondes en un instant de vie de Tiantai et il la définit comme la véritable intention contenue dans le passage du Sūtra de la Guirlande de fleurs où l’on lit : « L’esprit est semblable à un peintre de talent. » Nous pourrions dire alors que l’école Huayan fut en réalité vaincue par Tiantai ; ou peut-être faudrait-il dire qu’elle a commis la faute de voler la doctrine des trois mille mondes en un instant de vie. Chengguan était sans aucun doute un rigoureux observateur des préceptes. Jamais, en aucune manière, il n’enfreignit le moindre précepte du Mahayana ou du Hinayana. Et, pourtant, il vola la doctrine des trois mille mondes en un instant de vie ; c’est là un fait qu’il faudrait faire savoir largement.
Il n’a pas été établi de manière certaine si oui ou non [l’équivalent du] terme « école Shingon » fut utilisé en Inde. Il est possible que, du seul fait qu’il existe un ensemble de sūtras connus sous le nom de « sūtras du Shingon », Shanwuwei et d’autres aient attaché le mot « école » aux enseignements fondés sur ces sūtras en les introduisant en Chine. C’est là un point qu’il faut bien garder à l’esprit.
Il faut en particulier noter que, lorsque Shanwuwei entreprit d’évaluer les mérites relatifs du Sūtra du Lotus et du Sūtra de Mahavairochana, il les interpréta comme égaux sur le plan du principe mais prétendit que le second était supérieur sur le plan de la pratique. Il voulait dire par là que, si le principe des trois mille mondes en un instant de vie est identique dans le Sūtra du Lotus et dans le Sūtra de Mahavairochana, le premier par contre ne contient aucune mention des mudra et des mantras, et il est donc inférieur au second sur le plan de la pratique. [Selon lui,] dans la mesure où [le Sūtra du Lotus] ne décrit pas véritablement des formules de pratique, on ne peut pas dire qu’il représente les enseignements ésotériques à la fois sur le plan du principe et sur le plan de la pratique12.
De nos jours, les gens au Japon et beaucoup d’érudits de diverses écoles souscrivent à cette opinion de Shanwuwei, y compris les érudits de l’école Tendai, qui devraient être les derniers à le faire. À cet égard, ils sont exactement comme les partisans des autres écoles qui, bien qu’ils haïssent ceux du Nembutsu, se sont tous mis à prononcer eux-mêmes le nom d’Amida, et ont entièrement abandonné l’objet de vénération particulier révéré par leur propre école. Les moines de l’école Tendai sont ainsi tous tombés au niveau des croyants du Shingon.
Je suis très sceptique quant à la logique qui sous-tend l’argumentation de Shanwuwei. Ce Maître des Trois Corbeilles déclare que le Sūtra du Lotus et le Sūtra de Mahavairochana sont égaux sur le plan du principe, mais que le second est supérieur sur le plan de la pratique. Il prend la doctrine des trois mille mondes en un instant de vie d’abord énoncée par le Grand Maître Tiantai, l’insère dans le Sūtra de Mahavairochana et, sur cette base, déclare arbitrairement que les deux sūtras sont identiques. Mais faut-il accepter pareille affirmation ?
Ainsi, il y a longtemps, Hitomaro13 composa un poème où l’on pouvait lire :
Je me rappelle —
Pâle, pâle, dans la brume du matin
De la baie d’Akashi,
Ce bateau qui disparaît dans le lointain
Au-delà des îles.
873Ki no Shukubō, Minamoto no Shitagō14 et d’autres ont fait l’éloge de ce poème, en déclarant qu’il était « le père et la mère de la poésie ». Supposez maintenant que quelqu’un prétende avoir composé un poème, se mette à réciter ce poème de Hitomaro sans en changer la moindre syllabe et se vante d’avoir un talent en aucune manière inférieur au sien. Qui accorderait le moindre crédit à pareille prétention ? Seuls, peut-être, des gens sans culture, comme ceux qui vivent dans les montagnes ou comme les pêcheurs.
Cette doctrine des trois mille mondes en un instant de vie, d’abord énoncée par le Grand Maître Tiantai, est le père et la mère des bouddhas. Pourtant, plus d’un siècle après, le Maître des Trois Corbeilles Shanwuwei déroba cette doctrine et se mit à déclarer dans ses écrits que le Sūtra de Mahavairochana et le Sūtra du Lotus étaient égaux sur le plan du principe, ayant en commun le même principe des trois mille mondes en un instant de vie. Quelle personne réfléchie aurait foi dans une telle affirmation ?
De plus, il prétend que le Sūtra de Mahavairochana est supérieur sur le plan de la pratique parce que le Sūtra du Lotus ne mentionne ni les mudra, ni les mantras. Compare-t-il en l’occurrence la valeur du Sūtra du Lotus et celle du Sūtra de Mahavairochana dans leurs versions sanskrites ? Ou compare-t-il ces deux sūtras dans leurs versions chinoises ?
La traduction des Règles des rituels fondés sur le Sūtra du Lotus du Maître des Trois Corbeilles Bukong indique que le Sūtra du Lotus contient en fait des mudra et des mantras. La traduction du Sūtra des rois bienveillants de Kumarajiva ne comporte pas de mudra ni de mantras, mais mention en est faite dans une traduction ultérieure du même sūtra par Bukong.
Ces divers sūtras, tels qu’ils existaient en Inde, ont été sans aucun doute associés à un nombre incalculable de pratiques de ce genre. Mais, en raison de la grande distance séparant l’Inde et la Chine et de la difficulté de tout transporter, les sūtras furent introduits en Chine dans des versions abrégées.
Bien que le Sūtra du Lotus ne mentionne ni mudra ni mantras, il a le mérite de déclarer que les personnes des deux véhicules peuvent atteindre la bouddhéité et indique même le nom des kalpa où cela se produira, dans quels pays cela aura lieu et le nom que porteront ces personnes quand elles deviendront bouddhas. Il est aussi déclaré [dans le Sūtra] que Shakyamuni atteignit l’illumination dans le très lointain passé. Le Sūtra de Mahavairochana décrit bien des mudra et des mantras mais, il ne dit rien de l’atteinte de la bouddhéité par les personnes des deux véhicules ou de l’illumination originelle du Bouddha dans le très lointain passé.
Si nous mettons côte à côte l’atteinte de la bouddhéité par les personnes des deux véhicules et puis les mudra et les mantras, nous nous rendons compte que la différence entre leur importance respective est aussi grande que la distance qui sépare le ciel de la terre. Dans les divers sūtras enseignés par le Bouddha pendant plus de quarante ans, avant le Sūtra du Lotus, les personnes des deux véhicules sont décrites comme des graines pourries qui ne germeront pas. Elles ne sont pas condamnées en quelques mots mais dans d’innombrables passages, sūtra après sūtra. Cependant, dans le Sūtra du Lotus, tous ces passages sont réfutés ; il est proclamé que les personnes des deux véhicules peuvent en fait atteindre la bouddhéité.
Quant aux mudra et aux mantras, où et dans quel sūtra peut-on trouver un passage les condamnant ? Et, puisqu’ils n’ont jamais été condamnés, le Sūtra de Mahavairochana, comme beaucoup d’autres sūtras, ne se prive pas de mentionner des mudra et des mantras et, par conséquent, de les enseigner.
Un mudra est un geste symbolique de la main. Mais si la main ne devient pas bouddha, comment les mudra qu’elle accomplit peuvent-ils mener à la bouddhéité ? 874Un mantra est un acte effectué par la bouche. Mais si la bouche ne devient pas bouddha, comment les mantras qu’elle récite peuvent-ils mener à la bouddhéité ? En fait, si les personnes des deux véhicules ne rencontrent pas le Sūtra du Lotus dans les trois catégories d’actes [par le corps, la parole ou l’esprit], elles auront beau pratiquer les mudra et les mantras des quelque mille deux cents honorés15, pendant d’innombrables kalpa, jamais elles n’atteindront la bouddhéité.
Celui qui déclare supérieur un texte qui ne mentionne pas la possibilité d’atteindre la bouddhéité pour les personnes des deux véhicules, alors qu’il s’agit d’un enseignement majeur, mais décrit au contraire des mudra et des mantras d’une signification inférieure, est sans aucun doute un voleur sur le plan du principe, doublé d’un non-bouddhiste considérant les choses inférieures comme supérieures sur le plan de la pratique. Pour avoir commis cette erreur, Shanwuwei fut blâmé par Yama, le roi de l’enfer. Par la suite, il s’en repentit, révéra le Grand Maître Tiantai et eut foi dans le Sūtra du Lotus ; c’est ainsi qu’il échappa aux mauvaises voies16.
L’illumination originelle du bouddha dans le très lointain passé n’est pas même suggérée dans le Sūtra de Mahavairochana. Pourtant, cette illumination est l’origine de tous les bouddhas. Ainsi, si nous prenons le vaste océan comme symbole de l’illumination originelle du Bouddha dans le très lointain passé, alors les poissons et les oiseaux qui l’habitent sont comparables aux quelque mille deux cents honorés des enseignements du Shingon. Sans la révélation de l’illumination du Bouddha voici des temps infinis, les quelque mille deux cents honorés deviendraient comme autant de brins d’herbe flottant sans racines, ou comme la rosée nocturne disparaissant au lever du soleil.
Les partisans de l’école Tendai ne comprennent pas cette question et se laissent donc tromper par les maîtres du Shingon. Les maîtres du Shingon eux-mêmes, n’ayant pas conscience que leur propre école est dans l’erreur, développent en vain une compréhension faussée qui ne mène que sur les mauvaises voies.
Non seulement le révérend Kūkai ne comprit pas ce principe mais il emprunta une fausse interprétation de l’école Kegon, déjà réfutée par le passé, et adopta la position erronée selon laquelle le Sūtra du Lotus est inférieur au Sūtra de la Guirlande de fleurs. Cela revient à débattre de la longueur des poils de tortue ou de l’existence des cornes de lapin. Puisque la carapace des tortues n’est pas couverte de poils, comment pourrait-on parler de leur longueur ? Puisque les lapins n’ont pas de cornes sur la tête, comment pourrait-on débattre de leur existence ?
Même quelqu’un [comme Shanwuwei], qui déclara le Sūtra du Lotus et le Sūtra de Mahavairochana identiques sur le plan du principe, ne put échapper au blâme de Yama. Comment alors celui qui prétend le Sūtra de la Guirlande de fleurs inférieur au Sūtra de Mahavairochana et, par la suite, le Sūtra du Lotus lui-même inférieur au Sūtra de la Guirlande de fleurs peut-il échapper à l’accusation de calomnie à l’égard de l’enseignement correct ? Les personnes sont peut-être différentes, mais la calomnie est la même. Nous pouvons comprendre ici pourquoi le principal disciple de Kūkai, le supérieur des moines Kakinomoto no Ki, se changea en démon bleu17. Si Kūkai ne s’est toujours pas repenti de sa compréhension biaisée et ne l’a pas rectifiée, il demeure encore sans aucun doute dans les mauvaises voies. Quel sera alors le destin de ses disciples ?
Question : Pourquoi vous, et vous seul, déversez-vous tant de critiques sur les autres ?
Réponse : Moi, Nichiren, je ne condamne pas les autres. Je ne fais que souligner les points contestables de leurs doctrines. S’ils veulent se fâcher contre moi, qu’ils le fassent !
875Il y a longtemps, les doctrines non bouddhiques se propagèrent dans l’ensemble des cinq régions de l’Inde où elles prévalurent pendant huit cents ou mille ans, si bien que tous, depuis les rois-qui-font-tourner-la-roue jusqu’aux gens ordinaires, s’inclinaient devant elles, en signe de grand respect. Pourtant, les quatre-vingt-quinze écoles furent toutes, de la première à la dernière, réfutées par le Bouddha. [En Chine,] les doctrines erronées des moines de l’école Shelun prospérèrent plus de cent ans, mais furent par la suite vaincues18 ; et, après avoir été acceptées pendant plus de trois cents ans, les opinions fausses des maîtres bouddhiques du Nord et du Sud furent également réfutées. Au Japon, les doctrines des six écoles de Nara furent vaincues après avoir prospéré pendant plus de deux cent soixante ans. Le Grand Maître Dengyō les réfute dans certains de ses écrits19.
Au Japon, cinq écoles relèvent du Mahayana : les écoles Hossō, Sanron, Kegon, Shingon et Tendai. Il y a trois écoles du Hinayana : les écoles Kusha, Jōjitsu et Ritsu. Ensuite, bien que les écoles Shingon, Kegon, Sanron et Hossō suivent des enseignements du Mahayana, nous découvrons en les examinant de près qu’elles appartiennent toutes au Hinayana.
On peut dire d’une école qu’elle se définit par la présence des trois entraînements : les préceptes, la méditation et la sagesse. Laissons de côté la méditation et la sagesse. On note alors que, en fonction des préceptes qu’elles adoptent, les diverses écoles peuvent être clairement classées comme écoles du Mahayana ou du Hinayana. Ni la branche Tō-ji de l’école Shingon, ni les écoles Hossō, Sanron ou Kegon n’ont leur propre estrade d’ordination pour conférer les préceptes et elles doivent donc se servir de l’estrade du Tōdai-ji20. Cela signifie qu’elles se lient aux préceptes énoncés par l’école Ritsu, école du Hinayana, qui n’ont pas plus de valeur que du lait d’ânesse ou que des excréments malodorants. Par conséquent, du point de vue des préceptes observés, toutes ces écoles doivent être classées dans le Hinayana.
Le Grand Maître Dengyō fut formé en Chine aux enseignements de deux écoles, celle de Tiantai et celle du Shingon, qu’il rapporta ensuite à l’Enryaku-ji, sur le mont Hiei. Mais, lorsqu’il demanda instamment l’établissement d’une estrade d’ordination aux préceptes, Dengyō faisait référence à la méditation parfaite, à la sagesse parfaite et aux préceptes de l’enseignement parfait de l’illumination parfaite et subite de l’école Tendai [au Japon]. Il semble donc ne pas avoir jugé approprié d’accoler le terme « école Shingon » à celui d’« école Tendai ». Dans le mémoire qu’il soumit à la Cour impériale, il se réfère à la concentration, à la pénétration et aux pratiques de discipline de Vairochana, de l’école du Lotus Tendai21. Le serment concernant les préceptes transmis par Dengyō à son disciple Jikaku mentionne « la concentration et pénétration et les pratiques ésotériques de l’école du Lotus Tendai », en omettant clairement le terme « école Shingon ».
Il est dit de l’école du Lotus Tendai qu’elle fut fondée par le Bouddha et établie par le bouddha Shakyamuni lui-même. L’école Shingon fut l’invention des érudits et maîtres des temps ultérieurs qui, les premiers, utilisèrent le mot « école » pour se décrire. Ils attribuèrent cependant la fondation de leur école à l’Ainsi-Venu Mahavairochana et au bodhisattva Maitreya. Mais seule l’unique école vouée au Sūtra du Lotus se conforme à la véritable intention du bouddha Shakyamuni.
Les enseignements du Hinayana se divisent en deux écoles, dix-huit écoles, voire vingt écoles22, mais fondamentalement toutes exposent un principe unique, l’impermanence de tous les phénomènes. L’école Hossō enseigne que tous les phénomènes ne proviennent que de l’esprit et ont une existence réelle. 876D’innombrables écoles se fondent sur les enseignements du Mahayana mais, dès lors qu’elles souscrivent à cette vision — que l’esprit seul produit tous les phénomènes et que les phénomènes ont une existence réelle —, on peut alors considérer qu’elles ne constituent qu’une seule école. L’école Sanron enseigne que tous les phénomènes proviennent du seul esprit et n’ont pas d’existence réelle. Là encore, il y a d’innombrables écoles du Mahayana mais, dès lors qu’elles souscrivent à cette vision — que l’esprit seul produit tous les phénomènes et que les phénomènes n’ont pas d’existence réelle —, on peut alors considérer qu’elles ne constituent qu’une seule école. Toutes ces écoles mettent donc l’accent sur l’une ou l’autre des deux vérités partielles du Mahayana : [soit sur le fait que] les phénomènes ont une existence réelle, [soit sur le fait qu’]ils sont non substantiels par nature23.
Si nous parlons en termes généreux des écoles Kegon et Shingon, nous dirons qu’elles représentent la doctrine de la Voie du Milieu, indépendante de la vacuité et de la vérité conventionnelle et temporaire24, alors que, si nous en parlons en termes sévères, nous dirons qu’elles se situent au même niveau que les deux doctrines du Mahayana concernant les phénomènes que nous venons de mentionner. Sur le plan du contenu, le Sūtra de Mahavairochana ne saurait être comparé ni au Sūtra de la Guirlande de fleurs, ni aux sūtras de la Sagesse. Mais, comme tant de personnes distinguées ont pourtant foi dans le Sūtra de Mahavairochana, la situation est plutôt comparable à celle d’un roi accordant son amour à une femme de condition modeste. Le Sūtra de Mahavairochana est comme une femme de condition modeste parce que ses principes ne vont pas au-delà de la doctrine de la Voie du Milieu, indépendante de la vacuité et de la vérité conventionnelle. Quant aux érudits et aux maîtres ayant gardé le Sūtra de Mahavairochana, ils sont comparables à un roi parce qu’ils inspirent le respect et ont de l’influence sur la population.
Comme nous vivons maintenant à l’époque de la Fin de la Loi où les gens ont une sagesse superficielle et sont bouffis d’orgueil, il est peu probable que les points que je viens de mentionner soient pris en compte par qui que ce soit. Mais quand apparaîtra un sage ou un homme vertueux, l’entière vérité à ce sujet sera sans aucun doute révélée. Préoccupé par votre sort, je vous ai écrit cette lettre afin qu’elle vous guide. J’espère que vous l’étudierez quand vous en aurez le temps.
Les points que j’ai abordés ici sont des questions de doctrine très importantes. Lorsque vous honorerez le bodhisattva Trésor-de-l’Espace25, vous devriez, à titre de pratique régulière, lire cette lettre [à haute voix] devant lui.
Envoyé à Shōmitsu-bō
Nichiren
Notes
1. Cette conception est développée dans les Annotations sur le Sūtra de Mahavairochana de Shanwuwei et dans d’autres commentaires des sūtras ésotériques.
2. Liangxu (dates inconnues), Guangxiu (771-843) et Weijuan (dates inconnues) étaient des moines de l’école Tiantai en Chine. Liangxu enseigna les doctrines de Tiantai à Chishō (Enchin, par la suite cinquième grand patriarche de l’Enryaku-ji, le temple principal de l’école japonaise Tendai) quand ce dernier se rendit au temple Kaiyuan, en 851. On dit que Guangxiu et son disciple Weijuan répondirent à des questions posées par Enchō (deuxième grand patriarche de l’Enryaku-ji) concernant les doctrines de l’école Tiantai.
3. Source inconnue.
4. On trouve cette affirmation de Kōbō dans son Traité sur les dix étapes de l’esprit, bien qu’il ne s’agisse pas de la citation exacte.
5. Il s’agit d’un résumé des doctrines énoncées par Kōbō dans la Comparaison entre les enseignements exotériques et ésotériques, qui établit la différence entre les deux bouddhas et dans La clé précieuse du trésor secret, qui présente les enseignements exotériques comme une introduction aux enseignements du Shingon.
6. On trouve cette idée dans La clé précieuse du trésor secret.
877 7. « Les traductions les plus récentes » concernent les sūtras traduits en chinois par Xuanzang (602-664) et d’autres après lui. En revanche, les traductions antérieures à Xuanzang — comme celles de Kumarajiva (344-413) et Paramartha (499-569) — sont qualifiées de « traductions plus anciennes ». Les traductions anciennes sont plus libres, alors que les traductions récentes ont tendance à être plus littérales.
8. Classification par Tiantai des enseignements de Shakyamuni selon l’ordre où ils ont été dispensés. Voir glossaire.
9. Il s’agit de l’enseignement des Trois Corbeilles, de l’enseignement intermédiaire, de l’enseignement spécifique et de l’enseignement parfait.
10. Ces huit états représentent l’ensemble des dix états, sauf ceux des deux véhicules, les auditeurs et les bouddhas-pour-soi. Nichiren dit que les écoles Sanlun et Faxiang gardent « la doctrine des huit états » parce qu’elles n’enseignent pas l’atteinte de la bouddhéité par les auditeurs et les bouddhas-pour-soi.
11. L’école Huayan, devenue école Kegon au Japon, peut aussi être appelée école de la Guirlande de fleurs. Le nom de cette école (dans les trois langues) est le nom du sūtra sur lequel elle se fonde.
12. L’ésotérisme Tendai considère les trois véhicules comme les enseignements exotériques et le Véhicule Unique comme l’enseignement ésotérique. Il définit donc le Sūtra du Lotus et le Sūtra de la Guirlande de fleurs comme des sūtras ésotériques, mais parce qu’ils ne mentionnent ni les mudra, ni les mantras, qui constituent la forme concrète de la pratique ésotérique, ils sont qualifiés d’enseignements ésotériques théoriques alors que le Sūtra de Mahavairochana et le Sūtra de la couronne de diamants sont qualifiés d’enseignements ésotériques à la fois sur le plan du principe et sur le plan de la pratique.
13. Kakinomoto no Hitomaro (qui composa son œuvre entre 685 et 705 environ) fut un poète majeur du Recueil de dix mille feuilles, la plus ancienne anthologie de poésie japonaise, qui couvre une période allant des premiers jours de l’histoire du Japon jusqu’à l’an 760. Le poème cité ici apparaît dans le Recueil de poésie ancienne et moderne, la première des anthologies impériales officielles et serait, selon certains, l’œuvre de Hitomaro.
14. Ki no Shukubō (décédé en 919) et Minamoto no Shitagō (911-983) étaient des nobles de la Cour et des poètes de la période Heian. Shitagō fut choisi pour participer à la compilation de la deuxième anthologie impériale, le nouveau Recueil de poésie ancienne et moderne, et se consacra aussi à l’étude du Recueil de dix mille feuilles.
15. Les quelque mille deux cents honorés sont des bouddhas, des bodhisattvas et d’autres êtres, tous inscrits sur les deux mandalas du Plan du diamant et du Plan de la matrice.
16. L’histoire de Shanwuwei échappant à l’enfer est développée dans un autre écrit de Nichiren, Le Maître des Trois Corbeilles Shanwuwei.
17. Kakinomoto no Ki est Shinzei (800-860), un moine de l’école Shingon. En 856, il fut le premier moine du Shingon à recevoir le titre de supérieur des moines. Selon Grandeur et décadence des Genji et des Heike, quand il conduisit des prières pour la guérison du cinquante-cinquième empereur, Montoku (850-858), il tomba amoureux de l’épouse de ce dernier et se transforma en démon bleu après la mort de l’empereur afin d’approcher son épouse.
18. L’école Shelun était l’une des treize écoles majeures du bouddhisme en Chine. Elle se fonde sur le Résumé du Mahayana (ou Somme du Mahayana, skt Mahayanasamgraha) d’Asanga, qui expose la doctrine du rien-que-conscience. Le Résumé du Mahayana fut traduit en chinois par Paramartha et propagé par ses disciples, ce qui conduisit à la formation de l’école Shelun. Cependant, au début de la dynastie des Tang, Xuanzang effectua une nouvelle traduction de Résumé du Mahayana et son disciple Cien fonda l’école Faxiang qui exposa aussi la doctrine du rien-que-conscience. Cela valut à l’école Shelun de connaître un déclin graduel.
19. Dengyō réfuta les doctrines des six écoles de Nara dans plusieurs écrits, notamment la Clarification des écoles fondées sur la doctrine de Tiantai et les Principes remarquables du Sūtra du Lotus.
20. Tōdai-ji est le temple principal de l’école Kegon. Ganjin établit une estrade d’ordination du Hinayana au Tōdai-ji, en 754.
21. Dans les Règles pour les moines de l’école de la montagne, Dengyō précise les règles pour les moines désignés chaque année par la Cour pour étudier les enseignements du Tendai au mont Hiei, et indique les préceptes du Mahayana auxquels ils devront être initiés lors de leur ordination. Il dit que, après leur ordination, les moines doivent rester douze ans au mont Hiei et accomplir deux sortes de pratiques, la « Concentration et Pénétration » et la « discipline de Vairochana ».
22. Le premier schisme dans la Communauté bouddhiste eut lieu environ un siècle après la mort de Shakyamuni en raison d’une querelle portant sur cinq nouvelles interprétations 878doctrinales énoncées par un moine appelé Mahadeva. Cela valut à la communauté de se couper en deux tendances, l’une minoritaire, des Anciens ou Sthavira, plutôt conservatrice, et l’autre, le Mahasamghika ou « majorité » plus libérale (ce sont les « deux écoles » dont parle Nichiren). Plus tard, ces deux tendances se sont divisées en de nombreuses écoles, dont certaines conservatrices et d’autres, majoritaires, plus libérales. Nichiren se fonde sur une tradition qui dit qu’il y avait huit écoles conservatrices et dix écoles libérales. Quand on ajoute ces écoles aux « deux écoles », on arrive au total de « vingt écoles », mentionné par Nichiren.
23. Cela signifie que, en ce qui concerne la triple vérité, les écoles mettent l’accent soit sur la vérité conventionnelle et temporaire, soit sur celle de la vacuité. La première position est représentée par l’école Hossō, qui maintient que tous les phénomènes proviennent uniquement de la conscience alaya mais possèdent une réalité temporaire. La seconde position est représentée par l’école Sanron qui souligne que, parce que toutes les choses proviennent de la production conditionnée, leur existence est en soi non substantielle et correspond à la vacuité. Ces enseignements correspondent l’un et l’autre à l’enseignement intermédiaire, ou proto-Mahayana, qui ne révèle pas encore la vérité de la Voie du Milieu.
24. Cela désigne la doctrine de l’enseignement spécifique, un degré supérieur du Mahayana destiné spécifiquement aux bodhisattvas. Les enseignements de cette catégorie révèlent la triple vérité (vérité de la vacuité, vérité conventionnelle et temporaire et vérité de la Voie du Milieu), mais les présentent comme distinctes et indépendantes les unes des autres.
25. Le bodhisattva Trésor-de-l’Espace était l’objet de vénération originel du Seichō-ji (où Nichiren commença à étudier le bouddhisme à 12 ans) depuis l’époque du moine Fushigi qui, en 771, sculpta une représentation de ce bodhisattva et l’enchâssa dans ce temple.