Points de repère
Cette lettre fut écrite depuis le mont Minobu qui était alors couvert de neige. Elle fut adressée au moine séculier Matsuno Rokurō Saemon, un disciple habitant le village de Matsuno, situé dans le district d’Ihara, dans la province de Suruga.
Matsuno, le grand-père de Nanjō Tokimitsu, était apparemment assidu dans sa pratique. D’après plusieurs lettres qui lui furent adressées, la première datant du deuxième mois de 1276, il est clair qu’il faisait fréquemment parvenir des offrandes à Nichiren. Dans ces lettres, Nichiren abordait souvent le sujet de la mort, de la terre pure du pic de l’Aigle et de l’illumination. Cela indique que Matsuno était probablement d’un âge avancé et reflète le désir de Nichiren de briser l’attachement que Matsuno aurait pu conserver à l’égard de la doctrine de l’école du Nembutsu concernant la renaissance dans la Terre pure du bouddha Amida, concept qui prévalait dans la société de l’époque.
Dans cette lettre, Nichiren souligne d’abord le caractère éphémère de la vie et combien il est futile de ne rechercher que la richesse matérielle. Ensuite, il décrit de façon très vivante la famine et les maladies qui accablaient le Japon à l’époque, soulignant l’incapacité du pays à prendre en compte ses avertissements concernant les causes de ces catastrophes et mentionnant les persécutions qu’il dut au contraire subir. Il note que ces persécutions correspondent précisément aux prophéties du Sūtra du Lotus. Il en conclut donc qu’il atteindra sans aucun doute la bouddhéité.
J’ai bien reçu les divers articles que vous m’avez fait parvenir. Préoccupé par mon existence au milieu de ces montagnes, vous m’avez envoyé un messager qui a dû se frayer un chemin à travers la neige pour me rendre visite. Votre bonté vous vaudra sans aucun doute la reconnaissance du Sūtra du Lotus et des dix filles rakshasa.
Il est dit dans le Sūtra du Nirvana : « Le cours de la vie humaine est plus rapide que celui d’un torrent de montagne ; une personne présente aujourd’hui ne sera probablement plus là demain. » On lit dans le Maya-sūtra : « Imaginez, par exemple, un troupeau de moutons conduit à l’abattoir par un chandala. La vie humaine est tout à fait semblable ; pas à pas, on se rapproche du lieu de sa mort. » Il est dit dans le Sūtra du Lotus : « Il n’y a nulle sécurité dans le monde des trois plans, à l’instar de la maison en flammes remplie de souffrances réellement redoutables1. »
Dans ces passages des sūtras, notre père bienveillant, l’Honoré du monde à la grande illumination, met en garde les 900hommes du commun que nous sommes, de l’époque de la Fin de la Loi. C’est un avertissement qu’il nous adresse à nous, ses enfants ignorants. Néanmoins, à aucun moment, les gens ne s’éveillent et n’aspirent à atteindre la Voie, ne serait-ce qu’un instant. Afin de parer leur corps, ils passent leur temps à amasser des vêtements. Cependant, s’ils étaient abandonnés la nuit dans les champs, ils seraient dépouillés par les rôdeurs.
Quand leur vie parviendra à son terme, en l’espace de trois jours, leur corps se changera en eau qui coule, en poussière qui se mêle à la terre et en fumée qui s’élève dans le ciel, sans laisser aucune trace. Ils cherchent néanmoins à nourrir ce corps et à accumuler de grandes richesses.
On connaît ce principe depuis les temps anciens mais, aujourd’hui, la situation est particulièrement déplorable. Le Japon a été constamment en proie à la famine durant ces dernières années et les réserves de nourriture et de vêtements sont épuisées. Les animaux domestiques ont tous été mangés et l’on voit apparaître des personnes qui se nourrissent de chair humaine. Ils arrachent la chair des défunts, des enfants et des malades, la mêlent à celle de poisson ou de cerf, et la vendent. Les gens achètent cette mixture et la mangent. C’est ainsi que ce pays devient à son insu un refuge des grands démons du mal.
De plus, depuis le printemps de l’année dernière jusqu’au milieu du deuxième mois de cette année, des épidémies se sont propagées dans tout le pays. Dans cinq familles sur dix, dans cinquante foyers sur cent, tous les membres sont morts de maladie. Les autres ont échappé au mal mais souffrent d’une grande détresse spirituelle, et éprouvent encore plus d’angoisse que les malades. Ceux qui ont réussi à survivre ont eux-mêmes perdu les enfants qui les suivaient comme leur ombre, leur époux ou épouse dont ils étaient aussi inséparables que les deux yeux [d’un visage], ou les parents sur lesquels ils avaient compté comme sur le ciel et la terre. Pour eux, quel sens peut bien avoir la vie ? Comment les personnes sensibles pourraient-elles ne pas détester ce monde ? Le Bouddha a enseigné qu’il n’y a pas de sécurité dans le monde des trois plans, mais la situation qui prévaut actuellement paraît particulièrement tragique.
Bien que je ne sois moi-même qu’un homme du commun, j’ai informé le souverain que le Bouddha avait légué des enseignements prédisant une telle situation. Cependant, il n’a pas tenu compte de mes remontrances mais a, au contraire, entrepris de me persécuter plus durement encore, de sorte que je n’ai rien pu faire de plus. Ce pays calomniait déjà la Loi et, en devenant l’ennemi du Sūtra du Lotus, il est aussi devenu l’ennemi des bouddhas et des dieux des trois phases de l’existence et des dix directions.
J’aimerais que vous réfléchissiez profondément à ce sujet. Aussi graves que soient les crimes dont moi, Nichiren, je suis accusé, je suis un pratiquant du Sūtra du Lotus. Aussi graves que soient les crimes dont une personne qui récite Namu-Amida-butsu se rend coupable, elle est bel et bien un disciple du Nembutsu. Du fait que je récite Nam-myōhō-renge-kyō, j’ai été insulté, frappé, exilé, et ma vie a été menacée. Cependant, malgré tout cela, j’ai continué à exhorter les autres à faire de même. Ne suis-je pas alors un pratiquant du Sūtra du Lotus ?
Dans le Sūtra du Lotus, il est stipulé que ceux qui éprouvent de la rancune à l’égard du pratiquant de ce Sūtra sont voués à tomber dans l’enfer Avīci. Il est dit dans le quatrième volume que la faute consistant à faire preuve de malveillance envers un pratiquant du Sūtra du Lotus à l’époque de la Fin de la Loi est plus grave que celle qui consiste à insulter le Bouddha pendant la totalité d’un kalpa moyen2. Il est enseigné dans le septième volume que les gens qui 901dénigrent le pratiquant souffriront dans l’enfer Avīci pendant mille kalpa3. Il est dit dans le cinquième volume que, après la disparition du Bouddha, quand viendra l’époque de la Fin de la Loi, un pratiquant du Sūtra du Lotus apparaîtra à coup sûr et que, à ce moment-là, dans le pays [où il vivra], un nombre incalculable de moines qui tantôt gardent, tantôt enfreignent les préceptes, se rassembleront et dénonceront le pratiquant auprès du souverain du pays, provoquant son bannissement et sa perte4.
Ces passages du Sūtra coïncident tous parfaitement avec ce qui m’est arrivé. Je suis donc convaincu que j’atteindrai la bouddhéité dans l’avenir. Je vous en parlerai plus en détail lorsque nous nous rencontrerons.
Nichiren
Le treizième jour du deuxièmemois de la quatrième année de Kenji [1278], signe cyclique de tsuchinoe-tora
Réponse à Matsuno