J’ai bien reçu le to1 de riz blanc, le sac d’ignames, et les cinq blocs de konnyaku2 que vous vous êtes donné la peine de me faire parvenir.
J’aimerais d’abord évoquer une jeune femme, la fille du moine séculier Ishikawa no Hyōe, qui m’envoyait fréquemment des lettres. Dans celle qui m’est parvenue dans la nuit du quatorzième ou quinzième jour du troisième mois, elle écrivait : « Quand j’observe le monde qui m’entoure, il me semble que même les personnes en bonne santé ne pourront pas survivre à cette année. Je suis malade depuis longtemps mais ma maladie s’est soudain aggravée, et j’imagine qu’il s’agit là de la dernière lettre que je vous envoie. » Est-il donc vrai qu’elle est décédée ?
La plupart des gens croient que ceux qui récitent Namu-Amida-butsu au moment de leur mort renaîtront à coup sûr dans la Terre pure, car telles sont les paroles d’or du Bouddha. Cependant, pour une raison qu’on ignore, le Bouddha eut des regrets et revint sur sa déclaration en disant : « [Durant ces quelque quarante années], je n’ai pas encore révélé la vérité [tout entière]3 » et « renonçant très clairement à me servir des moyens opportuns, [je vais prêcher seulement la Voie inégalée]4 ». J’enseigne ce que le Bouddha préconisait, mais tout le Japon est devenu furieux et a rejeté mes paroles comme s’il s’agissait d’inventions sans fondement.
Il arriva au Bouddha de contredire de manière surprenante un enseignement antérieur en d’autres occasions. Dans les sūtras du Hinayana, il enseigna qu’il n’existait pas d’autre bouddha que lui dans aucune des dix directions, et que les êtres 912vivants ne possédaient pas tous la nature de bouddha. Mais, dans les sūtras du Mahayana, il enseigna qu’il y avait des bouddhas dans l’ensemble des dix directions et que la nature de bouddha se trouvait en chaque être vivant. Comment quelqu’un aurait-il pu alors continuer à utiliser les sūtras du Hinayana ? Par la suite, tout le monde en vint à croire dans les sūtras du Mahayana.
Nous découvrons en plus qu’il y a des distinctions encore plus insondables établies par le bouddha Shakyamuni entre les sūtras. Dans le Sūtra du Lotus, il réfuta soudain tous les autres sūtras qu’il avait enseignés, qu’il enseignait alors ou qu’il enseignerait dans l’avenir et déclara que seul le Sūtra du Lotus était juste. Mais ses disciples ne le crurent pas. À ce moment-là, le bouddha Maints-Trésors vint témoigner de la véracité de ce que le bouddha Shakyamuni avait dit, et les bouddhas des dix directions ajoutèrent leurs témoignages au sien, en tirant leurs langues jusqu’à ce qu’elles touchent le ciel de Brahma.
Après que le bouddha Maints-Trésors eut fermé la porte de la Tour aux trésors et que les autres bouddhas furent revenus dans leurs terres originelles, le bouddha Shakyamuni lui-même n’aurait pu renier le Sūtra du Lotus, quels que soient les sūtras qu’il ait pu exposer et qui allaient dans ce sens, parce que les autres bouddhas, tous ensemble, avaient témoigné de sa véracité. C’est pourquoi, dans le Sūtra du bodhisattva Sagesse-Universelle et dans le Sūtra du Nirvana, qui suivent le Sūtra du Lotus, ce dernier fait toujours l’objet de louanges et n’est jamais critiqué.
Néanmoins, comme Shanwuwei, les moines de l’école Shingon, les fondateurs et les moines de l’école Zen ont rejeté le Sūtra du Lotus, et tous les habitants du Japon sont maintenant convertis à leurs enseignements, semblables en cela à ceux qui se laissèrent tromper par les rebelles Masakado et Sadatō. Le Japon est désormais au bord de la ruine parce qu’il est, depuis de nombreuses années, l’ennemi juré de Shakyamuni, de Maints-Trésors et des bouddhas des dix directions et parce que, en plus, la personne qui dénonce ces erreurs est persécutée. De telles offenses s’ajoutant ainsi les unes aux autres, notre pays encourra bientôt la fureur du ciel.
En raison, peut-être, du karma de ses vies passées, ou pour quelque autre raison, cette femme a récité Nam-myōhō-renge-kyō au moment de sa mort. C’est aussi rare que de voir une tortue borgne trouver un morceau de bois flottant à la surface de l’eau qui soit doté d’un creux d’une taille telle qu’elle puisse s’y installer, ou encore que de réussir à faire descendre un fil depuis le ciel et le faire passer par le chas d’une aiguille sur terre. C’est vraiment merveilleux !
Il est clairement indiqué dans les passages du Sūtra que ceux qui croient dans le Nembutsu sont voués à tomber dans l’Enfer aux souffrances incessantes, mais les gens n’en ayant pas conscience pensent tous que c’est moi qui ai inventé cet enseignement. Cela rejoint le sens de ce dicton qui met sur le même plan les cieux et nos propres cils. Les gens ne voient ni leurs propres cils qui sont si proches, ni les cieux dans le lointain5. Si mon enseignement était faux, cette nonne séculière n’aurait sûrement pas eu un esprit juste et résolu au moment de la mort.
Parmi mes disciples, ceux qui se croient bien versés dans les enseignements bouddhiques sont ceux qui commettent des erreurs. Nam-myōhō-renge-kyō est l’essence du Sūtra du Lotus. C’est comme l’âme d’une personne. Révérer un autre enseignement comme son égal, c’est être comme une femme qui se marie avec deux empereurs ou qui commet en secret l’adultère avec un ministre ou un humble sujet. Cela ne peut être qu’une cause de désastre.
Cet enseignement ne fut pas propagé à l’époque de la Loi correcte ni à celle de la Loi formelle parce que les autres sūtras n’avaient pas encore perdu leur pouvoir 913bénéfique. Aujourd’hui, à l’époque de la Fin de la Loi, ni le Sūtra du Lotus, ni les autres sūtras ne mènent à l’illumination. Il n’y a que Nam-myōhō-renge-kyō qui puisse le faire. Il ne s’agit pas là de mon idée personnelle. Shakyamuni, Maints-Trésors, les bouddhas des dix directions et les bodhisattvas sortis de la terre, aussi nombreux que les particules de poussière de mille mondes, ont confirmé qu’il en était ainsi.
Mêler d’autres pratiques à celle de Nam-myōhō-renge-kyō est une grave erreur. Une lanterne ne sert plus à rien quand le soleil se lève. En quoi des gouttes de rosée sont-elles bénéfiques quand la pluie tombe ? Quelle nourriture donner à un bébé qui vient de naître, sinon le lait de sa mère ? Il est inutile d’ajouter d’autres médicaments à un bon remède. En un sens, cette femme est restée fidèle à ce principe et a continué à garder sa foi jusqu’au dernier moment de sa vie. C’est vraiment admirable et vraiment digne !
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le premier jour du quatrième mois de la première année de Kōan [1278]
Réponse à Ueno