J’ai bien reçu votre don de sept mille pièces de monnaie. Voici ce que l’on trouve au cœur du chapitre “Transmission” du Sūtra du Lotus : [Se levant de son siège dans la Tour aux trésors,] le Bouddha se tint debout dans les airs et, afin de transmettre le Sūtra du Lotus, caressa à trois reprises au moins la tête du bodhisattva Pratiques-Supérieures et de ses disciples, de Manjusri et de ses disciples, du grand Brahma, de Shakra, des dieux du soleil et de la lune, des quatre rois célestes, des rois-dragons, des dix filles rakshasa et d’autres. Ils s’étaient rassemblés devant le Bouddha, aussi serrés que des gouttes de rosée, emplissant quatre cent dix mille nayuta1 de mondes, tels les herbes de la plaine de Musashino2 ou les arbres couvrant le mont Fuji. Ils s’agenouillèrent les uns à côté des autres, s’inclinèrent jusqu’à ce que leurs têtes touchent le sol et joignirent les mains, ruisselant de sueur. Le bouddha Shakyamuni leur passa la main sur la tête à la manière d’une mère caressant les cheveux de son enfant unique. Puis Pratiques-Supérieures, les dieux du soleil et de la lune, et les autres reçurent les joyeuses instructions du Bouddha et firent le vœu de propager le Sūtra du Lotus en cette époque de la Fin de la Loi.
Venons-en au chapitre “Roi-de-la-Médecine” : Dans le passé, un bodhisattva appelé Vision-qui-Réjouit3 reçut du bouddha Pure-et-Brillante-Vertu-de-Soleil-et-de-Lune l’enseignement du Sūtra du Lotus. Il fut si profondément ému par cette faveur reçue de son maître, et par la valeur inestimable de ce Sūtra, qu’il lui remit, à titre d’offrandes, tous les précieux trésors dont il était détenteur. Encore insatisfait, il s’enduisit d’huile et se brûla le corps en offrande au Bouddha pendant une période de mille deux cents ans, de la même façon qu’aujourd’hui nous faisons brûler de l’huile en y trempant une mèche et en l’allumant. Puis, dans la vie suivante, il fit une torche de ses bras et les fit brûler pendant soixante-douze mille ans en offrande au Sūtra du Lotus. Donc, si aujourd’hui, dans la dernière période de cinq cents ans, une femme fait des offrandes au Sūtra du Lotus, les bienfaits de ce bodhisattva lui seront tous légués, sans exception, de la même façon qu’un homme riche transmet toute sa fortune à son fils unique.
Le chapitre “[Le bodhisattva] Son-Merveilleux” évoque un bodhisattva appelé Son-Merveilleux, qui réside à l’est, dans la terre du bouddha Sagesse-Souveraine-Constellation-Fleur-Pure. Par le passé, à l’époque du bouddha Roi-du-Son-du-Tonnerre-et-des-Nuages, il fut la reine Pure-Vertu, épouse du roi Merveilleux-Ornement. À ce moment-là, la reine Pure-Vertu fit des offrandes au Sūtra du Lotus et renaquit en tant que bodhisattva Son-Merveilleux4. Quand l’Ainsi-Venu Shakyamuni exposa le Sūtra du Lotus dans le monde saha, ce bodhisattva vint assister à la cérémonie et fit le vœu de protéger les femmes qui garderaient le Sūtra du Lotus à l’époque de la Fin de la Loi.
922Le chapitre “Sensible-aux-Sons-du-Monde” est aussi appelé le chapitre “La Porte universelle”. La première partie décrit les mérites de ceux qui ont foi dans le bodhisattva Sensible-aux-Sons-du-Monde. C’est pourquoi le chapitre s’intitule “Sensible-aux-Sons-du-Monde”. La seconde partie expose les mérites de ceux qui gardent le Sūtra du Lotus [l’enseignement de la porte universelle], comme le fait le bodhisattva. C’est pourquoi le chapitre s’intitule [aussi] le chapitre “La Porte universelle”.
Le chapitre “Dharani” décrit comment les deux sages, les deux dieux célestes et les dix filles rakshasa protégeront le pratiquant du Sūtra du Lotus. Les deux sages sont Roi-de-la-Médecine et Courageux Donateur et les deux dieux célestes Vaishravana et Dhritarashtra. Les dix filles rakshasa sont les dix puissantes démones-divinités, mères de toutes les divinités-démons des quatre continents. Ces dix filles rakshasa ont de plus une mère, appelée la Mère-des-Enfants-Démons.
Il est dans la nature des divinités-démons de se nourrir d’êtres humains. Les êtres humains sont constitués de trente-six éléments : les excréments, l’urine, la salive, la chair, le sang, la peau, les os, les cinq organes internes solides5, les six organes internes creux6, les cheveux sur la tête, les poils sur le corps, l’énergie, la vie, etc. Les divinités-démons de facultés inférieures se nourrissent d’excréments et de choses du même genre. Les divinités-démons de facultés moyennes se nourrissent d’os et d’éléments similaires, alors que les divinités-démons de facultés supérieures se nourrissent de la vitalité humaine. En tant que divinités-démons de facultés supérieures, les dix filles rakshasa tirent donc leur subsistance de la vitalité humaine. Ce sont de puissantes divinités-démons qui provoquent les épidémies.
Il existe deux sortes de divinités-démons, les divinités-démons bienfaisantes et les divinités-démons malfaisantes. Les divinités-démons bienfaisantes se nourrissent des ennemis du Sūtra du Lotus, alors que les divinités-démons malfaisantes se nourrissent des pratiquants du Sūtra. Comment faut-il interpréter les grandes épidémies qui ont sévi dans tout le Japon cette année et l’année dernière ? D’un certain point de vue, il s’agit de l’œuvre des divinités-démons bienfaisantes qui dévorent les ennemis du Sūtra du Lotus avec l’approbation de Brahma, de Shakra, des dieux du soleil et de la lune, et des quatre rois célestes. D’un autre point de vue, c’est l’œuvre des divinités-démons malfaisantes, qui se nourrissent des pratiquants du Sūtra du Lotus sous l’exhortation du roi-démon du sixième ciel. Les divinités-démons bienfaisantes dévorant les ennemis du Sūtra du Lotus sont comme les soldats du gouvernement punissant les ennemis du souverain. Mais les divinités-démons malfaisantes mangeant les pratiquants du Sūtra du Lotus sont pareils à des voleurs et à des cambrioleurs nocturnes assassinant les soldats du gouvernement.
Ainsi, quand la Loi bouddhique fut introduite au Japon, le grand ministre Mononobe no Moriya et d’autres qui s’y opposèrent furent frappés par des épidémies, mais le haut dignitaire Soga no Umako et d’autres [qui adoptèrent la Loi bouddhique] tombèrent eux aussi malades7. Trois empereurs successifs, Kimmei [539-571], Bidatsu [572-585] et Yōmei [585-587] crurent en la Loi bouddhique et en l’Ainsi-Venu Shakyamuni dans leur cœur mais honorèrent en apparence la Grande Déesse du Soleil et les sanctuaires de Kumano8, en se conformant aux rites traditionnels du pays. Du fait que leur foi dans le Bouddha et dans ses enseignements était faible, alors que leur foi dans les dieux était forte, ces trois souverains furent entraînés par l’influence la plus forte et succombèrent à des épidémies de variole.
À la lumière de ces exemples, vous devriez réfléchir aux deux sortes de divinités-démons que je viens de mentionner, ainsi qu’aux raisons de la 923propagation de l’épidémie parmi la population d’aujourd’hui, et vous demander pourquoi certains de mes disciples tombent eux aussi malades et périssent. Vous verrez que, dans certains cas, ceux qui consacrent leur vie à la foi ne tombent pas malades ou que, s’ils tombent malades, ils se rétabliront. Dans d’autres cas, s’ils rencontrent de puissantes divinités-démons malfaisantes, ils peuvent perdre la vie. Ces derniers sont comparables à Hatakeyama Shigetada9 qui fut finalement anéanti par le grand nombre de ses ennemis, bien qu’il fût le plus puissant général du Japon.
Tous les maîtres du Shingon au Japon se sont changés en esprits maléfiques, et les divinités-démons malfaisantes sévissent dans tout le pays, incitant les moines du Zen et ceux du Nembutsu à s’opposer à Nichiren. Par ailleurs, les compagnons [divinités-démons bienfaisantes] de Brahma, de Shakra, des dieux du soleil et de la lune et des dix filles rakshasa ont aussi envahi le Japon, chaque camp se battant avec acharnement pour dominer l’autre.
Les dix filles rakshasa ayant fait le vœu de protéger, en principe, les pratiquants du Sūtra du Lotus, on peut penser qu’elles devraient protéger tous ceux qui croient dans le Sūtra. Mais, même parmi les gens qui gardent le Sūtra du Lotus, certains sont des maîtres du Shingon qui le lisent et le récitent tout en affirmant la supériorité du Sūtra de Mahavairochana. De telles personnes calomnient en fait le Sūtra du Lotus. Ce constat vaut pour toute autre école [dont les adeptes pratiquent le Sūtra du Lotus tout en croyant dans la supériorité de leurs propres sūtras].
Même parmi ceux qui gardent le Sūtra du Lotus de façon correcte, selon son enseignement, certains éprouvent du ressentiment à l’égard du pratiquant du Sūtra du Lotus, soit en raison de leur avidité, de leur haine et de leur ignorance, soit pour des raisons mondaines, ou encore pour les deux. Même si de telles personnes croient dans le Sūtra du Lotus, elles n’obtiendront pas le bienfait de la foi, mais encourront au contraire des rétributions négatives. Illustrons cela par l’exemple d’un fils : s’il désobéit à son père et à sa mère, il agira de manière contraire à la piété filiale, sauf si ses parents fomentaient une rébellion. Même si un père prend à son propre fils sa précieuse épouse ou si une mère vole à sa propre fille son époux chéri, si le fils ou la fille s’écartent, ne serait-ce qu’un peu, de la voie de la piété filiale, ils créeront des causes qui leur vaudront d’être abandonnés par les dieux célestes dans cette vie et de tomber dans l’enfer Avīci dans la suivante. Plus grave encore est le fait de s’opposer à un souverain vertueux, qui est supérieur à un père ou à une mère. Et il est encore plus grave de s’opposer à un maître séculier qui est cent, mille, dix mille, un million de fois supérieur à nos parents ou à notre souverain. Il est donc extrêmement grave de s’opposer au maître bouddhiste qui a abandonné le monde séculier ; et plus encore au maître du Sūtra du Lotus !
On dit que le fleuve Jaune devient clair une fois tous les mille ans et que, de la même façon, un sage apparaît en ce monde tous les mille ans. Un bouddha n’apparaît dans le monde qu’une fois en d’innombrables kalpa. Pourtant, même si l’on parvient à rencontrer un bouddha, il est bien plus difficile de rencontrer le Sūtra du Lotus. Il est encore plus rare, pour un homme du commun de l’époque de la Fin de la Loi, de rencontrer le pratiquant du Sūtra du Lotus que de rencontrer le Sūtra du Lotus. En effet, le pratiquant qui expose le Sūtra du Lotus à l’époque de la Fin de la Loi dépasse [les bouddhas et les bodhisattvas apparus dans] les sūtras de la période de la Guirlande de fleurs, des périodes Agama et Vaipulya et de la période de la Sagesse et les quelque mille deux cents honorés10 du Sūtra de Mahavairochana et d’autres sūtras, qui n’exposèrent pas le Sūtra du Lotus. Le Grand Maître Miaole déclare dans son commentaire : « Ceux qui 924font des offrandes [aux pratiquants du Sūtra du Lotus] goûteront une bonne fortune dépassant les dix titres honorifiques, alors que ceux qui les contrarient ou les troublent auront la tête brisée en sept morceaux11. »
Sous le règne des quelque quatre-vingt-dix empereurs qui ont gouverné depuis le commencement de l’ère impériale, on n’a jamais rien vu de comparable aux épidémies subies par le Japon depuis l’année dernière ou à celles qui les ont précédées, dans l’ère Shōka [1257-1259]12. Ces calamités semblent provenir du fait que les gens haïssent la présence d’un sage en ce pays. C’est le même principe qui fait dire qu’un chien qui aboie contre un lion aura les entrailles arrachées et qu’un asura qui essaie d’avaler le soleil et la lune aura la tête brisée. Les deux tiers des habitants du Japon sont déjà tombés malades au cours de l’épidémie et la moitié d’entre eux ont péri. Le dernier tiers n’est peut-être pas affecté physiquement, mais son esprit l’est. De manière visible ou invisible, il est certain qu’ils ont eu la tête brisée.
Il existe quatre sortes de rétributions [karmiques] négatives : générale, individuelle, latente et manifeste13. Si les gens nourrissent de l’hostilité à l’égard d’un sage, une rétribution générale sera infligée à tout le pays, et jusqu’aux quatre continents, aux six cieux du monde du désir et aux quatre cieux de méditation. Quand l’hostilité est dirigée vers une personne vertueuse, seuls ceux qui manifestent cette hostilité subiront des rétributions. Les épidémies qui sévissent actuellement au Japon constituent une rétribution générale. Les gens ont dû s’opposer à un sage vivant dans ce pays. Lorsqu’une montagne contient un joyau, ses plantes et ses arbres ne se dessèchent pas. Lorsqu’un pays a un sage, ce pays est protégé de la destruction. Les ignorants ne réalisent pas que les plantes et les arbres sur la montagne ne se dessèchent pas en raison de la présence d’un joyau. Ils ne réalisent pas davantage qu’un pays s’effondre du fait de son hostilité à l’égard d’un sage.
Bien que le soleil et la lune brillent, leur lumière ne sera d’aucun profit pour les aveugles. Que peut bien apporter le son des voix à un sourd ? Les gens du Japon paraissent tous aveugles ou sourds. Que le bienfait serait immense si l’on pouvait ouvrir tous ces yeux et toutes ces oreilles, amener tous ces yeux à voir et toutes ces oreilles à entendre ! Qui pourrait se prétendre capable de sonder un tel bienfait ? Je voudrais ajouter que, même si des parents engendrent un enfant capable de voir et d’entendre, faute d’un maître pour instruire cet enfant, ses yeux et ses oreilles ne vaudront pas mieux que ceux d’un animal.
Parmi les dix directions, c’est vers l’ouest14 que se tournent les aspirations de tous les habitants du Japon. Parmi tous les bouddhas, ils révèrent le bouddha Amida et, parmi toutes les pratiques, ils invoquent le nom d’Amida. Certains se fondent sur ces trois éléments tout en s’engageant dans d’autres pratiques, tandis que d’autres se consacrent exclusivement au Nembutsu. Durant les quelque vingt ans écoulés depuis la cinquième année de l’ère Kenchō [1253] jusqu’à aujourd’hui, j’ai d’abord clarifié les enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant du point de vue de leurs mérites relatifs, de leur ordre d’enseignement et de leur profondeur et, sur cette base, j’ai affirmé la supériorité du Daimoku du Sūtra du Lotus sur l’invocation du nom du bouddha Amida. Cependant personne, du souverain jusqu’au peuple, n’a tenu compte de mes propos. Ils ont interrogé leurs maîtres à mon sujet, alerté leurs seigneurs, discuté avec leurs compagnons et parlé à leurs épouses, à leurs enfants et à leurs vassaux, de sorte que les rumeurs me concernant se sont propagées dans chaque province, chaque district, chaque village et chaque hameau, ainsi que dans leurs temples et leurs sanctuaires. Chacun en est donc venu à connaître mon nom et tout le 925monde dit que, si l’on compare le Sūtra du Lotus avec le Nembutsu, le Nembutsu lui est supérieur, que le Sūtra du Lotus ne peut prétendre l’égaler, et que les autres moines sont dignes de respect alors que je suis méprisable. Ainsi, le souverain me considère avec hostilité, les gens en sont venus à me détester, et tout le Japon est devenu un grand ennemi du Sūtra du Lotus autant que de son pratiquant. Si je dis cela, non seulement l’ensemble du peuple japonais mais aussi les ignorants parmi mes disciples penseront que j’invente des mensonges sans fondement pour tenter d’amener les gens à me croire. Je dis pourtant tout cela pour le bien de ces hommes et de ces femmes qui croient dans les principes bouddhiques et je les laisserai en juger par eux-mêmes.
Le chapitre “[Les actes antérieurs du] roi Merveilleux-Ornement” du Sūtra du Lotus s’applique tout particulièrement aux femmes car il explique comment une épouse encouragea son mari. En cette époque de la Fin de la Loi, une épouse qui amène son mari à croire goûtera le même bienfait que la reine Pure-Vertu. Une situation comme la vôtre est donc d’autant plus favorable, puisque épouse et mari ont l’un et l’autre la foi ! C’est comme un oiseau doté de deux ailes ou un chariot à deux roues. Y a-t-il quelque chose qu’il vous serait impossible d’accomplir ? Puisqu’il y a un ciel et une terre, un soleil et une lune, le soleil brille et la pluie tombe, et les plantes et les arbres des bienfaits ne manqueront pas de s’épanouir et de porter des fruits.
Venons-en au chapitre “Les encouragements [du bodhisattva Sagesse-Universelle]”. Bien qu’il y ait eu beaucoup de moines parmi les disciples du bouddha Shakyamuni, seuls les moines Mahakashyapa et Ananda l’ont toujours accompagné sur sa droite et sur sa gauche, à l’instar des ministres de la droite et de la gauche15 qui servent le souverain. Cela se passait au moment où le Bouddha exposait les sūtras du Hinayana. De plus, parmi les innombrables bodhisattvas, Sagesse-Universelle et Manjusri furent distingués en tant que ministres de la droite et de la gauche du bouddha Shakyamuni. Il était donc étrange que le bodhisattva Sagesse-Universelle, l’un des deux ministres de Shakyamuni, ait été absent durant les huit années où le Bouddha exposa le Sūtra du Lotus qui dépasse tous les autres sūtras enseignés durant sa vie alors que, à l’occasion de cette cérémonie, les bouddhas et bodhisattvas des dix directions s’étaient rassemblés massivement, plus nombreux que les particules de poussière de la terre. Mais quand le chapitre “[Les actes antérieurs du] roi Merveilleux-Ornement” fut exposé, alors que l’enseignement du Sūtra du Lotus touchait à sa fin, le bodhisattva Sagesse-Universelle arriva de l’est en toute hâte, avec un grand retard, depuis la terre du bouddha Roi-de-la-Pureté-aux-Vertu-et-Dignité-Précieuses16. Il était accompagné du son de mille millions d’instruments de musique et se situait à la tête d’un cortège d’êtres innombrables [appartenant à la catégorie] des huit sortes d’êtres non humains. Redoutant probablement que le Bouddha ne soit mécontent de son arrivée tardive, il adopta un air grave et fit avec la plus grande ferveur le vœu de protéger les pratiquants du Sūtra du Lotus à l’époque de la Fin de la Loi. Certainement ravi de l’extraordinaire sincérité avec laquelle Sagesse-Universelle fit le vœu de propager le Sūtra du Lotus dans tout le continent du Jambudvipa, le Bouddha fit aussitôt son éloge, plus chaleureusement qu’il n’avait loué précédemment les autres bodhisattvas de rang plus élevé.
Il est formidable qu’une femme de l’époque de la Fin de la Loi prenne la décision de faire une offrande à chacun des vingt-huit chapitres de ce merveilleux Sūtra du Lotus. Lors de la Cérémonie [dans les airs] dont parle le chapitre “[L’apparition de] la Tour aux trésors”, les Ainsi-Venus Maints-Trésors et Shakyamuni, les 926bouddhas des dix directions et tous les bodhisattvas se sont rassemblés. Quand je me demande où se trouve aujourd’hui ce chapitre “[L’apparition de] la Tour aux trésors”17, je vois bien qu’il est dans la fleur de lotus du cœur à huit pétales présent dans la poitrine de Dame Nichinyo. Cela est comparable à la graine de lotus contenant la fleur de lotus en elle, ou à une reine portant un prince héritier en son sein. Celui qui, pour avoir observé les dix préceptes de bien18, est voué à naître en tant que prince héritier et attend sa naissance dans le sein de la reine, sera protégé par les dieux célestes. C’est pourquoi on appelle le prince héritier le Fils du Ciel. Chacun des soixante-neuf mille trois cent quatre-vingt-quatre caractères [chinois] des vingt-huit chapitres du Sūtra du Lotus est pareil à un prince héritier. Il est la graine d’un bouddha.
Il y a des ombres dans les ténèbres, mais les êtres humains ne les discernent pas. Il y a des routes dans le ciel que les oiseaux suivent dans leur vol, mais les humains ne les distinguent pas. Il y a des voies dans la mer que les poissons empruntent en nageant, mais les humains ne les perçoivent pas. Tous les êtres humains et tout ce qui se trouve dans les quatre continents se reflètent dans la lune, sans la moindre exception, mais les êtres humains ne le voient pas. Tout cela est cependant visible pour l’œil céleste19. De la même manière, les hommes du commun ne voient pas que le chapitre “[L’apparition de] la Tour aux trésors” se trouve dans le corps de Dame Nichinyo, mais Shakyamuni, Maints-Trésors et les bouddhas des dix directions le perçoivent. Moi, Nichiren, je le suppose également. C’est vraiment louable !
Le roi Wen, de la dynastie des Zhou, remporta la bataille parce qu’il se souciait du bien-être des personnes âgées. Durant les trente-sept règnes couvrant huit cents années où ses descendants furent au pouvoir, il y eut quelques incidents liés à des erreurs de gouvernement mais, dans l’ensemble, la dynastie des Zhou prospéra grâce à cette vertu fondamentale. Bien qu’étant roi, Ajatashatru était un homme très mauvais, et cependant il put conserver le trône pendant quatre-vingt-dix ans grâce aux mérites de son père, le roi Bimbisara, qui avait fait des offrandes au Bouddha pendant plusieurs années. Le même principe s’applique aujourd’hui. Je ne pense pas que le régime actuel restera longtemps en place puisqu’il s’oppose au Sūtra du Lotus. Cependant, probablement en raison de la remarquable aptitude à gouverner du défunt régent et de l’ancien gouverneur de Musashi20 devenu moine séculier, il semble solide pour le moment. Même s’il en est ainsi, le gouvernement actuel finira par s’effondrer s’il continue à manifester de l’hostilité envers le Sūtra du Lotus. Les dignitaires au pouvoir pensent à tort que, alors que les moines du Nembutsu sont bien disposés à l’égard du Sūtra du Lotus, Nichiren est hostile à l’encontre du Nembutsu ; et ils prétendent croire dans les deux enseignements. Moi, Nichiren, je les réfute ainsi : s’il n’y a rien de fondamentalement erroné dans le gouvernement actuel, alors pourquoi ces épidémies, ces famines et ces guerres sans précédent ont-elles éclaté ? Pourquoi les autorités ont-elles par deux fois soumis le pratiquant du Sūtra du Lotus à de graves punitions sans lui permettre de se confronter aux autres écoles dans un débat ouvert ? C’est vraiment pitoyable, vraiment malheureux !
Malgré ces circonstances, en votre qualité de femme, vous avez hérité de la vie du Sūtra du Lotus. En fait, vous avez hérité de la vie des parents de Shakyamuni, de Maints-Trésors et des bouddhas des dix directions21. Qui d’autre, dans tout le continent du Jambudvipa, possède une telle bonne fortune ?
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le vingt-cinquième jour du sixième mois
Réponse à Dame Nichinyo
927Notes
1. Unité numérique indienne. Voir glossaire.
2. Vaste plaine incluant l’actuelle Tōkyō et la préfecture de Saitama.
3. Le bodhisattva Vision-qui-Réjouit ou Vision-qui-Réjouit-tous-les-Êtres-Vivants est une manifestation du bodhisattva Roi-de-la-Médecine dans une vie antérieure.
4. Dans le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus, Tiantai, interprétant un passage du chapitre “Le bodhisattva Son-Merveilleux”, explique que ce bodhisattva était la reine Pure-Vertu dans une vie antérieure.
5. Les poumons, le cœur, la rate, le foie et les reins.
6. Le gros intestin, l’intestin grêle, la vésicule biliaire, l’estomac, la vessie, et « les trois organes ». Dans la médecine chinoise ancienne, on considérait que les « trois organes » réunis constituaient l’un des six organes creux. L’un est situé au-dessous du cœur et au-dessus de l’estomac, un autre à l’intérieur de l’estomac, et le troisième au-dessus de la vessie.
7. Selon les récits traditionnels, durant la quatorzième année de règne du trentième empereur, Bidatsu, Soga no Umako fit bâtir une pagode pour y enchâsser les reliques du Bouddha. Quand une épidémie éclata, Moriya l’attribua à la colère des dieux autochtones en réponse au respect manifesté à l’égard de la nouvelle religion ; et il fit détruire la pagode, le premier jour du troisième mois. Après cet incident, l’empereur, Moriya, et Umako furent l’un et l’autre atteints par la maladie. Cependant, ceux qui soutenaient la Loi bouddhique gagnèrent progressivement du terrain sur la faction antibouddhiste. Moriya perdit ses alliés et fut finalement tué lors d’un accrochage avec les soldats d’Umako, en 587.
8. Les sanctuaires de Kumano désignent trois des sanctuaires voués aux divinités japonaises autochtones. Ils sont situés dans une région appelée Kumano qui comprend une partie des actuelles préfectures de Wakayama et Mie.
9. Hatakeyama Shigetada (1164-1205) était un guerrier qui contribua à établir le shogunat de Kamakura et bénéficia de la confiance de son fondateur, Minamoto no Yoritomo. Cependant, après la mort de Yoritomo, il fut traité de façon distante par Hōjō Tokimasa, qui devint le premier régent de Kamakura. En 1205, quand Hatakeyama Shigeyasu, le fils de Shigetada, se querella avec Hiraga Tomomasa, un membre du clan Hōjō, Tokimasa accusa Shigeyasu de trahison et le fit tuer. Hōjō Yoshitoki, le fils de Tokimasa, dirigea alors ses forces contre la famille Hatakeyama. Shigetada opposa une résistance acharnée mais les forces adverses étaient bien plus nombreuses et il fut tué sur le champ de bataille.
10. Les quelque mille deux cents honorés sont des vénérables bouddhas, bodhisattvas et autres inscrits dans les deux mandalas du Plan du diamant et du Plan de la matrice.
11. Annotations sur le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus. Nichiren inverse ici l’ordre des mots dans la phrase originale qui commence par « Ceux qui contrarient ou troublent ». Cette déclaration se réfère à l’origine au Sūtra du Lotus, mais Nichiren l’utilise dans ce contexte à propos du pratiquant du Sūtra. Les dix titres honorifiques sont les dix épithètes attribuées au Bouddha.
12. Nichiren fait allusion ici aux épidémies qui éclatèrent lors de la troisième année de l’ère Shōka (1259). À ce moment-là, le gouvernement ordonna aux moines des diverses écoles de dire des prières, mais les épidémies se poursuivirent sans répit l’année suivante, et nombreux furent ceux qui succombèrent.
13. La rétribution générale est celle qui s’abat sur la population dans son ensemble, alors que la rétribution individuelle ne frappe qu’un individu particulier. La rétribution latente est une rétribution karmique qui n’est pas immédiatement décelable et la rétribution manifeste apparaît sous une forme clairement identifiable.
14. Cela signifie qu’ils aspirent à renaître dans la Terre pure de l’Ouest du bouddha Amida.
15. Fonctionnaires de la Cour impériale, chargés de protéger la famille impériale et d’aider le régent à administrer les affaires de l’État.
16. Dans le chapitre “Les encouragements du bodhisattva Sagesse-Universelle”, ce bouddha apparaît sous le nom de Roi-Supérieur-aux-Vertu-et-Dignité-Précieuses.
17. Le chapitre “L’apparition de la Tour aux trésors” désigne ici la Cérémonie dans les airs qui commence dans ce chapitre. Le lotus à huit pétales est une référence à la disposition du cœur, des poumons et des autres organes du thorax qui était, pensait-on, comparable à une fleur de lotus à huit pétales.
18. Il s’agit des dix préceptes à suivre par les croyants laïcs du Mahayana. Voir glossaire.
19. L’œil céleste correspond à l’une des cinq sortes de vision. Il désigne la capacité des êtres célestes à voir au-delà des limites physiques créées par l’obscurité, la distance ou les obstacles.
928 20. Le défunt régent et l’ancien gouverneur de Musashi sont Hōjō Yoshitoki (1163-1224) et Hōjō Yasutoki (1183-1242), respectivement deuxième et troisième régents du gouvernement de Kamakura. Dans la période comprise entre 1219 et 1238, Yasutoki fut aussi le gouverneur de la province de Musashi.
21. « Les parents » désignent ici le Sūtra du Lotus grâce auquel tous les bouddhas atteignent l’illumination.