Points de repère
Nichiren envoya cette lettre à Nanjō Tokimitsu en 1278, alors qu’il habitait au mont Minobu. Elle fut rédigée en réponse à une offrande de blé et de gingembre que Tokimitsu lui avait fait parvenir. D’après le contenu des nombreuses lettres que Nichiren lui adressa, il semble évident que Tokimitsu envoyait des offrandes chaque mois.
Durant l’année où cette lettre fut écrite, le Japon avait été frappé par des épidémies et par la famine. Nichiren décrit cette situation dans bon nombre de lettres. Lors du dixième mois intercalaire de 1278, il l’évoqua dans une lettre à Shijō Kingo : « Je réside dans cette lointaine forêt de montagne. Cette année a été particulièrement difficile, avec ses grandes épidémies et ses famines du printemps et de l’été, qui ont empiré à l’automne et en hiver. »
Afin de louer Tokimitsu pour ses dons, Nichiren cite les exemples d’Aniruddha et de Mahakashyapa, deux des dix principaux disciples de Shakyamuni, ainsi que de l’épouse de Mahakashyapa, pour illustrer combien des offrandes sincères sont précieuses, tout particulièrement dans les temps de famine et de maladie endémique.
J’ai bien reçu la sacoche de blé mondé et le gingembre que vous m’avez fait parvenir.
Aniruddha, fils et héritier du roi Dronodana, était un descendant du roi-qui-fait-tourner-la-roue, véritable souverain de l’Inde, petit-fils du roi Simhahanu, neveu du roi Shuddhodana, avant d’entrer dans la vie monastique. C’était une personne de noble descendance connue dans tout le pays. De plus, sa maison recevait chaque jour la visite de douze mille personnes : six mille venaient emprunter des richesses à sa famille et les six mille autres venaient rembourser ce qu’elles devaient. En plus d’être riche à ce point, il devint plus tard le premier en vision céleste et le Bouddha prédit dans le Sūtra du Lotus qu’il deviendrait l’Ainsi-Venu Clarté-Universelle1.
Si nous cherchons quel grand bien Aniruddha réalisa dans les existences passées, nous découvrons que, il y a longtemps, vivait un chasseur qui assurait sa subsistance en capturant des bêtes sauvages dans les montagnes2. Il cultivait aussi du millet pour se nourrir mais, comme il vivait dans une période de famine, il n’avait presque rien à manger. Alors qu’il mangeait un simple bol de millet, son unique nourriture, un sage, un pratyekabuddha nommé Rida, se présenta et mendia auprès de lui en ces termes : « Je n’ai rien mangé depuis sept jours. Donnez-moi votre nourriture. » Le chasseur répondit : « Je l’ai déposée dans un récipient souillé par un homme du commun de ce monde séculier et, de plus, je l’ai gâtée en commençant à y 936goûter. » Mais le sage dit : « Je vous en prie, donnez-la moi. Si je ne mange pas maintenant, je vais mourir. » Bien qu’ayant honte d’une offrande aussi indigne, le chasseur tendit sa nourriture. Après avoir mangé le millet, le sage lui rendit le bol, en y laissant juste un grain. Celui-ci se changea en sanglier. Le sanglier se changea en or et l’or se transforma en cadavre. Le cadavre devint alors un homme fait d’or pur. À chaque fois que le chasseur retirait à l’homme l’un de ses doigts en or pour le vendre, un nouveau doigt apparaissait à la place. Ainsi, pendant quatre-vingt-onze kalpa, le chasseur renaquit en homme riche et, dans l’existence qu’il mena dans ce monde-ci, il s’appelait Aniruddha et devint disciple du Bouddha. Il ne s’agissait certes que d’une petite quantité de millet, mais, parce qu’elle permit à un sage d’un pays dans la famine de survivre, Aniruddha obtint une merveilleuse récompense.
Le vénérable Mahakashyapa était le plus digne de tous les disciples du Bouddha. De par ses origines, il était le fils du riche Nyagrodha du royaume du Magadha. Le sol de sa maison était couvert de mille nattes de paille, ayant chacune sept pieds d’épaisseur. Même les nattes de qualité moindre valaient chacune mille ryō d’or. Les biens de la famille comprenaient neuf cent quatre-vingt-dix-neuf charrues, valant chacune mille ryō d’or, et soixante entrepôts, contenant chacun soixante-huit boisseaux d’or. Telle était l’immensité de sa fortune. Du corps doré de son épouse émanait une lumière perceptible à seize ri alentour. Elle était encore plus belle que la princesse Soto’ori Hime du Japon et sa beauté dépassait celle de Dame Li en Chine. Mari et femme conçurent le désir de rechercher la Voie et devinrent des disciples du Bouddha. Dans le Sūtra du Lotus, il fut prédit que le mari deviendrait l’Ainsi-Venu Clarté-Lumineuse3. Si nous faisons des recherches sur les existences passées de ces deux personnes, nous découvrons que, parce que le mari avait offert un bol de blé à un pratyekabuddha, il naquit plus tard sous la forme du vénérable Mahakashyapa. Son épouse était une pauvre femme qui avait demandé à un sculpteur de statues bouddhiques [Mahakashyapa dans une existence antérieure] de fondre une pièce d’or qu’elle possédait pour dorer une statue du bouddha Vipashyin4, ce qui lui valut plus tard de devenir l’épouse de Mahakashyapa5.
Bien que moi, Nichiren, je ne sois pas un sage, je me suis fait connaître comme le défenseur du Sūtra du Lotus. C’est pourquoi j’ai été détesté et attaqué par le souverain du pays et mes disciples et même les simples visiteurs ont été injuriés ou frappés, ou bien on leur a confisqué leurs fiefs, ou bien encore ils ont été expulsés de leur demeure. Comme elles vivent sous le règne d’un tel souverain, même les personnes très résolues ne me rendent pas visite. C’est déjà le cas depuis quelque temps, mais cette année, en particulier, en raison des épidémies et de la famine, très peu de gens sont venus me voir.
Au moment précis où je pensais que, même si j’étais épargné par la maladie, je finirais sûrement par mourir de faim, le blé que vous avez envoyé m’est parvenu. Il est plus merveilleux que de l’or, plus précieux que des joyaux. Le millet de Rida s’est changé en homme entièrement fait d’or. Comment alors le blé de Tokimitsu pourrait-il ne pas se changer en caractères du Sūtra du Lotus ? Ces caractères [chinois] du Sūtra du Lotus deviendront le bouddha Shakyamuni, puis une paire d’ailes pour votre père défunt, volant et s’élevant jusqu’à la terre pure du pic de l’Aigle. Ensuite ils reviendront couvrir votre corps et vous protéger.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le huitième jour du septième mois de la première année de Kōan [1278]
Réponse à Ueno