Points de repère
Cette lettre a été envoyée depuis le mont Minobu à la nonne séculière Myōshin. On considère le plus souvent qu’elle a été écrite lors de la première année de Kōan (1278), mais il existe une autre version selon laquelle elle daterait de la première année de Kenji (1275). On sait peu de chose concernant Myōshin. Certains ont avancé qu’il s’agirait peut-être de l’épouse du moine séculier Takahashi Rokurō Hyōe, ce qui en ferait alors une tante de Nikkō. En tout cas, elle habitait le district du mont Fuji, dans la province de Suruga, et fut une disciple de Nichiren.
Cette lettre est une réponse à Myōshin qui avait informé Nichiren de la maladie de son mari. Nichiren l’encourage à considérer cette maladie comme une manifestation de la compassion du Bouddha, puisqu’elle a permis à son époux d’éveiller en lui l’aspiration à l’illumination, qui lui manquait précédemment. Il explique que, puisque son mari vient tout juste de faire apparaître une foi résolue, il éradiquera certainement le mauvais karma lié à ses mauvais actes. Et, même s’il devait mourir à présent, il connaîtrait la joie illimitée de la Loi qui transcende à la fois vie et mort.
Lorsque son mari succomba finalement à la maladie, Myōshin se retrouva seule avec un jeune enfant. Elle conserva la foi après la mort de son mari et rendit souvent visite à Nichiren au mont Minobu pour lui apporter des offrandes.
J’ai bien reçu les deux paniers de kakis adoucis1 et le panier d’aubergines que vous m’avez fait parvenir.
À propos de la maladie du moine séculier [votre mari], [laissez-moi vous rappeler qu’] il y eut en Chine des médecins nommés Huang et Bian Que2, et, en Inde, Détenteur-d’Eau3 et Jivaka. C’étaient les trésors de leur époque et ils furent les maîtres des médecins des époques suivantes. Mais l’homme qu’on appela le Bouddha fut un excellent médecin qui les dépassait largement. Ce Bouddha révéla le remède de l’immortalité. Il s’agit des cinq caractères de Myōhō-renge-kyō dont nous disposons aujourd’hui. De plus, il enseigna précisément que ces cinq caractères étaient « de bons remèdes aux maux des habitants du Jambudvipa4 ».
Le moine séculier est un habitant du Japon qui se situe dans le Jambudvipa et, par ailleurs, il souffre d’une maladie physique. Le passage de Sūtra concernant le bon remède pour guérir les maladies est clair. Ce Sūtra du Lotus est d’ailleurs le plus grand de tous les remèdes. Quand un mauvais souverain, le roi Virudhaka, tua plus de cinq cents femmes du clan du Bouddha, le Bouddha envoya Ananda au pic de 948l’Aigle pour y cueillir des fleurs de lotus bleues avec lesquelles il toucha le corps des femmes, qui revinrent à la vie. Au bout de sept jours, elles renaquirent dans le ciel des trente-trois divinités. Puisque la fleur connue sous le nom de lotus était dotée d’une si remarquable vertu, le Bouddha la compara à la Loi merveilleuse.
De plus, la mort d’une personne n’est pas seulement due à la maladie. À notre époque, les gens d’Iki et de Tsushima, qui ne souffraient pourtant d’aucune maladie, furent massacrés en un instant par les Mongols. Il n’est pas certain non plus que, du fait de son mal, votre mari soit voué à disparaître. Sa maladie ne serait-elle pas le dessein du Bouddha puisqu’il est enseigné à la fois dans le Sūtra de l’enseignement de Vimalakirti et dans le Sūtra du Nirvana que les malades atteindront à coup sûr la bouddhéité ? De la maladie naît l’aspiration à entrer dans la Voie.
Le Bouddha était douloureusement conscient que, parmi toutes les maladies, les cinq transgressions capitales, l’incroyance incorrigible et la calomnie envers la Loi étaient particulièrement graves. De nos jours, tous les gens au Japon, sans la moindre exception, sont affligés de la plus terrible des maladies, la maladie résultant de la pire calomnie. Je veux parler ici des croyants des écoles Zen, Nembutsu et Ritsu, et des maîtres du Shingon. Leur maladie est d’une telle gravité qu’eux-mêmes n’en ont pas conscience et que les autres l’ignorent. Le mal empirant, des guerriers venus des quatre mers vont attaquer d’un instant à l’autre, et le souverain, ses ministres et son peuple sombreront dans la mer. Il sera en vérité bien pénible de voir cela [arriver] sous nos propres yeux.
Dans sa vie présente, le moine séculier ne semble pas avoir eu une foi particulièrement forte dans le Sūtra du Lotus. Mais, à cause des effets de son karma passé, il a sombré dans cette longue maladie et aspire maintenant à la Voie jour et nuit, sans répit. Toutes les offenses mineures qu’il a commises en cette vie ont probablement été déjà éradiquées et le grand mal de la calomnie sera aussi dissipé parce qu’il s’est mis à croire dans le Sūtra du Lotus. S’il devait se rendre maintenant directement au pic de l’Aigle, il serait aussi heureux que si le soleil venait de percer et lui permettait de voir les dix directions dans leur totalité. Il se réjouirait, surpris qu’une mort précoce puisse être si heureuse. Quoi qu’il advienne sur la route entre cette vie et la suivante, il devra se déclarer disciple de Nichiren. Bien que le Japon soit un pays minuscule, il suffit de se présenter comme un vassal du seigneur de Sagami pour que les gens éprouvent une crainte indicible. Je suis le moine le plus déraisonnable du Japon mais, en matière de croyance dans le Sūtra du Lotus, je suis le plus grand sage du Jambudvipa. Mon nom résonne dans toutes les terres pures des dix directions et le ciel et la terre le connaissent sans aucun doute. Si votre mari se proclame disciple de Nichiren, je ne pense pas que les démons malfaisants, quels qu’ils soient, prétendent ignorer mon nom.
Je ne sais comment vous exprimer mes remerciements pour votre bonté et vos fréquentes offrandes.
Avec mon profond respect
Les singes se fient aux arbres, les poissons à l’eau, et les femmes aux hommes. Craignant d’être séparée de votre mari, vous vous êtes rasé le crâne et vous avez teint vos manches en noir5. Vous devriez vous dire : « Comment les bouddhas des dix directions pourraient-ils ne pas éprouver de compassion pour moi ? » et « Comment le Sūtra du Lotus pourrait-il m’abandonner ? » Fiez-vous [au Sūtra du Lotus], fiez-vous y !
Nichiren
Le seizième jour du huitième mois
Réponse à la nonne séculière Myōshin
949Notes
1. Il s’agit de kakis dont on a retiré l’âpreté en les faisant mariner dans une solution de citron vert ou d’akènes de sarrasin.
2. Huangdi, ou l’Empereur Jaune, était l’un des trois souverains légendaires de la Chine ancienne. Selon les Mémoires historiques de Sima Qian, entre autres contributions majeures à la civilisation, il fut à l’origine de l’art de la médecine. Bian Que était un médecin de la période des Printemps et Automnes en Chine (770-403 avant notre ère). Il apprit l’art de la médecine dans son enfance et l’on dit qu’il avait le don de traiter pratiquement toutes les formes de maladies.
3. Selon le Sūtra de la lumière dorée, Détenteur-d’Eau était un médecin talentueux qui vécut voici d’innombrables kalpa, à l’époque de la Loi formelle du bouddha Trésor-Excellence. Quand une épidémie éclata, Détenteur-d’Eau, alors très âgé, enseigna l’art de la médecine à son fils, Porteur-d’Eau, lui permettant ainsi de sauver les gens.
4. Sūtra du Lotus, chap. 23.
5. Nichiren veut indiquer par là que Myōshin est devenue une nonne séculière.