Points de repère
Nichiren adressa cette lettre en 1279 à la nonne séculière Toki, l’épouse de Toki Jōnin, qu’elle avait épousé après la mort de son premier mari. Quand Toki Jōnin est devenu moine séculier, elle-même est devenue une nonne séculière sous le nom de Myōjō (Éternité-Merveilleuse).
Cette lettre explique comment et pourquoi on peut changer le karma ou la destinée. Le bouddhisme définit le karma comme soit fixe, soit non fixe, selon que le moment où apparaîtra notre rétribution karmique est déterminé ou non. Les deux peuvent être positifs ou négatifs. Le karma non fixe a une influence plus faible et peut être surmonté par nos simples efforts. Le karma fixe est plus profondément enraciné et plus difficile à changer. C’est la force qui détermine la tendance fondamentale de notre vie. On peut aussi définir le karma fixe comme celui dont les effets sont destinés à apparaître à un moment donné. (Ainsi, Ajatashatru était destiné à mourir le septième jour du troisième mois.)
Alors que les écrits bouddhiques décrivent toutes sortes de causes de karma, le bouddhisme de Nichiren enseigne que les causes les plus profondes sont créées par notre adhésion à la Loi merveilleuse ou par notre rejet de celle-ci. Ces causes résident au plus profond de notre vie, au-delà de notre capacité à sentir ou à concevoir. Néanmoins, dans cette lettre, Sur la prolongation de la durée de la vie, il est dit avec vigueur qu’une foi résolue et un repentir sincère peuvent changer même le karma fixe.
Il existe deux sortes de maladies, les bénignes et les graves. Un traitement précoce par un médecin de talent peut guérir les maladies graves et à plus forte raison les maladies bénignes. Le karma peut aussi être divisé en deux catégories : le karma fixe et le karma non fixe. Un repentir sincère peut éliminer même le karma fixe, à plus forte raison le karma non fixe. Il est dit dans le septième volume du Sūtra du Lotus : « Ce Sūtra procure de bons remèdes aux maux des habitants du Jambudvipa1. » On ne trouve ces mots dans aucun autre sūtra. Tous les enseignements dispensés par Shakyamuni de son vivant sont les paroles d’or de l’Ainsi-Venu ; depuis d’innombrables kalpa, ils n’ont jamais contenu le moindre mensonge. Le Sūtra du Lotus est le plus élevé de toutes les vérités enseignées par le Bouddha car il y déclare notamment « renoncer très clairement à se servir des moyens opportuns2 ». Le bouddha Maints-Trésors confirma la véracité du Sūtra du Lotus et tous les autres bouddhas tirèrent leur langue en guise d’assentiment. Comment alors pourrait-il être faux ? De plus, ce Sūtra contient le plus grand de tous 965les secrets. On y trouve l’histoire d’une femme atteinte de maladie dans la dernière des cinq périodes de cinq cents ans3 qui ont suivi la disparition du Bouddha.
Le corps du roi Ajatashatru fut envahi de plaies virulentes le quinzième jour du deuxième mois de sa cinquantième année. Tout le savoir-faire du grand médecin Jivaka ne suffit pas à le guérir. Il était voué à mourir le septième jour du troisième mois et à tomber dans la grande citadelle de l’Enfer aux souffrances incessantes. Tous les plaisirs de ses cinquante années disparurent brusquement et les souffrances de toute une vie se trouvèrent concentrées en vingt et un jours. Sa mort était prédéterminée par son karma fixe. Mais alors le Bouddha réitéra l’enseignement du Sūtra du Lotus, en l’intitulant Sūtra du Nirvana, et le confia au roi. Le roi guérit aussitôt de sa maladie et les graves fautes qui avaient accablé son cœur s’évanouirent comme des gouttes de rosée.
Plus de mille cinq cents ans après la disparition du Bouddha, vécut [en Chine] un homme qui portait le nom de Chen Zhen4. Il était prédit qu’il mourrait à l’âge de cinquante ans mais, en suivant le Grand Maître Tiantai, il prolongea sa vie de quinze ans et vécut jusqu’à soixante-cinq ans. Le bodhisattva Jamais-Méprisant transforma aussi son karma fixe et prolongea sa vie grâce à sa pratique du Sūtra du Lotus. Il est dit dans le Sūtra : « Sa durée de vie fut prolongée5. » Les personnes que je viens de mentionner étaient des hommes, non des femmes, mais ils prolongèrent leurs vies en pratiquant le Sūtra du Lotus. Chen Zhen vécut avant la dernière période de cinq cents ans, si bien que le changement de son karma fut aussi extraordinaire que si du riz mûrissait en hiver ou que si des chrysanthèmes fleurissaient en été. En notre ère, qu’une femme change son karma fixe en pratiquant le Sūtra du Lotus est aussi naturel que le mûrissement du riz à l’automne ou la floraison des chrysanthèmes en hiver.
Quand j’ai prié pour ma mère, non seulement elle guérit de sa maladie, mais sa vie fut prolongée de quatre ans. Vous êtes maintenant aussi tombée malade et, en tant que femme, c’est le moment pour vous d’établir une foi résolue dans le Sūtra du Lotus afin de voir ce qu’il en résultera. Vous pouvez également vous tourner vers Nakatsukasa Saburō Saemon-no-jō [Shijō Kingo] qui est un excellent médecin et un pratiquant du Sūtra du Lotus.
La vie est le plus précieux des trésors. Une seule journée de vie supplémentaire vaut plus que dix millions de ryō d’or. Le Sūtra du Lotus dépasse tous les autres enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant grâce au chapitre “Durée de la vie”. Le plus grand prince de tout le continent du Jambudvipa n’aurait pas plus d’importance qu’un brin d’herbe s’il mourait durant son enfance. Si elle mourait dans sa jeunesse, même une personne dont la sagesse brille comme le soleil vaudrait moins qu’un chien vivant. Vous devez donc vous hâter d’acquérir le trésor de la foi pour surmonter rapidement votre maladie.
Je pourrais m’adresser à Shijō Kingo de votre part mais, si certains préfèrent qu’on s’adresse à eux par un intermédiaire, d’autres y voient le reflet d’un manque de sérieux de la personne concernée. Il est extrêmement difficile de sonder l’esprit de quelqu’un d’autre. J’ai connu pareilles difficultés en diverses occasions. Shijō Kingo est de ceux qui se sentiraient offensés si la requête émanait de quelqu’un d’autre que de la personne directement concernée et, dans son cas, il ne serait donc pas avisé de ma part d’intercéder [en votre faveur]. Demandez-lui assistance vous-même, de manière franche et sincère, sans intermédiaire. Quand il est venu me voir, le dixième mois de l’année dernière, il m’a dit combien votre maladie l’affectait. Il a déclaré que vous n’étiez probablement pas trop inquiète parce que votre maladie n’était pas encore grave, mais qu’elle deviendrait sûrement 966critique d’ici le premier ou deuxième mois de cette année. Ses paroles m’ont profondément attristé. Il a dit aussi que Toki dépend de vous comme d’un bâton sur lequel il s’appuie ou d’un pilier qui lui sert de soutien. Il s’inquiétait beaucoup à votre sujet. C’est un homme qui ne s’avoue jamais vaincu et qui attache un grand prix à ses amis.
Si vous n’êtes pas prête à faire l’effort de vous soigner, il vous sera très difficile de guérir de votre maladie. Une journée de vie a plus de valeur que tous les trésors du système de mondes majeurs et c’est pourquoi vous devez d’abord faire surgir une foi résolue. Tel est le sens du passage du septième volume du Sūtra du Lotus où il est dit que brûler un doigt en offrande au Bouddha et au Sūtra du Lotus vaut mieux que faire don de tous les trésors du système de mondes majeurs6. Une seule vie vaut plus que le système de mondes majeurs. Vous avez encore de nombreuses années devant vous et, de plus, vous avez rencontré le Sūtra du Lotus. Si vous vivez ne serait-ce qu’un jour de plus, vous accumulerez encore beaucoup plus de bienfaits. Votre vie est vraiment précieuse !
Écrivez-moi votre nom et votre âge et faites-les moi transmettre par un messager pour que je les rapporte aux dieux du soleil et de la lune. Votre fils Iyo-bō7 se fait le plus grand souci pour vous et il va donc offrir la récitation de la partie en vers du chapitre “Durée de la vie” à ces dieux.
Avec tout mon respect,
Nichiren
Réponse à la nonne séculière
Notes
1. Sūtra du Lotus, chap. 23.
2. Ibid., chap. 2.
3. La cinquième période de cinq cents ans après la mort de Shakyamuni correspond à la première période de cinq cents ans de l’époque de la Fin de la Loi.
4. Chen Zhen (dates inconnues) était un frère aîné de Tiantai et un général de la dynastie des Chen.
5. Sūtra du Lotus, chap. 20.
6. Cette déclaration est fondée sur un passage du vingt-troisième chapitre du Sūtra du Lotus.
7. Iyo-bō est un autre nom de Nitchō (1252-1317), l’un des six moines principaux désignés par Nichiren. Il fut le fils adoptif de Toki Jōnin, ou bien le fils que son épouse avait eu d’un premier mariage.