Première partie
Qui a reçu la vie ne peut échapper à la mort. Du plus noble, l’empereur, au plus commun des roturiers, tout le monde en a conscience, mais il n’est pas même une personne sur mille ou dix mille pour prendre réellement cette question au sérieux et s’en inquiéter. Soudain confrontés à l’évidence de l’impermanence de la vie, nous pouvons être effrayés à la pensée 101d’être restés si éloignés des enseignements bouddhiques et regretter de nous être laissés ainsi absorber par les affaires séculières1. Nous présumons cependant que ceux qui nous ont précédés dans la mort sont bien malheureux et que nous qui restons vivants leur sommes supérieurs. Occupés par telle tâche hier et telle affaire aujourd’hui, nous sommes irrémédiablement prisonniers des cinq désirs de notre nature mondaine. Sans avoir conscience que le temps passe aussi vite qu’un poulain blanc entrevu par la fente d’un mur2, ignorants comme des moutons conduits à l’abattoir, désespérément enfermés dans notre besoin de nourriture et de vêtements, nous tombons, sans y prêter attention, dans le piège de la gloire et du profit pour finalement revenir dans ce village des trois mauvaises voies qui nous est si familier, où nous renaissons, vie après vie, dans le monde des six voies3. Quelle personne sensible pourrait ne pas s’affliger d’une telle situation et ne pas être accablée de tristesse !
Hélas ! Jeunes ou vieux ignorent quel destin les attend. Ainsi vont les choses dans notre monde saha. Tous ceux qui se rencontrent sont destinés à se séparer : voilà la règle en ce monde flottant dans lequel nous vivons. Bien que rien de tout cela ne soit une découverte pour moi, [j’ai été choqué] de voir tant de gens disparaître prématurément de ce monde au début de l’ère Shōka4. Certains laissaient des enfants en bas âge derrière eux tandis que d’autres étaient contraints d’abandonner leurs parents âgés. Que de tristesse ils ont dû éprouver dans leur cœur en partant, encore dans la fleur de l’âge, pour le voyage au ténébreux pays de la mort. Ce fut douloureux pour ceux qui s’en allaient tout autant que pour ceux qui restaient.
De la passion du roi de Chu pour la déesse, il ne resta au matin qu’une traînée de nuage5, et le chagrin de Liu, au souvenir de sa rencontre avec la visiteuse immortelle, s’apaisa à la vue de ses descendants de la septième génération6. Mais comment une personne comme moi pourrait-elle se libérer de sa peine ? Cela me rappelle le poète des temps anciens qui espérait, en tant qu’humble habitant des montagnes, pouvoir se libérer d’une telle tristesse7. Alors, rassemblant aujourd’hui mes pensées comme les hommes de Naniwa rassemblaient les algues pour en extraire le sel, je leur donne forme avec mon pinceau de calligraphe pour que les êtres humains des temps futurs les gardent en mémoire.
C’est vraiment triste ! Vraiment douloureux ! Depuis le passé sans commencement, nous nous enivrons avec le vin de l’ignorance, renaissant encore et encore dans les six voies de l’existence, soumis aux quatre modes de naissance8. Tantôt nous suffoquons au milieu des flammes de l’enfer brûlant ou de l’enfer extrêmement brûlant9 ; tantôt nous gelons dans l’Enfer froid du lotus cramoisi ou dans l’Enfer froid du grand lotus cramoisi10. Tantôt nous devons endurer la faim et la soif qui tourmentent ceux qui sont dans le monde des esprits affamés et qui, durant cinq cents vies n’entendent jamais ni le mot « nourriture », ni le mot « boisson ». Tantôt nous éprouvons la souffrance d’être blessés et tués dans le monde des animaux, où les petits sont dévorés par les gros, et les courts engloutis par les longs. Tantôt nous sommes confrontés aux disputes et querelles dans le monde des asura ; tantôt nous naissons en tant qu’êtres humains et endurons les huit souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie, de la mort, la douleur d’être séparés des êtres chers, de rencontrer ceux que nous détestons, de ne pas obtenir ce que nous désirons, et la douleur provenant des cinq agrégats du corps et de l’esprit11. Ou alors nous naissons dans le monde des cieux et sommes confrontés aux cinq signes de dégradation.
Nous tournons et retournons ainsi comme une roue de charrette dans le monde des trois plans. Même ceux qui étaient autrefois dans une relation de père 102à enfant renaissent sans en avoir aucune conscience ; et, bien que mari et femme se rencontrent de nouveau, ils ignorent s’être déjà rencontrés. Nous nous égarons comme si nous avions des yeux de mouton ; nous sommes aussi ignorants que si nous avions des yeux de loup. Nous ne connaissons pas notre relation passée avec la mère qui nous a donné naissance et ignorons quand nous succomberons nous-mêmes à la mort.
Et pourtant nous avons obtenu de naître dans le monde humain, ce qui est difficile à réaliser, et nous avons rencontré les enseignements de l’Ainsi-Venu qu’il est rare de rencontrer. Nous sommes pareils à la tortue borgne rencontrant [à la surface de l’océan] un morceau de bois flottant qui a un creux parfaitement adapté à sa taille. Qu’il serait regrettable de ne pas saisir cette occasion pour rompre les liens des naissances et des morts, et de ne pas faire le moindre effort pour nous libérer de la cage du monde des trois plans12.
Un sage apparut alors et s’adressa à l’ignorant en ces termes : « Vous avez bien raison de vous lamenter comme vous le faites. Mais ceux qui saisissent ainsi l’impermanence de ce monde et tournent leur cœur vers le bien sont plus rares que les cornes du qilin13, alors que ceux qui ne comprennent pas et s’abandonnent au contraire à des pensées mauvaises sont plus nombreux que les poils d’une vache. Si vous souhaitez produire l’aspiration à l’illumination et vous libérer rapidement du cycle des naissances et des morts, alors je connais la meilleure doctrine pour y parvenir. Si vous le souhaitez, je vais vous l’expliquer pour que vous puissiez la connaître aussi. »
L’ignorant se leva de son siège, joignit les mains et dit : « Cela fait maintenant quelque temps que j’étudie les enseignements non bouddhiques et accorde toute mon attention à la poésie, si bien que je n’ai pas approfondi les enseignements bouddhiques. Pourriez-vous, Vénérable, me les expliquer ? »
À cela le sage répondit : « Il vous faut écouter avec les oreilles de Ling Lun14, emprunter les yeux de Li Zhu15, faire le calme dans votre esprit et écouter mes enseignements ; puis je vous expliquerai tout cela. Il n’existe pas moins de quatre-vingt mille enseignements bouddhiques mais le plus important, le père et la mère de toutes les écoles, est celui qui concerne les préceptes et les règles de conduite. En Inde, les bodhisattvas Vasubandhu et Ashvaghosha et, en Chine, les moines Huikuang et Daoxuan ont souligné toute leur importance. Et dans notre propre pays, sous le règne du quarante-cinquième souverain, l’empereur Shōmu [724-749], le révérend Jianzhen [Ganjin] introduisit au Japon les enseignements de l’école Lü [devenue l’école Ritsu au Japon], ainsi que ceux de l’école Tiantai [devenue l’école Tendai au Japon], et établit une estrade d’ordination au Tōdai-ji pour administrer les préceptes. Depuis cette époque et jusqu’à aujourd’hui, les préceptes ont été révérés pendant de très longues années et ils sont chaque jour toujours plus respectés.
« Il y a en particulier le vénérable Ryōkan du Gokuraku-ji. Tous, depuis le souverain suprême jusqu’aux gens ordinaires, le révèrent comme un Ainsi-Venu vivant et sa conduite montre qu’il mérite en effet cette réputation. Il a organisé des actions de bienfaisance dans le port d’Iijima, collecté du riz à la barrière de Mutsura16 et financé la construction de routes dans diverses provinces. Il a établi des barrières le long des sept grandes routes17, instauré un péage pour tous ceux qui passaient par là et s’est servi de cet argent pour faire construire des ponts au-dessus d’un certain nombre de cours d’eau. Par de tels actes de compassion, il égale l’Ainsi-Venu et ses actions vertueuses dépassent celles des sages du passé. Si vous souhaitez vous libérer rapidement du cycle des naissances et des morts, alors vous devriez observer les cinq préceptes et les deux cent cinquante préceptes, approfondir votre 103compassion pour les autres, vous abstenir de tuer tout ce qui vit et, tel le vénérable Ryōkan, vous engager à bâtir des routes et des ponts. C’est là le meilleur de tous les enseignements. Êtes-vous prêt à y adhérer ? »
L’ignorant joignit les mains avec plus de ferveur que jamais et dit : « Oh ! Oui, j’aimerais beaucoup y adhérer. Pourriez-vous m’expliquer tout cela en détail ? Vous parlez des cinq préceptes et des deux cent cinquante préceptes, mais j’ignore en quoi ils consistent. Pourriez-vous, je vous prie, me les énumérer ? »
Le sage dit : « Quelle profonde ignorance ! Même un enfant connaît les cinq préceptes et les deux cent cinquante préceptes. Je vais cependant vous les expliquer. Les cinq préceptes comprennent : l’interdiction d’ôter la vie, l’interdiction de voler, l’interdiction de mentir, l’interdiction d’avoir des rapports sexuels illicites et, enfin, l’interdiction de consommer des boissons enivrantes. Les deux cent cinquante préceptes sont nombreux et je ne les développerai pas ici. »
Sur ce, l’ignorant s’inclina bien bas et dit avec le plus profond respect : « À compter d’aujourd’hui, je me consacrerai de tout mon cœur à cette doctrine. »
Cet homme [l’ignorant] avait une vieille connaissance, un fervent bouddhiste laïc qui était retiré [du monde], qui vint lui rendre visite pour l’encourager. D’abord, le visiteur parla des affaires du passé qu’il compara à un rêve sans fin et brumeux, puis il aborda l’avenir, qui lui semblait aussi vaste que sombre et bien difficile à prédire. Après avoir cherché ainsi à divertir son interlocuteur et à lui exposer ses propres vues, il dit : « La plupart d’entre nous, en ce monde qui est le nôtre, ne peuvent s’empêcher de penser à la vie à venir. Puis-je vous demander quelle doctrine bouddhique vous avez adoptée pour vous libérer du cycle des naissances et des morts ou afin de prier pour le bien-être de ceux qui sont partis pour une autre vie ? »
L’ignorant répondit : « Récemment, un moine éminent est venu me voir et m’a enseigné les cinq préceptes et les deux cent cinquante préceptes. Je suis en vérité profondément impressionné par ses enseignements et les trouve des plus admirables. Certes, je ne saurais égaler le vénérable Ryōkan mais je suis déterminé à faire tout mon possible pour la réparation des routes en mauvais état et la construction de ponts au-dessus des cours d’eau trop profonds pour être traversés à gué. »
Ce laïc fervent lui adressa alors ces conseils : « Votre souci de la Voie me paraît admirable, mais votre approche est insensée. La doctrine que vous venez de me décrire est le modeste enseignement du Hinayana. Le Bouddha a justement établi les huit analogies18 entre le Hinayana et le Mahayana et le bodhisattva Manjusri en décrit les dix-sept différences19. Le Bouddha a dit, par exemple, que le Hinayana est comme la lumière d’une luciole comparée avec l’éclat du soleil [du Mahayana] ou comme le simple cristal comparé avec l’émeraude. De plus, les maîtres de l’Inde, de la Chine et du Japon ont écrit bon nombre de traités réfutant les enseignements du Hinayana.
« Quant à votre vénération pour ceux qui observent ces pratiques, sachez qu’un enseignement n’est pas nécessairement digne d’être honoré simplement parce que ses pratiquants sont respectés. À cet égard, le Bouddha a formulé le principe : “Appuyez-vous sur la Loi et non sur les personnes20.”
« J’ai entendu dire que des sages des temps anciens qui observaient les préceptes ne supportaient même pas de prononcer les mots “tuer” ou “s’enrichir” mais leur substituaient des circonlocutions et, si leur regard rencontrait par hasard une belle femme, ils méditaient sur l’image d’un cadavre21. Mais, si nous observons le comportement des moines d’aujourd’hui censés observer les préceptes, nous découvrons 104qu’ils amassent soies, richesses et joyaux, et s’évertuent à prêter de l’argent avec intérêts. Puisqu’il y a tant d’écart entre leurs doctrines et leurs pratiques, qui peut bien envisager de leur accorder foi ?
« Quant à cette affaire de construction de routes et de ponts, elle ne fait que créer des problèmes pour les gens. Les activités bienfaisantes du port d’Iijima et la collecte de riz à la Barrière de Mutsura ont apporté le malheur à beaucoup, et l’instauration de péages le long des sept grandes routes des diverses provinces est une épreuve pour les voyageurs. Tout cela se déroule exactement sous vos yeux. Ne le voyez-vous donc pas ? »
Sur ce, l’ignorant, rouge de colère, dit : « Votre petite parcelle de sagesse ne vous autorise pas à médire de ce moine éminent et à dénigrer ses enseignements ! Savez-vous vraiment ce que vous dites ou n’êtes-vous qu’un insensé ? Ce que vous faites est effrayant. »
Le laïc bouddhiste répondit en riant : « Hélas ! C’est vous l’insensé ! Laissez-moi vous expliquer brièvement en quoi consistent les erreurs de cette école. Sachez que, en matière d’enseignements bouddhiques, il y a le Mahayana et le Hinayana ; quant aux diverses écoles, certaines se fondent sur les enseignements provisoires et d’autres sur l’enseignement véritable. Il y a longtemps, quand le Bouddha enseigna les doctrines du Hinayana au parc des Gazelles, il ouvrit la porte d’une cité qui n’était qu’un mirage22. Mais plus tard, quand on déroula les tapis pour [s’asseoir et écouter] l’enseignement du Sūtra du Lotus au pic de l’Aigle, ces doctrines antérieures cessèrent d’apporter des bienfaits. »
L’ignorant fixa le laïc d’un air perplexe et dit : « En réalité, les preuves, qu’elles soient fondées sur les textes ou sur les faits, vont tout à fait dans le sens de vos propos. Mais quelle sorte d’enseignement bouddhique faut-il adopter pour se libérer du cycle des naissances et des morts et atteindre rapidement la bouddhéité ? »
L’autre répondit : « Je ne suis qu’un laïc mais je me consacre sérieusement à la pratique des enseignements bouddhiques et, depuis ma jeunesse, j’ai écouté les paroles de nombreux maîtres et lu un certain nombre de sūtras et d’enseignements. Pour ceux d’entre nous qui, à notre époque de la Fin de la Loi, ont commis toutes sortes de mauvais actes, rien n’est comparable avec les enseignements du Nembutsu qui mènent à la renaissance dans la Terre pure. Le supérieur des moines Eshin a dit : “Les enseignements et pratiques qui mènent à la renaissance dans la Terre [appelée] Bonheur-Suprême sont les yeux et les pieds de ceux qui vivent en ce monde souillé de la Fin de la Loi qui est le nôtre23.” Le vénérable Hōnen rassembla des passages clés des divers sūtras et propagea la doctrine de la dévotion exclusive à la pratique du Nembutsu. Les vœux originels24 du bouddha Amida surpassent, en valeur et en importance, ceux de tous les autres bouddhas. Depuis le premier d’entre eux, selon lequel les trois voies mauvaises n’existeront pas dans sa Terre, jusqu’au dernier, selon lequel les bodhisattvas pourront parvenir aux trois sortes de perception25, tous les vœux bienveillants d’Amida méritent un bon accueil. Mais le dix-huitième vœu est plus particulièrement efficace dans notre cas. D’ailleurs, même ceux qui ont commis les dix actes mauvais ou les cinq transgressions capitales ne sont pas exclus, pas plus qu’il n’est fait de distinction entre ceux qui ont récité le Nembutsu une seule fois et ceux qui l’ont récité à de nombreuses reprises. C’est pourquoi tous, depuis le souverain jusqu’aux gens ordinaires, placent cette école au-dessus de toutes les autres. Et l’on ne compte plus le nombre de personnes qui ont pu grâce à elle renaître dans la Terre pure ! »
L’ignorant dit : « On devrait vraiment avoir honte de ce qui est petit pour rechercher passionnément ce qui est grand, abandonner le superficiel pour adopter le profond. Ce n’est pas là seulement un principe 105des enseignements bouddhiques mais également une règle du monde séculier. Je préfère donc adhérer sans tarder à l’école que vous venez de décrire. Veuillez m’expliquer ses principes en détail. Vous dites que même ceux qui ont commis les cinq transgressions capitales ou les dix mauvais actes ne sont pas exclus des vœux bienveillants du Bouddha. Puis-je vous demander quelles sont ces cinq transgressions capitales et ces dix mauvais actes ? »
Le laïc avisé répondit : « Voici les cinq transgressions capitales : tuer son père, tuer sa mère, tuer un arhat, verser le sang d’un bouddha, et rompre l’harmonie de la Communauté bouddhiste. Quant aux dix mauvais actes, ils consistent en trois actes du corps, quatre actes de la parole, et trois actes de l’esprit. Voici les trois mauvais actes du corps : le meurtre, le vol et les rapports sexuels illicites. Voici les quatre mauvais actes de la parole : le mensonge, la flatterie, la calomnie et la tromperie. Et les trois mauvais actes de l’esprit sont l’avidité, la haine et l’ignorance. »
« Je comprends bien, fit l’ignorant. À partir d’aujourd’hui, je m’en remettrai entièrement à la force d’un autre [celle du bouddha Amida], afin de pouvoir renaître dans la Terre pure. »
En ce temps-là vivait aussi un pratiquant de l’école ésotérique qui s’appliquait avec la plus grande assiduité à en conserver les enseignements. Il rendit également visite à l’ignorant pour le consoler. Tout d’abord il ne prononça que des « paroles insensées et des formules alambiquées26 » mais finalement il aborda les différences entre les deux sortes d’enseignement bouddhique, celui des écoles exotériques et celui de l’école ésotérique. Il interrogea l’ignorant : « Quelle sorte de doctrines bouddhiques pratiquez-vous et quels sūtras et traités lisez-vous et récitez-vous ? »
L’ignorant répondit : « Depuis peu de temps, suivant les instructions d’un laïc fervent de mes connaissances, je lis les trois sūtras de la Terre pure et j’accorde désormais une profonde confiance à Amida, seigneur de la Terre du Bonheur-Suprême. »
Le pratiquant dit : « Il est deux sortes d’enseignements bouddhiques, les exotériques et les ésotériques. Les plus profondes doctrines des enseignements exotériques ne soutiennent pas la comparaison avec les stades même les plus élémentaires des enseignements ésotériques. D’après ce que vous me dites, il semble que la doctrine que vous avez adoptée appartienne à l’enseignement exotérique proposé par Shakyamuni. Mais la doctrine à laquelle j’adhère est l’enseignement secret de Mahavairochana, roi de l’illumination. Si vous redoutez vraiment cette maison en feu qu’est le monde des trois plans dans lequel nous vivons et que vous recherchez ardemment la Terre de la lumière paisible, alors vous devriez rejeter sur-le-champ les enseignements exotériques et accorder votre foi aux enseignements ésotériques. »
Fort étonné, l’ignorant dit : « Je n’ai jamais entendu parler de cette distinction entre doctrines ésotériques et exotériques. En quoi consistent les enseignements exotériques ? Quels sont les enseignements ésotériques ? »
Le pratiquant répondit : « Je suis quelqu’un d’obstiné et d’ignorant, et pas du tout un érudit. J’aimerais pourtant citer un ou deux passages pour essayer de dissiper votre ignorance. Les enseignements exotériques sont les doctrines enseignées par l’Ainsi-Venu du Corps de manifestation en réponse à la demande de Shariputra et des autres disciples. Mais les enseignements ésotériques sont ceux que Mahavairochana, l’Ainsi-Venu du Corps du Dharma, a enseignés spontanément à son auditeur, Vajrasattva, poussé par la joie illimitée de la Loi. Ces enseignements constituent le Sūtra de Mahavairochana et les deux autres sūtras ésotériques27. »
L’ignorant dit : « Vos propos semblent raisonnables. Je crois qu’il me faut corriger 106mon erreur précédente et me hâter d’adopter ces enseignements qui sont d’une valeur supérieure. »
Il était un moine mendiant dérivant de province en province comme une herbe flottante, roulant de région en région comme des brindilles emportées par le vent. Sans que l’on sache comment, il apparut sur la scène, appuyé sur le pilier de la barrière, souriant sans rien dire.
Intrigué, l’ignorant lui demanda ce qu’il voulait. D’abord, le moine ne répondit pas mais la question fut répétée et il dit alors : « La lune est pâle et lointaine, le vent vif et violent. » Son apparence sortait tout à fait de l’ordinaire et ses mots n’avaient aucun sens, mais, quand l’ignorant s’enquit de savoir quel principe ultime se cachait derrière ses propos, il découvrit qu’il s’agissait des enseignements du Zen tels qu’ils sont exposés dans le monde d’aujourd’hui.
Il observa l’apparence du moine, écouta ses paroles, et lui demanda ce qu’il considérait comme une cause bonne pour entrer sur la Voie du Bouddha. Le moine mendiant répondit : « Les enseignements des sūtras sont un doigt pointé vers la lune. Leurs systèmes doctrinaux sont autant d’aberrations emmêlées dans le filet des mots. Mais il est un enseignement qui permet de trouver le repos dans la nature fondamentale de votre propre esprit — c’est ce que l’on appelle le Zen. »
« J’aimerais en savoir plus, » fit l’ignorant.
« Si votre demande est vraiment sincère, dit le moine mendiant, il faut vous mettre face au mur, assis [dans la position du] zazen et faire apparaître en toute clarté la lune de votre esprit originel. Chacun peut se rendre compte que le Zen a été transmis sans interruption en Inde à travers une lignée de vingt-huit patriarches et, en Chine, à travers six autres encore28. Il serait tout à fait regrettable que vous ne compreniez pas leurs enseignements et restiez prisonnier des systèmes doctrinaux. Puisque l’esprit est en soi le Bouddha et que le Bouddha n’est autre que l’esprit, quel bouddha pourrait-il y avoir en dehors de vous-même ? »
Avec ces paroles, l’ignorant plongea dans des pensées diverses et réfléchit calmement aux principes qu’il avait entendus. Il dit : « Il existe toutes sortes de doctrines bouddhiques et il est très difficile de déterminer celles qui sont bien fondées et celles qui ne le sont pas. Il est tout à fait naturel que le bodhisattva Toujours-Pleurant soit parti vers l’est en quête de la vérité, que le garçon Bons-Trésors l’ait recherchée au sud, que le bodhisattva Roi-de-la-Médecine ait brûlé ses bras en offrande et que l’ascète Aspiration-à-la-Loi se soit arraché la peau. Il est si difficile de trouver un ami de bien ! Certains disent qu’il faut se fonder sur les enseignements des sūtras tandis que d’autres affirment que la vérité se trouve en dehors des sūtras. En réfléchissant aux aspects positifs et négatifs de ces doctrines, celui qui n’a pas encore sondé les profondeurs de la Loi bouddhique et regarde la surface des eaux de la Loi peut avoir des doutes quant à leur profondeur respective ; il jauge la valeur d’un maître, avec autant d’inquiétude qu’une personne qui marcherait sur de la glace fine. C’est pourquoi le Bouddha nous a laissé ces paroles d’or : “Appuyez-vous sur la Loi et non sur les personnes”, et c’est pourquoi l’on dit que ceux qui rencontrent l’enseignement correct sont aussi peu nombreux que les grains de poussière que l’on peut placer sur un ongle. Si quelqu’un sait quels sont ceux des enseignements bouddhiques qui sont corrects et quels sont ceux qui sont faux, je dois alors partir à sa recherche, le prendre pour maître et le traiter avec le respect qui convient. »
On dit qu’il est aussi difficile de naître dans le monde des êtres humains que d’enfiler, depuis le ciel, un fil dans une aiguille et aussi rare de voir et d’entendre les enseignements du Bouddha que de voir une tortue borgne rencontrer [à la surface de l’océan] 107un morceau de bois flottant qui aurait un creux parfaitement adapté à sa taille. Avec cet état d’esprit et convaincu qu’il faut considérer le corps comme insignifiant et la Loi comme suprême, l’ignorant gravit de nombreuses montagnes, poussé par son anxiété, allant d’un temple à l’autre, tant que ses pieds pouvaient le porter. Au bout d’un certain temps, il parvint devant une caverne rocheuse au pied de montagnes vertes et escarpées. Le vent dans les pins jouait la mélodie de l’éternité, du bonheur, du véritable soi et de la pureté, et, devant cette caverne, le flot d’un torrent émeraude bouillonnait, ses vagues heurtant les berges, comme en écho à la perfection de ces quatre vertus. Les fleurs tapissant la vallée encaissée s’épanouissaient dans les couleurs de la réalité ultime de la Voie du Milieu et, des fleurs de pruniers à peine écloses dans la vaste prairie, s’élevait le parfum des trois mille mondes. C’était au-delà de ce que les mots auraient pu décrire, de ce que l’esprit aurait pu imaginer. On aurait pu se croire sur le mont Shang, où vécurent les quatre vieillards aux cheveux blancs, ou sur le lieu de promenade d’un bouddha des temps anciens après sa méditation. Des nuages de bon augure se levaient à l’aube, une lumière mystérieuse apparaissait le soir. Ah, voilà ce que l’esprit ne pouvait saisir ni les mots exprimer !
L’ignorant se promena au hasard, s’interrogeant sur ce qu’il avait devant lui, tantôt s’arrêtant pour penser, tantôt reprenant sa marche. Soudain, il aperçut [de loin] un sage [dans son refuge]. Il comprit qu’il récitait le Sūtra du Lotus ; la voix toucha profondément le voyageur. Jetant un œil par la fenêtre du refuge, devenu silencieux, il découvrit que le sage, les coudes posés sur sa table, réfléchissait au sens profond du Sūtra.
Devinant que l’ignorant recherchait la Loi, le sage lui demanda avec douceur : « Pourquoi êtes-vous venu jusqu’à cette grotte dans ces lointaines montagnes ? »
Et l’autre de répondre : « Parce que j’attache peu de prix à la vie et beaucoup à la Loi. »
« Quelles pratiques suivez-vous ? » demanda le sage.
L’ignorant répondit : « J’ai vécu toute ma vie dans la poussière du monde séculier et je n’ai pas encore appris à me libérer du cycle des naissances et des morts. Mais il se fait que j’ai rencontré divers amis de bien qui m’ont d’abord enseigné les règles de discipline, puis les doctrines du Nembutsu, du Shingon et du Zen. Bien qu’ayant entendu ces enseignements, je suis incapable de déterminer s’ils sont justes ou faux. »
Le sage déclara : « En écoutant vos paroles, je sais que vous dites vrai. S’attacher peu à la vie mais accorder la plus grande valeur à la Loi est un enseignement des sages des temps anciens que je connais moi-même fort bien.
« Depuis le domaine, au-delà des nuages, où il n’y a ni pensée ni absence de pensée29 jusqu’au plus profond des enfers, y a-t-il un seul être qui, ayant reçu la vie, ait réussi à échapper à la mort ? Ainsi, même dans les écrits profanes ignorants, nous lisons : “Vous partez à l’aube pour le voyage de la vie, fier de la beauté de vos joues roses, mais le soir venu vous ne serez plus qu’un amas d’os blancs pourrissant sur la lande30.” Même si vous évoluez en compagnie des plus grands nobles de la cour, les cheveux relevés élégamment comme des nuages et les manches flottant comme des tourbillons de neige, de tels plaisirs, lorsqu’on y pense, ne sont guère plus qu’un rêve à l’intérieur d’un rêve. Finalement, il vous faudra reposer sous le tapis d’herbe au pied de la colline et tous vos dais ornés de joyaux et vos tentures de brocart ne signifieront plus rien pour vous sur la route de l’après-vie. La beauté tant vantée d’Ono no Komachi31 et de Soto’ori Hime32, pareille à celle des fleurs, fut avec le temps emportée par les vents de l’impermanence. Fanceng et Zhang Liang, en dépit de leur talent dans les arts militaires, souffrirent finalement sous les bâtons des gardiens de 108l’enfer. C’est pourquoi les hommes sensibles des temps anciens écrivirent des poèmes comme ceux-ci :
“Comme elle est triste, la fumée
Qui s’élève le soir sur le mont Toribe !
Ceux qui accompagnent le mort —
Combien de temps leur reste-t-il33 ? ”
“Rosée au bout des branches,
Gouttes sur le tronc —
Tout, tôt ou tard,
Doit disparaître de ce monde34.”
« La règle en cette vie — celui qui ne meurt pas plus tôt mourra inévitablement plus tard — n’est sans doute plus, depuis longtemps déjà, une surprise pour vous. Mais ce qu’il faut désirer par-dessus tout, c’est la Voie du Bouddha et, ce qu’il faut rechercher constamment, ce sont les enseignements des sūtras. Or, d’après vos dires, parmi les doctrines bouddhiques que vous avez rencontrées, certaines appartiennent à la branche des enseignements du Hinayana et d’autres au Mahayana. Mais, en laissant de côté pour l’instant la question de leur supériorité relative, je peux vous dire que, bien loin de vous apporter la délivrance, la pratique de ces enseignements vous conduira à renaître dans les mauvaises voies. »
À ces mots, l’ignorant s’exclama, surpris : « Mais tous les enseignements exposés par le Bouddha de son vivant n’étaient-ils pas destinés à apporter des bienfaits aux êtres vivants ? Depuis [le moment où fut enseigné le Sūtra de la Guirlande de fleurs, dans] les sept lieux et les huit assemblées, jusqu’à la cérémonie [où fut exposé le Sūtra du Nirvana] sur les rives de la rivière Ajitavati, toutes les doctrines furent enseignées par le bouddha Shakyamuni lui-même. Peut-être peut-on distinguer quelque infime différence de mérite, mais comment l’une d’entre elles pourrait-elle être la cause de la renaissance dans les voies mauvaises ? »
Le sage répondit : « Les enseignements exposés par l’Ainsi-Venu de son vivant peuvent être divisés entre enseignements provisoires et enseignement véritable, entre Hinayana et Mahayana. Ils peuvent être aussi classés selon les deux voies, exotérique et ésotérique. Ils ne relèvent donc pas tous de la même catégorie. Laissez-moi vous expliquer le sens général de ces enseignements et vous libérer ainsi de votre perplexité.
« Quand Shakyamuni, seigneur des enseignements dans le monde des trois plans, atteignit l’âge de dix-neuf ans, il quitta la ville de Gaya pour se retirer sur le mont Dandaka35 où il s’adonna à diverses austérités difficiles et pénibles. Il atteignit l’illumination à l’âge de trente ans et, à ce moment-là, chassa aussitôt les trois catégories d’illusions et mit un terme à la vaste nuit de l’ignorance. On peut penser qu’il aurait dû alors prêcher le Véhicule Unique du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse afin d’accomplir son vœu originel. Mais il savait que les capacités des gens étaient extrêmement diverses, et qu’ils n’étaient pas aptes à comprendre le Véhicule du Bouddha. Il consacra donc les quelque quarante années suivantes à développer la capacité de chacun. Puis, dans les huit dernières années de sa vie, il accomplit le but de sa venue en ce monde en enseignant le Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse.
« C’est ainsi que, à soixante-douze ans, il commença par enseigner le Sūtra aux sens infinis, en introduction au Sūtra du Lotus, où il déclara : “Par le passé, je suis resté assis, le dos droit, six années durant, sur le lieu de méditation sous l’arbre de la bodhi, et j’ai pu atteindre l’illumination suprême et parfaite. En observant tous les phénomènes avec l’œil du Bouddha, j’ai compris que cette illumination ne pourrait être ni expliquée ni décrite. Pourquoi cela ? Parce que je savais que les êtres vivants diffèrent par leur nature et leurs désirs. C’est pourquoi j’ai enseigné la Loi de façon diverse et variée. En agissant ainsi, j’ai eu recours au pouvoir des moyens opportuns. Mais, 109durant ces quelque quarante années, je n’ai pas encore révélé la vérité.”
« Ce passage signifie que, lorsque le Bouddha atteignit l’âge de trente ans, il s’assit donc sur le lieu de l’illumination sous l’arbre de la bodhi, observa la nature intérieure de tous les êtres vivants avec l’œil du Bouddha et réalisa que le moment n’était pas venu de leur enseigner le Sūtra du Lotus, qui révèle la voie directe de l’atteinte de la bouddhéité pour tous les êtres vivants. Alors, de même que l’on agite les mains pour amuser un nourrisson, il eut recours à divers moyens opportuns et, pendant les quelque quarante années suivantes, il s’abstint de révéler la vérité. Il définit ainsi la période des enseignements opportuns aussi clairement que le soleil s’élève dans le ciel bleu ou que la pleine lune monte dans la nuit noire.
« Au regard de ce passage, pourquoi, avec cette même foi que nous pourrions aussi bien diriger vers le Sūtra du Lotus, nous agripper aux enseignements provisoires des sūtras antérieurs, dont les doctrines sont vides, selon le Bouddha, et qui nous ramènent dans cette vieille demeure du monde des trois plans à laquelle nous sommes déjà si habitués ?
« C’est pourquoi, dans le chapitre “Moyens opportuns” du premier volume du Sūtra du Lotus, le Bouddha dit : “(...) renonçant très clairement à me servir des moyens opportuns, je vais prêcher seulement la Voie inégalée36.” On devrait alors renoncer très clairement aux enseignements présentés par le Bouddha dans les divers sūtras des quarante-deux années précédentes, à savoir aux doctrines du Nembutsu, du Shingon, du Zen et aux doctrines de l’école Ritsu dont vous m’avez parlé.
« Le sens de ce passage est parfaitement clair. On peut y ajouter cet avertissement contenu dans le chapitre “Analogies et paraboles” du deuxième volume : “[Ayez pour] seul désir de recevoir et de garder le Sūtra du Grand Véhicule, sans accepter un seul verset d’aucun autre sūtra37.” Selon ce passage, quel que soit le moment de sa vie où le Bouddha ait pu prêcher un sūtra, il ne faut pas en accepter un seul verset dès lors qu’il ne s’agit pas du Sūtra du Lotus.
« Les diverses doctrines des huit écoles sont aussi nombreuses que les orchidées et les chrysanthèmes et, moines et croyants laïcs, bien que différents d’apparence, s’accordent tous à clamer leur attachement au Sūtra du Lotus. Comment interprètent-ils alors les passages que je viens de citer ? Il y est question de “renoncer très clairement” aux enseignements antérieurs et de refuser d’accepter ne serait-ce qu’un seul verset d’aucun autre sūtra. Mais les doctrines du Nembutsu, du Shingon, du Zen, et de l’école Ritsu ne sont-elles pas fondées sur les “autres sūtras” ?
« Or, ce Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse dont je parle représente la véritable raison de la venue de tous les bouddhas en ce monde et il enseigne la voie directe pour que tous les êtres vivants puissent atteindre la bouddhéité. Le bouddha Shakyamuni le confia à tous ses disciples, le bouddha Maints-Trésors attesta sa véracité, et les autres bouddhas étendirent leur langue jusqu’au ciel de Brahma en proclamant : “Tout ce que tu [Shakyamuni] viens d’exposer est la pure vérité38.” Chaque caractère de ce Sūtra, sans exception, représente la véritable intention des bouddhas, et chaque trait de pinceau qui le compose est une source d’aide pour ceux qui renaissent constamment dans le cycle des naissances et des morts. Il n’y a pas là un seul mot inexact.
« Celui qui ne tient pas compte des avertissements de ce Sūtra, n’est-ce pas en fait comme s’il coupait la langue des bouddhas et trompait les personnes vertueuses et les sages ? Cette faute est vraiment effrayante. Ainsi, il est dit dans le deuxième volume : “Si quelqu’un n’y accorde pas foi et au contraire dénigre ce Sūtra, il réduira aussitôt à néant toutes les graines qui lui auraient permis en ce monde de 110devenir un bouddha39.” Si l’on s’oppose ne serait-ce qu’à un seul verset ou à une seule phrase de ce Sūtra, on se rend coupable d’un crime aussi grave que le meurtre de tous les bouddhas des dix directions dans les trois phases de l’existence, le passé, le présent et l’avenir.
« Si nous utilisons les enseignements des sūtras comme miroir pour examiner notre monde présent, nous verrons qu’il est difficile de trouver une personne fidèle au Sūtra du Lotus. Et nous comprenons bien ce que cela signifie, nous voyons qu’une personne, à cause de sa seule incroyance, ne peut éviter de tomber dans l’Enfer aux souffrances incessantes. C’est encore plus vrai pour quelqu’un comme le vénérable Hōnen, fondateur de l’école Nembutsu, qui exhorta les gens à rejeter le Sūtra du Lotus en faveur de la pratique du Nembutsu. Dans les cinq mille ou sept mille volumes de sūtras, où, je vous le demande, peut-on trouver le moindre passage enseignant à rejeter le Sūtra du Lotus ?
« Le révérend Shandao, vénéré en tant que pratiquant ayant atteint l’illumination grâce à sa maîtrise de la méditation et honoré comme une incarnation vivante du bouddha Amida, désigna cinq sortes de pratiques mélangées à rejeter et déclara que “pas une personne sur mille” ne pourrait être sauvée par le Sūtra du Lotus, signifiant par là que, si mille personnes accordent foi au Sūtra du Lotus, pas une seule n’atteindra la bouddhéité. Et pourtant, le Sūtra du Lotus dit : “Quant à ceux qui entendent la Loi, aucun ne manquera d’atteindre la bouddhéité40.” Cela indique que, s’ils entendent ce Sūtra, alors tous les êtres dans les dix états, ainsi que leur environnement, atteindront tous la Voie du Bouddha. Ainsi, le Sūtra prédit que Devadatta, bien qu’il ait commis les cinq transgressions capitales, deviendrait un bouddha appelé l’Ainsi-Venu Roi-Souverain-Céleste et relate comment la fille du roi-dragon, bien que femme assujettie aux cinq obstacles et considérée comme incapable de parvenir à la bouddhéité, atteignit instantanément la Voie du Bouddha dans le royaume du Sud. Ainsi, même un bousier peut s’élever à travers les six étapes de la pratique et n’est en aucune manière incapable de parvenir à la bouddhéité41.
« En fait, les paroles de Shandao et les passages du Sūtra du Lotus sont aussi éloignés que le ciel et la terre, aussi différents que les nuages et la boue. Que faut-il suivre alors ? Si nous prenons le temps d’y réfléchir, nous réalisons que Shandao est l’ennemi juré de tous les bouddhas et sūtras, et l’adversaire des moines sages aussi bien que des humbles croyants laïcs. Si les paroles du Sūtra du Lotus sont exactes, alors comment pourrait-il échapper à l’Enfer aux souffrances incessantes ? »
À ces mots, l’ignorant devint rouge de colère et dit : « Vous n’êtes dans la vie qu’une personne de modeste condition, et pourtant vous osez proférer d’aussi ignobles accusations. Il m’est très difficile de déterminer si vos paroles sont dictées par une vraie compréhension ou par l’illusion, si elles relèvent de la raison ou non. N’oublions pas que le révérend Shandao passait pour une manifestation du bouddha Amida But-Atteint42 ou de son acolyte, le bodhisattva Grand-Pouvoir. On dit la même chose de Hōnen, ou alors qu’il était une réapparition de Shandao. Tous deux furent des personnages remarquables du passé et, qui plus est, ils avaient acquis des mérites extraordinaires par leurs pratiques religieuses et étaient parvenus au degré le plus profond de compréhension. Comment alors auraient-ils pu tomber dans les voies mauvaises ? »
Le sage répondit : « Ce que vous dites est tout à fait exact. J’ai aussi eu un grand respect pour ces hommes et, comme vous, j’ai cru en eux. Mais, en matière de doctrine bouddhique, on ne peut tirer de conclusion hâtive en se fondant simplement sur la position éminente de celui qui l’expose. Les mots du sūtra doivent passer en premier. Ne prenez pas un enseignement à la 111légère du seul fait que la personne qui l’enseigne est de condition modeste. Dans le royaume de Bima, le renard qui récita ce vers en douze caractères “Certains aiment la vie et détestent la mort ; d’autres aiment la mort et détestent la vie” fut accueilli comme un maître par le dieu Shakra43 ; et le démon qui récita le vers en seize caractères commençant par “Tout change, rien n’est constant” fut traité avec les plus grands honneurs par le garçon Montagnes-Neigeuses. Cela était dû non à la grandeur du renard ou du démon, mais simplement parce que la doctrine qu’ils enseignaient était respectable.
« Donc, dans le sixième volume du Sūtra du Nirvana, le dernier enseignement qu’il ait délivré dans le bosquet d’arbres sala, notre père bienveillant, le bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, a dit : “Appuyez-vous sur la Loi et non sur les personnes.” Même quand les grands bodhisattvas comme Sagesse-Universelle et Manjusri, qui sont revenus44 à l’étape de l’illumination presque parfaite, exposent les enseignements bouddhiques, s’ils ne le font pas avec le texte des sūtras à la main, alors il ne faut pas tenir compte de ce qu’ils disent.
« Le Grand Maître Tiantai déclare : “Ce qui s’accorde avec les sūtras doit être mis par écrit et rendu accessible. Mais n’ayez foi ni dans des mots ni dans leur sens quand ils s’écartent de ce principe45.” Il faut donc accepter ce qui est clairement inscrit dans le texte des sūtras mais écarter tout ce qui ne s’appuie pas sur le texte. Le Grand Maître Dengyō dit : “Fiez-vous aux enseignements du Bouddha et non aux traditions transmises oralement46”, ce qui rejoint le commentaire de Tiantai. Et le bodhisattva Nagarjuna appelle à s’appuyer sur les traités fidèles aux sūtras mais non sur ceux qui les déforment47. On peut comprendre ici que, même quand il s’agit des divers sūtras, il faut écarter les enseignements provisoires énoncés avant le Sūtra du Lotus et n’avoir foi qu’en ce dernier. Les sūtras comme les traités indiquent clairement qu’il faut écarter tous les écrits autres que le Sūtra du Lotus.
« Nulle part, dans les cinq ou sept mille volumes de sūtras inclus dans le registre de l’ère Kaiyuan48, nous ne trouvons un seul passage écrit qui désapprouve le Sūtra du Lotus et conseille de l’écarter ou de le rejeter, ou qui le classe parmi les pratiques mélangées à abandonner. Si vous n’êtes pas d’accord, citez-moi alors un passage de sūtra pour appuyer votre opinion, de façon à sauver Shandao et Hōnen des tourments de l’Enfer aux souffrances incessantes.
« Les pratiquants du Nembutsu de notre époque, moines aussi bien que laïcs hommes et femmes, non seulement vont à l’encontre des mots des sūtras mais s’opposent aussi aux instructions de leurs propres maîtres. Shandao est l’auteur d’un commentaire où il décrivit cinq sortes de pratiques mélangées que les pratiquants du Nembutsu devraient abandonner. À ce sujet, le Choix du Nembutsu par-dessus tout dit : “[Shandao déclare :] La première des pratiques mélangées consiste à déclamer tous les sūtras, sauf le Sūtra de la méditation sur le bouddha Vie-Infinie et ceux qui prêchent la renaissance dans la Terre pure. Adopter et déclamer tout autre sūtra, du Mahayana ou du Hinayana, exotérique ou ésotérique, doit être considéré comme une pratique mélangée. (...) La troisième des pratiques mélangées consiste à vénérer d’autres bouddhas qu’Amida. Vénérer ou honorer tout autre bouddha, bodhisattva ou divinité en ce monde s’appelle ‘pratique mélangée de vénération’. La quatrième des pratiques mélangées consiste à invoquer le nom de tout autre bouddha que le bouddha Amida. Invoquer tout autre bouddha, bodhisattva ou divinité en ce monde s’appelle ‘pratique mélangée d’invocation du nom’. La cinquième des pratiques mélangées est celle qui consiste à louer d’autres bouddhas qu’Amida et à leur faire des offrandes. Le fait de louer ou de faire des offrandes à tout 112autre bouddha, bodhisattva ou divinité de ce monde s’appelle ‘pratique mélangée de louange et d’offrande’.”
« Ce passage de commentaire indique que, par rapport à la première pratique mélangée, concernant la déclamation des sūtras, il y a des règles précises pour les moines et les croyants laïcs du Nembutsu, aussi bien hommes que femmes, fixant les sūtras qui doivent être lus et ceux qui ne le doivent pas. Parmi les sūtras à ne pas lire figurent le Sūtra du Lotus, le Sūtra des rois bienveillants, le Sūtra du Maître-de-la-Médecine, le Sūtra de la Grande Collection, le Sūtra du cœur, le Sūtra d’une femme née homme pour devenir bouddha, et le Sūtra de la constellation de la Petite Ourse prolongeant la vie, et en particulier, parmi les huit volumes du Sūtra du Lotus, le Sūtra du [bodhisattva] Sensible-aux-Sons-du-Monde49, qui est lu par beaucoup de gens. Celui qui lit ne serait-ce qu’un seul verset de ces sūtras, même s’il est un fervent pratiquant du Nembutsu, rejoint ceux qui suivent les pratiques mélangées et ne peuvent renaître dans la Terre pure. Pourtant, quand j’observe de mes propres yeux ce qu’il en est réellement, parmi ceux qui récitent le Nembutsu, j’en vois beaucoup qui lisent ces divers sūtras, et qui s’opposent ainsi à leur maître et commettent l’une des sept transgressions capitales50.
« De plus, dans le passage concernant la troisième pratique mélangée, celle de la vénération, il est dit que, en dehors du culte du bouddha Amida flanqué des deux vénérables bodhisattvas51, le fait d’honorer tout autre bouddha, bodhisattva, être céleste et divinité bienveillante antérieurs doit être considéré comme une pratique mélangée, interdite aux pratiquants du Nembutsu. Mais le Japon est le pays des kami [dieux]. Il a été créé par les augustes divinités Izanagi et Izanami52, la Grande Déesse du Soleil daigne y élire domicile, et la rivière Mimosuso53 n’a cessé, depuis un lointain passé et jusqu’à aujourd’hui, de couler [en traversant le site où se situe son sanctuaire]. Comment une personne née dans ce pays pourrait-elle s’attacher à une doctrine aussi erronée ! De plus, comme nous sommes nés sous le ciel qui englobe tout et goûtons les bienfaits des trois sortes de corps lumineux, soleil, lune et étoiles, il serait bien effrayant de faire preuve d’irrespect envers les divinités de ces corps célestes.
« En outre, dans le passage concernant la quatrième sorte de pratique mélangée, celle de l’invocation du nom, il est dit que le croyant du Nembutsu doit invoquer certains noms de bouddhas et de bodhisattvas et ne pas en invoquer d’autres. Les noms qu’il doit invoquer sont ceux du bouddha Amida et de ses deux vénérables assistants. Mais il ne doit pas invoquer Shakyamuni, le Maître-de-la-Médecine, Mahavairochana et les autres bouddhas ; les bodhisattvas Germe-de-la-Terre, Sagesse-Universelle et Manjusri, les dieux du soleil, de la lune et des étoiles ; les divinités des sanctuaires d’Izu et de Hakone, et celles aussi de Mishima, Kumano et Haguro ; la Grande Déesse du Soleil ; et le grand bodhisattva Hachiman. Si quelqu’un récite ne serait-ce qu’une fois l’un de ces noms, même s’il récite le Nembutsu cent mille ou un million de fois, comme il a commis l’erreur d’invoquer le nom de l’un de ces bouddhas, de ces bodhisattvas, de ces dieux du soleil et de la lune et autres, il tombera dans l’Enfer aux souffrances incessantes et ne renaîtra pas dans la Terre pure. Mais, en regardant ce qu’il en est réellement, je vois des croyants du Nembutsu invoquer le nom de ces divers bouddhas, bodhisattvas et divinités bienveillantes. Là encore, ils s’opposent donc aux instructions de leurs propres maîtres.
« Dans le passage concernant la cinquième pratique mélangée, celle qui consiste à louer et à faire des offrandes, le croyant du Nembutsu reçoit pour consigne de faire des offrandes au bouddha Amida et aux deux bodhisattvas qui l’accompagnent. Mais s’il offrait ne serait-ce qu’un peu d’encens ou quelques fleurs aux bouddhas, 113bodhisattvas ou divinités bienveillantes cités précédemment, alors, aussi louables que soient les mérites obtenus par sa pratique du Nembutsu, à cause de l’erreur commise, il serait condamné à être classé parmi ceux qui accomplissent des pratiques mélangées. Et pourtant, en regardant ce qu’il en est réellement, je vois des croyants du Nembutsu rendre visite à divers sanctuaires et offrir des bannières de papier ou de tissu, ou pénétrer dans divers temples bouddhiques et s’y incliner en signe de révérence. Là encore ils s’opposent aux instructions de leurs maîtres. Si vous doutez de mes propos, lisez donc le Choix du Nembutsu par-dessus tout. Il est très clair à ce sujet.
« De plus, il est dit dans L’enseignement de la méditation54 du révérend Shandao : “En ce qui concerne les boissons enivrantes, la viande et les cinq mets fortement épicés55, il faut faire le vœu de ne jamais y porter la main ni les goûter avec la bouche. Il faut faire ce serment : ‘Si je devais enfreindre cette interdiction, alors, que des plaies purulentes me couvrent à la fois le corps et la bouche !’” Selon ce passage, les croyants du Nembutsu, hommes et femmes laïcs aussi bien que moines et nonnes, ne doivent donc pas boire de vin ni manger de poisson ou de volaille. De plus, ils ne doivent goûter aucun des cinq mets fortement épicés, aliments piquants ou d’odeur forte comme les poireaux ou l’ail. Si des croyants du Nembutsu ne se conforment pas à cette règle, alors dans leur vie présente ils connaîtront une éruption de plaies purulentes et dans leur prochaine vie tomberont dans l’Enfer aux souffrances incessantes. Mais dans la réalité nous voyons que beaucoup de croyants laïcs, hommes et femmes ainsi que des moines et nonnes du Nembutsu, ne respectent pas cette interdiction mais boivent du vin et mangent poissons et volailles à volonté. N’est-ce pas là comme se blesser en avalant des couteaux ? »
Sur ce, l’ignorant dit : « En fait, en écoutant votre description de la doctrine, je vois bien que, même si l’enseignement du Nembutsu pouvait permettre de renaître dans la Terre pure, ses règles et pratiques sont très difficiles à réaliser. Et, bien sûr, puisqu’il se fonde sur des sūtras et traités appartenant tous à la catégorie des explications provisoires, il est tout à fait clair qu’il ne peut en aucun cas mener à la renaissance dans la Terre pure. Mais il n’y a certainement aucune raison de rejeter les enseignements du Shingon. Le Sūtra de Mahavairochana constitue l’enseignement secret de Mahavairochana, roi de l’illumination. Il a été transmis à travers une lignée ininterrompue, de l’Ainsi-Venu Mahavairochana jusqu’à Shanwuwei et Bukong. Et, au Japon, le Grand Maître Kōbō a propagé les enseignements concernant le mandala du Plan du diamant et le mandala du Plan de la matrice. Ces enseignements secrets et mystérieux traitent des trente-sept honorés56. On ne peut donc même pas comparer les doctrines les plus profondes des enseignements exotériques aux premières étapes des enseignements ésotériques. C’est pourquoi le Grand Maître Chishō, du temple Gotō57, déclara dans son commentaire : “Même le Sūtra du Lotus ne peut se comparer [au Sūtra de Mahavairochana], et les autres doctrines encore moins58.” Qu’avez-vous à dire à ce sujet ? »
Le sage répondit ainsi : « Comme vous, j’ai d’abord cru en l’Ainsi-Venu Mahavairochana et j’ai désiré suivre les enseignements de l’école Shingon. Mais, quand j’ai étudié les principes fondamentaux de cette école, j’ai découvert qu’ils reposaient sur des points de vue qui calomnient l’enseignement correct.
« Le Grand Maître Kōbō du mont Kōya, dont vous avez parlé, vivait à l’époque de l’empereur Saga. Il reçut un mandat de l’empereur l’exhortant à déterminer et à expliquer la profondeur relative des divers enseignements bouddhiques. En réponse, il produisit une œuvre en dix volumes intitulée Traité sur les dix étapes de l’esprit, si vaste et si complète qu’il en fit une version abrégée 114en trois volumes portant le titre de La clé précieuse du trésor secret. Il y décrit les dix étapes du développement de l’esprit, en commençant par “l’esprit d’un humble, aux désirs lubriques59”, et en finissant par “l’esprit secret et sacré au faîte de sa gloire60”. Il place le Sūtra du Lotus à la huitième étape, le Sūtra de la Guirlande de fleurs à la neuvième, et les enseignements du Shingon [du Sūtra de Mahavairochana] à la dixième étape. Ainsi, il situe le Sūtra du Lotus à un rang inférieur même au Sūtra de la Guirlande de fleurs et deux étapes au-dessous du Sūtra de Mahavairochana. Dans cette œuvre, il écrit : “Chaque véhicule se présente comme le véhicule de la bouddhéité, mais, quand on les examine à partir d’une étape ultérieure61, il apparaît qu’il ne s’agit que de ‘simples théories puériles’.” Il qualifie aussi le Sūtra du Lotus d’œuvre composée de “mots insensés et de formules alambiquées” et dénigre le bouddha Shakyamuni en le prétendant égaré dans les ténèbres.
« Il en résulte que Shōgaku-bō, disciple de Kōbō et ultérieurement fondateur du temple Dembō-in, en vint à écrire que le Sūtra du Lotus n’était même pas digne de porter les sandales du Sūtra de Mahavairochana, et que le bouddha Shakyamuni ne méritait pas même de conduire les bœufs de l’Ainsi-Venu Mahavairochana62.
« Gardez la tête froide et écoutez mes paroles. Dans les cinq ou sept mille volumes de sūtras enseignés par le Bouddha de son vivant, ou dans les quelque trois mille volumes d’écrits confucéens et d’écrits du Dao, y a-t-il un seul passage où il est clairement stipulé que la doctrine du Sūtra du Lotus n’est que “théorie puérile” ou qu’il se place deux rangs au-dessous du Sūtra de Mahavairochana, tout en étant également inférieur au Sūtra de la Guirlande de fleurs, ou encore que le bouddha Shakyamuni est égaré dans les ténèbres et qu’il n’est même pas digne de conduire les bœufs de l’Ainsi-Venu Mahavairochana ? Et, même s’il existait un tel passage, il faudrait certainement l’examiner avec le plus grand soin.
« Quand les sūtras et enseignements bouddhiques furent introduits de l’Inde en Chine, la manière de traduire dépendait de la sensibilité de chaque traducteur, et aucune traduction des sūtras et des traités ne fit autorité. C’est pourquoi le Maître des Trois Corbeilles Kumarajiva de la dynastie des Chin postérieurs avait coutume de dire : “Quand j’examine les enseignements bouddhiques tels qu’on les trouve en Chine, je constate que, bien souvent, ils diffèrent des originaux sanskrits. Si les traductions du Sūtra que j’ai réalisées ne comportent pas d’erreur, alors, après ma mort, lorsque je serai incinéré, mon corps, étant impur, sera sans aucun doute consumé par les flammes mais ma langue, elle, ne sera pas brûlée.” Et en effet, au moment de son incinération, son corps se réduisit jusqu’à n’être plus qu’un tas d’os, mais sa langue, elle, demeura, reposant au sommet d’une fleur de lotus bleu et émettant une lumière brillante qui éclipsait les rayons du soleil. Quel événement merveilleux !
« Il advint que cette traduction particulière du Sūtra du Lotus, accomplie par le Maître des Trois Corbeilles Kumarajiva, se répandit aisément dans toute la Chine. Et c’est pourquoi quand le Grand Maître Kompon [Dengyō] de l’Enryaku-ji réfuta les enseignements des autres écoles, il le fit en disant : “Nous avons la preuve que les sūtras sur lesquels vous vous appuyez sont tous dans l’erreur parce que la langue du Maître des Trois Corbeilles Kumarajiva, traducteur du Sūtra du Lotus, ne fut pas consumée par les flammes.”
« En outre, dans le Sūtra du Nirvana, le Bouddha dit que, lorsque ses enseignements sont transmis dans d’autres pays, on y trouve immanquablement de nombreuses erreurs. Même si nous découvrions un passage de sūtra où le Sūtra du Lotus est qualifié d’inutile ou bien le bouddha Shakyamuni décrit comme égaré dans les ténèbres, nous devrions effectuer des recherches approfondies pour savoir si le texte contenant 115de telles déclarations appartient aux enseignements provisoires ou au véritable enseignement, au Mahayana ou au Hinayana, s’il fut enseigné dans la première ou dans la dernière partie de la vie du Bouddha, et qui était le traducteur.
« On dit que Laozi63 et Kongzi [Confucius] tournaient neuf fois leur langue dans leur bouche avant de proférer un seul mot. Et Dan, le seigneur de Zhou, était tellement soucieux de ne pas faire attendre ses visiteurs qu’il recracha sa nourriture à trois reprises au cours d’un repas et s’essuya les cheveux trois fois alors qu’il les lavait. Si même les personnes décrites dans les écrits superficiels non bouddhiques se comportaient de cette manière, cela devrait être d’autant plus vrai de ceux qui étudient les profondes doctrines des écrits bouddhiques !
« Or, nulle part dans les sūtras et traités, nous ne trouvons la moindre preuve pour soutenir cette thèse [selon laquelle le Sūtra du Lotus serait inférieur au Sūtra de Mahavairochana]. D’après le commentaire même du Grand Maître Kōbō, celui qui rabaisse les personnes et dénigre l’enseignement correct tombera dans les mauvaises voies64. Une personne comme Kōbō tombera inévitablement en enfer — il n’y a aucun doute à ce sujet. »
L’ignorant paraissait abasourdi, puis il poussa soudain un soupir. Au bout d’un moment, il dit : « Le Grand Maître Kōbō connaissait parfaitement les écrits, bouddhiques et non bouddhiques, et c’était aussi un des guides spirituels des êtres. En matière de pratiques vertueuses, il surpassait ses contemporains, et sa réputation s’était répandue partout. On dit qu’alors qu’il était en Chine il lança de toutes ses forces un sceptre [vajra]65 de diamant en forme de trident qui parcourut plus de quatre-vingt mille ri66 au-dessus de l’océan pour atteindre le Japon et que, lorsqu’il exposa le sens du Sūtra du cœur, des pestiférés guérirent en si grand nombre qu’ils remplirent les rues. Ce n’était donc sûrement pas une simple personne mais la manifestation temporelle d’un grand sage. Il est alors bien difficile de ne pas le tenir en estime et de ne pas se fier à ses enseignements. »
Le sage répondit : « Au départ, je pensais comme vous. Mais, après m’être engagé sur la voie des enseignements du Bouddha et avoir commencé à discerner ce qui est en accord avec ses principes et ce qui ne l’est pas, je me suis rendu compte que la capacité à accomplir délibérément des actes miraculeux ne constitue pas nécessairement un critère solide pour déterminer si des enseignements bouddhiques sont corrects ou erronés. C’est pourquoi le Bouddha a établi pour règle qu’il fallait “s’appuyer sur la Loi et non sur les personnes”, comme je l’ai mentionné précédemment.
« L’ascète Agastya s’est versé les eaux du Gange dans une oreille et les y a gardées pendant douze ans, l’ascète Jinu but la totalité du grand océan en un seul jour, Zhang Jie exhalait le brouillard et Luan Ba les nuages67. Mais cela ne signifie pas qu’ils savaient ce qui était correct ou incorrect en matière d’enseignement bouddhique ni qu’ils comprenaient le principe de cause et effet. En Chine, quand le maître du Dharma Fayun fit un cours sur le Sūtra du Lotus, on vit instantanément une pluie de fleurs tomber des cieux. Mais le Grand Maître Miaole dit : “Bien qu’il ait pu produire un tel phénomène, sa compréhension ne s’accordait cependant pas avec la vérité [du Sūtra du Lotus]68.” Miaole l’accusait donc de ne pas comprendre l’essence des enseignements bouddhiques.
« Le Sūtra du Lotus rejette les trois sortes d’enseignement dispensées par le Bouddha dans le passé, le présent et l’avenir69. Il réfute les sūtras enseignés auparavant en disant que le Bouddha “n’y a pas encore révélé la vérité [tout entière]70”. Il attaque les sūtras de la même période en se déclarant supérieur “à ceux qui sont prêchés maintenant” et il rejette les sūtras prêchés par la suite en déclarant qu’il surpasse tous 116ceux “qui seront prêchés”. En fait, le Sūtra du Lotus est le premier de tous les sūtras prêchés dans ces trois périodes.
« On lit dans le quatrième volume du Sūtra du Lotus : “Roi-de-la-Médecine, je te le dis à présent, j’ai prêché divers sūtras, mais de tous ces sūtras le [Sūtra du] Lotus est le plus important71 !” Ce passage signifie qu’à l’assemblée du pic de l’Aigle le Bouddha s’adressa au bodhisattva Roi-de-la-Médecine et lui dit que, depuis le Sūtra de la Guirlande de fleurs jusqu’au Sūtra du Nirvana, il y avait eu d’innombrables sūtras, aussi nombreux que les grains de sable du Gange, mais que parmi ceux-ci le Sūtra du Lotus qu’il enseignait alors occupait la première place. Cependant, le Grand Maître Kōbō a, à l’évidence, confondu “première” avec “troisième”.
« Dans le même volume du Sūtra du Lotus, le Bouddha dit : “Pour le bien de la Voie du Bouddha, dans un nombre incalculable de terres, depuis le commencement jusqu’à présent, j’ai prêché largement de nombreux sūtras mais, entre tous, celui-ci est le Sūtra suprême72.” Ce passage signifie que le bouddha Shakyamuni est apparu dans d’innombrables terres, en prenant différents noms, et en menant des vies de longueur variable. Et il établit que, parmi tous les sūtras qu’il avait enseignés, sous les diverses formes qu’il avait empruntées pour se manifester, le Sūtra du Lotus occupe la première place.
« Dans le cinquième volume du Sūtra du Lotus, il est dit que ce dernier occupe “la plus haute place73”, ce qui montre clairement qu’il se situe au-dessus du Sūtra de Mahavairochana, du Sūtra de la couronne de diamants, et des innombrables autres sūtras. Mais à l’évidence le Grand Maître Kōbō a lu qu’ “il occupait la place la moins élevée”. Ainsi, Shakyamuni et Kōbō, le Sūtra du Lotus et La clé précieuse du trésor secret sont en fait en désaccord total. Avez-vous l’intention de rejeter Shakyamuni et de suivre Kōbō ? Ou rejetterez-vous Kōbō pour suivre Shakyamuni ? Vous calomniez le texte du Sūtra pour accepter les mots d’un maître ordinaire ? Ou rejetterez-vous les mots d’un maître ordinaire pour honorer les paroles d’or du Bouddha ? Pensez-y sérieusement avant de déterminer ce que vous allez accepter et ce que vous allez rejeter.
« De plus, dans le chapitre “Roi-de-la-Médecine”, qui se trouve dans le septième volume, il y a dix comparaisons exprimant l’excellence du Sūtra du Lotus. La première concerne l’eau. Le Sūtra du Lotus est comparé au grand océan et les ruisseaux et les rivières aux divers autres sūtras. Donc, si quelqu’un prétend le Sūtra de Mahavairochana supérieur et le Sūtra du Lotus inférieur, il dit en fait que le grand océan contient moins d’eau qu’un petit ruisseau. Chacun sait aujourd’hui que l’océan dépasse par sa taille les divers cours d’eau et pourtant personne ne réalise que le Sūtra du Lotus est le plus important des sūtras.
« La deuxième comparaison concerne les montagnes. Le mont Sumeru est comparé au Sūtra du Lotus et les montagnes ordinaires aux autres sūtras. Le mont Sumeru mesure cent soixante-huit mille yojana de haut en bas ; quelle autre montagne pourrait lui être comparée ? Dire que le Sūtra de Mahavairochana est supérieur au Sūtra du Lotus revient à dire que le mont Fuji est plus élevé que le mont Sumeru.
« La troisième comparaison traite de la lune et des étoiles. Le Sūtra du Lotus est comparé à la lune et les autres sūtras aux étoiles. En comparant la lune et les étoiles, peut-on se demander où réside la supériorité ?
« Plus loin, dans la série de comparaisons, nous lisons : “Ce Sūtra est de même le plus important de tous les sūtras enseignés par tous les Ainsi-Venus, par tous les bodhisattvas et par tous les auditeurs.”
« Ce passage nous dit que le Sūtra du Lotus est non seulement le plus important de tous les enseignements dispensés par le bouddha Shakyamuni de son vivant, mais qu’il occupe aussi la première place 117parmi tous les enseignements et sūtras dispensés par des bouddhas tels que Mahavairochana, Maître-de-la-Médecine, ou Amida, et par des bodhisattvas tels que Sagesse-Universelle ou Manjusri. Si donc quelqu’un affirme qu’il existe un sūtra supérieur au Lotus, comprenez qu’il expose la vision des adeptes des enseignements non bouddhiques ou du démon du ciel.
« Voici ce qui concerne l’identité de l’Ainsi-Venu Mahavairochana : au moment où le bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, qui avait atteint l’illumination dans un très lointain passé, atténua sa lumière en y mêlant la poussière de ce monde, quarante-deux ans durant, pour s’adapter à la capacité de ses contemporains, un Ainsi-Venu qui unit les Trois Corps en un prit la forme de Vairochana74. Ainsi, quand le bouddha Shakyamuni révéla la réalité ultime de tous les phénomènes75, il devint clair que Vairochana était une manifestation temporaire empruntée par Shakyamuni pour répondre à la capacité des gens. Selon le Sūtra du bodhisattva Sagesse-Universelle, c’est pour cette raison que l’on donne au bouddha Shakyamuni le nom de Vairochana-Partout-Présent, et que le lieu où vit le Bouddha est appelé Lumière-Éternellement-Paisible.
« Or, le Sūtra du Lotus expose les doctrines de l’inclusion mutuelle des dix états, les trois mille mondes en un instant de vie, l’unification des trois vérités et l’inséparabilité des quatre sortes de terres. De plus, l’essence même de tous les enseignements exposés par le bouddha Shakyamuni de son vivant — la doctrine selon laquelle les personnes des deux véhicules peuvent atteindre la bouddhéité et celle selon laquelle le Bouddha a atteint l’illumination dans un très lointain passé qui dépasse l’imagination — cette essence ne se trouve que dans ce seul Sūtra [du Lotus]. Est-il fait mention de ces questions primordiales dans les trois sūtras ésotériques dont vous parlez, le Sūtra de Mahavairochana, le Sūtra de la couronne de diamant (...) ? Shanwuwei et Bukong volèrent ces doctrines primordiales dans le Sūtra du Lotus et conçurent d’en faire les points essentiels de leurs propres sūtras. Mais c’est un leurre : leurs propres sūtras et traités ne contiennent pas la moindre allusion à ces doctrines. Hâtez-vous donc de corriger votre pensée sur ce point.
« Il se trouve que le Sūtra de Mahavairochana inclut les quatre enseignements76 et expose les sortes de préceptes qui n’apportent plus de bienfaits quand la forme corporelle arrive à sa fin77. C’est un enseignement provisoire présenté par les maîtres chinois78 comme un sūtra appartenant à la catégorie Vaipulya, un groupe de sūtras qui, selon la classification de Tiantai, furent enseignés dans la troisième période. Quelle honte [de les considérer comme supérieurs au Sūtra du Lotus] ! Si vous êtes vraiment déterminé à rechercher la Voie, vous devez rapidement vous repentir de vos erreurs passées. En définitive, le Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse résume tous les enseignements et pratiques de méditation de toute l’existence du bouddha Shakyamuni en un instant de vie et englobe tous les êtres vivants des dix états et leurs environnements dans les trois mille mondes. »
Seconde partie
Légèrement apaisé par ces paroles, l’ignorant dit : « Les mots du Sūtra sont aussi clairs qu’un miroir ; il n’y a pas le moindre doute ou questionnement possible quant à leur signification. Mais, même si le Sūtra du Lotus surpasse tous les autres sūtras prêchés par le Bouddha avant, en même temps, ou après [ce Sūtra] et qu’il représente le sommet de sa vie de prédication, on ne peut le comparer à la vérité unique du Zen, laquelle traite de la nature fondamentale de notre esprit, est irréductible aux mots et ne saurait être enfermée dans le texte d’un sūtra. En fait, il y a là un 118domaine hors d’atteinte des mots où les innombrables doctrines sont abandonnées. Voilà ce que l’on appelle la vérité du Zen.
« Ainsi, sur les berges du fleuve Ajitavati, dans le bosquet d’arbres sala, le bouddha Shakyamuni sortit de son cercueil doré, fit tourner une fleur entre ses doigts et, voyant Mahakashyapa esquisser un sourire, lui confia cet enseignement Zen. Depuis, il s’est transmis sans la moindre irrégularité à travers une lignée de vingt-huit patriarches en Inde, et fut largement propagé par six patriarches successifs en Chine. Bodhidharma est le dernier des vingt-huit patriarches de l’Inde et le premier des six patriarches de Chine. Nous ne devons pas laisser cette transmission se perdre et nous empêtrer dans les systèmes doctrinaux.
« Ainsi, dans le Sūtra de la réponse du Bouddha aux questions du grand roi céleste Brahma, le Bouddha dit : “J’ai un enseignement subtil concernant le trésor de l’œil de la Loi correcte, l’esprit merveilleux du nirvana, la réalité ultime sans traits caractéristiques. Il représente une transmission séparée, en dehors des sūtras, indépendante des mots ou des écrits. Je le confie à Mahakashyapa.”
« Nous voyons donc que cette seule vérité du Zen fut transmise à Mahakashyapa indépendamment des sūtras. Tout enseignement des sūtras est comme un doigt pointé vers la lune. Une fois que nous avons vu la lune, à quoi peut bien servir le doigt ? Et, une fois que nous avons compris cette vérité unique du Zen, la nature fondamentale de l’esprit, pourquoi se soucier plus longtemps des enseignements du Bouddha ? C’est pourquoi un homme des temps passés a dit : “Les enseignements en douze catégories du canon bouddhique ne sont qu’écrits futiles.”
« Si vous vous donnez la peine d’ouvrir et de lire le Sūtra de l’estrade de Huineng, sixième patriarche de cette école, vous verrez que c’est exact. Dès lors que nous avons entendu ne serait-ce qu’un seul mot et que nous avons saisi et compris ainsi la vérité, à quoi pourraient bien nous servir les enseignements ? Que pensez-vous de ce raisonnement ? »
Le sage répondit : « Il vous faut tout d’abord laisser de côté les doctrines pour considérer les choses d’un point de vue logique. Qui, sans effectuer de recherches sur le sens essentiel des enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant ni étudier les principes fondamentaux des dix écoles, peut être assez présomptueux pour adresser des remontrances au pays et enseigner aux autres ? Ce Zen dont vous parlez, je l’ai étudié minutieusement pendant un certain temps. Étant donné qu’il enseigne des doctrines extrêmes, je dois dire qu’il représente une distorsion particulièrement grave.
« Il existe trois sortes de Zen appelés respectivement le Zen de l’Ainsi-Venu, le Zen doctrinal et le Zen des patriarches79. C’est au Zen des patriarches que vous faites allusion et j’aimerais vous en donner ici une idée générale. Veuillez m’écouter attentivement pour comprendre de quoi il s’agit.
« Il y est question de transmettre quelque chose indépendamment des enseignements. Mais, là où il n’y a pas d’enseignement, il n’y a pas de principes et, là où il n’y a pas de principes, il n’y a pas d’enseignement. Ne comprenez-vous pas cette logique, que les principes ne sont autres que les enseignements et que les enseignements ne sont autres que les principes ? Ce récit évoquant le Bouddha tournant une fleur entre ses doigts, l’esquisse d’un sourire et la transmission à Mahakashyapa est en soi un enseignement et la formule en quatre caractères le présentant comme “indépendant des mots et des écrits” est de même un enseignement et une déclaration verbale. Ce genre de discours circule depuis longtemps en Chine comme au Japon. Il peut vous apparaître comme quelque chose d’inédit mais laissez-moi vous citer un ou deux passages qui dissiperont vos conceptions erronées.
119« Il est dit dans le onzième volume du Supplément aux trois œuvres majeures de Tiantai : “Si l’on [les adeptes du Zen] prétend qu’il ne faut pas s’embarrasser d’expressions verbales, alors comment pourrions-nous, en ce monde saha, poursuivre un seul instant l’œuvre du Bouddha ? Les adeptes du Zen n’utilisent-ils pas eux-mêmes des explications verbales quand ils instruisent les autres ? Si l’on rejette les mots et les expressions, alors il n’y a aucun moyen d’expliquer le sens de la délivrance, et comment alors quelqu’un pourrait-il en entendre parler ?”
« Plus loin, on lit : “On dit que Bodhidharma venait de l’ouest et enseigna la doctrine qui ‘pointe directement à l’esprit de l’homme’ et qui montre que ‘la perception de notre vraie nature est l’atteinte de la bouddhéité’. Mais ne trouve-t-on pas les mêmes concepts dans le Sūtra de la Guirlande de fleurs et dans les autres sūtras du Mahayana ? Hélas ! Comment les gens de notre temps peuvent-ils être si insensés ? Vous devriez tous avoir foi dans les enseignements du Bouddha. Les bouddhas, les Ainsi-Venus ne profèrent aucun mensonge !”
« Revenons sur le sens de ce passage : si l’on objecte que nous nous empêtrons dans les écrits doctrinaux et que nous nous laissons enchaîner par les explications verbales pour recommander une sorte de pratique religieuse indépendante en dehors des enseignements des sūtras, alors par quels [autres] moyens pourrions-nous poursuivre l’œuvre du Bouddha et planter des racines de bien dans ce monde saha qui est le nôtre ? Même les disciples du Zen, qui défendent ces vues, se servent de mots lorsqu’ils instruisent les autres. De plus, si notre intention est de rendre compréhensible la Voie du Bouddha, nous ne pourrons pas en communiquer le sens en rejetant les mots. Bodhidharma arriva en Chine par l’ouest, pointa directement à l’esprit des êtres humains et déclara que cet esprit était le Bouddha. Mais ce principe est énoncé en divers endroits, y compris dans les sūtras provisoires du Mahayana antérieurs au Sūtra du Lotus tels que le Sūtra de la Guirlande de fleurs, le Sūtra de la Grande Collection et le Sūtra de la grande perfection de sagesse. Qualifier cela de rare et de merveilleux est donc d’un ridicule achevé. Hélas ! Comment les gens de notre époque peuvent-ils avoir la pensée à ce point faussée ? Ils devraient avoir foi dans les paroles de vérité prononcées par l’Ainsi-Venu de l’illumination parfaite et de la rétribution complète, qui incarne le principe de la Voie du Milieu, réalité ultime de toutes choses.
« De plus, dans le premier volume des Annotations sur La Grande Concentration et Pénétration, le Grand Maître Miaole commente cette situation ainsi : “Les gens d’aujourd’hui traitent avec mépris les enseignements des sūtras et ne s’attachent qu’à la contemplation de la vérité, mais ils commettent une grande, une bien grande erreur !”
« Ce propos s’applique à ceux qui, dans le monde d’aujourd’hui, donnent la priorité à la méditation sur l’esprit et à diverses autres choses, mais qui n’explorent ni n’étudient les enseignements des sūtras. Au contraire, ils méprisent leurs enseignements et en font peu de cas. Ce passage dit qu’il s’agit d’une erreur.
« De plus, il me faut signaler que les adeptes du Zen à notre époque sont dans la confusion quant aux enseignements de leur propre école. Si nous ouvrons les pages des Biographies détaillées des moines éminents, nous découvrons que, dans la biographie du Grand Maître Bodhidharma, premier patriarche du Zen [en Chine], il est dit : “Par le moyen des enseignements, on peut comprendre la signification essentielle.” On devrait donc étudier et pratiquer les principes contenus dans les enseignements prêchés par l’Ainsi-Venu tout au long de sa vie et obtenir ainsi une compréhension de la 120substance des diverses doctrines et de la nature des différentes écoles.
« De plus, dans la biographie du disciple de Bodhidharma, Huike, deuxième des six patriarches chinois, il est dit que le maître de la méditation Bodhidharma remit les quatre volumes du Lankavatara-sūtra à Huike en disant : “Quand j’observe la Chine, je trouve que ce sūtra est le seul qui ait une valeur véritable. Si tu fondes sur lui ta pratique, tu pourras apporter le salut au monde.” Nous voyons là que, quand le Grand Maître Bodhidharma se rendit d’Inde en Chine, il apporta les quatre volumes du Lankavatara-sūtra qu’il remit à Huike en disant : “Quand j’observe la situation de ce pays, je vois que ce sūtra est d’une supériorité exceptionnelle. Tu devrais l’adopter et le mettre en pratique pour devenir bouddha.”
« Comme nous venons de le voir, ces maîtres-patriarches accordaient la plus grande importance aux textes des sūtras. Mais, si nous admettons qu’il faut s’appuyer sur les sūtras, il faut se soucier de savoir si ces sūtras appartiennent au Mahayana ou au Hinayana, s’il s’agit d’enseignements provisoires ou de l’enseignement véritable.
« À propos de l’usage des sūtras, l’école Zen s’appuie sur des œuvres telles que le Lankavatara-sūtra, le Shuramgama-sūtra et le Sūtra de la perfection de sagesse de diamant. Ces sūtras sont tous des enseignements provisoires prêchés avant le Sūtra du Lotus, des doctrines qui dissimulent donc la vérité [ultime].
« Ces divers sūtras exposent des vérités partielles telles que “l’esprit n’est autre que le Bouddha, le Bouddha n’est autre que l’esprit”. Les disciples du Zen se sont laissés égarer par une ou deux phrases ou formules de ce genre, en omettant de se demander si elles représentent le Mahayana ou le Hinayana, les enseignements provisoires ou l’enseignement véritable, les doctrines qui révèlent la vérité [ultime] ou celles qui la dissimulent. Ils ne font que mettre en avant le principe de non-dualité sans comprendre le principe de dualité80, et commettent un acte de grande arrogance, en se proclamant égaux au Bouddha. Ils marchent sur les traces du Brahmane-à-la-Grande-Arrogance de l’Inde et imitent les manières anciennes du maître de la méditation Sanjie, de Chine. Mais n’oublions pas que le Brahmane-à-la-Grande-Arrogance tomba encore vivant dans l’Enfer aux souffrances incessantes et que Sanjie, après sa mort, se transforma en un énorme serpent. C’est vraiment effrayant, vraiment effrayant !
« Grâce à sa compréhension qui avait pénétré les trois phases de l’existence, le bouddha Shakyamuni, à la lumière de la lune de la claire sagesse de l’illumination parfaite et de la rétribution totale, scruta l’avenir et, dans le Sūtra sur la résolution des doutes concernant l’époque de la Loi formelle, fit cette prédiction : “Parmi les mauvais moines, certains pratiqueront la méditation et, plutôt que de s’appuyer sur les sūtras et les traités, ils ne tiendront compte que de leur propre vision des choses, en déclarant faux ce qui est juste. Incapables de faire la distinction entre ce qui est correct et ce qui est erroné, ils se contenteront de s’adresser aux moines et croyants laïcs et déclareront en substance : ‘Je comprends ce qui est juste, je vois ce qui est juste.’ Comprenez bien que ce sont des personnes de ce genre qui en un rien de temps détruiront mes enseignements.”
« Ce passage dit qu’il y aura de mauvais moines qui mettront toute leur foi dans le Zen et n’exploreront ni les sūtras ni les traités. Ils s’appuieront sur des visions faussées et ne feront pas la distinction entre ce qui est juste et ce qui est erroné. De plus, ils s’adresseront aux croyants laïcs hommes et femmes, moines et nonnes, en déclarant : “Je peux comprendre les doctrines mais les autres en sont incapables”, œuvrant ainsi à propager les enseignements du Zen. Mais sachez que ces gens détruiront 121l’enseignement correct du Bouddha. Si nous examinons ce passage et observons l’état du monde aujourd’hui, nous voyons que tous deux s’accordent aussi parfaitement que les deux moitiés d’une même latte de bois. Prenez garde ! Il y a là quelque chose de redoutable.
« Vous avez parlé plus tôt des vingt-huit patriarches de l’Inde qui ont transmis oralement cette doctrine du Zen, mais sur quelle preuve fondez-vous cette déclaration ? Tous les textes que j’ai lus parlent de vingt-quatre ou, dans certains cas, de vingt-trois personnes qui ont transmis les enseignements du Bouddha. Dans quelle traduction établit-on le nombre de patriarches à vingt-huit ? Je n’ai jamais vu cela nulle part. Cette question des personnes impliquées dans la lignée de transmission des enseignements du Bouddha ne peut faire l’objet d’une écriture purement arbitraire. L’Ainsi-Venu lui-même indiqua précisément ce que serait la lignée de transmission.
« Ainsi, il est dit dans Histoire des successeurs du Bouddha : “Il y aura un moine du nom d’Aryasimha vivant dans le royaume du Cachemire, qui accomplira l’œuvre du Bouddha. À cette époque, le royaume sera gouverné par le roi Mirakutsu81, un homme totalement dominé par les visions erronées et qui n’aura aucune ferveur religieuse ni foi dans le cœur. Dans tout le royaume du Cachemire, il détruira temples bouddhiques et stupas et fera massacrer les moines. Il prendra une épée acérée et s’en servira pour décapiter Aryasimha. Mais du cou [tranché] ne jaillira pas de sang ; seul du lait se mettra à couler. C’est ainsi que sera brisée la lignée des personnes transmettant la Loi.”
« Revenons sur ce passage : le Bouddha prédit que, après son entrée dans le nirvana, vingt-quatre personnes se succéderont pour transmettre ses enseignements. Parmi celles-ci, le dernier à poursuivre la transmission sera un moine nommé Aryasimha, qui propagera les enseignements du Bouddha dans tout le royaume du Cachemire. Le souverain de cet État sera un roi nommé Dammira. Il s’agira d’une personne aux visions erronées et aux manières débauchées qui n’aura aucune foi dans les enseignements bouddhiques, ni aucun respect pour les moines. Il détruira temples et stupas bouddhiques et se servira d’une épée pour décapiter les moines. Et, quand il tranchera la gorge du moine Aryasimha, seul en jaillira du lait, et non du sang. Le Bouddha déclare qu’à ce moment-là la lignée des personnes transmettant ses enseignements sera brisée.
« Ce qui se produisit effectivement ne différa en rien des prédictions du Bouddha ; le vénérable Aryasimha eut bel et bien la tête coupée. Et, au moment où sa tête tomba à terre, le bras du roi fit de même.
« C’est une grossière erreur que de parler de vingt-huit patriarches. Là commencent les erreurs de l’école Zen. Si Huineng énumère vingt-huit patriarches dans son Sūtra de l’estrade, c’est que, après avoir décrété que Bodhidharma était le premier patriarche de l’école Zen, il découvrit que trop d’années séparaient l’époque d’Aryasimha de celle de Bodhidharma. Il inséra alors arbitrairement le nom de trois maîtres Zen pour combler l’intervalle de façon à faire croire que la Loi s’était transmise d’Inde en Chine sans rupture ni irrégularité dans la lignée de transmission. C’était là une pure invention destinée à rendre les enseignements Zen respectables aux yeux des gens.
« Cette supercherie fut conçue il y a longtemps en Chine. Ainsi, il est dit dans le onzième volume du Supplément aux trois œuvres majeures de Tiantai : “Dans notre école [Tiantai], nous reconnaissons une transmission à travers vingt-trois patriarches. Comment pourrait-il y avoir la moindre erreur dans cette façon de voir ? Nous ne trouvons aucune source traduite pour accréditer l’affirmation qu’il y aurait 122eu vingt-huit patriarches. Récemment, des moines Zen ont même produit des pierres gravées et des gravures sur bois, chacune avec une formule sacrée, représentant les sept bouddhas et les vingt-huit patriarches, pour les transmettre à leurs disciples. Hélas ! Comment peut-on concevoir des faux aussi flagrants ? S’il existe des personnes lucides dotées d’un quelconque pouvoir, elles devraient faire tout leur possible pour corriger de tels abus.”
« Selon ce texte, prétendre que la transmission a été assurée par une lignée de vingt-huit patriarches et présenter des pierres gravées et des gravures sur bois pour attester cette lignée de transmission est une entreprise hautement erronée et tous ceux qui en ont conscience devraient s’employer à corriger de telles erreurs. C’est pourquoi je dis que le Zen des patriarches est une grave supercherie.
« Vous avez précédemment cité un passage du Sūtra de la réponse du Bouddha aux questions du grand roi céleste Brahma pour soutenir que le Zen est “une transmission séparée en dehors des sūtras”. Mais, en citant un passage de sūtra, vous vous contredisiez déjà vous-même. De plus, ce sūtra fait partie des enseignements provisoires et, qui plus est, il n’est cité ni dans le Répertoire du canon bouddhique de l’ère Kaiyuan, ni dans le Répertoire du canon bouddhique de l’ère Zhenyuan. Nous voyons donc que c’est une œuvre non mentionnée dans ce répertoire et que c’est par ailleurs des enseignements provisoires. C’est pourquoi les érudits d’aujourd’hui ne s’y réfèrent pas ; il ne peut être utilisé pour prouver quoi que ce soit.
« Venons-en maintenant au Sūtra du Lotus et voyons quels groupes en bénéficièrent lorsqu’il fut enseigné. Quand dans l’enseignement théorique fut exposée la doctrine des cent mondes et des mille facteurs ou des trois mille mondes en un instant de vie, les personnes des deux véhicules, qui avaient été comparées à des graines pourries, virent germer en eux les graines de la bouddhéité. Dans les quarante-deux années de l’enseignement du Bouddha qui avaient précédé, ces personnes avaient été condamnées comme étant à jamais incapables d’atteindre la bouddhéité. Dans tous les rassemblements et dans toutes les assemblées, elles n’eurent droit qu’à des malédictions et à des calomnies, et tous les êtres des mondes humain et céleste les fuyaient, si bien qu’elles semblaient destinées à mourir de faim. Mais, quand le Sūtra du Lotus fut enseigné, il fut prédit que Shariputra deviendrait l’Ainsi-Venu Éclat-Fleuri, que Maudgalyayana deviendrait Parfum-de-Bois-de-Santal, qu’Ananda deviendrait Montagne-Océan-de-Sagesse-Souverain-au-Pouvoir-Illimité, que Rahula deviendrait l’Ainsi-Venu Foulant-les-Fleurs-aux-Sept-Trésors, que les cinq cents arhat deviendraient les Ainsi-Venus Clarté-Universelle et que les deux mille auditeurs deviendraient les Ainsi-Venus Enseigne-de-Signe-Joyau. Et le jour où fut révélée la durée de la vie du Bouddha depuis le moment où il atteignit l’illumination dans le très lointain passé, les bodhisattvas aussi innombrables que les particules de poussière progressèrent dans leur compréhension de la Voie, rejetèrent les illusions qu’ils conservaient encore, et atteignirent la dernière étape avant l’illumination suprême.
« Si nous examinons maintenant le commentaire du Grand Maître Tiantai, nous lisons : “Les autres sūtras nous disent que si les bodhisattvas peuvent devenir bouddhas, les personnes des deux véhicules, en revanche, n’y parviendront jamais. Les personnes de bien peuvent aussi, nous dit-on, devenir bouddhas, mais il n’est indiqué nulle part que les personnes mauvaises en soient capables. Il est dit que les hommes peuvent devenir bouddhas mais les femmes sont considérées comme des messagers de l’enfer. Les êtres humains et célestes peuvent atteindre la bouddhéité mais il n’est dit nulle part que les animaux en soient capables. Et pourtant, il est 123déclaré dans ce Sūtra que tous les êtres peuvent atteindre la bouddhéité82.”
« C’est vraiment merveilleux ! Bien que nous soyons nés dans le monde impur de la Fin de la Loi, nous n’avons commis ni les cinq, ni les trois transgressions capitales83 comme Devadatta. Et pourtant il a été prédit que même Devadatta deviendrait finalement l’Ainsi-Venu Souverain-Céleste, alors il doit être d’autant plus possible pour des personnes comme nous qui n’avons pas commis de telles transgressions d’atteindre la bouddhéité ! Et la fille du roi-dragon, âgée de huit ans, sans changer sa forme reptilienne, obtint le fruit merveilleux de la bouddhéité dans le royaume du Sud84. Il est donc d’autant plus vraisemblable que les femmes nées dans le monde humain puissent y parvenir.
« Rien n’est plus difficile que de naître sous forme humaine et il est extrêmement rare de rencontrer l’enseignement correct. Alors, si vous voulez vous défaire rapidement des croyances erronées pour adhérer à ce qui est correct, transformer votre statut d’homme du commun pour atteindre celui de la bouddhéité, vous devriez abandonner le Nembutsu, le Shingon, le Zen et le Ritsu et adopter ce merveilleux texte du Véhicule Unique85. Ainsi, vous pourrez sans aucun doute secouer la poussière et les souillures de l’illusion et de l’impureté et vous manifester comme la pure concrétisation de l’illumination. »
L’ignorant dit alors : « En écoutant les enseignements et les remontrances d’un sage tel que vous, je découvre que les erreurs dans lesquelles je suis tombé récemment se sont soudain toutes dissipées. C’est comme si la sagesse innée s’était éveillée en moi. Quand ce qui est juste et faux apparaît avec autant de clarté, qui pourrait ne pas avoir la foi ?
« Et pourtant, quand je regarde le monde autour de moi, je découvre que, depuis le souverain suprême jusqu’aux gens du commun, tous ont une profonde confiance dans les écoles du Nembutsu, du Shingon, du Zen et du Ritsu. Puisque je suis né en ce pays, comment pourrais-je aller à l’encontre de l’exemple donné par le souverain ? De plus, mes parents et mes ancêtres ont tous eu foi dans les principes du Nembutsu et d’autres enseignements, et c’est avec cette foi qu’ils achevèrent leur vie et s’évanouirent dans les nuages de l’autre monde.
« Certes, ici au Japon, on trouve quantité de gens de toutes sortes, de position éminente aussi bien que modeste. Cependant, ceux qui adhèrent aux enseignements provisoires et aux écoles qui se fondent sur eux sont nombreux, mais je n’ai encore jamais entendu le nom d’une seule personne ayant foi dans les enseignements que vous exposez. Alors, en laissant de côté la question de savoir quels sont les enseignements qui nous mèneront aux bons ou aux mauvais lieux dans la vie prochaine, et sans tenter d’établir quels enseignements sont justes et faux, nous découvrons que les cinq ou sept mille volumes des écrits bouddhiques et les trois mille volumes ou plus des écrits confucéens et des écrits du Dao soulignent tous l’importance d’obéir aux ordres du souverain et de se conformer aux vœux de nos parents.
« En Inde, Shakyamuni, seigneur des enseignements, exposa le principe de la conduite filiale et celui de s’acquitter de ses obligations, et, en Chine, Confucius établit la manière de servir loyalement son souverain et d’honorer ses parents comme tout enfant le devrait. Les personnes déterminées à s’acquitter de leur dette de reconnaissance envers leurs maîtres ne devraient pas hésiter à s’amputer d’une partie de leur chair ni à sacrifier leur corps [pour cela]. Parmi ceux qui avaient pleinement conscience de la dette de gratitude contractée à l’égard de leur seigneur, [on peut citer] Hong Yan qui s’ouvrit le ventre, et Yu Rang qui s’empala sur son épée. Et, parmi ceux qui avaient pleinement conscience de leurs obligations envers leurs parents, citons Ding Lan qui 124représenta sa mère défunte sous forme d’une sculpture en bois et Han Boyu qui pleura [en réalisant combien sa mère âgée était devenue faible] quand elle le frappa avec son bâton. Même si les enseignements bouddhiques, les enseignements non bouddhiques de l’Inde et les enseignements confucéens ainsi que ceux du Dao diffèrent par leurs doctrines, ils enseignent tous à s’acquitter des dettes envers ceux qui nous ont rendu service et à adresser des remerciements pour les faveurs reçues.
« Ainsi, si je devais être le premier à avoir foi en une doctrine à laquelle ne croient ni mon souverain, ni mon maître, ni mes parents, je serais sûrement coupable de la faute de m’être retourné contre eux, n’est-ce pas ? Par ailleurs, les passages de sūtras que vous avez cités clarifient parfaitement la justesse de cette doctrine et tous mes doutes à son sujet ont été dissipés. Et si je ne me prépare pas pour la vie à venir, alors dans mon existence prochaine je serai plongé dans la souffrance. Que j’essaie d’aller de l’avant ou que je batte en retraite, ma voie est assaillie de difficultés. Que dois-je faire ? »
Le sage répondit : « Vous comprenez cette doctrine et pourtant vous parlez ainsi. Ne comprenez-vous pas la logique des choses ? Ou est-ce simplement au-delà de vos capacités de compréhension ?
« Dès l’instant où j’ai entrepris d’étudier la Loi léguée par le bouddha Shakyamuni et où je me suis lancé dans la pratique des enseignements bouddhiques, j’ai toujours cru que le plus important était de comprendre nos obligations envers les autres et je me suis fait un devoir de m’acquitter de ces dettes. En ce monde, nous avons quatre dettes de reconnaissance. Celui qui le comprend mérite d’être qualifié d’humain alors que celui qui ne le comprend pas n’est rien d’autre qu’un animal.
« Souhaitant aider mon père et ma mère à accéder à une vie meilleure dans leur existence prochaine et m’acquitter de la dette contractée envers mon pays, je veux offrir ma vie, pour la seule et unique raison que je sais ce que je leur dois.
« J’aimerais maintenant vous demander de fermer les yeux, d’apaiser votre esprit et de vous appliquer à réfléchir logiquement. Si, alors que nous connaissons la meilleure voie, nous voyons nos parents ou notre souverain prendre une voie mauvaise, pouvons-nous ne pas les réprimander ? Si un insensé, rendu fou par le vin, s’apprête à boire du poison, pouvons-nous, sachant cela, ne pas tenter de l’arrêter ? De la même façon, si nous comprenons la justesse des enseignements bouddhiques et que nous connaissons les souffrances du feu, du sang et des épées, pouvons-nous ne pas nous affliger de voir quelqu’un envers qui nous avons une dette de reconnaissance sur le point de tomber dans les mauvaises voies ? Nous devrions plutôt sacrifier notre corps et offrir notre vie pour tenter de sauver une telle personne. Il faudrait ne jamais se lasser de la réprimander, mais il ne devrait pas y avoir non plus de limite à notre peine.
« Les souffrances que nous voyons en ce monde sont bien tristes. Celles que nous rencontrerons sur la longue route de la mort le seront plus encore. Comment ne pas éprouver de chagrin en pensant à cela ? La prochaine vie devrait nous inspirer une frayeur sans limite ; l’existence à venir devrait nous préoccuper plus que tout.
« Et cependant vous dites que, sans rechercher ce qui est juste et faux, vous suivrez les ordres de vos parents ; sans tenter de déterminer ce qui est correct et erroné, vous obéirez aux paroles de votre souverain. Pour un insensé, une telle conduite peut passer pour de la loyauté et de la piété filiale mais, au regard d’un sage, il ne peut y avoir de plus grande déloyauté ni de plus grave manquement à la piété filiale.
« Le bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, était un descendant des rois-qui-font-tourner-la-roue, le petit-fils du roi Simhahanu et l’héritier du roi 125Shuddhodana, et il aurait dû légitimement devenir un grand souverain des cinq régions de l’Inde. Mais il s’éveilla à la vérité de l’impermanence de la vie et en vint à détester ce monde, en quête d’une voie pour échapper à ce royaume de souffrance et parvenir à la délivrance. Le roi Shuddhodana en fut attristé et, afin de détourner le prince de son intention, il s’arrangea pour lui présenter les quatre saisons dans ce qu’elles ont de plus beau, et cela dans les quatre directions.
« D’abord, à l’est, lorsqu’une trouée se fit dans les traînées de brume, il lui montra les oies sauvages, criaillant, en repartant vers le nord ; les pruniers en fleurs près de la fenêtre, dont le parfum flottait à travers les stores perlés ; les nuances ravissantes des fleurs ; les appels innombrables des rossignols dans les taillis ; et les autres images du printemps.
« Au sud, il lui montra l’éclat cristallin des fontaines, les fleurs de deutzia s’épanouissant au bord des ruisseaux d’eau claire, les coucous de la forêt de Shinoda86, et les autres signes de l’été.
« À l’ouest, les feuilles rouges de l’automne se mêlaient au feuillage toujours vert pour tisser un motif de brocart, la brise agitait doucement les roseaux, ou des vents d’orage s’engouffraient violemment à travers les pins. Et, comme pour rappeler le départ de l’été, des lucioles luisaient près des marécages, si nombreuses qu’on aurait pu les prendre par mégarde pour les étoiles dans les cieux, et le chant incessant des grillons dans les pins et les fleurs mettait les larmes aux yeux.
« Et au nord, sans qu’on ait eu le temps de s’y préparer, on découvrait la teinte mélancolique des champs flétris, le bord des étangs prisonniers de la glace, et le son triste des ruisselets dans la vallée.
« Non content d’essayer de consoler son fils en lui présentant le monde de cette façon, le roi chargea aussi cinq cents soldats de garder chacune des quatre portes du palais. Mais finalement, lorsque le prince eut dix-neuf ans, à minuit, le huitième jour du deuxième mois, il appela son palefrenier, Chandaka, lui ordonna de seller son cheval, Kanthaka, et quitta la ville de Gaya.
« Il se rendit au mont Dandaka où, douze années durant, il ramassa du bois pour faire du feu sur les hautes pentes, tira de l’eau des profondes vallées, et s’adonna à diverses austérités et pratiques difficiles. À l’âge de trente ans, il obtint le fruit merveilleux de l’illumination, devenant la seule personne digne d’honneur dans le monde des trois plans et le seigneur de tous les enseignements qu’il exposa durant sa vie. Il apporta le salut à son père et à sa mère et ouvrit la voie à tous les êtres vivants. Peut-on dire d’un tel homme qu’il manqua de piété filiale ?
« Ce sont les quatre-vingt-quinze écoles des doctrines non bouddhiques de l’Inde qui accusèrent le Bouddha de manquer de piété filiale. Mais, en désobéissant aux ordres de ses parents pour entrer dans le domaine de l’inconditionné, il put, au contraire, les conduire au salut, démontrant ainsi qu’il était en fait un modèle de piété filiale.
« Le roi Merveilleux-Ornement, père de Pure-Resserre et Pure-Vision, adhéra aux enseignements non bouddhiques et tourna le dos aux enseignements du Bouddha. Ses deux fils et héritiers désobéirent aux ordres de leur père et devinrent disciples du bouddha Sagesse-Fleur-Souveraine-Constellation-Son-Tonnant-des-Nuées, mais finalement ils purent guider leur père jusqu’à ce qu’il devienne un bouddha appelé Roi-Arbre-Sala87. Qui pourrait dire, alors, que ces fils manquaient de piété filiale ?
« On lit dans un passage de sūtra : “En renonçant à nos obligations pour entrer sur la Voie du Bouddha, nous pouvons vraiment nous acquitter pleinement desdites obligations88.” Ainsi, celui qui se défait de tous ces liens de reconnaissance et de piété 126filiale en cette vie pour entrer dans la véritable Voie du Bouddha comprend vraiment le sens des obligations.
« De plus, je connais bien plus que vous la profondeur de nos obligations envers notre souverain. Si vous souhaitez vraiment montrer que vous avez conscience de votre dette de reconnaissance, alors vous devriez du fond du cœur réprimander le souverain et le conseiller énergiquement. Suivre ses ordres, alors même qu’ils vont à l’encontre de ce qui est correct, est l’acte d’un parfait flatteur et le comble de la déloyauté.
« Le roi Zhou de la dynastie des Yin fut un mauvais dirigeant, et Bi Gan fut son loyal ministre. Quand Bi Gan vit que le roi gouvernait le pays à l’encontre de toute justice, il le réprimanda vigoureusement. Cela lui valut d’être éventré mais, après sa mort, le roi Zhou fut détrôné par le roi des Zhou. Et, de nos jours encore, Bi Gan est connu comme un ministre loyal et le roi Zhou comme un mauvais dirigeant.
« Quand Guan Longfeng adressa des remontrances à son souverain, le roi Xie de la dynastie des Xia, il fut décapité. Mais le roi Xie finit par passer pour un mauvais dirigeant et Guan Longfeng pour un ministre loyal. On nous enseigne que, si l’on adresse des remontrances à notre souverain à trois reprises sans qu’il en soit tenu compte, il faut alors se retirer dans les forêts de montagne89. Comment alors rester silencieux quand le dirigeant commet de mauvais actes sous vos propres yeux ?
« J’ai réuni quelques exemples de personnages émérites des temps anciens qui se sont en effet retirés du monde pour résider dans les forêts de montagne. Ouvrez vos oreilles obstinées et écoutez-moi bien ! Sous la dynastie des Yin, Taigongwang se cacha dans la vallée de Boqi ; sous la dynastie des Zhou, Bo Yi et Shu Qi se retirèrent sur le mont Shouyang ; Qi Lili90, de la dynastie des Qin, se retira au mont Shang ; Yan Guang91, de la dynastie des Han, vécut dans une hutte isolée ; et Jie Zisui, de l’État de Jin, se retira sur le mont Mianshang. Devons-nous taxer ces hommes de déloyauté ? Il faudrait être insensé. Si vous comprenez ce que c’est qu’être loyal, vous adresserez des remontrances à votre souverain et, si vous voulez faire preuve de piété filiale, vous devez vous exprimer.
« Vous avez dit précédemment que les adeptes des enseignements provisoires et des écoles qui leur sont liées sont très nombreux, alors que ceux qui adhèrent à l’école que je préconise sont rares et vous vous demandez pourquoi il faudrait abandonner les enseignements soutenus par la multitude pour adopter ceux d’un petit nombre. Mais la multitude n’est pas nécessairement digne d’honneur pas plus que le petit nombre ne mérite [nécessairement] le mépris.
« En fait, les personnes sages et bonnes sont rares alors que les insensés et les personnes mauvaises sont nombreux. Le qilin est le meilleur des animaux et le phénix le meilleur des oiseaux, mais ils sont cependant fort rares. En revanche, vaches et moutons, corbeaux et pigeons sont parmi les créatures les plus basses et les plus ordinaires, et sont pourtant extrêmement nombreux. Si la multitude est toujours digne et le petit nombre méprisable, faut-il alors rejeter le qilin au profit des vaches et des moutons, ou laisser le phénix et choisir à la place corbeaux et pigeons ?
« Le joyau mani et le diamant sont les plus merveilleuses de toutes les pierres précieuses. Ces joyaux sont rares alors qu’éclats et cailloux, mottes de terre et pierres ordinaires sont les plus inutiles de tous les objets et pourtant ils abondent. Si l’on suit votre conseil, faut-il alors rejeter les pierres précieuses pour se contenter de débris et d’éclats ? Ce serait vraiment pitoyable et absurde !
« Les souverains sages sont rares, n’apparaissant qu’une fois tous les mille ans et les ministres vertueux tous les cinq cents ans. Le joyau mani est si rare que nous ne le 127connaissons que de nom. Et qui, au fait, a déjà réellement aperçu un qilin ou un phénix ? Dans les domaines séculier aussi bien que religieux, chacun peut voir qu’à l’évidence les personnes de bien sont rares et les personnes mauvaises nombreuses. Pourquoi, alors, tenez-vous tant à mépriser le petit nombre pour soutenir la multitude ? Les grains de poussière et de sable abondent mais les grains de riz et autres sont rares. L’écorce d’arbre existe en quantité, mais il est difficile de se procurer du chanvre et des soieries. Vous devez faire passer la vérité des enseignements avant toute autre considération ; il ne faut sûrement pas fonder votre jugement sur le nombre des adhérents. »
Sur ce, l’ignorant retira sa natte en signe de respect, rajusta ses manches et dit : « J’ai bien entendu les principes des enseignements que vous venez d’énoncer. Il est vrai qu’il est plus difficile de naître en tant qu’être humain que d’enfiler, depuis le ciel, un fil dans le chas d’une aiguille placée au fond de la mer, et il est plus rare pour un être humain d’entendre la Loi du Bouddha que pour une tortue borgne de trouver [à la surface de l’océan] un morceau de bois flottant [qui aurait un creux parfaitement adapté à sa taille]. Or, j’ai déjà obtenu de naître dans le monde humain, chose bien difficile, et j’ai eu le privilège d’entendre les enseignements bouddhiques, qu’il est si rare de rencontrer. Si je passais ma vie présente dans l’oisiveté, alors, dans quelle vie future pourrais-je me libérer du cycle des naissances et des morts pour atteindre l’illumination ?
« Bien que, sur la durée d’un kalpa, les os laissés derrière moi au cours de mes existences successives pourraient, si on les empilait, s’élever plus haut qu’une montagne, jusqu’à ce jour je n’ai pas encore sacrifié un seul os pour la Loi du Bouddha. Et bien que, dans le cours de ces nombreuses vies, j’ai versé plus de larmes sur les êtres aimés ou envers qui je suis redevable qu’il n’y a d’eau dans la mer, je n’ai jamais versé une seule larme pour le compte de mes existences à venir. Je suis le plus idiot des idiots, un véritable insensé parmi les insensés. Qu’importe si je dois renoncer à la vie et détruire ce corps qui est le mien, je suis déterminé à faire peu de cas de mon existence pour entrer sur la voie des enseignements du Bouddha, aider mon père et ma mère à parvenir à l’illumination et me sauver moi-même des chaînes de l’enfer. Veuillez m’enseigner précisément ce que je dois faire. En quoi consiste la pratique pour ceux qui croient au Sūtra du Lotus ? Parmi les cinq pratiques, à laquelle devrais-je d’abord me consacrer ? Veuillez, je vous prie, me transmettre au mieux vos précieux enseignements. »
Le sage répondit : « Un ami de la chambre des orchidées92 vous a imprégné de son parfum et vous vous êtes redressé comme l’armoise poussant dans un champ de chanvre93. En fait, l’arbre nu n’est pas vraiment nu ; quand vient le printemps, il se met à fleurir. Le champ desséché n’est pas vraiment desséché. Avec la venue de l’été, il retrouve fraîcheur et verdit de nouveau. Si vous vous êtes repenti de vos anciennes erreurs et êtes prêt à adhérer à la doctrine correcte, alors vous pourrez sans aucun doute nager dans les profondeurs calmes et paisibles [du nirvana] et résider tranquillement dans le palais de l’inconditionné.
« En propageant largement les enseignements bouddhiques pour apporter le salut à tous les êtres humains, il convient donc d’abord de prendre en compte l’enseignement, la capacité des gens, le moment, le pays et l’ordre de propagation. Je vais vous expliquer pourquoi. En ce qui concerne le moment, il y a les époques de la Loi correcte, de la Loi formelle et de la Fin de la Loi et, en matière d’enseignements, il y a les doctrines du Hinayana et du Mahayana. Quant aux pratiques à suivre, il s’agit du shōju et du shakubuku. C’est une erreur de pratiquer le shakubuku à une 128époque où c’est le shōju qui convient, et il est également erroné de pratiquer le shōju quand il convient d’accomplir le shakubuku. Il faut donc d’abord déterminer si notre époque est le moment du shōju ou le moment du shakubuku.
« Il faut pratiquer le shōju dans un pays où seul le Sūtra du Lotus a été propagé et où l’on ne trouve pas un seul maître égaré exposant des doctrines erronées. À un tel moment, on peut se retirer dans les forêts de montagne, se livrer à la méditation ou accomplir les cinq, six ou dix pratiques94. Mais le moment du shakubuku est bien différent. C’est un moment où beaucoup de sūtras et d’enseignements jaillissent ici et là comme autant d’orchidées et de chrysanthèmes, où les diverses écoles disposent de nombreux adeptes et jouissent d’une certaine renommée, où vérité et erreur se côtoient et où Mahayana et Hinayana se disputent la première place. En un pareil moment, il faut rejeter toute autre préoccupation et consacrer toute son attention à réfuter les calomnies à l’encontre de l’enseignement correct. Telle est la pratique du shakubuku.
« Si, faute de comprendre ce principe, on devait pratiquer le shōju ou le shakubuku à un moment inapproprié, alors non seulement on ne pourrait pas atteindre la bouddhéité mais on tomberait dans les mauvaises voies. C’est là un fait fermement établi dans le Sūtra du Lotus et dans le Sūtra du Nirvana, et clairement énoncé dans les commentaires de Tiantai et de Miaole. Il s’agit bien là d’un principe important de la pratique bouddhique.
« Nous pouvons comparer ces deux sortes de pratique aux deux méthodes, civile et militaire, utilisées pour gouverner un pays. Il est des moments où la priorité doit être accordée aux mesures militaires et des moments où il faut mettre l’accent sur les mesures civiles. Quand le monde est en paix et que le calme prévaut au sein d’un pays, alors il faut accorder la priorité aux mesures civiles. Mais quand les tribus barbares de l’est, du sud, de l’ouest et du nord, enflammées par une ambition démesurée, s’élèvent comme des frelons, alors la priorité revient aux mesures militaires.
« Tout en saisissant bien l’importance des arts civils et militaires, si, faute de saisir quel est le moment, nous revêtons une armure et prenons les armes quand tous les pays sont calmes et paisibles et qu’il n’y a de trouble nulle part en ce monde, alors nous agissons de manière incorrecte. De la même façon, celui qui, laissant ses armes sur le champ de bataille alors que les ennemis marchent contre son souverain, saisit un pinceau de calligraphie et une pierre à encre, n’agit pas davantage en accord avec le moment.
« Il en est de même des méthodes du shōju et du shakubuku. Quand seul l’enseignement correct est propagé et qu’il n’y a ni doctrine erronée ni maître égaré, alors on peut entrer dans de profondes vallées pour vivre dans le calme et la satisfaction, en consacrant son temps à réciter et à copier le Sūtra et à pratiquer la méditation. Cela revient à prendre un pinceau de calligraphie et une pierre à encre quand le monde est en paix. Mais quand il y a, dans le pays, des écoles provisoires ou des calomniateurs de l’enseignement correct, alors c’est le moment de mettre tout le reste de côté pour se consacrer à réfuter les calomnies. Cela revient à prendre les armes sur le champ de bataille.
« C’est pourquoi, dans son commentaire sur le Sūtra du Nirvana, le Grand Maître Zhangan déclare : “Dans les temps passés, l’époque était paisible et la Loi se propageait dans tout le pays. Il convenait alors d’observer les préceptes et de ne pas porter de bâton. Mais nous vivons aujourd’hui une époque dangereuse où la Loi est obscurcie. Il convient donc de porter des bâtons et de ne pas se préoccuper des préceptes. Si le passé comme le présent étaient des époques dangereuses, alors il conviendrait dans l’un et l’autre cas de 129porter des bâtons. Et, si le passé comme le présent étaient des époques paisibles, alors il conviendrait dans l’un et l’autre cas d’observer les préceptes. Vous devez adapter votre choix sans jamais vous attacher seulement à l’une ou à l’autre [méthode].” Le sens de ce passage de commentaire est d’une grande clarté.
« Dans le passé, le monde était honnête, les gens intègres, et il n’y avait ni doctrines ni enseignements erronés. On pouvait donc se comporter dignement et accomplir ses pratiques religieuses de manière paisible et harmonieuse. On n’avait ni besoin de prendre des bâtons et de réprimander les autres, ni occasion d’attaquer les enseignements erronés.
« Mais nous vivons dans une époque souillée. Comme les gens ont un esprit faussé et retors et que l’on ne trouve partout qu’enseignements provisoires et calomnies, l’enseignement correct ne peut prévaloir. Dans un tel moment, il est inutile de pratiquer la lecture, la récitation ou la copie [du Sūtra du Lotus] ou de se consacrer aux méthodes et pratiques de méditation. Il ne faut utiliser qu’une méthode de propagation, le shakubuku, et, si on le peut, il faut user de notre influence et de notre autorité pour détruire la calomnie contre l’enseignement correct et nous servir de notre connaissance des enseignements pour réfuter les doctrines erronées.
« Il est donc dit qu’il faut adapter notre choix et ne jamais s’attacher seulement à l’une ou à l’autre [méthode]. Il faut observer le monde d’aujourd’hui et se demander si nous vivons dans un pays où seule prévaut la doctrine correcte ou dans un pays où prospèrent les doctrines erronées.
« À ce sujet, notons que Hōnen, de l’école de la Terre pure, a dit qu’il fallait “rejeter, fermer, écarter et abandonner” le Sūtra du Lotus en faveur du Nembutsu. Et, dans ses écrits, Shandao qualifie le Sūtra du Lotus de “pratique mélangée” et affirme que “pas même une personne sur mille” ne peut être sauvée, ce qui signifie que, si mille personnes ont foi en lui, pas une n’atteindra l’illumination.
« Kōbō, de l’école Shingon, déclare dans ses écrits que le Sūtra du Lotus est même inférieur au Sūtra de la Guirlande de fleurs et se situe deux degrés au-dessous du Sūtra de Mahavairochana, et il le qualifie de “théorie puérile”. Shōgaku-bō, de la même école, déclare que le Sūtra du Lotus ne pourrait même pas servir de préposé aux sandales pour le Sūtra de Mahavairochana et que le bouddha Shakyamuni n’est pas digne de conduire les bœufs de l’Ainsi-Venu Mahavairochana.
« Les moines de l’école Zen dénigrent le Sūtra du Lotus en ne lui accordant pas plus de valeur qu’à un crachat, à un doigt pointé vers la lune, ou à un filet de doctrine dans lequel on ne peut que s’empêtrer. Les moines de l’école Ritsu, école du Hinayana, qualifient le Sūtra du Lotus d’enseignement erroné et le présentent comme le prêche du démon du ciel.
« De telles personnes ne sont-elles pas des calomniateurs de l’enseignement correct ? Nulle condamnation n’est trop sévère, nulle réprimande trop forte à leur égard. »
L’ignorant dit : « Dans les quelque soixante provinces du Japon, il existe toutes sortes de gens et une grande diversité de doctrines bouddhiques. Parmi les moines du Nembutsu, les maîtres du Shingon, et les pratiquants du Zen ou de l’école Ritsu, il est bien difficile de trouver une seule personne qui ne calomnie pas l’enseignement correct. Mais à quoi bon critiquer les autres ? Il me semble que ma tâche consiste simplement à nourrir dans mon cœur une foi profonde en considérant que les erreurs d’autrui ne sont pas mon affaire. »
Le sage répondit : « Ce que vous dites est bien vrai, et j’aurais tendance à partager votre opinion. Mais, en examinant les sūtras, nous découvrons qu’ils nous enseignent à donner notre vie [pour la Loi] 130avec générosité et ils affirment même que [nous devrions propager les enseignements du Bouddha] au prix de notre vie95. Ils tiennent ce langage parce que, si une personne, sans se préoccuper du regard des autres, propage sans hésiter les principes bouddhiques exactement comme ils sont énoncés dans les sūtras, alors, à une époque où nombreux sont ceux qui calomnient l’enseignement correct, les trois puissants ennemis ne manqueront pas d’apparaître et, dans bien des cas, lui ôteront la vie. Mais si, comme nous le disent les sūtras, nous constatons des déviations par rapport aux enseignements du Bouddha et ne les blâmons pas, ni ne faisons appel au souverain pour prendre des mesures à leur encontre, alors nous ne serons pas fidèles aux enseignements et serons indignes d’être considérés comme disciples du Bouddha.
« Il est dit dans le troisième volume du Sūtra du Nirvana : “Si même un bon moine voit quelqu’un détruire l’enseignement et n’en tient pas compte, ne lui adresse pas de reproche, ne le chasse pas, ou ne le punit pas pour sa faute, alors, vous devez réaliser que ce moine trahit l’enseignement du Bouddha. Mais s’il chasse celui qui détruit la Loi, lui adresse des reproches ou le punit, alors c’est mon disciple et un véritable auditeur.”
« Selon ce passage, si quelqu’un, déterminé à propager l’enseignement correct du Bouddha, entend et voit d’autres personnes exposer les enseignements des sūtras de manière erronée et ne leur adresse pas de reproche ou si, n’ayant pas le pouvoir de le faire, il ne fait pas appel au souverain et ne prend ainsi aucune mesure pour les corriger, alors il trahit l’enseignement du Bouddha. En revanche, si, en accord avec les sūtra, il ne craint pas les autres mais réprimande lui-même les calomniateurs et fait appel au souverain pour prendre des mesures contre eux, alors on peut le qualifier de disciple du Bouddha et de véritable moine.
« Déterminé à ne pas encourir l’accusation de “trahison à l’égard de l’enseignement du Bouddha”, même si cela devait me valoir la haine des autres, je me suis consacré au bouddha Shakyamuni et au Sūtra du Lotus, étendant ma compassion à tous les êtres vivants et m’opposant aux calomnies à l’encontre de l’enseignement correct. Ceux qui ne peuvent comprendre mon cœur ont pincé les lèvres et m’ont fixé de leurs yeux furieux. Mais si vous vous souciez réellement de votre existence future, vous devez attacher peu de prix à votre propre sécurité et faire passer la Loi par-dessus tout. Ainsi, le Grand Maître Zhangan déclare : “Pour finir, [un messager du roi préférerait], même si cela doit lui coûter la vie, ne dissimuler aucun des mots de son souverain96, ce qui signifie que notre corps est insignifiant alors que la Loi est suprême. On devrait donner sa vie afin de propager la Loi97.”
« Selon ce passage, il ne faut pas dissimuler l’enseignement correct, même si cela devait nous coûter la vie ; en effet, notre corps est insignifiant alors que la Loi est suprême. Nous devrions nous efforcer de propager la Loi même si notre corps devait être détruit.
« Qu’il est triste le sort qui est le nôtre selon lequel tout ce qui naît doit périr ! Il est certes possible d’atteindre un âge avancé, mais nul ne peut finalement échapper à l’impermanence. Dans ce monde qui est le nôtre, la vie dure au mieux une centaine d’années. À la réflexion, ce n’est qu’un rêve à l’intérieur d’un rêve. Même dans le ciel qui est au-delà de la pensée et de la non-pensée, là où la vie dure quatre-vingt mille ans, nul n’échappe à l’impermanence, et dans le ciel des trente-trois divinités également, bien qu’elle dure mille ans, la vie finit par être balayée par les vents du changement et de la déchéance. Combien plus triste alors est le sort des êtres humains vivant sur ce continent du Jambudvipa, car leur vie y est plus fugace que la rosée, plus 131fragile que la feuille de plantain, plus dépourvue de substance que bulles ou écume ! Pareils au reflet de la lune dans l’eau, nous ne savons pas vraiment s’il existe ou non ; comme la rosée sur l’herbe, nous pouvons disparaître à tout instant.
« De même, quiconque saisit ce principe devrait savoir qu’il est essentiel de réfléchir à l’existence à venir. À l’époque de la fin de la Loi au temps du bouddha Joie-Croissante, le moine Vertu-Accomplie propagea l’enseignement correct. D’innombrables moines, coupables d’enfreindre les préceptes, éprouvèrent un profond ressentiment à l’égard de ce pratiquant et l’attaquèrent, mais le souverain Détenteur-de-Vertu, déterminé à protéger l’enseignement correct, combattit ces détracteurs. Finalement, il perdit la vie et renaquit dans la terre du bouddha Akshobhya, où il devint le plus important disciple de ce dernier. De même, pour avoir honoré les enseignements du Mahayana et avoir puni les cinq cents brahmanes pour leur calomnie, le roi Sen’yo put atteindre le stade de non-régression. Comme il est rassurant que les personnes qui respectent les moines de l’enseignement correct et réprimandent ceux qui sont dans le mal et dans l’erreur reçoivent de tels bienfaits !
« Mais si, à notre époque, quelqu’un pratiquait le shōju [plutôt que le shakubuku], sans aucun doute, cette personne tomberait dans les mauvaises voies avec les calomniateurs de l’enseignement correct. Dans ses Quatre pratiques paisibles, le Grand Maître Nanyue déclare : “S’il se trouve un bodhisattva qui protège les personnes mauvaises et ne les corrige pas (...) alors, quand sa vie parviendra à son terme, il tombera en enfer avec ces personnes mauvaises.”
« Autrement dit, si un pratiquant de la Loi du Bouddha ne réprimande pas des personnes mauvaises qui calomnient la Loi, mais s’adonne entièrement à la méditation et à la contemplation sans tenter d’établir la distinction entre les doctrines correctes et incorrectes ou entre les enseignements provisoires et l’enseignement véritable, alors ce pratiquant, bien qu’il se présente comme un modèle de compassion, tombera dans les mauvaises voies avec les autres personnes vouées au mal. Une personne ne corrigeant pas les adeptes du Shingon, du Nembutsu, du Zen et de l’école Ritsu qui calomnient l’enseignement correct est donc appelée à rencontrer un tel destin, même si elle se présente comme un modèle de compassion. »
Sur ce, l’ignorant, le cœur résolu, prononça ces paroles : « Il ressort clairement des textes que vous avez cités qu’adresser des remontrances à son souverain et mettre sa famille sur la Voie correcte correspond à l’enseignement des personnalités émérites des temps anciens. C’est ce que soulignent tous les écrits non bouddhiques, et les écrits bouddhiques ne disent pas autre chose. Voir le mal et ne pas le réprimander, avoir conscience des calomnies et ne pas les combattre, c’est aller à l’encontre des mots des sūtras et désobéir aux patriarches bouddhistes. La sanction pour cette faute est extrêmement sévère et c’est pourquoi, à compter d’aujourd’hui, je me consacrerai à la foi.
« Mais il est vraiment difficile de mettre ce Sūtra du Lotus en pratique. S’il est un point essentiel à observer, pourriez-vous me l’expliquer ? »
Le sage répondit : « Je vois bien que votre quête de la Voie est très profonde et très sincère. Pour l’essentiel, afin d’atteindre la véritable Voie ou l’illumination, les bouddhas n’ont eu besoin que des cinq caractères de Myōhō-renge-kyō. C’est uniquement pour ces cinq caractères que le roi Suzudan abandonna son trône de pierres précieuses [afin d’atteindre la bouddhéité] et que la fille du roi-dragon transforma ses caractéristiques reptiliennes [en celles d’un bouddha]98.
« En y réfléchissant, nous découvrons qu’il est dit dans le Sūtra lui-même, à 132propos de la pratique à adopter, qu’un seul verset ou une seule phrase suffit et, en ce qui concerne la longueur de cette pratique [nécessaire pour atteindre l’illumination], il est dit aussi que celui qui se réjouit d’entendre [le Sūtra] même un instant [est assuré de devenir bouddha]. La totalité des quatre-vingt mille enseignements, dans toute leur amplitude, et l’ensemble des mots et des expressions des huit volumes furent exposés dans l’unique but de révéler ces cinq caractères. Quand le bouddha Shakyamuni, au milieu des nuages, au-dessus de la montagne sacrée, dans les brumes du pic de l’Aigle, résuma l’essence de la doctrine et la confia aux bodhisattvas sortis de la terre, en quoi consista alors, selon vous, la substance de son enseignement ? En rien de plus que ces cinq caractères [qui représentent] l’essence de la Loi.
« Les six mille feuilles99 de commentaires de Tiantai et de Miaole, tels des colliers de pierres précieuses, et les quelques rouleaux d’exégèse de Dao Sui et Xing Man, pareils à de l’or, ne dépassent pas le sens de cet enseignement. Si vous redoutez vraiment le cycle des naissances et des morts et aspirez au nirvana, si vous persévérez dans votre foi et recherchez avec ferveur la Voie, alors les souffrances du changement et de l’impermanence ne seront plus que le rêve d’hier et le réveil de l’illumination deviendra la réalité d’aujourd’hui. Si seulement vous récitez Nam-myōhō-renge-kyō, alors quelle faute ne serait pas éradiquée ? Quel bienfait pourrait ne pas apparaître ? Telle est la vérité et elle est d’une grande profondeur. Vous devriez la croire et l’accepter. »
L’ignorant, joignant les mains et s’inclinant avec respect, dit : « Vos paroles inestimables m’ont profondément ému, et votre enseignement m’a éveillé l’esprit. Et pourtant, en vertu du principe selon lequel le supérieur contient l’inférieur, il semblerait que le large doive aussi contenir l’étroit et la multitude le petit nombre. Or, à la réflexion, nous découvrons que ces cinq caractères que vous avez mentionnés sont peu nombreux alors que les mots du texte du Sūtra sont multiples, et que le Daimoku, ou titre, du Sūtra du Lotus, est court alors que les huit rouleaux [qui contiennent l’ensemble du Sūtra] sont très longs. Comment, alors, les uns et les autres peuvent-ils apporter des bienfaits égaux ? »
Le sage dit : « Quel insensé vous faites ! Votre attachement à la croyance qu’il faut abandonner le petit nombre en faveur du multiple s’élève plus haut que le mont Sumeru, et votre conviction qu’il faut mépriser le court pour honorer le long est plus profonde que le vaste océan. Au cours de notre discussion, j’ai déjà démontré qu’une chose n’est pas nécessairement digne de respect simplement parce qu’elle existe en grande quantité, ni méprisable du seul fait qu’elle est rare. J’aimerais maintenant aller un pas plus loin et expliquer comment le petit peut effectivement inclure le grand, et l’unique être supérieur au multiple.
« La graine de l’arbre nyagrodha, bien que trois fois plus petite qu’une graine de moutarde, peut dissimuler en elle [l’ombre nécessaire pour abriter] cinq cents chariots100. N’est-ce pas un exemple du petit contenant le grand ? Le joyau-qui-exauce-les-vœux, bien qu’unique, peut faire pleuvoir dix mille trésors et ils contiennent tout. N’est-ce pas un exemple du rare contenant le multiple ? Un proverbe populaire dit que “un est la mère de dix mille”. Ne comprenez-vous pas ce principe ? L’important est de considérer si une doctrine se conforme ou non au principe de la réalité ultime de toutes choses. Ne restez pas aveuglément attaché à la question du multiple ou du petit nombre !
« Mais, puisque vous avez tant de mal à comprendre, j’aimerais citer une analogie. Myōhō-renge-kyō est la nature de bouddha de tous les êtres vivants. La nature de bouddha est la nature du Dharma et la nature du Dharma est l’illumination. 133La nature de bouddha de Shakyamuni, de Maints-Trésors et des bouddhas des dix directions ; de Pratiques-Supérieures, de Pratiques-Sans-Limites et des autres bodhisattvas sortis de la terre ; de Sagesse-Universelle, de Manjusri, de Shariputra, de Maudgalyayana et des autres ; du grand roi Brahma et du dieu Shakra ; des dieux du soleil et de la lune, de l’étoile du matin, des sept étoiles de la Grande Ourse dans le ciel du nord, des vingt-huit constellations et des innombrables autres étoiles ; des divinités célestes, des divinités terrestres, des dieux du dragon, des huit sortes d’êtres non humains, et des êtres humains et célestes réunis dans la grande assemblée pour entendre l’enseignement du Bouddha ; du roi Yama — en bref, depuis tous les êtres vivants du domaine au-dessus des nuages qui est au-delà de la pensée et de la non-pensée, jusqu’à ceux qui sont au plus profond de l’enfer — la nature de bouddha de tous ces êtres a pour nom Myōhō-renge-kyō. Par conséquent, si vous prononcez une seule fois ces mots du Daimoku, alors la nature de bouddha de tous les êtres vivants sera appelée à vous rejoindre. À ce moment-là, les Trois Corps de la nature du Dharma [que vous possédez] en vous — le Corps du Dharma, le Corps de rétribution et le Corps de manifestation — jailliront et deviendront manifestes. À titre d’illustration, quand un oiseau en cage chante, les nombreux oiseaux du ciel se rassemblent tous immédiatement autour de lui ; voyant cela, l’oiseau qui est dans la cage s’efforce de sortir. »
Sur ce, l’ignorant dit : « Vous m’avez maintenant expliqué en détail les bienfaits du Daimoku et le sens de la Loi merveilleuse. Mais j’aimerais savoir si ces questions sont expliquées ainsi dans le Sūtra. »
Le sage répondit : « Puisque vous avez déjà compris le principe en jeu, il n’est pas vraiment nécessaire d’aller plus loin en cherchant sur quels passages d’écrits il se fonde. Cependant, je vais citer un passage du Sūtra, en réponse à votre demande.
« Dans le chapitre “Dharani”, dans le huitième volume du Sūtra du Lotus, il est dit : “Si vous pouvez protéger et défendre ceux qui acceptent et gardent ne serait-ce que le nom du Sūtra du Lotus, votre mérite sera incommensurable101}” Dans ce passage, le Bouddha fait l’éloge de la Mère-des-Enfants-Démons et des dix filles rakshasa qui ont fait vœu de protéger les pratiquants du Sūtra du Lotus. Il dit que même la sagesse du Bouddha, capable d’appréhender entièrement les trois phases de l’existence, ne peut évaluer les bienfaits [découlant] de leur vœu de protéger ceux qui adoptent le Daimoku du Sūtra du Lotus. Alors que, en principe, rien n’échappe à la sagesse du Bouddha, le Bouddha affirme ici qu’il est une seule chose que sa sagesse ne peut mesurer : les bienfaits accumulés par celui qui accepte et adopte le Daimoku du Sūtra du Lotus.
« Les bienfaits du Sūtra du Lotus dans son intégralité sont tous entièrement inclus dans les cinq caractères de Myōhō-renge-kyō. Alors que les mots des huit volumes du Sūtra du Lotus diffèrent tout au long des vingt-huit chapitres en fonction du contenu, les cinq caractères du Daimoku restent les mêmes partout. À titre d’illustration, à l’intérieur des deux caractères formant le mot Nippon [Japon] sont inclus les soixante et quelques provinces et les deux îles. Y a-t-il une seule région, une seule province qui ne soit pas contenue dans ce nom ?
« Si l’on prononce le mot “oiseaux”, chacun sait que l’on désigne ainsi des créatures qui volent dans le ciel ; si l’on dit “bêtes sauvages”, on sait qu’il s’agit d’animaux qui courent sur la terre. Pour toutes choses, les noms ont une grande importance, précisément parce qu’ils véhiculent un sens général. C’est pourquoi le Grand Maître Tiantai affirma que les noms véhiculent la nature essentielle d’une chose alors que les mots [du Sūtra] décrivent comment ces choses diffèrent les unes des autres. Les noms, dit-il encore, désignent le caractère fondamental d’une chose.
134« De plus, les noms ont la vertu d’appeler ce qu’ils désignent et les choses, sur le plan fonctionnel, répondent au nom qui leur est attribué. De la même façon, le nom, ou Daimoku, du Sūtra du Lotus a le pouvoir [de faire surgir la nature de bouddha ainsi appelée]. »
L’ignorant dit : « Dans ce cas, les bienfaits du Daimoku sont en effet bien grands. Mais ils diffèrent sûrement selon que l’on comprend ou non la signification du Daimoku. Je suis un homme qui porte arc et flèches et se consacre à la profession des armes. Je n’ai aucune compréhension de la véritable nature des enseignements bouddhiques. Comment une personne telle que moi pourrait-elle arriver à obtenir beaucoup de bienfaits ? »
Le sage répondit : « Selon le principe de l’illumination parfaite et subite, il n’y a pas de différence essentielle entre les premiers stades et les stades avancés de la pratique, et les bienfaits des stades avancés sont également inhérents aux stades initiaux. Accomplir une pratique, c’est accomplir toutes les pratiques, et il n’est aucun bienfait qui n’y soit pas inclus.
« Si au contraire il était impossible à quiconque d’obtenir des bienfaits avant d’avoir compris la vérité de l’enseignement bouddhique, alors, depuis les bodhisattvas au stade de l’illumination presque parfaite jusqu’à ceux qui ne peuvent rien de plus qu’entendre le nom et les mots de la vérité, personne ne pourrait obtenir le moindre bienfait. Car, comme le dit le Sūtra du Lotus, la vérité ne peut être comprise que “par des bouddhas102”.
« Dans le chapitre “Analogies et paraboles” le Bouddha déclare : “Même toi, Shariputra, tu as pu, en ce qui concerne ce Sūtra, y accéder grâce à ta seule foi. C’est encore plus vrai pour les autres auditeurs103.”
« Selon ce passage, même Shariputra, connu pour sa grande sagesse, a pu entrer dans le Sūtra du Lotus par la foi et non par le pouvoir de sa sagesse. C’est donc d’autant plus vrai pour les autres auditeurs !
« Ainsi, grâce à l’enseignement du Sūtra du Lotus, Shariputra a pu par sa foi se libérer du nom de Celui-qui-ne-pourrait-jamais-atteindre-la-bouddhéité pour, dit-on, devenir finalement l’Ainsi-Venu Éclat-Fleuri.
« C’est comme un bébé à qui l’on donne du lait à boire. Même si le bébé ne peut comprendre ce qui fait la saveur du lait, le lait alimente naturellement sa croissance. De même, si un médecin donne un médicament à un malade, même si le malade ne comprend pas forcément l’origine et la nature du médicament, s’il le prend, alors il est dans le cours naturel des événements que sa maladie guérisse. Mais, s’il objecte qu’il ne connaît pas l’origine du médicament dispensé par le médecin et que pour cette raison il refuse de le prendre, pensez-vous que sa maladie sera un jour guérie ? Qu’il comprenne ou non le médicament, dès lors qu’il le prend, il sera en tout cas guéri.
« On a déjà qualifié le Bouddha de médecin talentueux, la Loi a été comparée à un bon médicament et tous les êtres vivants à des personnes souffrant de maladie104. Le Bouddha prit les enseignements prêchés tout au long de sa vie, les broya, les filtra, les mélangea pour composer un excellent médicament : le cachet de la Loi merveilleuse. Qu’on en comprenne la nature ou non, dès lors que l’on prend ce cachet, comment ne pas guérir de la maladie de l’illusion ? Même si le malade ne comprend pas [la nature] du médicament, pas plus qu’il ne connaît la nature de la maladie dont il souffre, s’il prend le médicament, il est amené à recouvrer la santé.
« C’est la même chose pour les pratiquants du Sūtra du Lotus. Même s’ils ne comprennent pas les principes de la Loi bouddhique et ignorent qu’ils sont en proie à l’illusion, par leur seule foi, ils pourront sans aucun doute se libérer simultanément des maladies des trois catégories d’illusions — illusions de la pensée et du désir, illusions innombrables comme les grains de poussière et de sable, et illusions sur la 135véritable nature de l’existence. Ils atteindront les Terres de la Rétribution réelle et de la Lumière paisible, et feront briller en eux les Trois Corps de l’Ainsi-Venu inhérents à leur vie.
« C’est pourquoi le Grand Maître Dengyō dit : “Ni le maître ni les disciples n’ont besoin d’endurer d’innombrables kalpa de pratique austère afin d’atteindre la bouddhéité. Grâce au pouvoir du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse, ils pourront y parvenir en cette vie105.” Cela signifie que le maître qui expose les principes du Sūtra du Lotus aussi bien que le disciple qui reçoit ses enseignements n’auront pas à attendre longtemps pour devenir bouddhas grâce au pouvoir du Sūtra du Lotus.
« Le Grand Maître Tiantai a écrit le Sens profond du Sūtra du Lotus, le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus et La Grande Concentration et Pénétration, [en tout] trente volumes de commentaires sur le Sūtra du Lotus. Et le Grand Maître Miaole y ajouta les Annotations sur le Sens profond du Sūtra du Lotus, les Annotations sur le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus et les Annotations sur La Grande Concentration et Pénétration pour commenter les œuvres de Tiantai. L’ensemble de ces œuvres est connu sous le nom de “soixante volumes de l’école Tiantai”.
« Dans le Sens profond du Sūtra du Lotus, Tiantai établit les cinq principes majeurs : le nom, l’Entité, la qualité, la fonction et l’enseignement, et il expliqua à leur lumière le pouvoir et l’efficacité des cinq caractères de Myōhō-reng-kyō. Dans la partie consacrée au troisième des cinq principes majeurs, qui traite de la qualité du Sūtra du Lotus, il écrit : “Quand on tire sur la corde principale d’un filet, il n’y a pas une seule maille qui reste immobile, et quand on soulève une robe par un coin, il n’y a pas un seul fil de cette robe qui reste en place.” Cela signifie que, pour celui qui accomplit la seule pratique consistant à avoir foi dans Myōhō-reng-kyō, il n’y a pas un seul bienfait qui ne puisse être obtenu, et aucune racine du bien qui ne puisse commencer à jouer en sa faveur. C’est comme un filet de pêche : même si ce filet est composé d’innombrables petites mailles, quand on tire sur la corde principale, toutes les autres mailles se mettent à bouger. C’est aussi comme un vêtement : bien que les fils minuscules qui le composent soient innombrables, si l’on tire sur un pan de ce vêtement, il n’est aucun de ces fils qui ne suive pas le mouvement.
« Dans son Commentaire textuel du Sūtra du Lotus, Tiantai explique les mots du Sūtra du Lotus, depuis les premiers “Ainsi ai-je entendu” jusqu’aux derniers “Ils (...) s’inclinèrent en signe de respect et partirent.” Il les explique du point de vue des quatre catégories : causes et conditions, enseignements reliés, enseignements théorique et essentiel, et observation de l’esprit106.
« Ensuite, dans La Grande Concentration et Pénétration, se fondant sur sa compréhension parfaite du Sūtra du Lotus, il expose la méditation sur la doctrine insondable, à savoir les trois mille mondes en un instant de vie. Cette pratique, issue de l’illumination originelle du Bouddha, représente un principe de vérité inhérent à notre être. Je n’entrerai pas ici dans les détails.
« Quelle occasion de se réjouir ! Bien que nés dans un âge mauvais, souillé par les cinq impuretés, nous avons pu voir et entendre les véritables paroles du Véhicule Unique. Nous lisons qu’une personne qui a planté des racines de bien [sous la direction de bouddhas] égaux en nombre aux grains de sable du fleuve Hiranyavati et du Gange pourra rencontrer ce Sūtra et avoir foi en lui107. Vous avez désormais éveillé en vous l’esprit qui se réjouit dans la foi. Ainsi, sans aucun doute, de même qu’une boîte et son couvercle s’accordent parfaitement, votre propre foi suscitera une réaction bienveillante du Bouddha, et les deux s’uniront pour faire un. »
L’ignorant inclina la tête, joignit les mains et dit : « Désormais, j’accepterai et 136garderai ce roi des sūtras, le Lotus de la vérité unique, et je révérerai le Bouddha qui, dans le monde des trois plans, est seul digne d’être honoré en qualité de maître véritable. À partir de ce corps présent d’homme du commun et jusqu’au moment où j’obtiendrai le Corps d’un bouddha, jamais je ne m’écarterai de cette foi. Même si les lourds nuages des cinq transgressions capitales devaient rester suspendus au-dessus de moi, je m’efforcerai d’imiter l’exemple de Devadatta et d’atteindre la bouddhéité. Dussé-je être ballotté par les vagues des dix mauvais actes, je désirerai être pareil à ceux qui ont formé un lien avec le Sūtra du Lotus, en écoutant l’enseignement des princes108. »
Le sage dit : « Le cœur humain est comme l’eau qui adopte la forme du récipient dans lequel elle se trouve, quel qu’il soit, et la nature des êtres est comme le reflet de la lune ondulant sur les vagues. Vous prétendez maintenant que vous conserverez une foi solide mais un jour ou l’autre, inévitablement, vous faiblirez. Même si les mauvais esprits et les démons peuvent essayer de vous tenter, ne vous laissez pas distraire. Le démon du ciel hait la Loi du Bouddha et les croyants non bouddhistes sont hostiles à la Voie des enseignements bouddhiques. Mais vous devez être pareil à la montagne dorée qui brille avec encore plus d’éclat quand elle est éraflée par le sanglier sauvage, à la mer qui recueille les cours d’eau les plus variés, au feu qui s’élève quand on y ajoute des bûches, ou à l’insecte kalakula qui gonfle quand le vent souffle. Si vous suivez de tels exemples, alors comment l’issue pourrait-elle ne pas être favorable ? »
Notes
1. On peut aussi comprendre le texte original ainsi : « On peut être terrifié par la perspective de l’inconnu et se lamenter sur le fait que ce monde que nous connaissons si bien soit appelé à disparaître si rapidement. »
2. Zhuangzi, “La connaissance errait au nord”. « La vie de l’homme entre ciel et terre est comme le passage d’un poulain blanc entrevu à travers la fente d’un mur — hop ! — et c’est fini. »
3. Les mondes où transmigrent les êtres non éveillés. Voir glossaire.
4. C’est là une référence aux grands tremblements de terre, aux graves inondations et aux autres désastres qui se sont produits durant l’ère Shōka (1257-1259) et qui ont provoqué tant de morts.
5. Le roi de Chu est le roi Huai (328-299 avant notre ère). Dans un rêve, il vécut une rencontre amoureuse avec une déesse. Quand elle partit, elle annonça au roi qu’elle serait toujours avec lui, nuage le matin et pluie le soir.
6. Durant l’ère Yongping (58-75 de notre ère), sous le règne de l’empereur Ming, Liuchen se perdit sur le mont Tiantai où il rencontra un être féminin immortel avec qui il vécut dans la béatitude. Quand Liuchen retourna chez lui au bout de six mois, il se retrouva à l’époque de ses descendants de la septième génération.
7. On ne sait pas exactement à quel poète Nichiren fait allusion. En tout cas, le sens de ce verset est que, en tant que modeste bûcheron, et donc ignorant en matière religieuse, le poète espérait qu’il ne serait pas appelé à subir de grandes souffrances en cette vie.
8. Classification des façons de venir à l’existence. Voir glossaire.
9. L’Enfer chaud et l’Enfer extrêmement chaud sont les sixième et septième des huit enfers chauds — le huitième étant l’Enfer aux souffrances incessantes.
10. L’Enfer du lotus cramoisi et l’Enfer du grand lotus cramoisi sont les septième et huitième des huit enfers froids. Dans ces deux enfers, on dit que le froid craquèle notre peau, si bien qu’elle prend l’apparence de fleurs de lotus rouges.
11. Les cinq agrégats du corps et de l’esprit sont la forme, la sensation, la perception, la volition et la conscience qui s’unissent temporairement pour former un être vivant individuel.
12. Après ce passage d’introduction, la narration passe à la troisième personne.
13. Le qilin était un animal légendaire de la Chine ancienne.
14. Ling Lun était un sujet de Huangdi (l’Empereur Jaune), un souverain légendaire de la Chine ancienne. Doté d’une remarquable acuité auditive, on disait qu’il excellait en musique et pouvait distinguer d’infimes différences de tonalité.
15. Li Zhu, également appelé Li Lou, était une figure légendaire de la Chine ancienne dont la vue était si perçante qu’il pouvait voir la pointe d’un cheveu à cent pas.
137 16. Le port d’Iijima était le seul port desservant Kamakura à l’époque de Nichiren. La barrière de Mutsura était un point de contrôle dans l’actuelle Yokohama, dans la préfecture de Kanagawa.
17. Les sept routes menant à Kamakura.
18. Comparaisons par lesquelles le bouddha Shakyamuni, selon le Sūtra des règles monastiques pures, souligna la supériorité des préceptes du Mahayana sur ceux du Hinayana. Ainsi, les préceptes du Hinayana pratiqués par les auditeurs ne produisent même pas un bienfait aussi minime que l’empreinte d’un sabot de vache alors que les préceptes du Mahayana prônés par les bodhisattvas produisent des bienfaits aussi vastes que l’océan.
19. Les dix-sept différences concernent les raisons pour lesquelles, selon le Sūtra des règles monastiques pures, les préceptes du Hinayana sont inférieurs aux préceptes du Mahayana. Ainsi, les préceptes du Hinayana reflètent l’horreur du monde des trois plans, domaine habité par les êtres n’ayant pas encore atteint l’illumination, mais pas les préceptes du Mahayana ; les préceptes du Hinayana manifestent du dédain pour les bienfaits alors que les préceptes du Mahayana les englobent tous.
20. Sūtra du Nirvana.
21. L’une des cinq méditations pour éteindre les pensées diverses. On pensait que la méditation sur les cadavres supprimait les désirs sexuels.
22. Nichiren reprend ici une image du septième chapitre du Sūtra du Lotus, où les enseignements provisoires sont comparés à une cité qui ne serait qu’un mirage (ou cité illusoire) qu’un guide fait apparaître par magie pour permettre à son groupe de voyageurs fatigués de faire une halte sur la route de la Terre aux trésors (Véhicule Unique du Bouddha) qui est leur véritable destination.
23. Fondements de la renaissance dans la Terre pure.
24. On dit que le bouddha Amida émit quarante-huit vœux alors qu’il était encore engagé dans la pratique du bodhisattva en tant que bodhisattva Trésor-du-Dharma.
25. Il est dit dans le premier vœu : « Si, après que j’ai atteint la bouddhéité, il se trouve dans mon pays des êtres dans le monde de l’enfer, des esprits affamés ou des animaux, alors, que je n’atteigne pas l’illumination suprême ! » Cela signifie donc qu’il n’y a pas d’êtres dans les trois voies mauvaises dans la Terre pure d’Amida. Les trois sortes de perception sont : (1) on comprend la vérité lorsqu’on l’entend, (2) on suit la vérité, et (3) on s’éveille au véritable aspect des choses, à savoir que rien ne naît ni ne meurt.
26. Cette formule fut utilisée par le poète Bai Juyi pour décrire ses propres écrits séculiers. Bouddhistes et confucianistes utilisaient souvent cette expression pour désigner la poésie et la prose qui manquaient de valeur didactique.
27. Les trois sūtras ésotériques sont le Sūtra de Mahavairochana, le Sūtra de la couronne de diamants et le Susiddhikara-sūtra.
28. Les vingt-huit patriarches héritèrent et transmirent l’enseignement de Shakyamuni qui, selon eux, n’était pas contenu dans les mots mais se communiquait d’esprit à esprit. Le premier est Mahakashyapa et le dernier, Bodhidharma, fondateur en Chine du bouddhisme Chan (Zen, en japonais). Les six patriarches évoqués dans le texte sont Bochidharma, Huike, Sengcan, Daoxin, Hongren et Huineng.
29. Il s’agit là du dernier des quatre domaines du monde sans forme, le monde sans forme étant la partie la plus élevée du monde des trois plans.
30. Ce poème de Fujiwara no Yoshitaka apparaît dans le Recueil de poèmes japonais et chinois à chanter, compilés autour de 1013.
31. Poétesse du milieu du IXe siècle, entourée de nombreuses légendes romantiques.
32. Une femme légendaire qui apparaît dans les Chroniques du Japon et les Chroniques de faits anciens.
33. On ignore la source de ce poème. Le mont Toribe, situé à Kyōto, était utilisé comme lieu de crémation.
34. Poème du supérieur des moines Henjō (816-890) qui apparaît dans Poèmes japonais et chinois à chanter.
35. Dans d’autres écrits, Nichiren dit qu’à dix-neuf ans Shakyamuni quitta le palais de son père situé dans la capitale, Kapilavastu, description qui s’accorde avec le récit traditionnel. On ne sait pas exactement pourquoi il dit ici que le jeune prince « quitta la ville de Gaya ». Cependant, on considère généralement que, après avoir quitté Kapilavastu, Shakyamuni partit d’abord vers le sud, dans le royaume du Magadha, où se trouvait Gaya. On considérait que le mont Dandaka se situait à Gandhara, dans le nord de l’Inde.
36. Sūtra du Lotus, chap. 2.
37. Ibid., chap. 3.
38. Ces mots sont en fait prononcés par le bouddha Maints-Trésors dans le onzième chapitre “L’apparition de la Tour aux trésors” du Sūtra du Lotus. Cependant, comme tous les bouddhas tirent aussi la langue pour affirmer la 138véracité du Sūtra du Lotus dans le chapitre “Les pouvoirs transcendantaux de l’Ainsi-Venu”, Nichiren leur attribue également cette déclaration.
39. Sūtra du Lotus, chap. 3.
40. Ibid., chap. 2.
41. On trouve cette affirmation dans le commentaire de Siming Zhili sur le Sūtra de la méditation sur le bouddha Vie-Infinie.
42. But-Atteint est l’un des dix titres honorifiques du Bouddha, signifiant que ce dernier a atteint le monde de l’illumination.
43. Cette histoire apparaît dans le Sūtra jamais entendu de la relation causale. Voici d’innombrables kalpa, un renard du pays de Bima tomba dans un puits alors qu’il tentait d’échapper à un lion. Confronté à la perspective de mourir de faim, il s’éveilla à l’impermanence de toutes choses et récita un verset dans ce sens. En entendant ce verset, le dieu Shakra descendit du ciel et traita ce renard comme son maître.
44. Le texte japonais emploie le verbe « revenir » mais il faut peut-être comprendre ici « atteindre ». La version originale de ce texte n’existe plus.
45. Sens profond du Sūtra du Lotus.
46. Principes remarquables du Sūtra du Lotus.
47. Commentaire sur le Sūtra des dix étapes.
48. Le Répertoire du canon bouddhique de l’ère Kaiyuan est un index complet des textes bouddhiques en chinois compilés par Zhisheng et achevés en 730, dix-huitième année de l’ère Kaiyuan, sous le règne de l’empereur Tang Xuanzong.
49. C’est là une autre façon de désigner le chapitre “La porte universelle du bodhisattva Sensible-aux-Sons-du-Monde” du Sūtra du Lotus qui est parfois considéré en soi comme un sūtra indépendant.
50. Sept transgressions capitales : Selon les Annotations sur La Grande Concentration et Pénétration, il s’agit, en plus des cinq transgressions capitales, de tuer un moine et de tuer un maître. Les maîtres dont il est ici question sont Shandao et Hōnen.
51. Les deux bodhisattvas honorés sont le bodhisattva Sensible-aux-Sons-du-Monde et le bodhisattva Grand-Pouvoir.
52. Izanagi et Izanami sont une divinité mâle et une divinité féminine, qui sont présentées dans la mythologie japonaise comme les géniteurs du Japon et de ses dieux.
53. Cette rivière traverse l’enceinte du sanctuaire intérieur.
54. Il ne s’agit pas réellement d’un sūtra mais d’une ouvre sur les bienfaits obtenus par la méditation sur le bouddha Amida.
55. Les cinq mets fortement épicés correspondent à cinq types de racines piquantes : poireaux, échalotes, oignons, ail et gingembre. On disait qu’ils étaient source d’irritabilité et de colère ou qu’ils stimulaient le désir sexuel et qu’ils étaient de ce fait interdits aux moines et nonnes bouddhiques.
56. Les trente-sept honorés sont les bouddhas et bodhisattvas qui se trouvent dans la partie centrale du mandala du Plan du diamant, ce mandala comptant au total neuf parties.
57. Littéralement le Hall des Tang postérieurs, un bâtiment que Chishō, le cinquième grand patriarche de l’Enryaku-ji, temple principal de l’école Tendai, fit ériger sur les terres du temple Mii, dans l’actuelle préfecture de Shiga. Le Tō-in (le Hall des Tang) érigé sur les terres de l’Enryaku-ji, et qui avait été bâti précédemment à la demande de Jikaku, troisième grand patriarche de l’Enryaku-ji, est souvent appelé le Zentō-in (l’ancien Hall des Tang).
58. Principes essentiels du Sūtra de Mahavairochana.
59. Cela désigne l’étape où se trouve l’esprit humain lorsqu’il n’a pas encore de conscience morale ou religieuse et réside sous l’emprise des passions et des instincts, à l’instar d’un animal.
60. Dans cette ultime étape, l’être humain peut accéder aux bienfaits incommensurables inhérents à sa vie grâce à la doctrine secrète du bouddha Mahavairochana.
61. L’étape ultérieure dont il est ici question est la dixième étape suprême des dix étapes de l’esprit, celle de l’éveil à l’enseignement ésotérique.
62. Règles des rites pour révérer les reliques du Bouddha.
63. Plus connu dans les pays francophones sous le nom de Lao Tseu.
64. La clé précieuse du trésor secret.
65. Instrument rituel utilisé pour les prières dans le bouddhisme ésotérique du Shingon. Cette histoire apparaît dans la Biographie du Grand Maître Kōbō. Selon cette œuvre, avant que Kōbō ne quitte la Chine, il lança de toutes ses forces dans les airs un sceptre de diamant en forme de trident (vajra) et, revenu au Japon, il se rendit au mont Kōya pour réaliser la pratique des enseignements ésotériques. Il y retrouva le fameux sceptre qu’il avait lancé, accroché aux branches d’un arbre.
66. Ri, unité de mesure utilisée en Chine. Voir glossaire.
67. Agastya est un ascète indien qui pratiquait les enseignements brahmanes. Ses pouvoirs occultes sont mentionnés dans le Sūtra du 139Nirvana. Jinu est un autre ascète brahmane de l’Inde, également mentionné dans le Sūtra du Nirvana. Selon Histoire de la dynastie des Han postérieurs, Zhang Jie excellait dans les arts occultes de l’enseignement du Dao et pouvait faire apparaître un épais brouillard, qui s’étendait sur plus de cinq ri chinois (environ 2 km). Selon Les vies des saints aux pouvoirs mystérieux, Luanba de la dynastie des Han postérieurs but du vin au cours d’un banquet et, se tournant vers le sud-ouest, le recracha en soufflant. Il expliqua qu’il entendait ainsi éteindre un incendie qui avait éclaté dans la ville de Chengdu, située dans cette direction. Après enquête, il apparut que la pluie, mêlée au vin, était tombée sur cette ville, éteignant l’incendie qui s’y était déclenché.
68. Annotations sur le Sens profond du Sūtra du Lotus.
69. Dans le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus, Tiantai définit les sūtras enseignés dans le passé comme les enseignements antérieurs au Sūtra du Lotus, prêchés pendant quarante-deux ans ; les enseignements dispensés au même moment désignent le Sūtra aux sens infinis et ceux de l’avenir le Sūtra du Nirvana.
70. Sūtra aux sens infinis.
71. Sūtra du Lotus, chap. 10.
72. Ibid., chap. 11.
73. Ibid., chap. 14.
74. Un bouddha mentionné dans le Sūtra de la Guirlande de fleurs, le Sūtra de Mahavairochana et d’autres. Dans le bouddhisme ésotérique du Shingon, il est identifié au bouddha Mahavairochana.
75. Cela renvoie à la prédication du Sūtra du Lotus.
76. Les quatre enseignements sont l’enseignement des Trois Corbeilles, l’enseignement intermédiaire, l’enseignement spécifique et l’enseignement parfait. Ici, Nichiren veut souligner que le Sūtra de Mahavairochana n’est pas un enseignement pur et parfait. Voir « huit enseignements » dans le glossaire.
77. Référence aux préceptes du Hinayana.
78. Il s’agit ici de Guangxiu (771-843) et Weijuan (dates inconnues). Guangxiu fut le huitième patriarche dans la lignée de l’école Tiantai et Weijuan fut son principal disciple.
79. Le Zen de l’Ainsi-Venu désigne la méditation du Bouddha telle qu’elle est décrite dans les sūtras. Selon le Lankavatara-sūtra, cette méditation engendre les pouvoirs transcendantaux utilisés par le Bouddha pour sauver les êtres. « Le Zen doctrinal » désigne les méthodes de méditation formulées sur la base des sūtras, et « le Zen des patriarches » l’enseignement Zen provenant de Bodhidharma, où l’on dit que l’illumination se transmet sans mots de maître à disciple.
80. Le principe de « non-dualité », lorsqu’il est enseigné dans l’école Zen, se réfère à l’idée que le Bouddha et l’homme du commun ne font qu’un. Nichiren dit que les disciples du Zen ne comprennent pas la « dualité », c’est-à-dire la différence entre le Bouddha qui est éveillé à la réalité ultime et les hommes du commun qui sont dans l’illusion.
81. On ignore le nom sanskrit de Mirakutsu. Le roi Dammira, mentionné dans le paragraphe suivant, est un autre nom du même personnage.
82. Extrait du Commentaire textuel du Sūtra du Lotus. Nichiren paraphrase légèrement le passage original. « Ce Sūtra » dans la citation désigne le Sūtra du Lotus.
83. Les trois transgressions capitales (parmi les cinq) sont (1) blesser un bouddha, (2) fomenter la discorde au sein de la Communauté bouddhiste et (3) tuer un arhat. Devadatta s’était rendu coupable de ces trois transgressions.
84. On trouve cette description dans le douzième chapitre du Sūtra du Lotus.
85. « Ce merveilleux texte du Véhicule Unique » désigne ici le Sūtra du Lotus.
86. Il s’agit de la forêt du mont Shinoda, à Izumi, dans la région d’Ōsaka, au Japon et qui est connue pour sa splendeur.
87. Cette histoire apparaît dans le vingt-septième chapitre du Sūtra du Lotus.
88. Sūtra du salut par des hommes à la foi pure, cité dans Forêt de joyaux du jardin de la Loi. Le sūtra lui-même n’existe plus. « La vie du Bouddha » dans le contexte du sūtra désigne une vie monastique, mais ici Nichiren l’interprète comme une vie fondée sur la foi dans la Loi merveilleuse.
89. Cela est mentionné dans le Livre des rites.
90. Qi Liji (dates inconnues) fut l’un des quatre aînés aux cheveux blancs qui, affligés par le tumulte social à la fin de la dynastie des Qin (221-206 avant notre ère), se retirèrent sur le mont Shang. Après le remplacement de la dynastie des Qin par la dynastie des Han, ils furent invités par l’impératrice Lu, épouse de l’empereur Gaozu, fondateur de la dynastie des Han, à devenir conseillers de l’empereur Hui, qui était son fils et le successeur de Gaozu.
91. Yan Guang (de 39 avant notre ère à 41 de notre ère) fut un compagnon d’études de Liu Xiu, qui devint plus tard l’empereur Guangwu, premier empereur de la dynastie des Han postérieurs. Après l’avènement de Liu Xiu en tant qu’empereur, Yan Guang changea de nom et se 140retira. L’empereur Guangwu, regrettant que ses talents ne soient pas utilisés, l’implora de devenir son ministre. Mais Yan Guang refusa et passa le restant de sa vie retiré sur le mont Fuchun.
92. « Un ami de la chambre des orchidées » désigne une personne de vertu. Cela signifie que la compagnie d’une personne vertueuse a une bonne influence, de même que l’on est imprégné de parfum en entrant dans une pièce emplie d’orchidées.
93. On dit que, dans les champs de chanvre, l’armoise est soutenue par le chanvre et peut ainsi pousser droit.
94. Les six pratiques, mentionnées dans le Traité de la grande perfection de sagesse, sont : accepter, garder, lire, réciter, enseigner et transcrire. Dans les cinq pratiques, accepter et transcrire sont combinés en une seule pratique. Les dix pratiques, énoncées dans le Sūtra de la sagesse suprême du roi céleste sont transcrire, faire des offrandes, répandre et transmettre, écouter, lire, garder à l’esprit, enseigner largement, réciter, contempler et s’entraîner soi-même.
95. Ces exhortations apparaissent dans le Sūtra du Lotus et le Sūtra du Nirvana.
96. Sūtra du Nirvana.
97. Annotations sur le Sūtra du Nirvana.
98. Cela signifie que la fille du roi-dragon acquit les trente-deux signes principaux et les quatre-vingts signes secondaires d’un bouddha.
99. Les six mille feuilles comprennent les trois œuvres majeures de Tiantai, Sens profond du Sūtra du Lotus, Commentaire textuel du Sūtra du Lotus et La Grande Concentration et Pénétration, ainsi que les trois œuvres de commentaires de Miaole à leur sujet.
100. Le Traité de la grande perfection de sagesse indique que l’arbre nyagrodha, ou arbre banian, est assez grand pour apporter de l’ombre à cinq cents chariots alors que la graine d’où il est issu est trois fois plus petite qu’une graine de moutarde.
101. Sūtra du Lotus, chap. 26.
102. Ibid., chap. 2.
103. Ibid., chap. 3.
104. Nichiren fait ici référence à la parabole du médecin talentueux du chapitre “Durée de la vie” du Sūtra du Lotus.
105. Principes remarquables du Sūtra du Lotus.
106. Les quatre directives de Tiantai pour interpréter le texte du Sūtra du Lotus. Quand on parle des « causes et conditions » on veut dire interpréter les mots du Sūtra en fonction des causes et conditions qui amenèrent le Bouddha à les exposer. Quand on parle des « enseignements reliés » on veut dire interpréter les mots du Sūtra du point de vue des quatre enseignements de la doctrine et des cinq périodes. Parler des « enseignements théorique et essentiel » signifie les interpréter à la lumière de l’enseignement théorique et de l’enseignement essentiel du Sūtra du Lotus ; et parler de l’« observation de l’esprit » veut dire percevoir la vérité des textes au sein de notre propre vie grâce à la pratique de la méditation.
107. Nichiren modifie légèrement le contenu du Sūtra du Nirvana selon lequel celui qui a éveillé l’aspiration à l’illumination sous la direction de bouddhas égaux en nombre aux grains de sable du fleuve Hiranyavati pourra adopter un sūtra tel que celui-là [Sūtra du Lotus] dans l’âge mauvais [de l’époque de la Fin de la Loi].
108. Référence aux seize fils du bouddha Excellence-Sagesse-Grandes-Universelles qui apparaît dans le septième chapitre du Sūtra du Lotus.