Points de repère
Écrite lors du cinquième mois de la deuxième année de Kōan (1279), cette lettre est une réponse au don de pousses de bambou d’un disciple, un certain moine séculier Nishiyama, qui habitait le village de Nishiyama, situé dans le district du mont Fuji, de la province de Suruga. Il semble que Nishiyama ait rendu occasionnellement visite à Nichiren au mont Minobu, en apportant avec lui des cadeaux. On a retrouvé au total six lettres qui lui sont adressées, dont celle-ci, Trois Maîtres des Trois Corbeilles prient pour qu’il pleuve et Les émissaires mongols. On pense généralement que Nishiyama était Ōuchi Tasaburō Taira no Yasukiyo, l’intendant du village de Nishiyama mais, selon une autre version, il s’agissait plutôt d’un membre de sa famille.
Bien que plutôt courte, cette lettre contient quelques enseignements importants. D’abord, Nichiren loue les bienfaits obtenus en gardant ne serait-ce qu’un verset du Sūtra du Lotus. Il explique qu’ils sont même supérieurs à ceux qu’accumule quelqu’un qui offre au Bouddha les sept sortes de trésors en assez grande quantité pour emplir un système entier de mondes majeurs. Il note alors qu’il propage une Loi sans égale que personne n’a propagée avant lui.
J’ai bien reçu les cent pousses de bambou, puis les vingt suivantes, que vous m’avez fait parvenir.
On lit dans le septième volume du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse : « Même si quelqu’un emplissait la totalité du système de mondes majeurs avec les sept trésors en offrande au Bouddha, aux grands bodhisattvas, aux pratyekabuddha et aux arhat, les bienfaits qu’il en retirerait ne sauraient égaler ceux qu’il obtiendrait en acceptant et en gardant ne serait-ce qu’une stance de quatre vers de ce Sūtra du Lotus ! Cette dernière attitude est, de toutes, celle qui procure le plus grand nombre de bienfaits1. » Il est dit dans le dixième volume du Commentaire textuel du Sūtra du Lotus : « La déclaration selon laquelle offrir les sept sortes de trésors2 aux quatre sortes de sages3 n’équivaut pas à garder un verset [du Sūtra du Lotus] indique que la Loi est le maître de ces sages. Rien n’est supérieur à la Loi lorsqu’il s’agit d’engendrer, de nourrir, d’amener à maturité et de conduire à la prospérité. C’est pourquoi la personne est insignifiante alors que la Loi est suprême. » On trouve à ce sujet le commentaire suivant dans le dixième volume des Annotations sur le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus : « C’est comme des parents qui protègent constamment leurs enfants à travers ces quatre fonctions. 984Aspirer à la Voie grâce au pouvoir du Sūtra du Lotus est naître. Suivre la Loi du début à la fin est se nourrir. Récolter le fruit suprême de la bouddhéité est atteindre la maturité. Apparaître sous diverses formes en ce monde phénoménal pour le salut des autres est prospérer. Bien que ces quatre étapes soient différentes les unes des autres, elles se fondent toutes sur la Loi. »
Le Sūtra du Lotus, Tiantai et Miaole déclarent ici que l’acte d’accepter et de garder ou de protéger et d’adopter un seul verset du Sūtra du Lotus dépasse l’acte de faire des offrandes à tous les êtres ordinaires ou aux arhat, voire celui d’emplir le système entier de mondes majeurs avec les sept sortes de trésors à titre d’offrande à tous les bouddhas. On lit dans le Sūtra : « [Les bienfaits qu’il en retirerait] ne sauraient égaler ceux qu’il obtiendrait en acceptant et en gardant ne serait-ce qu’une stance de quatre vers de ce Sūtra du Lotus ! » Tiantai déclare : « La personne est insignifiante alors que la Loi est suprême. » Miaole dit : « Bien que ces quatre étapes diffèrent les unes des autres, elles se fondent toutes sur la Loi. » Si nous comparons tous les êtres ordinaires dans les neuf états avec le Bouddha, alors le bienfait de tous les êtres ordinaires est aussi léger qu’une seule mèche de cheveux, tandis que le bienfait du Bouddha est aussi lourd qu’une montagne gigantesque. Et, si le bienfait de tous les bouddhas était, comme la robe de Brahma, aussi léger qu’une plume4, alors le bienfait d’un seul caractère [chinois] du Sūtra du Lotus serait aussi lourd que la terre entière. Et l’expression « la personne est insignifiante » désigne le Bouddha car la Loi suprême est le Sūtra du Lotus.
Tous les sūtras précédant le Sūtra du Lotus et tous les traités fondés sur eux font l’éloge des bienfaits octroyés par le Bouddha et sont donc comme le Bouddha lui-même. Le Sūtra du Lotus exalte les bienfaits octroyés par le Sūtra, et il est donc comme le père et la mère du Bouddha. L’infériorité du Sūtra de la Guirlande de fleurs, du Sūtra de Mahavairochana et des autres sūtras par rapport au Sūtra du Lotus est aussi nette que la différence de poids entre une simple mèche de cheveux et une montagne gigantesque, ou entre une robe légère comme une plume et la terre. Si nous comparons un pratiquant du Sūtra du Lotus de la condition la plus modeste avec les moines les plus éminents de l’école Kegon et de l’école Shingon, la supériorité du premier est pareille à celle de Shakra par comparaison avec un singe, ou à celle d’un lion par comparaison avec un lièvre.
Si un simple sujet se proclame roi, cela lui coûtera immanquablement la vie. Quand les pratiquants des autres sūtras se prétendront supérieurs au pratiquant du Sūtra du Lotus, le pays courra certainement à sa perte et ces personnes tomberont probablement en enfer. Tant que l’on ne rencontre aucun ennemi, on est libre de parler et d’agir de façon aussi fallacieuse et insensée qu’on le veut. Par exemple, on dit que, avant l’apparition de Sadamori et Yoriyoshi5, Masakado et Sadatō pouvaient gouverner leurs domaines, et leurs épouses et leurs enfants vivaient en sécurité. À moins qu’une force contraire ne les en empêche, la rosée s’évapore dans le ciel et la pluie tombe sur la terre. Cependant, un vent fort peut renvoyer la pluie dans le ciel et le lever du soleil faire retomber la rosée sur terre. Avant l’apparition de Dengyō, les six écoles, et notamment l’école Kegon, étaient comme la rosée [s’évaporant dans le ciel]. Cela s’applique aussi à l’école Shingon ; vous devez donc comprendre que, lorsqu’un puissant ennemi apparaîtra et attaquera sévèrement cette école en se fondant sur le Sūtra du Lotus, le grand patriarche du mont Hiei et les moines du Tō-ji et de l’Omuro seront comme la rosée au lever du soleil.
Dans les quelque mille deux cents années écoulées depuis la disparition du Bouddha, personne n’a encore pleinement expliqué et propagé le Sūtra du 985Lotus, exactement comme le Sūtra l’enseigne. Cela ne signifie pas que Tiantai et Dengyō n’avaient pas compris la justesse du Sūtra. Mais, puisque le moment approprié n’était pas encore venu et que la capacité des gens n’était pas adaptée, ils disparurent sans écrire tout ce qu’il y avait à dire à ce sujet. Ceux qui deviennent les disciples de Nichiren peuvent comprendre cela sans difficulté.
Dans tout le continent du Jambudvipa, on n’a encore jamais vu jusqu’à présent un monastère ou une pagode qui aient présenté l’image du bouddha Shakyamuni du chapitre “Durée de la vie” du Sūtra du Lotus6. Comment une telle image pourrait-elle ne pas apparaître maintenant ? Il serait trop long d’entrer ici dans une explication et j’en resterai donc là.
Vous m’avez envoyé cent vingt pousses de bambou et le Sūtra du Lotus est apparu il y a plus de deux mille ans. J’ai abordé cette question parce que, aussi insignifiant que puisse paraître votre don, votre bonté est en réalité profonde. De plus, en ce moment, en raison des travaux des champs et de la construction du sanctuaire, les gens n’ont plus de temps libre. Mais votre esprit de recherche reste néanmoins très fort, et je suis certain que c’est pour cela que la Loi s’est manifestée à travers vous.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le onzième jour du cinquième mois
Réponse à Nishiyama
Notes
1. Sūtra du Lotus, chap. 23.
2. Il s’agit de l’or, de l’argent, du lapis-lazuli, de la nacre, de l’agate, de la perle et de la cornaline.
3. Les quatre sortes de sages sont les bouddhas, les bodhisattvas, les pratyekabuddha et les arhat.
4. La robe légère comme une plume traduit l’expression « la robe de trois shu ». Cette expression apparaît souvent dans les écrits bouddhiques pour désigner la robe d’un être céleste. Shu est une unité de poids et trois shu équivalent approximativement à trois grammes.
5. Taira no Sadamori (dates inconnues) tua son cousin Taira no Masakado (décédé en 940) quand ce dernier se rebella contre la Cour impériale. Minamoto no Yoriyoshi (dates inconnues), l’un des chefs de l’armée impériale, vainquit et tua Abe no Sadatō (1019-1062) lorsqu’il défia le pouvoir impérial.
6. Ici, le bouddha Shakyamuni du chapitre “Durée de la vie” désigne Nam-myōhō-renge-kyō, ou la Loi contenue de façon implicite dans les profondeurs du chapitre “Durée de la vie”.