Points de repère
Écrite en 1279, cette lettre s’adresse à l’épouse de Matsuno Rokurō Saemon-no-jō. Ce dernier était le fils du moine séculier Matsuno Rokurō Saemon.
On n’a pas de renseignements précis concernant l’épouse de Matsuno Rokurō Saemon-no-jō.
On ignore son nom, ses dates de naissance et de décès, la province où elle est née et l’identité de ses parents. Elle vécut avec son mari dans le village de Matsuno, dans le district d’Ihara, province de Suruga. On pense que tous deux se sont convertis aux enseignements de Nichiren à peu près au même moment que le père de Matsuno, mais on ignore la date exacte. Les deux lettres que Nichiren lui adressa nous apprennent que ses dons étaient variés et qu’elle réfléchissait profondément à ce dont il pouvait avoir besoin. Elle semble avoir pris grand soin d’envoyer des articles d’une grande utilité pour Nichiren.
J’ai profondément honte de ne pas vous avoir encore remercié pour vos dons : une caisse de blé, un panier d’ignames, un panier de courges et divers autres articles que j’ai reçus le troisième jour du sixième mois.
Le lieu [où je réside maintenant], la vallée de Minobu, est situé dans la région des trois villages, Iino, Mimaki et Hakii, de la province de Kai, dans la partie nord-ouest du district de Hakii. Au nord, le sommet du mont Minobu perce les cieux ; au sud, les crêtes du mont Takatori se mêlent aux nuages ; à l’est, le mont Tenshi s’élève jusqu’au soleil ; et, à l’ouest, de grandes montagnes escarpées s’étendent jusqu’au sommet du mont Shirane. Au-dessus de moi résonne dans le ciel l’écho du cri perçant des singes, tandis que la terre s’emplit du chant des cigales.
C’est comme si le pic de l’Aigle en Inde s’était déplacé jusqu’ici, ou comme si je voyais juste sous mes yeux le mont Tiantai en Chine. Bien que je ne sois ni le bouddha Shakyamuni, ni le Grand Maître Tiantai, comme jour et nuit je ne cesse de lire le Sūtra du Lotus et que je parle de La Grande Concentration et Pénétration matin et soir, ce lieu est comme la Terre pure du pic de l’Aigle et ne diffère en rien du mont Tiantai.
Je ne suis cependant qu’un homme du commun dont l’existence dépend d’éléments extérieurs. Si je ne portais pas de vêtements, le vent traverserait mon corps, et, si je ne mangeais pas, je ne survivrais pas. Ce serait comme ne pas remplir une lampe d’huile ou ne pas ajouter de bûches à un feu. Comment pourrais-je continuer à vivre ? Si j’avais du mal à rester en vie, si les provisions nécessaires à ma survie venaient à manquer, en l’espace de un à cinq jours, la voix qui lit et récite aujourd’hui le Sūtra du Lotus serait à son tour réduite au silence, et les mauvaises herbes pousseraient en abondance devant la fenêtre d’où l’on entend 992sortir les discussions sur La Grande Concentration et Pénétration. Telles sont les conditions dans lesquelles je vis, mais je me demande comment vous avez pu en avoir conscience.
Alors qu’un lièvre faisait des offrandes à une personne qui se livrait à un exercice de marche après la méditation1, le seigneur céleste Shakra eut pitié de lui et le plaça sur la lune si bien qu’aujourd’hui, lorsque nous levons les yeux au ciel, nous voyons un lièvre sur la lune2. Dans la situation qui est la vôtre, en tant que femme, vous avez fait des offrandes au Sūtra du Lotus en cette époque souillée de la Fin de la Loi. C’est pourquoi le dieu céleste Brahma veillera sur vous de son œil divin, Shakra joindra les mains en signe d’obéissance à votre égard, les divinités terrestres vous soulèveront joyeusement de terre pour marquer leur vénération et le bouddha Shakyamuni étendra la main depuis le pic de l’Aigle pour vous caresser la tête.
Nam-myōhō-renge-kyō, Nam-myōhō-renge-kyō.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le vingtième jour du sixième mois de la deuxième année de Kōan [1279], signe cyclique de tsuchinoto-u
Réponse à l’épouse de Matsuno
Notes
1. Dans l’Inde ancienne, il était fréquent que les pratiquants d’une religion marchent en rond autour de leur lieu de méditation, à titre d’exercice. Shakyamuni et ses disciples se livrèrent également à cette pratique.
2. On trouve la version originale de cette histoire dans le Voyage en Occident. Il y est question de trois amis (un renard, un lièvre et un singe) qui vivaient dans une zone très boisée. Un jour, afin de les tester, le seigneur céleste Shakra apparut sous la forme d’un vieillard et leur demanda de la nourriture. Au terme de leur quête, le renard revint avec une carpe fraîche et le singe avec des fleurs et des fruits rares. Seul le lièvre revint sans rien. Il demanda alors au renard et au singe de préparer un feu. Puis il se jeta dans ce feu, en offrande au vieil homme. Touché par la sincérité du lièvre, ce dernier reprit l’apparence de Shakra et dit : « Je placerai le corps de ce lièvre sur la lune de façon à faire connaître son dévouement aux générations futures. » Cette histoire servait à expliquer pourquoi, dans l’Inde ancienne, les gens voyaient un lièvre sur la lune.