Quelle joie est la nôtre d’être nés à l’époque de la Fin de la Loi et de participer à la propagation du Sūtra du Lotus ! Qu’ils sont à plaindre ceux qui, nés à cette époque, ne croient pas en ce Sūtra !
Nul ne peut échapper à la mort dès lors qu’il naît en tant qu’être vivant. Alors, pourquoi ne pas pratiquer afin de préparer la vie prochaine ? Quand j’observe le comportement des gens, je constate que, même lorsqu’ils proclament leur foi dans le Sūtra du Lotus et serrent ses rouleaux dans leurs bras, ils s’opposent au cœur du Sūtra et sont donc voués aux voies mauvaises. Ainsi, une personne est dotée de cinq organes internes1, mais il suffit qu’un seul d’entre eux tombe malade pour qu’il contamine tous les autres jusqu’à entraîner la mort. Le Grand Maître Dengyō déclare que, tout en louant le Sūtra du Lotus, ils en détruisent le cœur2. Il veut dire par là que, même si les gens adoptent, lisent et louent le Sūtra du Lotus, s’ils en trahissent le cœur, ils détruiront non seulement le bouddha Shakyamuni mais tous les bouddhas des dix directions.
Nos mauvais actes dans le monde séculier et notre mauvais karma peuvent bien s’élever aussi haut que le mont Sumeru, 1037quand nous croyons dans ce Sūtra, ils s’évaporent comme du givre ou de la rosée sous le soleil du Sūtra du Lotus. Néanmoins, si l’on commet ne serait-ce qu’une ou deux des quatorze calomnies énumérées dans ce Sūtra, notre faute sera extrêmement difficile à expier. Le meurtre d’un bouddha serait une bien plus grande faute que de détruire tous les êtres vivants dans le système de mondes majeurs, et trahir le cœur du Sūtra reviendrait à commettre la faute d’ôter la vie de tous les bouddhas des dix directions. Celui qui commet l’une de ces quatorze fautes est un calomniateur.
L’enfer est une effroyable demeure en feu et le monde des esprits affamés est un lieu misérable où, sous l’emprise de la faim, les êtres vivants dévorent leurs propres enfants. Le monde des asura est constitué de conflits et celui des animaux consiste à tuer ou à être tué. L’Enfer du lotus cramoisi est ainsi nommé parce qu’il y règne un froid si intense que le corps se recroqueville de douleur jusqu’à ce que le dos se fende et que la chair ensanglantée apparaisse comme une fleur de lotus écarlate. Et l’Enfer du grand lotus cramoisi est encore plus atroce. Lorsqu’on tombe dans un lieu aussi mauvais, le fait d’être souverain ou général ne signifie plus rien. Tourmenté par les gardiens de l’enfer, l’on ne diffère en rien d’un singe tenu en laisse. À quoi peuvent bien servir alors gloire et fortune ? Peut-on encore être arrogant et s’entêter dans de fausses croyances ?
Prenons le temps d’y réfléchir ! Qu’elle est rare la foi qui pousse à faire des offrandes au moine qui connaît le cœur du Sūtra du Lotus ! On ne s’égarera pas dans les voies mauvaises si l’on agit ainsi, ne serait-ce qu’une fois. Encore plus grands sont les bienfaits provenant de dix ou de vingt dons, ou de cinq ou dix ans, ou même d’une vie entière consacrée à faire des offrandes. Même la sagesse du Bouddha ne peut les évaluer. Le Bouddha enseigna que les bienfaits découlant d’une seule offrande au pratiquant de ce Sūtra sont cent, mille, dix mille, un million de fois plus importants que ceux provenant de l’offrande d’innombrables trésors au bouddha Shakyamuni pendant quatre-vingts millions de kalpa. Quand nous rencontrons ce Sūtra, nous éprouvons un bonheur débordant et versons des larmes de joie. Il nous semble impossible de nous acquitter de notre dette envers le bouddha Shakyamuni. Mais, par les fréquentes offrandes que vous me faites parvenir au fond de ces montagnes, vous répondez à la grande bonté du Sūtra du Lotus et du bouddha Shakyamuni. Faites encore plus d’efforts dans la foi et ne cédez jamais à la négligence. Tous les gens semblent avoir une foi résolue lorsqu’ils adoptent pour la première fois le Sūtra du Lotus mais, à mesure que le temps passe, ils tendent à devenir de moins en moins fervents ; ils ne révèrent plus le moine, ne lui font plus d’offrandes, s’abandonnent à l’arrogance et forment des opinions erronées. Rien n’est plus effrayant. Veillez à développer votre foi jusqu’au dernier moment de votre vie. Autrement, vous aurez des regrets. Ainsi, le voyage de Kamakura à Kyōto dure douze jours. Si vous voyagez pendant onze jours mais que vous vous arrêtez alors qu’il reste encore un jour à parcourir, comment pourrez-vous admirer la lune au-dessus de la capitale ? Quoi qu’il arrive, restez proche du moine qui connaît le cœur du Sūtra du Lotus, continuez à apprendre auprès de lui les principes des enseignements bouddhiques, et poursuivez votre voyage dans la foi.
Que les jours passent vite ! Nous prenons ainsi conscience du peu d’années qu’il nous reste à vivre. Les amis goûtent ensemble la joie des cerisiers en fleurs par les matins de printemps, puis ils s’en vont, emportés comme des fleurs par les vents de l’impermanence, sans rien laisser d’autre que leurs noms. Bien que les fleurs se soient dispersées, les cerisiers fleuriront de nouveau avec la venue du printemps, mais quand ces gens renaîtront-ils ? Les compagnons 1038avec qui nous avons goûté la joie de composer des poèmes en l’honneur de la lune lors des soirées d’automne ont disparu comme la lune derrière le mouvement des nuages. Seuls leurs visages demeurent dans nos cœurs. Même si la lune s’est couchée derrière les montagnes, à l’ouest, nous composerons de nouveau de la poésie sous ces arbres l’automne prochain. Mais où sont nos compagnons disparus ? Même quand le tigre de la mort3 s’approche en feulant, nous ne l’entendons pas et nous ne sommes pas effrayés. Combien reste-t-il de jours à vivre aux moutons destinés à l’abattoir ?
Dans les montagnes Neigeuses vit un oiseau appelé l’oiseau Souffrant-du-Froid qui, torturé par le froid glacial, crie qu’il se bâtira un nid au matin. Pourtant, quand vient le jour, il s’endort des heures durant dans la chaude lumière du soleil du matin sans se bâtir de nid. Il continue ainsi à crier en vain durant toute sa vie. Cela s’applique aussi à tous les autres êtres vivants. Quand ils tombent en enfer et suffoquent dans les flammes, ils aspirent à renaître en tant qu’êtres vivants et font le vœu de tout rejeter pour servir les Trois Trésors afin de parvenir à l’illumination dans leur vie prochaine. Mais, même dans les rares occasions où ils parviennent à renaître sous forme humaine, les vents de la gloire et du profit soufflent violemment et la lampe de la pratique bouddhique est facilement éteinte. Sans scrupules, ils dilapident leurs richesses pour des choses sans importance, mais répugnent à faire le plus petit don au Bouddha, à la Loi et à la Communauté bouddhiste. C’est très grave car ils sont alors sous l’emprise des messagers de l’enfer. Tel est le sens du dicton : « Un pouce de bien pour un pied de mal4. »
De plus, puisque ce pays est une terre où les gens calomnient l’enseignement correct, les divinités bienveillantes qui devraient le protéger, privées du parfum de la Loi, sont montées au ciel en abandonnant leurs sanctuaires. Les sanctuaires vides ont été occupés par les démons qui égarent leurs adeptes. Le Bouddha ayant cessé de prêcher est retourné dans la Terre de la lumière paisible. Halls et pagodes, temples et sanctuaires ont été abandonnés pour devenir les repères des démons. Ces bâtiments imposants alignés côte à côte ont été construits par le pays, grâce au travail imposé au peuple. Il ne s’agit pas là seulement de mon opinion personnelle ; c’est ce qui est indiqué dans les sūtras et vous devriez donc les étudier attentivement.
Ni les bouddhas ni les divinités ne devraient jamais accepter les dons de ceux qui calomnient l’enseignement correct. Alors, comment nous, êtres humains, pourrions-nous les accepter ? La divinité du sanctuaire Kasuga5 proclama par le biais d’un oracle qu’elle n’accepterait rien de ceux dont le cœur est impur, même si elle devait manger des flammes de cuivre brûlant ; qu’elle refuserait de s’installer chez eux même si elle devait s’asseoir sur du cuivre incandescent. Elle préférerait descendre dans une hutte misérable dont l’entrée est barrée par les mauvaises herbes ou dans une pauvre maison de chaume. Elle déclara qu’elle ne rendrait jamais visite à quelqu’un qui n’a pas la foi, même si l’on accrochait des guirlandes sacrées pendant mille jours pour l’accueillir, mais qu’elle irait dans un foyer où les gens ont la foi, même s’il est endeuillé par la mort d’un parent. Déplorant l’invasion du pays par les calomniateurs, les divinités bienveillantes l’ont abandonné et sont montées au ciel. « Ceux qui ont un cœur impur » désigne ceux qui refusent d’adopter le Sūtra du Lotus, conformément à ce qui est décrit dans le cinquième volume du Sūtra. Si les divinités elles-mêmes considèrent les offrandes des calomniateurs comme plus abominables que les flammes du cuivre en feu, comment nous, hommes du commun, pourrions-nous les accepter ? Si quelqu’un tuait nos parents, puis nous offrait un cadeau, pourrions-nous l’accepter ? Même les 1039personnes avisées ou les sages ne peuvent éviter l’Enfer aux souffrances incessantes s’ils acceptent les offrandes des calomniateurs. Vous ne devriez pas vous associer à des calomniateurs car, si vous le faites, vous partagerez leur faute. Voilà ce que vous devriez redouter par-dessus tout.
Le bouddha Shakyamuni est le père, le souverain et le maître de tous les autres bouddhas et de toutes les divinités, de toute l’assemblée des êtres humains et des êtres célestes et de tous les êtres vivants. Comment les dieux célestes et les divinités bienveillantes pourraient-ils se réjouir si le Bouddha était tué ? Aujourd’hui, tous les habitants de notre pays se sont révélés des ennemis du bouddha Shakyamuni, mais, plus que les laïcs, hommes et femmes, ce sont les moines à la sagesse et au cœur dénaturés qui sont les pires ennemis du Bouddha. Il y a deux sortes de sagesse, l’une correcte, l’autre faussée. Aussi sage que paraisse une personne, si ce qu’elle dit est erroné, vous ne devriez pas l’écouter. Pas plus que vous ne devriez suivre des moines du seul fait qu’ils sont vénérables ou de rang élevé. Mais si une personne est assez sage pour comprendre le véritable sens du Sūtra du Lotus, aussi vile qu’elle paraisse, accordez-lui votre respect et faites-lui des offrandes comme si elle était un Ainsi-Venu vivant. Voilà ce qui est écrit dans le Sūtra6. C’est pourquoi le Grand Maître Dengyō dit que, même s’ils manquent de connaissance ou enfreignent les préceptes, il ne faut jamais faire asseoir les hommes et les femmes qui croient dans ce Sūtra dans une position basse, mais bien plutôt au-dessus des moines qui observent dans leur intégralité les deux cent cinquante préceptes du Hinayana ; et cela s’applique encore plus pour les moines de ce Sūtra du Mahayana [le Sūtra du Lotus].
On considère que le moine Ryōkan, du Gokuraku-ji, est un Ainsi-Venu vivant, mais les hommes et les femmes qui croient dans le Sūtra du Lotus devraient s’asseoir au-dessus de lui. Il semble tout à fait extraordinaire que ce Ryōkan, qui observe les deux cent cinquante préceptes, soit en colère et me fixe d’un regard furieux à chaque fois qu’il me voit, moi, Nichiren. C’est un érudit qui se retrouve sous l’emprise du démon. Cela est comparable à une personne d’humeur plutôt égale qui, en état d’ivresse, révèle son côté malfaisant et provoque des troubles. Avant l’enseignement du Sūtra du Lotus, le Bouddha enseigna que ceux qui ont fait des offrandes à Mahakashyapa, Shariputra, Maudgalyayana [et Subhuti] tomberaient dans les trois mauvaises voies. Il a dit que l’esprit de ces auditeurs était inférieur à celui de chiens et de renards. Ces quatre grands auditeurs gardèrent rigoureusement les deux cent cinquante préceptes et leur observance des trois mille règles de conduite était aussi parfaite que la pleine lune de la quinzième nuit. Néanmoins, jusqu’au moment où ils adoptèrent le Sūtra du Lotus, ils furent durement critiqués par le Bouddha. C’est donc d’autant plus vrai des moines d’aujourd’hui qui leur sont inférieurs !
Les moines du Kenchō-ji et de l’Engaku-ji7 enfreignent de manière si flagrante le code des cérémonies et les préceptes qu’ils ressemblent à une montagne qui s’est écroulée. Leur comportement licencieux est semblable à celui des singes. Il est parfaitement futile de rechercher le salut dans une prochaine vie en faisant des offrandes à de tels moines. Les divinités bienveillantes qui accordent leur protection ont sans aucun doute abandonné notre pays. Il y a longtemps, les dieux célestes et les divinités bienveillantes, les bodhisattvas et les auditeurs ont fait en chœur le serment, en présence du bouddha Shakyamuni, que, si un pays faisait preuve d’hostilité envers le Sūtra du Lotus, ils apparaîtraient sous forme de gel et de grêle lors du sixième mois, pour mener ce pays à la famine ; ou se changeraient en insectes pour dévorer les cinq sortes de grains8 ; ou provoqueraient des sécheresses ou des inondations qui détruiraient les champs et les 1040fermes ; ou se changeraient en tempête pour emporter les gens dans la mort ; ou se transformeraient en démons pour les faire souffrir. Le grand bodhisattva Hachiman figurait parmi ceux qui étaient présents. Ne craint-il pas de briser le serment prononcé au pic de l’Aigle ? S’il brisait sa promesse, il serait sûrement condamné à l’Enfer aux souffrances incessantes — chose effrayante et terrible. Tant que l’envoyé du Bouddha n’était pas réellement apparu dans le monde pour propager le Sūtra du Lotus, les souverains du pays ne lui étaient pas hostiles car ils révéraient également tous les sūtras.
Cependant, maintenant que je propage le Sūtra du Lotus en tant qu’envoyé du Bouddha, tous, depuis le souverain jusqu’au peuple, sont devenus des calomniateurs de l’enseignement correct. Jusqu’à présent, Hachiman a fait tout son possible pour empêcher que l’hostilité envers le Sūtra du Lotus ne se répande parmi les gens de ce pays, répugnant autant à les abandonner que des parents répugneraient à délaisser leur enfant unique, même si ce dernier manquait de piété filiale. Mais aujourd’hui, par crainte de briser le serment prononcé au pic de l’Aigle, il a brûlé son sanctuaire et est monté au ciel. Malgré tout, s’il y avait un pratiquant du Sūtra du Lotus qui donnait son corps et sa vie pour ce dernier, Hachiman le prendrait sous son ombre. Mais puisque la Grande Déesse du Soleil et le grand bodhisattva Hachiman s’en sont allés, comment les autres divinités pourraient-elles demeurer dans leurs sanctuaires ? Même s’ils ne souhaitaient pas partir, comment pourraient-ils rester un jour de plus si je leur reprochais de ne pas tenir la promesse faite au pic de l’Aigle ? Même si quelqu’un est un voleur, tant que personne ne le sait, il pourra vivre partout où il le souhaite. Mais, s’il est accusé publiquement d’être un voleur par quelqu’un qui le connaît, il sera contraint de quitter sa demeure contre son gré. De la même façon, parce que je suis informé de leur vœu, les divinités sont contraintes d’abandonner leurs sanctuaires. Contrairement à ce que croient les gens, ce pays est désormais habité par des divinités-démons malfaisantes. C’est vraiment pitoyable !
Nombreux sont ceux qui ont propagé les divers enseignements dispensés par le Bouddha en cette vie mais, jusqu’à présent, personne, ni même Tiantai ni même Dengyō, n’a enseigné le plus important de tous9. Il devait en être ainsi car cet enseignement doit être propagé avec la venue du bodhisattva Pratiques-Supérieures durant la première période de cinq cents ans de l’époque de la Fin de la Loi.
Quoi qu’il en soit, gardez toujours une foi résolue dans le Sūtra du Lotus. Alors, au dernier moment de votre vie, vous serez accueilli par mille bouddhas qui vous mèneront rapidement dans la Terre pure du pic de l’Aigle où vous ferez l’expérience de la joie illimitée de la Loi. Si votre foi s’affaiblit et que vous n’atteignez pas la bouddhéité en cette vie, ne m’en faites pas le reproche. Sinon, vous seriez comme le malade qui refuse le bon remède prescrit par son médecin et qui prend du poison à la place. Il ne recouvre pas la santé mais il ne lui vient jamais à l’esprit que c’est de sa faute et il blâme le médecin. Croire dans ce Sūtra signifie que vous atteindrez à coup sûr la bouddhéité si vous êtes fidèle au Sūtra dans son intégralité et adhérez rigoureusement à ses enseignements, sans y ajouter aucune de vos idées personnelles ni suivre les interprétations arbitraires des autres.
Devenir bouddha n’a rien d’extraordinaire. Si vous récitez Nam-myōhō-renge-kyō de tout votre cœur, vous serez naturellement doté des trente-deux signes principaux et des quatre-vingts signes secondaires du Bouddha. Comme il est dit dans le Sūtra : « [(...) À l’origine j’ai fait un vœu] dans l’espoir de rendre toutes les personnes égales à moi-même, sans aucune distinction entre nous10. » Vous pouvez donc aisément devenir un bouddha aussi noble que 1041Shakyamuni. Un œuf d’oiseau ne contient que du liquide et c’est pourtant à partir de là que se développent le bec, les deux yeux et toutes les autres parties, et que l’oiseau prend son envol dans le ciel. Nous aussi, nous sommes les misérables œufs de l’ignorance, mais quand nous sommes nourris par la récitation de Nam-myōhō-renge-kyō, qui est comme la mère oiseau, nous développons le bec des trente-deux signes principaux et les plumes des quatre-vingts signes secondaires et prenons librement notre envol dans le ciel de la réalité ultime de tous les phénomènes et de la réalité essentielle. C’est ce que laisse entendre le passage d’un sūtra où il est dit en substance : « Tous les êtres vivants résident dans la coquille de l’ignorance et sont privés du bec de la sagesse. Le Bouddha revient en ce monde — terre où les sages et les hommes du commun vivent ensemble, ces derniers étant soumis à la transmigration avec ses différences et ses limites11 — de même qu’une mère oiseau retourne à son nid, et il brise la coquille de l’ignorance de sorte que tous les êtres vivants, tels des oisillons, peuvent quitter le nid et prendre leur envol dans le ciel de la nature essentielle des phénomènes12. »
« La connaissance sans la foi » décrit ceux qui ont une connaissance des doctrines bouddhiques mais n’ont pas la foi. Ces personnes n’atteindront jamais la bouddhéité. Ceux qui ont « la foi sans la connaissance » peuvent manquer de connaissance mais ils ont la foi et peuvent atteindre la bouddhéité. Il ne s’agit pas seulement de mon opinion personnelle ; c’est ce que dit clairement le Sūtra du Lotus. Dans le deuxième volume, le Bouddha dit : « Même toi, Shariputra, tu n’as pu, en ce qui concerne ce Sūtra, y accéder que grâce à ta foi (...) non en raison de ta sagesse personnelle13. » Cela montre que même Shariputra, avec sa sagesse sans égale, n’a pu atteindre la bouddhéité qu’en adoptant ce Sūtra et en y croyant résolument ; ce n’est pas sa seule sagesse qui lui a permis de devenir bouddha. Si Shariputra n’a pu atteindre la bouddhéité par sa sagesse, comment nous, hommes du commun, avec notre connaissance limitée des doctrines, pourrions-nous oser rêver d’atteindre la bouddhéité si nous n’avons pas la foi ? Le Bouddha explique que les gens de l’époque de la Fin de la Loi seront arrogants, bien que leur connaissance des doctrines soit superficielle, et qu’ils manqueront de respect envers les moines, négligeront la Loi et tomberont ainsi dans les mauvaises voies. Si quelqu’un comprend véritablement les enseignements bouddhiques, il doit le montrer par son respect envers les moines, sa vénération pour la Loi et ses offrandes envers le Bouddha. Le bouddha Shakyamuni n’est pas parmi nous maintenant et vous devez donc respecter le maître à la sagesse éclairée comme vous respecteriez le Bouddha lui-même. Comment, alors, pourriez-vous ne pas recevoir des bienfaits ? Si l’on souhaite le bonheur dans notre prochaine existence, il faut renoncer à notre désir de gloire et de fortune et respecter le moine qui enseigne le Sūtra du Lotus comme on respecterait un Ainsi-Venu vivant, même s’il s’agit d’un moine qui occupe une position modeste. Voilà ce qui est écrit dans le Sūtra.
L’école Zen d’aujourd’hui enfreint le plus souvent les cinq vertus fondamentales : la bienveillance, la droiture, la bienséance, la sagesse et la confiance. Le fait d’honorer les sages et les personnes vertueuses, de respecter les aînés et de protéger les jeunes est universellement reconnu comme une attitude digne d’un être vivant, dans les écrits bouddhiques comme non bouddhiques. Mais hier encore ou avant-hier les moines du Zen ne formaient qu’une foule inculte, incapable de faire la distinction entre le noir et le blanc. Et, maintenant qu’ils ont revêtu des habits de moine, ils sont devenus si vaniteux qu’ils rabaissent les moines érudits et vertueux des écoles Tendai et Shingon. Ils ne respectent pas du tout les convenances et pensent qu’ils se situent au-dessus de tous les autres. Ces humains sont d’une telle 1042insolence que même les animaux se comportent mieux qu’eux. Le Grand Maître Dengyō déclare que la loutre témoigne de son respect en offrant les poissons qu’elle a capturés14, le corbeau dans la forêt apporte de la nourriture à ses parents et grands-parents, la colombe prend soin de se percher trois branches plus bas que son père, les oies sauvages restent en ordre parfait lorsqu’elles volent ensemble, et les agneaux s’agenouillent pour boire le lait de leur mère. Dengyō demande alors : si des animaux aussi vils se comportent avec tant de décence, comment les humains pourraient-ils manquer à ce point de courtoisie ? Selon les paroles de Dengyō, il est inévitable que les moines du Zen soient dans la confusion en ce qui concerne les enseignements bouddhiques, puisqu’ils ignorent même la manière de se comporter en tant qu’êtres humains. Ils se conduisent comme Papiyas, le démon céleste.
Comprenez bien ce que je vous ai enseigné ici et poursuivez votre pratique sans négligence, vénérez le seul Sūtra composé de huit volumes et de vingt-huit chapitres. Si vous aspirez à me voir, priez chaque jour vers le soleil et, une fois par jour, mon image s’y trouvera reflétée. Faites en sorte que le moine qui me tient lieu de messager vous lise cette lettre. Faites-lui confiance comme à un maître à la sagesse éclairée, et posez-lui toutes les questions que vous avez sur les doctrines. Si vous ne posez pas de questions pour résoudre vos doutes, vous ne pourrez pas dissiper les nuages noirs de l’illusion, pas plus que vous ne pourriez parcourir plus de mille ri sans jambes. Faites-lui lire cette lettre encore et encore et écoutez attentivement. Sachant que j’aurai l’occasion de parler avec vous lors de notre prochaine rencontre, j’aimerais conclure ici.
Avec tout mon respect,
Nichiren
Le deuxième mois de la troisième année de Kōan [1280]
À Niike
Notes
1. Le foie, les poumons, le cœur, les reins et la rate.
2. Principes remarquables du Sūtra du Lotus.
3. L’image du « tigre de la mort » est dérivée d’un passage du Traité de la grande perfection de sagesse où il est déclaré que, même si l’eau est agréable et l’herbe appétissante, les moutons préféreront rester sur leur faim par crainte du tigre féroce.
4. Ici, le mot japonais ma ou « démon » a été traduit par « mal » pour plus de clarté. Dans ce cas, cela désigne ce qui fait obstacle au plus grand bien.
5. Important sanctuaire de Nara, associé à la famille Fujiwara.
6. On lit dans le chapitre “Le maître de la Loi” : « Dans ce monde mauvais, aussitôt après ma disparition, si certains peuvent adhérer à ce Sūtra, vous devrez alors joindre vos mains en signe de déférence et leur faire des offrandes comme s’il s’agissait de l’Honoré du monde. »
7. Deux des cinq temples majeurs du Zen, à Kamakura. Le Kenchō-ji fut fondé par le régent Hōjō Tokiyori, en 1253, et l’Engaku-ji par le régent Hōjō Tokimune, en 1278.
8. Blé, riz, fèves, et deux sortes de millet. Il peut s’agir aussi d’un terme générique pour désigner toutes les catégories de grain, ce qui est le cas ici.
9. « Le plus important de tous » désigne l’enseignement transmis par Shakyamuni au bodhisattva Pratiques-Supérieures dans le chapitre “Les pouvoirs transcendantaux de l’Ainsi-Venu” du Sūtra du Lotus. Il est décrit dans le chapitre “Les actes antérieurs du bodhisattva Roi-de-la-Médecine” comme la Loi qui se propagerait dans la dernière période de cinq cents ans après sa disparition.
10. Sūtra du Lotus, chap. 2.
11. Il s’agit là de la transmigration des êtres non éveillés à travers les six voies. On dit que les êtres vivants répètent le cycle des naissances parmi les six états inférieurs, caractérisés par l’illusion, avec des durées de vie limitées et sous différentes formes en fonction de leur karma.
12. Source inconnue.
13. Sūtra du Lotus, chap. 3.
14. Les Chinois croyaient que, lorsqu’une loutre laissait une partie d’un poisson sans la manger, c’est parce qu’en fait elle offrait les restes à titre d’offrande religieuse. On trouve cette histoire dans le Livre des rites de Confucius.