Question : On lit dans le quatrième volume du Sūtra du Lotus au chapitre “Le maître de la Loi” : « Ce Sūtra du Lotus est le plus difficile à croire et le plus difficile à comprendre1. » Quel est le sens de ce passage ?
Réponse : Plus de deux mille ans se sont écoulés depuis que le Bouddha a enseigné le Sūtra du Lotus en Inde. Il a fallu quelque mille deux cents ans avant que ce Sūtra ne soit introduit en Chine et deux cents ans encore avant qu’il ne soit apporté de Chine au Japon. Depuis, plus de sept cents ans se sont déjà écoulés.
Après la disparition du Bouddha, seules trois personnes ont saisi le véritable sens de ce passage du Sūtra du Lotus. En Inde, le bodhisattva Nagarjuna dit, dans son Traité de la grande perfection de sagesse : « [Le Sūtra du Lotus est] comme un grand médecin qui change le poison en remède. » C’est ainsi qu’il expliqua le sens du passage « le plus difficile à croire et le plus difficile à comprendre ». En Chine, le Grand Maître Tiantai Zhizhe interpréta cette phrase [en la replaçant] dans son contexte : « Parmi les sūtras que j’ai prêchés, que je prêche ou que je prêcherai, ce Sūtra du Lotus est le plus difficile à croire et le plus difficile à comprendre2. » Et, au Japon, 1048le Grand Maître Dengyō émit le commentaire suivant : « Tous les sūtras enseignés au cours des quatre premières périodes du passé, le Sūtra aux sens infinis enseigné maintenant et le Sūtra du Nirvana, qui sera enseigné à l’avenir, sont faciles à croire et faciles à comprendre. En effet, le Bouddha a enseigné ces sūtras en fonction de la capacité de ses auditeurs. Le Sūtra du Lotus est le plus difficile à croire et le plus difficile à comprendre parce que le Bouddha y a directement révélé ce à quoi il est parvenu3. »
Question : Pouvez-vous expliquer ce qu’il voulait dire par là ?
Réponse : La facilité à croire et à comprendre dans le premier cas est due au fait que le Bouddha a enseigné en fonction de la capacité des gens. Et la difficulté à croire et à comprendre dans l’autre cas est due au fait que le Bouddha révèle directement ce à quoi il est parvenu.
Le Grand Maître Kōbō et ses successeurs du Tō-ji, au Japon, prétendent que, parmi tous les enseignements exotériques, le Sūtra du Lotus est le plus difficile à croire et le plus difficile à comprendre mais que, par comparaison avec les enseignements ésotériques, il est facile à croire et facile à comprendre. Jikaku, Chishō et leurs disciples prétendent que le Sūtra du Lotus et le Sūtra de Mahavairochana sont parmi les plus difficiles à croire et les plus difficiles à comprendre mais que, parmi ces deux-là, le Sūtra de Mahavairochana est de loin le plus difficile à croire et à comprendre.
Tout le monde au Japon admet ces deux positions. Mais voici l’interprétation que je donne de ce passage : je considère que les écrits non bouddhiques sont plus faciles à croire et à comprendre que les sūtras du Hinayana, les sūtras du Hinayana plus faciles que le Sūtra de Mahavairochana et les autres sūtras [Vaipulya], le Sūtra de Mahavairochana et les autres sūtras plus faciles que les sūtras de la Sagesse, les sūtras de la Sagesse plus faciles que le Sūtra de la Guirlande de fleurs, le Sūtra de la Guirlande de fleurs plus facile que le Sūtra du Nirvana, le Sūtra du Nirvana plus facile que le Sūtra du Lotus, et l’enseignement théorique du Sūtra du Lotus plus facile que l’enseignement essentiel4. Il y a donc de nombreux niveaux de comparaison.
Question : À quoi sert-il de les connaître ?
Réponse : La grande lanterne qui illumine la longue nuit des souffrances des naissances et des morts, le sabre acéré qui tranche l’obscurité fondamentale inhérente à la vie, ne sont autres que le Sūtra du Lotus. Les enseignements des écoles Shingon, Kegon et des autres relèvent de la catégorie des enseignements exposés en fonction des capacités des êtres ordinaires. Ils sont donc faciles à croire et à comprendre. Les sūtras enseignés par le Bouddha en réponse aux désirs des êtres ordinaires dans les neuf états sont les enseignements exposés en fonction de leur capacité. Il en est de même pour un père sage qui instruit son fils ignorant d’une manière adaptée à sa compréhension. Par ailleurs, l’enseignement exposé en accord avec l’illumination du Bouddha est le Sūtra exposé par le Bouddha directement sur la base de son état de bouddha, de même qu’un père sage guide son fils ignorant jusqu’à la compréhension qui est la sienne.
À la lumière de ce principe, j’ai attentivement étudié le Sūtra de Mahavairochana, le Sūtra de la Guirlande de fleurs, le Sūtra du Nirvana et les autres sūtras [provisoires], et j’ai finalement découvert que tous ces sūtras sont exposés en fonction de la capacité des gens.
Question : Avez-vous des preuves pour étayer cette affirmation ?
Réponse : Il est dit dans le Shrimala-sūtra : « Le Bouddha conduit à maturité ceux qui n’ont pratiqué que les enseignements non bouddhiques en révélant la maturation des racines de bien dans le monde des êtres humains et dans celui des êtres célestes. À ceux qui cherchent à devenir des auditeurs, le Bouddha transmet le véhicule des auditeurs. À ceux qui cherchent à devenir des bouddhas-pour-soi, le 1049Bouddha expose le véhicule pour les bouddhas-pour-soi. À ceux qui recherchent le Grand Véhicule, le Bouddha révèle le Grand Véhicule [pour les bodhisattvas]. » Cette déclaration concerne les enseignements qui sont faciles à croire et faciles à comprendre, comme le Sūtra de la Guirlande de fleurs, le Sūtra de Mahavairochana, les sūtras de la Sagesse, le Sūtra du Nirvana et les autres.
En revanche, il est dit dans le Sūtra [du Lotus] : « À ce moment, l’Honoré du monde, s’adressant au bodhisattva Roi-de-la-Médecine, et à travers lui aux quatre-vingt mille grands personnages, lui demanda : “Roi-de-la-Médecine, vois-tu dans cette grande assemblée les innombrables êtres célestes, les rois-dragons, les yaksha, les gandharva, les asura, les garuda, les kimnara, les mahoraga, les êtres humains et les êtres non humains, mais aussi les moines, les nonnes, les croyants laïcs, hommes et femmes, désireux de devenir auditeurs, pratyekabuddha ou qui sont en quête de la Voie du Bouddha ? À ces êtres de toutes sortes, qui ont écouté, en présence du Bouddha, ne serait-ce qu’une phrase du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse et qui y pensent un instant avec joie, je vais délivrer la prophétie que chacun d’entre eux atteindra l’illumination parfaite suprême5.” »
Parmi les divers autres sūtras, nous découvrons que les cinq préceptes furent enseignés pour les êtres humains, les dix préceptes de bien pour les êtres célestes, [les quatre vertus incommensurables], bienveillance, compassion, joie et impartialité pour le dieu Brahma, la pratique du don pour le roi-démon, les deux cent cinquante préceptes pour les moines, les cinq cents préceptes pour les nonnes, les quatre nobles vérités6 pour les auditeurs, la chaîne de la causalité aux douze maillons7 pour les bouddhas-pour-soi, et les six paramita8 pour les bodhisattvas. Cette méthode d’enseignement est comparable à l’eau qui épouse la forme ronde ou carrée du récipient qui la contient ou à un éléphant qui se contente de déployer la force nécessaire pour soumettre son ennemi.
Le Sūtra du Lotus est tout à fait différent. Il fut enseigné de la même manière pour tous, y compris pour les huit sortes d’êtres non humains et les quatre sortes de croyants. Cette méthode d’enseignement est comparable à un instrument de mesure utilisé pour éliminer les inégalités d’un terrain ou au roi lion qui se sert toujours de toute sa puissance pour attaquer, quelle que soit la force de son adversaire.
Quand on examine les divers sūtras dans le clair miroir du Sūtra du Lotus, il est évident que les trois sūtras du Shingon, notamment le Sūtra de Mahavairochana, et les trois sūtras de la Terre pure9 sont des enseignements exposés en fonction de la capacité des gens. Cependant, comme les gens s’appuient sur les enseignements de Kōbō, Jikaku et Chishō, cette vérité est restée dans l’obscurité au Japon depuis maintenant plus de quatre siècles. C’est comme échanger un joyau contre un caillou, ou vendre du bois de santal au même prix que du bois ordinaire. Comme la Loi bouddhique s’est progressivement retrouvée sens dessus dessous, le monde profane a lui aussi été plongé dans la corruption et le chaos. La Loi bouddhique est comme le corps et le monde comme l’ombre. Quand le corps se penche, l’ombre se penche également. Heureusement tous mes disciples suivent la véritable intention du Bouddha et ils se couleront naturellement dans le vaste océan de la sagesse intégrale ! Mais les érudits bouddhistes de notre époque ont foi dans les enseignements exposés en fonction de la capacité des gens et sont donc voués à sombrer dans la mer des souffrances. Je vous expliquerai cela plus en détail en une autre occasion.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le vingt-sixième jour du cinquième mois
Réponse à Toki