Points de repère
Cette lettre a été écrite lors du septième mois de la troisième année de Kōan (1280), mais on ne sait pas avec certitude à qui elle était destinée. On a dit que son destinataire était Matsuno Rokurō Saemon-no-jō, qui habitait le village de Matsuno, dans le district d’Ihara, province de Suruga mais, selon une autre source, il s’agirait plutôt de Niike Saemon-no-jō. La première hypothèse s’appuie notamment sur le fait qu’on trouve dans cette lettre une description physique et morale du moine Nichiji, l’un des moines principaux de Nichiren, ce qui suggère qu’il le connaissait personnellement. Matsuno Rokurō Saemon-no-jō était en effet le frère aîné de Nichiji.
Dans cette lettre, Nichiren utilise l’exemple de l’homme riche Vertu-du-Plaisir pour illustrer à quel point le roi-démon du sixième ciel lui-même redoute le pratiquant du Sūtra du Lotus et fait preuve de servilité à son égard. Il dit combien il est heureux que le destinataire de cette lettre ait persévéré dans sa foi malgré l’opposition des gens du Japon aux enseignements de Nichiren.
Ensuite, Nichiren mentionne l’histoire du roi Merveilleux-Ornement qui fut converti à l’enseignement correct par ses fils Pure-Resserre et Pure-Vision. Pour conclure, il assure le destinataire de cette lettre et son épouse que leur fils a en fait atteint l’illumination et les encourage dans leur foi.
J’ai bien reçu le sac de riz complet, le panier de courges, quelques pousses de taros et les divers autres articles que vous m’avez fait parvenir.
Il y eut autrefois quelqu’un qui s’évertuait à servir un homme riche appelé Vertu-du-Plaisir. Jour et nuit, son épouse et lui, ainsi que leurs enfants étaient traités sans ménagement. Ne supportant pas ces mauvais traitements abusifs, il se cacha et s’enfuit dans un autre pays. Après avoir servi un temps à la Cour du grand roi de ce pays, il devint un vassal influent et, finalement, Premier ministre du roi. Par la suite, grâce à la puissance de son pays, il vainquit celui où résidait son premier maître. Reconnaissant alors le Premier ministre, l’ancien maître éprouva une grande frayeur et regretta les mauvais traitements [qu’il lui avait infligés]. Il se mit à son service et lui fit don de divers trésors. Et, sans penser à la défaite qu’il venait de subir, il ne se préoccupa plus désormais que d’avoir la vie sauve1.
Il en va de même pour le Sūtra du Lotus. Ce Sūtra est le maître du bouddha Maître-de-la-Médecine, à l’est, ainsi que le maître de tous les bouddhas du sud, de l’ouest, du nord et des mondes du haut et du 1060bas. Le bouddha Shakyamuni et les autres bouddhas révèrent les caractères [chinois] du Sūtra du Lotus de la même façon que le peuple redoute le souverain et que les étoiles vénèrent la lune.
Cependant, nous, êtres ordinaires, vivons depuis longtemps sous le règne du roi-démon du sixième ciel. Nous avons été contraints de rester enfermés dans le monde de l’enfer, dans celui des esprits affamés et dans celui des animaux et, sans un instant de répit, jour et nuit, nous sommes torturés par les gardiens de l’enfer. Malgré cela si, d’une façon ou d’une autre, nous parvenions à nous placer sous la protection du Sūtra du Lotus, le bouddha Shakyamuni et les bouddhas des dix directions nous traiteraient alors comme leurs enfants et, ainsi, même les rois célestes Brahma et Shakra, sous l’emprise de la crainte, s’abstiendraient de s’approcher de nous. Le roi-démon du sixième ciel2 nous redouterait alors encore plus ! Même si ce roi-démon avait été auparavant notre maître, il adopterait maintenant à notre égard une attitude de crainte respectueuse. Et, redoutant affreusement que, s’il nous causait des troubles, sa situation ne fasse qu’empirer quand il se présenterait devant le Sūtra du Lotus et les bouddhas des dix directions, il nous ferait des offrandes. C’est pourquoi, quelles que soient les circonstances, il ne ménage pas ses efforts pour empêcher tous les êtres vivants dans les six voies d’adopter le Sūtra du Lotus.
Comment est-il alors possible que vous ayez eu pitié de Nichiren, que tous détestent, et que vous ayez fait parvenir divers dons jusqu’à lui, en ces montagnes, beaucoup plus qu’une ou deux fois. Ce n’est pas là une affaire ordinaire. En fait, le bouddha Shakyamuni lui-même est peut-être entré dans votre corps. À moins que votre fils défunt ne soit devenu bouddha et que, afin de guider son père et sa mère, il ne soit entré dans vos cœurs.
Le roi Merveilleux-Ornement3 était un mauvais roi. Cependant, parce que ses fils, Pure-Resserre et Pure-Vision, le guidèrent sur la Voie, son épouse et lui-même purent également avoir foi dans le Sūtra du Lotus et devenir bouddhas. Mystérieusement votre propre situation est à bien des égards identique.
Kai-kō4 a dit : « Lui [le fils défunt] était au-dessus du commun à la fois par ses traits et par sa prestance. De plus, il avait un cœur honnête et beaucoup de sagesse. Il m’est apparu fort regrettable qu’une telle personne, aussi remarquable sur tous les plans, soit vouée à mourir si jeune. Cependant, en y réfléchissant plus profondément, j’ai réalisé que c’était à cause de la mort de ce fils que sa mère s’était mise à aspirer à la Voie et que son père avait commencé à pratiquer, en priant pour son repos. Je me suis dit alors que c’était merveilleux. De plus, le fait qu’ils aient eu foi dans le Sūtra du Lotus, détesté de tous, signifie sans doute que leur fils défunt était auprès d’eux et les a encouragés en ce sens. » Je partage moi aussi cet avis.
Auparavant, je percevais votre bonté comme un phénomène ordinaire mais là, pour la première fois, j’ai ressenti la profondeur de votre foi. Si quelque chose devait vous arriver, de même que la lune émerge et brille dans la nuit noire, les cinq caractères de Myōhō-renge-kyō apparaîtront, telle une lune pour vous. Soyez convaincu que le bouddha Shakyamuni, les bouddhas des dix directions et le fils qui vous a précédé dans la mort apparaîtront sur cette lune. Je vous expliquerai tout cela plus en détail en une autre occasion.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le septième jour du septième mois