Points de repère
Cette lettre a été envoyée du mont Minobu lors du premier mois de la quatrième année de Kōan (1281), année précédant la mort de Nichiren, à l’attention de la nonne séculière Ueno, la mère de Nanjō Tokimitsu, qui était aussi veuve.
Le titre de cette lettre est tiré du premier article figurant sur la liste des offrandes de la nonne séculière Ueno. D’après le calendrier lunaire, le jour du Nouvel An se situait, selon les années, entre le 21 janvier et le 19 février. Il était célébré au début du printemps.
C’était le premier Jour de l’An depuis le décès de Nanjō Shichirō Gorō, le fils cadet de la nonne séculière. Il était décédé quatre mois plus tôt, à l’âge de seize ans. Nichiren sentit que, malgré la bonne humeur apparente de la nonne séculière, la joie d’entrer dans une nouvelle saison devait être ternie par sa peine. Il exprime sa profonde compassion à l’égard de cette femme que la perte de son fils devait rendre d’autant plus triste qu’elle contrastait avec le renouvellement de la vie au commencement du printemps. En expliquant que Nam-myōhō-renge-kyō, la Loi merveilleuse éternelle, transcende vie et mort, il encourage la nonne séculière à renforcer sa foi et à manifester l’état de bouddha, de façon à pouvoir retrouver rapidement son fils.
J’ai bien reçu tous vos dons : un récipient de saké décanté, dix pots verseurs en métal, cent mochi1, un seau contenant environ deux shō de sirop, un panier de mandarines et dix brochettes de kakis séchés.
J’ai lu votre message où vous dites que votre joie en ce début du printemps2 s’est épanouie comme les fleurs de cerisiers et comme la pleine lune.
[L’image de] votre défunt fils Gorō vous revient sans cesse à l’esprit. Les fleurs tombées autrefois vont de nouveau refleurir, et les herbes desséchées se sont mises à repousser. Pourquoi le regretté Gorō ne revient-il pas lui aussi ? Ah ! S’il devait revenir en même temps que les fleurs et les herbes éphémères, alors, même sans être Hitomaro3, nous l’attendrions auprès des fleurs ; même sans être des chevaux attachés, nous ne quitterions jamais la prairie !
Il est dit dans un passage de sūtra que les enfants sont comme des ennemis4. Peut-être y a-t-il une raison à cela. Le hibou dévore sa mère et le hakei5, une bête sauvage, tue son père. Un homme appelé An Lushan6 fut tué par son fils, Shi Siming, et le guerrier Yoshitomo tua son père, Tameyoshi. Ainsi, ce sūtra a de bonnes raisons de dire que les enfants sont comme nos ennemis.
Il est dit dans un autre passage de sūtra que les enfants sont comme un trésor. Le roi Merveilleux-Ornement était destiné, 1099une fois sa vie achevée, à tomber dans l’enfer de la grande citadelle des souffrances incessantes, mais il fut sauvé par son fils, le prince Pure-Resserre. Non seulement il put échapper aux souffrances du grand enfer mais il devint un bouddha appelé Roi-Arbre-de-Sala. Pour s’être rendue coupable d’avidité et de pingrerie, une femme appelée Shōdai-nyo fut enfermée dans le monde des esprits affamés, mais elle fut sauvée par son fils Maudgalyayana et libérée de ce monde7. Ainsi, la déclaration du sūtra selon laquelle les enfants sont comme un trésor n’est en aucune façon erronée.
Le défunt Gorō avait seize ans. Non seulement il surpassait les autres par ses dispositions et sa beauté physique, mais il avait déjà toute la force d’un homme et il était loué de tous. De plus, il se conformait à la volonté de ses parents, comme l’eau épouse la forme du récipient qui la contient ou comme une ombre suit un corps. Vous vous appuyiez sur lui, il était le pilier de votre foyer ; vous pensiez à lui comme à un bâton de marche. Toute la richesse contenue dans les coffres familiaux était pour cet enfant, toutes les personnes au service de votre famille l’étaient aussi. Vous deviez être fermement convaincue que, au moment de votre mort, il vous porterait sur son dos jusqu’au cimetière et que vous ne laisseriez derrière vous aucun motif de regret. Mais hélas ! Il vous a précédée dans la mort. Vous avez dû penser : « Pourquoi ? Pourquoi est-ce arrivé ? Ce doit être un rêve, une illusion ! Je vais me réveiller ; je vais me réveiller ! » Mais vous ne vous êtes pas réveillée, et une année a déjà fait place à la suivante. Vous ne savez pas combien de temps vous devrez attendre. Vous devez sentir que, si seulement il vous avait indiqué à quel endroit le rencontrer, alors, même sans ailes, vous vous élèveriez dans les cieux, et, sans bateau, vous feriez la traversée jusqu’en Chine. Si vous entendiez dire qu’il était dans les entrailles de la terre, vous n’hésiteriez pas à creuser le sol.
Il y a pourtant un moyen facile de le rencontrer. Avec le bouddha Shakyamuni pour guide, vous pouvez le rencontrer dans la Terre pure du pic de l’Aigle. Il est dit dans le Sūtra : « Quant à ceux qui entendent la Loi, aucun ne manquera d’atteindre la bouddhéité8. » Cela signifie que, même si l’on visait la terre et la manquait, même si le soleil et la lune tombaient par terre, même si venait un âge où cessent le flux et le reflux des marées, ou même si les fleurs ne se transformaient pas en fruits l’été, il serait impossible qu’une femme qui récite Nam-myōhō-renge-kyō ne puisse pas retrouver son enfant aimé. Hâtez-vous de renforcer votre foi.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le treizième jour du premier mois
Réponse à la nonne séculière Ueno
Notes
1. Il s’agit de gâteaux de riz cuits à la vapeur.
2. Selon le calendrier lunaire, le premier mois de l’année marque le début du printemps.
3. Kakinomoto no Hitomaro, qui composa son œuvre poétique entre 685 et 705, figure parmi les plus remarquables poètes du Japon. Nichiren évoque ici le lien traditionnel entre la poésie et les fleurs de cerisiers qui inspirèrent de nombreux vers à Hitomaro et à d’autres poètes classiques.
4. Paraphrase d’un passage du Sūtra de la contemplation sur les étapes de l’esprit. Le passage de sūtra mentionné dans le paragraphe suivant, où il est dit que les enfants sont un trésor, est tiré du même texte.
5. Il s’agissait d’un animal légendaire, ressemblant à un tigre, qui, disait-on, mangeait son père.
6. En fait, Shi Siming (décédé en 761) n’était pas le fils d’An Lushan mais un proche subordonné qui lutta à ses côtés à cette époque-là. An Lushan (705-757), officier militaire chinois sous la dynastie des Tang, finit par être tué dans une querelle de succession par son véritable fils An Qingxu qui fut à son tour tué par Shi Siming.
7. Cette histoire est décrite dans le Sūtra sur la cérémonie pour les défunts et citée dans un autre écrit de Nichiren La cérémonie pour les ancêtres défunts.
8. Sūtra du Lotus, chap. 2.