Points de repère
Cette lettre a été envoyée du mont Minobu à une femme appelée la nonne séculière Myōhō. Il semble y avoir eu plusieurs femmes connues sous le nom de Myōhō parmi les disciples de Nichiren. Celle-ci était une veuve qui habitait à Okamiya, dans la province de Suruga. Elle reçut aussi la lettre La phrase unique et essentielle. Son mari était mort en 1278 et d’après cette lettre, écrite en 1281, on comprend qu’elle était alors presque sans famille. Ses filles lui étaient apparemment de peu de secours, parce qu’elles s’étaient mariées et s’étaient liées à la famille de leur mari ou pour toute autre raison. Elle vivait à l’écart des autres membres de sa famille, peut-être en raison de sa croyance dans les enseignements de Nichiren. En tout cas, elle semble avoir conservé une foi pure et résolue malgré l’opposition de son entourage.
Dans cette lettre, tout en la remerciant de lui avoir offert un kimono d’été, Nichiren loue sa forte détermination et la compare au bodhisattva Jamais-Méprisant qui, à maintes reprises, supporta patiemment des insultes au cours de sa pratique bouddhique.
Dans la partie principale de cette lettre, Nichiren compare la nonne séculière Myōhō à la tante maternelle du Bouddha, Mahaprajapati, la première nonne bouddhiste. En Inde, au temps de Shakyamuni, il n’y avait pas d’institution pour accueillir les femmes qui avaient renoncé à la vie séculière pour se lancer sur une voie de discipline religieuse. L’instauration de la communauté des nonnes bouddhistes fut donc une mesure révolutionnaire et Mahaprajapati semble avoir joué un rôle crucial en ce sens. Les divers sūtras Agama font son éloge en la présentant comme la nonne la plus importante parmi les disciples auditeurs. Cependant, du point de vue des enseignements provisoires du Mahayana, les auditeurs ne peuvent devenir bouddhas. Nichiren suggère que, en devenant nonne, Mahaprajapati espérait peut-être se libérer des souffrances liées aux restrictions imposées aux femmes dans la société. Elle a dû être vraiment triste d’apprendre qu’elle était en fait entrée sur une voie qui ne pourrait jamais la mener à la bouddhéité ! Cependant, le Sūtra du Lotus réfute les enseignements provisoires et déclare que la bouddhéité est accessible à tous. Ainsi, dans le Sūtra du Lotus, Mahaprajapati a pu recevoir de Shakyamuni la prophétie qu’elle deviendrait un jour bouddha.
L’expérience de Myōhō présente peut-être des similitudes avec celle de Mahaprajapati, qui dut elle aussi endurer diverses souffrances du fait d’être femme, puis davantage d’épreuves encore pour sa condition de religieuse. Cependant, Nichiren déclare que, en raison de sa foi dans le 1112Sūtra du Lotus, Myōhō atteindra à coup sûr la bouddhéité. C’est pourquoi le nom bouddhique de Mahaprajapati — « Qui-Réjouit-la-Vue-de-Tous-les-Êtres-Vivants » — s’applique également à Myōhō.
J’ai bien reçu votre don d’un kimono d’été léger.
Votre défunt mari vous a laissée dans une situation de femme [isolée], d’autant que vous êtes également séparée des autres membres de votre famille. Vous avez une fille ou peut-être deux dont vous n’avez aucune nouvelle, et vous ne pouvez pas compter sur elles. De plus, vous êtes haïe en raison de [votre foi en] l’enseignement [du Sūtra du Lotus]. Vous êtes en tous points comparable au bodhisattva Jamais-Méprisant.
La tante du Bouddha, la nonne Mahaprajapati, était une femme. Néanmoins, elle devint une arhat, se vit attribuer un nom en tant qu’auditeur [shravaka] et s’engagea sur une voie par laquelle il est impossible d’atteindre la bouddhéité. Transformant son apparence féminine, elle abandonna son statut d’épouse royale et se mit à respecter les conseils du Bouddha. Durant plus de quarante ans, elle garda les cinq cents préceptes. Le jour, elle se tenait au bord de la route [pour mendier des offrandes] et la nuit elle demeurait assise sous un arbre en priant pour sa vie prochaine. Pourtant, la Voie qui mène à la bouddhéité lui était interdite et on parlait couramment d’elle comme de quelqu’un à jamais incapable de devenir bouddha. Elle dut se sentir humiliée ! Puisqu’elle était femme, depuis d’interminables kalpa dans le passé, les gens avaient répandu sur son compte de fausses rumeurs. Elle dut se sentir vraiment embarrassée et vexée ! Quand, rejetant son corps, elle revêtit humblement les vêtements d’une nonne, elle pensa pouvoir se libérer de ces souffrances. Mais apprenant qu’au contraire, comme elle était devenue une personne des deux véhicules, l’atteinte de la bouddhéité lui serait impossible, elle dut se sentir totalement misérable ! Cependant, grâce au Sūtra du Lotus, elle a pu échapper à la fureur des bouddhas des trois phases de l’existence [le passé, le présent et l’avenir] et devenir un bouddha nommé Qui-Réjouit-la-Vue-de-Tous-les-Êtres-Vivants. Quel bonheur, quelle joie ont dû être les siens !
Donc, quoi qu’il arrive, si c’est pour le bien du Sūtra du Lotus, il ne faut jamais renoncer. Le Bouddha « d’une voix forte s’adressa en ces termes aux quatre sortes de croyants1 : “Qui est capable d’enseigner largement en ce monde saha le Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse2 ?” » Tous réagirent en pensant « Moi, moi ! », mais à trois reprises au moins le Bouddha adressa des remontrances aux nonnes et aux femmes laïques. Il leur dit que, si elles désiraient s’acquitter de leur dette envers tous les bouddhas, elles devraient persévérer à travers toutes les difficultés pour propager le Sūtra du Lotus en ce monde saha après sa disparition. Cependant, sans tenir aucun compte de son conseil, elles déclarèrent qu’elles voulaient « aller prêcher largement ce Sūtra dans d’autres terres que celle-ci3 », ce qui montre que ces nonnes ne comprenaient strictement rien à la réalité. Cela dut être vraiment exaspérant pour le Bouddha !
C’est pour cela qu’il se détourna et regarda d’un air grave les huit cent mille millions de nayuta de bodhisattvas.
Je pensais donc que, même si les femmes étaient prêtes à ternir leur nom et à perdre leur vie en suivant des voies insensées, elles étaient bien faibles dès lors qu’il s’agissait de suivre la Voie de la bouddhéité. Mais aujourd’hui, vous, qui êtes une femme en ce monde mauvais de l’époque de la Fin de la Loi, malgré les insultes, les coups et les persécutions des barbares ignorants qui habitent cette île, vous avez fait preuve de persévérance et propagez le Sūtra du Lotus. Depuis le pic de l’Aigle, le Bouddha 1113perçoit sans aucun doute que vous surpassez la nonne [Mahaprajapati], aussi nettement que les nuages sont au-dessus de la boue. Le nom de cette nonne, le bouddha Qui-Réjouit-la-Vue-de-Tous-les-Êtres-Vivants, n’est pas sans rapport avec la situation actuelle ; ce nom est désormais celui de la nonne séculière Myōhō. Quiconque devient roi est réputé avoir observé les dix préceptes4 de bien dans le passé comme dans le présent. Même si le nom des rois change, le trône de lion est unique. Ce nom [Qui-Réjouit-la-Vue-de-Tous-les-Êtres-Vivants] est lui aussi unique.
Même cette nonne qui est allée à l’encontre des paroles du Bouddha [parvenu à l’éveil en cette vie] a reçu le nom de bouddha Qui-Réjouit-la-Vue-de-Tous-les-Êtres-Vivants. Vous êtes une nonne séculière qui, fidèle aux paroles du Bouddha, n’a perdu son nom d’origine au profit de son nom bouddhique que dans ce monde saha et qui donne sa vie [pour le Sūtra du Lotus]. Le Bouddha n’a pas abandonné la nonne [Mahaprajapati], sa mère nourricière. S’il vous abandonnait, vous, qui n’avez pas de lien de parenté avec lui, ce serait un bouddha partial. Comment serait-ce possible ? C’est d’autant plus impossible qu’il est dit dans le Sūtra : « Les êtres vivants qui peuplent [ce monde des trois plans] sont tous mes enfants5 ? » Vous êtes donc la fille du Bouddha et cette nonne était sa mère nourricière. Se pourrait-il que le Bouddha, qui n’a pas abandonné sa mère nourricière, souhaite abandonner sa propre fille ? J’espère que vous comprendrez profondément que tout cela est exact. J’ai déjà été trop long et je m’arrêterai donc ici.
Nichiren
À la nonne séculière Myōhō