Points de repère
Cette lettre, écrite au mont Minobu, le cinquième mois de la première année de Kenji (1275), s’adresse à une femme, disciple de Nichiren, vivant dans le domaine de Sajiki, à Kamakura. Elle aurait donc été l’épouse d’Indō Saburō Saemon Sukenobu et l’on dit qu’elle était aussi de la famille de Nisshō, l’un des six disciples principaux de Nichiren. On a très peu d’informations fiables à son sujet.
La destinataire de cette lettre avait généreusement confectionné un kimono que Nichiren pourrait porter en été. Il vivait alors dans une petite demeure au pied du mont Minobu et endurait de nombreuses privations. Dans cette lettre, après avoir exprimé sa gratitude pour ce kimono, Nichiren explique la signification et le bienfait de cette offrande et loue la foi de sa disciple.
Le paragraphe d’introduction reflète la société féodale japonaise où les femmes avaient peu d’indépendance et où leur sort était largement déterminé par leur mari. Puisque le mari de la Dame de Sajiki croyait dans le bouddhisme de Nichiren, ce dernier lui affirme qu’un lien s’est donc formé entre elle et le Sūtra du Lotus et qu’elle pourra atteindre la bouddhéité. Mais il loue avant tout sa foi personnelle qui la poussa à lui offrir un kimono.
Une femme est comme l’eau qui prend la forme du récipient qui la contient. Elle est comme une flèche qui s’adapte à un arc. Elle est comme un bateau qui dépend de son gouvernail. Par conséquent, si son mari est un voleur, elle le deviendra aussi, et, si son mari est roi, elle deviendra reine. Si c’est un homme de bonté, elle deviendra bouddha. Non seulement sa vie présente mais aussi sa vie à venir dépendent de son mari.
Mais Hyōe no Saemon1 est un pratiquant du Sūtra du Lotus. Quoi qu’il arrive, comme vous êtes l’épouse de Saemon, le Bouddha doit vous considérer comme une femme qui croit dans le Sūtra du Lotus. De plus, vous avez vous-même choisi de croire et vous m’avez envoyé un kimono non doublé2 pour la cause du Sūtra du Lotus.
Il y a deux sortes de pratiquants du Sūtra du Lotus : les sages et les hommes du commun. Le sage s’arrache la peau et l’utilise pour recopier les passages du Sūtra3. Si un homme du commun offre son unique kimono au pratiquant du Sūtra du Lotus, le Bouddha considérera cela comme une offrande égale au fait de s’arracher la peau.
Puisque votre kimono léger a été offert aux bouddhas des soixante neuf mille trois cent quatre-vingt-quatre caractères qui composent le Sūtra du Lotus, il 537équivaut à soixante neuf mille trois cent quatre-vingt-quatre robes. Et comme chacun de ces soixante neuf mille trois cent quatre-vingt-quatre bouddhas est composé des soixante neuf mille trois cent quatre-vingt-quatre caractères du Sūtra, c’est comme si vous aviez offert autant de kimonos à chacun d’eux. À titre d’exemple, si, au printemps, on place une étincelle de la taille d’une petite graine au contact d’un brin d’herbe, dans un champ de mille ri carrés rempli d’herbage, elle se changera en un instant en un incendie sans borne ni limite. Cela s’applique aussi à ce kimono. Bien qu’il ne s’agisse que d’un kimono, il a été offert aux bouddhas de tous les caractères du Sūtra du Lotus.
Soyez convaincue que les bienfaits qui en résulteront s’étendront à vos parents, grands-parents, voire aux innombrables êtres vivants, sans parler de votre propre mari, qui est pour vous l’être le plus cher.
Nichiren
Le vingt-cinquième jour du cinquième mois
Réponse à la Dame de Sajiki
Notes
1. Hyōe no Saemon est probablement Indō Saburō Saemon Sukenobu, disciple de Nichiren, qui devait être le mari de la destinataire de cette lettre.
2. Vêtement destiné à être porté en été, fait de chanvre ou de soie froissée.
3. Il s’agit là d’une allusion à l’histoire de l’ascète Aspiration-à-la-Loi. Voir glossaire.