Le dix-huitième jour du premier mois intercalaire de la cinquième année de Bun’ei [1268], est arrivée une lettre officielle du grand empire mongol où les barbares de l’ouest1 annonçaient leur intention d’attaquer le Japon. La prophétie que j’avais faite dans [mon traité] Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays, rédigé lors de la première année de Bun’ō [1260], sous le signe cyclique de kanoe-saru, se trouve donc vérifiée par cette lettre. Mes remontrances ont même surpassé celles des poèmes en yuefu de Bai Juyi2, et mes prophéties ne sont pas inférieures à celles du Bouddha. Que peut-il y avoir de plus merveilleux en cette époque de la Fin de la Loi ? Si notre pays était gouverné par un roi vertueux ou un souverain sage, alors on m’octroierait les plus grands honneurs du Japon, et je serais récompensé du titre de Grand Maître, de mon vivant. Je m’attendais à être consulté au sujet des Mongols et invité au Conseil de guerre, où l’on aurait pu me demander de les vaincre par le pouvoir de la prière. Mais, comme ce ne fut pas le cas, j’ai envoyé des lettres d’avertissement à onze dirigeants3 de notre pays, le dixième mois de la même année.
S’il y avait une personne vertueuse en ce pays, elle penserait aussitôt : « Quelle merveille ! Voilà qui n’est sans doute pas une affaire ordinaire. La Grande Déesse du Soleil et le grand bodhisattva Hachiman doivent être en train d’ouvrir une voie pour sauver le Japon par le biais de ce moine. » En fait, les moines des autres écoles maudirent et trompèrent mes messagers. Les dignitaires du gouvernement ignorèrent mes lettres ou refusèrent d’y répondre. Lorsqu’ils y répondirent, ils négligèrent délibérément d’en rapporter le contenu au régent. Leur comportement fut profondément déloyal. Même si ces lettres n’avaient traité que d’affaires purement personnelles, ces dignitaires auraient dû les soumettre à l’attention du régent. Telle est la procédure correcte. Mais, dans le cas présent, les lettres avertissaient de désastres à venir qui affecteraient non seulement la destinée de la régence mais aussi celle de tous les autres dignitaires. Ne pas tenir compte de mes avertissements, c’était une chose, mais calomnier mes messagers, c’était aller trop loin. Cela est dû au fait que tous les gens du Japon, de haute ou de basse condition, manifestent depuis longtemps de l’hostilité envers le Sūtra du Lotus. Ils ont ainsi accumulé de grandes fautes et sont tombés sous l’emprise des puissantes divinités-démons. La lettre officielle des Mongols leur a ôté tout ce qui pouvait encore leur rester de bon sens. De même, dans la Chine ancienne, le roi Zhou de la dynastie des Yin refusa de prendre en compte les mises en garde de son ministre Bi Gan, qui était loyal et, au contraire, il lui fit arracher le cœur. Par la suite, sa dynastie fut renversée par les rois Wen et Wu, de la dynastie des Zhou. Au lieu d’écouter les remontrances de son ministre Wu Zixu, le roi Fuchai, du royaume de Wu, le contraignit à se suicider4. Finalement, Fuchai fut tué par le roi Goujian, de l’État de Yue.
En pensant combien il serait tragique que notre pays connaisse un destin similaire, j’ai risqué ma réputation et ma vie en adressant des remontrances aux autorités. De la même façon qu’un vent violent provoque de grandes vagues, ou qu’un puissant dragon déclenche des pluies torrentielles, mes remontrances suscitèrent une hostilité croissante. Le conseil suprême du régent se livra à des palabres pour savoir s’il fallait me décapiter, me bannir de Kamakura, confisquer les domaines de mes disciples et des laïcs qui me soutiennent, les exécuter, les emprisonner ou bien les exiler dans des lieux éloignés.
770Cette nouvelle m’a réjoui, sachant que je m’attendais depuis longtemps à ce qu’on en arrive là. Dans le passé, le garçon Montagnes-Neigeuses offrit son corps pour obtenir la moitié d’un verset, le bodhisattva Toujours-Pleurant vendit son corps, le garçon Bons-Trésors se jeta dans les flammes, l’ascète Aspiration-à-la-Loi s’arracha la peau, le bodhisattva Roi-de-la-Médecine brûla ses propres bras, le bodhisattva Jamais-Méprisant fut battu à coups de bâton, le vénérable Aryasimha fut décapité et le bodhisattva Aryadeva fut tué par un non-bouddhiste, [tout cela à cause de leur dévotion à la Loi du Bouddha].
Ces événements doivent être considérés en fonction du moment où ils se sont produits. Le Grand Maître Tiantai affirme que la pratique « devrait s’accorder avec le moment5 ». Le Grand Maître Zhangan déclare : « Vous devriez adapter votre choix et ne jamais adhérer seulement à l’une ou à l’autre [de ces méthodes]6. » Le Sūtra du Lotus constitue une vérité unique, mais il existe de grandes différences dans la façon de le pratiquer, selon la capacité des gens et selon le moment [où ils vivent].
Le Bouddha a fait cette prophétie : « Après ma disparition, au début de l’époque de la Fin de la Loi qui suit les deux millénaires de la Loi correcte et de la Loi formelle, apparaîtra une personne qui propagera uniquement l’essence du Sūtra du Lotus, les cinq caractères du Daimoku. À ce moment-là, un mauvais souverain détiendra le pouvoir et de mauvais moines, plus nombreux que les particules de poussière de la terre, se querelleront au sujet des divers sūtras du Hinayana et du Mahayana. Quand le pratiquant du Daimoku lancera un défi aux moines, ceux-ci inciteront leurs partisans laïcs à l’insulter, le battre ou l’emprisonner, confisquer ses terres, l’exiler ou le faire décapiter. En dépit de telles persécutions, il poursuivra la propagation. Dans le même temps, le souverain qui le persécutera devra faire face à une rébellion et ses sujets s’entre-dévoreront comme des esprits affamés. Finalement, le pays sera attaqué par un envahisseur étranger, car Brahma, Shakra, les dieux du soleil et de la lune et les quatre rois célestes auront donné l’ordre aux autres pays d’attaquer un pays hostile au Sūtra du Lotus7. »
Aucun d’entre vous, qui vous déclarez mes disciples, ne devra jamais céder à la lâcheté. Vous ne devriez pas davantage vous laisser entraver par votre crainte pour vos parents, votre épouse ou vos enfants, ou vous préoccuper de vos biens matériels. Depuis d’innombrables kalpa dans le passé, vous avez gaspillé votre vie pour vos parents, vos enfants ou vos terres plus de fois qu’il n’y a de particules de poussière sur la terre. Mais pas une seule fois vous n’avez abandonné votre vie pour le Sūtra du Lotus. Vous avez peut-être essayé de pratiquer ces enseignements jusqu’à un certain point, mais, à chaque fois que vous avez été persécuté, vous avez régressé et vous avez cessé de fonder votre vie sur le Sūtra. Cela revient à faire bouillir de l’eau pour finalement la verser dans de l’eau froide ou essayer d’allumer un feu mais abandonner à mi-chemin. Chacun d’entre vous sans exception doit être convaincu au fond de son cœur que donner sa vie pour le Sūtra du Lotus revient à échanger des cailloux contre de l’or ou du fumier contre du riz.
Aujourd’hui, au début de l’époque de la Fin de la Loi, moi, Nichiren, je suis le premier à entreprendre la propagation dans tout le Jambudvipa des cinq caractères chinois de Myōhō-renge-kyō qui représentent l’essence du Sūtra du Lotus et l’œil de tous les bouddhas. Durant les deux mille deux cents années écoulées depuis la disparition du Bouddha, ni Mahakashyapa, ni Ananda, ni Ashvaghosha, ni Nagarjuna, ni Nanyue, ni Tiantai, ni Miaole, ni Dengyō ne les avaient propagés ! Mes disciples, formez les rangs et suivez-moi, surpassons Mahakashyapa, Ananda, Tiantai et Dengyō. Si vous fléchissez devant les menaces du 771souverain de cette petite île [et abandonnez votre foi], comment pourrez-vous affronter la colère, bien plus terrible encore, de Yama, le seigneur de l’enfer ? Si, tout en vous proclamant messagers du Bouddha, vous cédez à la peur, vous serez les personnes les plus méprisables qui soient !
Après avoir pris conscience qu’ils ne pouvaient rivaliser avec moi sur le plan de la sagesse, les moines du Nembutsu, les observateurs des préceptes et les moines du Shingon envoyèrent des pétitions au gouvernement [du régent qui ne savait quelle décision prendre]. Voyant que ces pétitions restaient sans effet, ils approchèrent les épouses et les veuves des grands dignitaires et me calomnièrent auprès d’elles. [Les femmes rapportèrent la calomnie aux dignitaires en ces termes :] « D’après certains moines, Nichiren aurait déclaré que les défunts moines séculiers du Saimyō-ji et du Gokuraku-ji étaient tombés dans l’Enfer aux souffrances incessantes. Il a dit que le Kenchō-ji, le Jufuku-ji, le Gokuraku-ji, le Chōraku-ji et le Daibutsu-ji devraient être brûlés et les vénérables moines Dōryū et Ryōkan décapités. » En de telles circonstances, il paraissait peu probable que je ne sois pas reconnu coupable devant le Conseil suprême du régent. Pour savoir si j’avais réellement tenu ou non de telles déclarations, je fus convoqué devant la Cour.
Là, le magistrat dit : « Vous venez d’entendre la déclaration du régent. Avez-vous oui ou non prononcé de telles paroles ? » J’ai répondu : « J’ai bien en effet prononcé tous ces mots, excepté l’affirmation que les moines séculiers du Saimyō-ji et du Gokuraku-ji étaient tombés en enfer. C’est là une invention. Du temps de leur vivant, j’enseignais déjà cette doctrine [à savoir que les écoles auxquelles ils appartiennent mènent à l’enfer].
« Je me suis exprimé en ces termes uniquement parce que je me préoccupe de l’avenir du pays. Si vous souhaitez maintenir ce pays en paix et en sécurité, vous devez impérativement convoquer les moines des autres écoles et organiser un débat en votre présence. Si vous ignorez ce conseil et me punissez inconsidérément en prenant leur parti, le pays tout entier aura des raisons de regretter votre décision. Si vous me condamnez, vous rejetterez [par là même] l’envoyé du Bouddha. Vous devrez alors encourir la sanction de Brahma et de Shakra, des dieux du soleil et de la lune, et des quatre rois célestes. Dans les cent jours suivant mon exil ou mon exécution, ou d’ici un, trois ou sept ans, se produira la calamité dite de la querelle interne, c’est-à-dire la rébellion au sein du clan au pouvoir. Elle sera suivie par la calamité de l’invasion étrangère venant de toutes parts, tout particulièrement de l’ouest. Vous regretterez alors ce que vous avez fait ! » En entendant cela, oubliant toute la dignité qui sied à son rang, le magistrat Hei no Saemon entra dans une colère terrible, semblable à celles du grand ministre d’État et moine séculier [Taira no Kiyomori].
Le douzième jour du neuvième mois de la huitième année de Bun’ei [1271], sous le signe cyclique de kanoto-hitsuji, il fut procédé à mon arrestation d’une manière irrégulière et illégale ; cette arrestation était plus scandaleuse encore que celle du moine Ryōkō, qui, lui, était réellement coupable de trahison, et que celle du Maître de la discipline, Ryōken, qui cherchait à faire tomber le gouvernement8. Hei no Saemon prit la tête de plusieurs centaines de guerriers revêtus de leur armure pour me capturer. Portant la coiffe d’un noble de la cour, il avait un regard coléreux et parla d’une voix dure. Ses actes n’étaient pas fondamentalement différents de ceux du grand ministre d’État et moine séculier qui ne s’empara du pouvoir que pour mener le pays à sa perte.
Voyant cela, j’ai réalisé qu’il ne s’agissait pas d’un événement ordinaire et me suis dit : « Au cours des derniers mois, je m’attendais à ce que tôt ou tard se produise un événement de ce genre. Quelle bonne 772fortune que de donner ma vie pour le Sūtra du Lotus ! Si je devais perdre cette tête qui n’a pas la moindre valeur [pour atteindre la bouddhéité], ce serait comme échanger du sable contre de l’or ou des cailloux contre des joyaux. »
Le principal serviteur de Hei no Saemon, Shō-bō, se rua sur moi, saisit le rouleau du cinquième volume du Sūtra du Lotus9 à l’intérieur même de mon vêtement, et s’en servit pour me frapper au visage à trois reprises. Puis il le jeta, déplié, sur le sol. Des soldats saisirent les neuf autres rouleaux du Sūtra, les déroulèrent et les piétinèrent ou se les enroulèrent autour du corps, puis les éparpillèrent sur le plancher recouvert de nattes, jusqu’à ce qu’ils jonchent les quatre coins de la maison.
Moi, Nichiren, je me suis écrié d’une voix forte : « C’est vraiment intéressant ! Regardez donc, Hei no Saemon devient fou ! Messieurs, vous venez de renverser le pilier du Japon. » En entendant cela, les soldats présents furent décontenancés. Quand ils me virent me dresser sans crainte devant le bras féroce des représentants de la loi, ils prirent sûrement conscience qu’ils étaient dans l’erreur, car leurs visages blêmirent.
Aussi bien le dixième jour [où je fus convoqué] que le douzième, j’ai décrit précisément à Hei no Saemon les erreurs des écoles Shingon, Zen et Nembutsu, ainsi que l’échec de Ryōkan dans ses prières pour faire tomber la pluie. En m’entendant parler, ses guerriers éclataient de rire ou, parfois, devenaient furieux. Mais je n’entrerai pas ici dans les détails.
Ryōkan pria pour qu’il pleuve, du dix-huitième jour du sixième mois au quatrième jour du mois suivant, mais j’entravai ses prières si bien qu’il n’y eut jamais de pluie. Ryōkan eut beau suer tant qu’il put à force de prier, rien ne tomba, sinon ses propres larmes. Il n’y eut pas la moindre pluie à Kamakura mais, au contraire, des vents violents se mirent à souffler constamment.
En apprenant cela, je lui ai envoyé à trois reprises un messager qui lui dit : « Si quelqu’un ne peut parvenir à franchir un fossé d’un jō10, comment pourrait-il en franchir un de dix ou de vingt ? Une courtisane, Izumi Shikibu11, enfreignit un des huit préceptes12 en écrivant de la poésie, mais parvint cependant à faire tomber la pluie par un poème. Bien qu’ayant enfreint les préceptes, le moine Nōin réussit [lui aussi] à faire pleuvoir par un poème. Comment se peut-il alors que des centaines et des milliers de moines, observant les deux cent cinquante préceptes, ne puissent provoquer qu’une tempête et ce, même après s’être réunis et avoir prié pour la pluie pendant une ou deux semaines ? Il en ressort clairement qu’aucun d’entre vous ne parviendra à renaître dans la Terre pure. » En lisant cette lettre, Ryōkan versa des larmes de dépit et m’insulta devant les autres.
Quand j’ai rapporté à Hei no Saemon ce qui s’était produit avec Ryōkan, il tenta de le défendre, mais c’était peine perdue. Il resta finalement sans voix. Cependant je n’entrerai pas ici dans le détail de notre conversation.
En cette nuit du douzième jour, je fus placé sous la surveillance du seigneur de la province de Musashi13 et, aux environs de minuit, j’ai été conduit à Kamakura pour y être exécuté. Alors que nous nous dirigions vers l’avenue Wakamiya14, j’ai regardé la foule des guerriers qui m’entouraient et je leur ai dit : « Ne vous inquiétez pas. Je ne vous causerai aucun souci. Je veux simplement exprimer mes dernières volontés devant le grand bodhisattva Hachiman. » Je descendis de cheval et m’écriai : « Grand bodhisattva Hachiman, êtes-vous vraiment un dieu ? Quand Wake no Kiyomaro15 fut sur le point d’être décapité, vous êtes apparu sous la forme d’une lune d’un jō de large. Quand le Grand Maître Dengyō fit une conférence sur le Sūtra du Lotus, vous lui avez donné en offrande un habit de moine pourpre.
773« Actuellement, moi, Nichiren, je suis le plus important de tous les pratiquants du Sūtra du Lotus de tout le Japon et je ne suis coupable d’aucun crime. J’ai exposé l’enseignement qui sauve tous les êtres du Japon afin de les empêcher de tomber dans la grande citadelle de l’Enfer aux souffrances incessantes pour avoir calomnié le Sūtra du Lotus. De plus, si les forces du grand empire mongol attaquent le pays, la Grande Déesse du Soleil et le grand bodhisattva Hachiman pourront-ils demeurer en sécurité et ne subir aucun dommage ? Quand le bouddha Shakyamuni exposa le Sūtra du Lotus, le bouddha Maints-Trésors et les bouddhas et bodhisattvas des dix directions se réunirent, brillant comme autant de soleils et de lunes, d’étoiles et de miroirs. En présence des innombrables divinités célestes ainsi que des divinités bienveillantes et des sages de l’Inde, de la Chine et du Japon, le bouddha Shakyamuni exhorta chacun à soumettre un serment écrit pour protéger le pratiquant du Sūtra du Lotus en toutes circonstances. Tous les dieux sans exception ont prêté serment. Je ne devrais pas avoir à vous le rappeler. Pourquoi n’apparaissez-vous pas immédiatement pour accomplir votre serment solennel ? » J’ai finalement lancé cet appel : « Si je suis exécuté ce soir et que je vais dans la Terre pure du pic de l’Aigle, je me permettrai de rapporter au bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, que la Grande Déesse du Soleil et le grand bodhisattva Hachiman ont brisé le serment prononcé devant lui. Si cela vous paraît difficile à supporter, vous feriez mieux d’agir tout de suite ! » Puis, je suis remonté sur mon cheval.
Dehors, sur la plage d’Yui, alors que le groupe passait devant le sanctuaire situé à cet endroit, j’ai de nouveau parlé : « Arrêtez-vous un instant, messieurs. J’ai un message pour quelqu’un qui habite près d’ici », ai-je dit. J’ai envoyé le garçon Kumaō chercher Nakatsukasa Saburō Saemon-no-jō [Shijō Kingo], lequel s’est précipité à ma rencontre. Je lui ai dit : « Ce soir, je vais être décapité. C’est mon souhait depuis de nombreuses années. Dans le passé, je ne suis né faisan en ce monde saha que pour être capturé par des éperviers, je ne suis né souris que pour être mangé par des chats, et je ne suis né humain que pour être tué en tentant de défendre mon épouse et mes enfants contre des ennemis. De tels événements se sont abattus sur moi plus souvent qu’il n’y a de particules de poussière sur la terre. Mais jusqu’à présent je n’ai jamais renoncé à ma vie pour le Sūtra du Lotus. Je suis né en cette vie pour devenir un humble moine, incapable de m’acquitter de mes devoirs filiaux envers mes parents ou de rembourser entièrement ma dette de reconnaissance à l’égard de mon pays. Il est maintenant temps pour moi d’offrir ma tête au Sūtra du Lotus et de transférer les bienfaits [de cet acte] à mes parents défunts, à mes disciples et aux laïcs qui me soutiennent, tout comme je vous l’avais promis. » Alors, quatre hommes, Saemon-no-jō et ses frères, m’accompagnèrent en tenant les rênes de mon cheval, jusqu’à Tatsunokuchi, à Koshigoe.
Nous sommes finalement parvenus sur un lieu qui, je le savais, devait être celui de mon exécution. En fait, les soldats s’arrêtèrent et se mirent à tourner bruyamment autour de moi. En larmes, Saemon-no-jō dit : « Voici votre dernière heure venue ! » Je lui ai répondu : « Vous ne comprenez donc pas ! N’y a-t-il pas plutôt là une excellente raison de se réjouir ? Avez-vous donc oublié votre promesse ? » Je n’eus pas si tôt prononcé ces mots qu’une sphère brillante, aussi lumineuse que la lune, surgit dans la direction d’Enoshima, traversant le ciel du sud-est au nord-ouest. C’était peu avant l’aube et il faisait encore trop sombre pour discerner les traits de qui que ce soit, mais l’objet lumineux éclaira nettement le visage de tous, comme la pleine lune. Le bourreau tomba face contre terre, les yeux aveuglés. Les soldats furent emplis de panique. 774Certains s’enfuirent au loin, d’autres sautèrent de cheval et s’affalèrent sur le sol, d’autres encore se recroquevillèrent sur leur selle. Je m’écriai : « Hé là, pourquoi vous dérobez-vous devant ce vil prisonnier ? Approchez ! Approchez ! » Mais personne n’approcha. « Et si l’aube arrivait ? Hâtez-vous de m’exécuter. Quand le jour aura fait irruption, la tâche sera trop pénible. » C’est en ces termes que je les exhortai, mais ils n’eurent pas la moindre réaction.
Ils attendirent encore un peu, puis on me demanda de me diriger vers Echi, dans cette même province de Sagami. Je répondis que, aucun d’entre nous ne connaissant le chemin, il faudrait que quelqu’un nous guide. D’abord nul ne voulut prendre la tête du groupe mais, au bout d’un moment, un soldat finit par dire : « Il faut prendre cette route. »
Nous partîmes dans la direction indiquée et, autour de midi, nous parvînmes à Echi. Puis nous nous rendîmes à la résidence de Homma Rokurō Saemon. Là, je commandai du saké pour les soldats. Quand vint pour eux le temps de partir, certains inclinèrent la tête, joignirent les mains et dirent sur le ton le plus respectueux : « Nous ne savions pas quel genre d’homme vous étiez. Nous vous détestions parce qu’on nous disait que vous calomniiez Amida, le bouddha que nous vénérons. Mais, maintenant que nous avons vu de nos propres yeux ce qui vient de se passer, nous comprenons combien vous êtes une personne vertueuse et nous rejetterons le Nembutsu que nous pratiquons depuis longtemps. » Certains sortirent même leur chapelet de prière de leur étui en amadou et le jetèrent. D’autres jurèrent qu’ils ne réciteraient plus jamais le Nembutsu. Après leur départ, les serviteurs de Rokurō Saemon prirent leur tour de garde et Saemon-no-jō et ses frères partirent.
Ce soir-là, à l’heure du Chien [entre sept heures et neuf heures du soir], arriva un messager de Kamakura avec un ordre du régent. Les soldats étaient convaincus qu’il s’agissait d’une lettre officielle pour me faire décapiter mais Uma-no-jō, l’adjoint de Homma, vint en courant avec la lettre, s’agenouilla et dit : « Nous redoutions que vous ayez été décapité hier soir, mais cette lettre contient de merveilleuses nouvelles. Le messager a expliqué que, comme le seigneur de Musashi était parti à la source thermale d’Atami, ce matin à l’heure du Lièvre [entre cinq et sept heures du matin], il s’était mis aussitôt en route et avait chevauché quatre heures en redoutant qu’il vous soit arrivé quelque chose. Le messager est reparti immédiatement pour Atami afin d’y apporter dès ce soir des nouvelles au seigneur. » On pouvait lire dans la lettre d’accompagnement : « Cette personne n’est pas réellement coupable. Elle sera d’ici peu graciée. Si vous l’exécutez, vous aurez des raisons de le regretter. »
Nous étions alors dans la nuit du 13. Il y avait des dizaines de guerriers en poste autour de ma demeure et dans le jardin principal. Comme nous étions au milieu du neuvième mois, la lune était très ronde et pleine. Je sortis dans le jardin où, me tournant vers la lune, je récitai la partie versifiée du chapitre “Durée de la vie”. Puis j’exposai brièvement les fautes des diverses écoles, en citant des passages du Sūtra du Lotus. Je dis : « Vous, dieu de la lune, vous êtes Lune-Rare, fils d’un dieu, qui avez participé à la cérémonie du Sūtra du Lotus. Quand le Bouddha exposa le chapitre “L’apparition de la Tour aux trésors”, vous avez reçu ses instructions et, dans le chapitre “Transmission”, quand le Bouddha a caressé votre tête de sa main, vous avez dit dans votre vœu : “Nous mènerons respectueusement à bien toutes ces tâches, comme l’Honoré du monde nous l’a ordonné”16. Vous êtes précisément ce dieu. Comment pourriez-vous, sans moi, avoir l’occasion d’accomplir le vœu émis en présence du Bouddha ? Dans la situation où vous me voyez maintenant, vous devriez vous précipiter joyeusement 775pour recevoir les souffrances du pratiquant du Sūtra du Lotus à sa place, suivant ainsi les instructions du Bouddha et accomplissant votre serment. Il est bien étrange que vous n’ayez encore rien fait. Si rien n’est accompli pour remettre de l’ordre dans ce pays, je ne retournerai jamais à Kamakura. Même si vous n’avez pas l’intention de faire quoi que ce soit pour moi, comment pouvez-vous continuer à briller d’un air aussi insouciant ? Il est dit dans le Sūtra de la Grande Collection : “Le soleil et la lune ne déversent plus leur lumière”. Dans le Sūtra des rois bienveillants : “Le soleil et la lune quittent leur orbite régulière”. Et dans le Sūtra de l’excellent roi : “Les trente-trois divinités célestes deviennent furieuses”. Que dites-vous de ces passages, dieu de la lune ? Qu’avez-vous à répondre ? »
Alors, en guise de réponse, une grande étoile aussi brillante que l’Étoile du matin tomba du ciel et s’accrocha à une branche de prunier devant moi. Les soldats, atterrés, sautèrent du perron, tombèrent face contre terre dans le jardin, ou coururent derrière la maison. Aussitôt le ciel se couvrit, et un vent puissant se leva, soufflant avec tant de violence que toute l’île d’Enoshima parut rugir. Le ciel trembla, répercutant en écho un son pareil à celui de tambours.
L’aube se leva et, le quatorzième jour, à l’heure du Lièvre, apparut un homme, le moine séculier Jūrō, qui me dit : « La nuit dernière, à l’heure du Chien, il y a eu une énorme agitation dans la résidence du régent. Un devin que l’on avait convoqué a dit : “Le pays est en passe de sombrer dans le tumulte parce que vous avez puni ce moine. Si vous ne le rappelez pas immédiatement à Kamakura, qui sait ce qui adviendra ?” Alors, quelqu’un dit : “Graciez-le !” Et d’autres : “Puisqu’il a prédit que la guerre éclaterait dans les cent jours, pourquoi ne pas attendre pour voir ce qui va se passer ?” »
On me garda à Echi plus de vingt jours. Durant cette période, il y eut à Kamakura sept ou huit cas d’incendies criminels et une interminable série de meurtres. Les calomniateurs allèrent dire partout que c’étaient les disciples de Nichiren qui avaient allumé les incendies. Les membres du gouvernement pensèrent que c’était plausible et établirent une liste de plus de deux cent soixante de mes disciples qui, selon eux, devraient être expulsés de Kamakura. La nouvelle se répandit que ces personnes devraient toutes être exilées dans des îles lointaines, et que les disciples déjà emprisonnés devraient être décapités. Il se trouve, cependant, que ces feux avaient été allumés par les observateurs des préceptes et les croyants du Nembutsu, dans l’intention de faire accuser mes disciples. Il se produisit d’autres choses encore, trop nombreuses pour être mentionnées ici.
J’ai quitté Echi le dixième jour du dixième mois [1271] et je suis arrivé dans la province de Sado, le vingt-huitième jour du même mois. Le premier jour du onzième mois, je fus conduit dans une petite hutte qui se dressait dans un champ appelé Tsukahara, derrière la résidence de Homma Rokurō Saemon, à Sado. Il s’agissait d’une pièce délimitée par quatre piliers et située sur un terrain où l’on abandonnait les cadavres, un lieu comparable à Rendaino, à Kyōto. Pas la moindre statue du Bouddha n’y était enchâssée, les planches du toit étaient disjointes et les murs criblés de trous. La neige en tombant s’accumulait sans jamais fondre. Je passais là mes jours, assis, vêtu d’un manteau de paille ou étendu sur une peau de bête. La nuit, il tombait de la grêle et de la neige, et les éclairs se succédaient sans cesse. Le jour, le soleil avait bien du mal à briller. C’était un endroit bien misérable pour vivre.
À ce moment-là, je me sentais comme Li Quang17 retenu prisonnier dans une caverne du pays des barbares du nord ou comme le Maître des Trois Corbeilles Fadao, marqué au visage et exilé dans la région située au sud du fleuve Yangzi Jiang, 776par l’empereur Huizong. J’avais l’impression d’être comme le roi Suzudan qui reçut un entraînement strict sous la direction du prophète Asita afin d’acquérir les bienfaits du Sūtra du Lotus, comme le bodhisattva Jamais-Méprisant, battu à coups de bâton par les moines arrogants et d’autres gens, qui obtint l’honneur d’être le pratiquant du Véhicule Unique18. Aujourd’hui, rien ne me rend plus heureux que d’être né à l’époque de la Fin de la Loi et de subir des persécutions parce que je propage les cinq caractères de Myōhō-renge-kyō. Pendant plus de deux mille deux cents ans après la disparition du Bouddha, personne, pas même le Grand Maître Tiantai Zhizhe, n’expérimenta la justesse du passage du Sūtra où il est dit : « Il se heurtera à une grande hostilité dans le monde et sera difficile à croire19. » Je suis le seul qui ait accompli la prophétie du Sūtra « (...) nous serons bannis encore et encore20 ». À propos de celui qui « a écouté ne serait-ce qu’une phrase [du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse] », le Bouddha dit : « Je lui annonce [qu’il atteindra l’illumination suprême parfaite]21. » Il ne peut donc y avoir de doute concernant le fait que j’atteindrai l’illumination suprême parfaite. Le seigneur de Sagami a été mon ami de bien. Hei no Saemon est pour moi ce que Devadatta était pour le bouddha Shakyamuni. Les moines du Nembutsu sont comparables au vénérable Kokalika et les observateurs des préceptes au moine Sunakshatra. L’époque du Bouddha n’est autre que la nôtre et notre époque n’est autre que celle du Bouddha. C’est ce que le Sūtra du Lotus décrit comme « la réalité ultime de tous les phénomènes » et « leur cohérence du début jusqu’à la fin22 ».
Il est dit dans le cinquième volume de La Grande Concentration et Pénétration : « À mesure que la pratique progresse et que la compréhension grandit, les trois obstacles et les quatre démons surgissent sous des formes trompeuses, et rivalisent les uns avec les autres pour entraver [le pratiquant]. » On y lit aussi : « Vous devez être pareil à la montagne dorée contre laquelle se frotte le sanglier sauvage, à la mer qui recueille les cours d’eau les plus variés, au feu qui s’élève quand on y ajoute des bûches, ou à l’insecte kalakula qui gonfle quand le vent souffle. » Ces passages signifient que, si l’on comprend et pratique le Sūtra du Lotus conformément à ses enseignements, selon la capacité des gens et au moment approprié, alors on sera confronté à ces trois obstacles et à ces quatre démons. L’un d’entre eux, le roi démon du sixième ciel, [le plus puissant,] s’emparera de notre souverain, de nos parents, de notre épouse ou de nos enfants, des croyants laïcs ou des personnes mauvaises et, par leur entremise, tentera sous une apparence amicale de nous détourner de notre pratique du Sūtra du Lotus ou s’y opposera franchement. La pratique de la Loi du Bouddha est toujours accompagnée de persécutions et de difficultés d’autant plus fortes que le sūtra que l’on garde est important. La pratique du Sūtra du Lotus provoquera des persécutions particulièrement sévères. Pratiquer comme le Sūtra l’enseigne et en accord avec le moment et la capacité des gens provoquera des épreuves vraiment pénibles.
Il est dit dans le huitième volume des Annotations sur La Grande Concentration et Pénétration : « Tant qu’une personne n’essaie pas de s’extraire des souffrances des naissances et des morts en aspirant au Véhicule du Bouddha, le démon veillera sur elle comme un parent. » Ce passage signifie que, même si une personne cultive les racines de bien, à partir du moment où elle pratique selon les enseignements du Nembutsu, du Shingon, du Zen, du Ritsu ou selon n’importe quel enseignement autre que celui du Sūtra du Lotus, elle aura le roi-démon pour parent. Le roi-démon s’emparera des autres personnes et les incitera à la respecter et à lui faire des offrandes, et les gens s’égareront en croyant qu’il s’agit d’un vrai moine. S’il est honoré 777par le souverain, par exemple, les gens lui feront à coup sûr des offrandes. À l’inverse, un moine qui provoque l’hostilité des autorités [du fait de sa croyance dans le Sūtra du Lotus] pratique sûrement l’enseignement correct. L’Ainsi-Venu Shakyamuni n’eut pas de meilleur ami de bien que Devadatta. Aujourd’hui aussi, ce ne sont pas les alliés [d’un croyant] mais ses ennemis les plus puissants qui contribuent à sa progression. Nous en trouvons des exemples devant nos propres yeux. Le clan Hōjō à Kamakura n’aurait pas pu établir solidement sa souveraineté sur le Japon sans les défis provoqués par Yoshimori et l’empereur retiré de l’île d’Oki23. En ce sens, ces hommes furent les meilleurs alliés que le clan au pouvoir ait pu compter. Pour moi, Nichiren, mes meilleurs alliés pour atteindre la bouddhéité sont Kagenobu, les moines Ryōkan, Dōryū et Dōamidabutsu, Hei no Saemon et le seigneur de Sagami. Je suis reconnaissant quand je pense que, sans eux, je n’aurais pas pu prouver que j’étais le pratiquant du Sūtra du Lotus.
Dans le jardin entourant la masure, la neige s’amoncelait, toujours plus épaisse. Nul ne venait me voir ; je ne recevais pas d’autre visite que celle du vent perçant. La Grande Concentration et Pénétration et le Sūtra du Lotus restaient ouverts sous mes yeux, et Nam-myōhō-renge-kyō coulait de mes lèvres. Je passais mes soirées à discourir face à la lune et aux étoiles sur les erreurs des diverses écoles et sur le sens profond du Sūtra du Lotus. Une année s’écoula ainsi et laissa place à une autre.
En tous lieux, on trouve des gens à l’esprit bas. Une rumeur parvint jusqu’à moi selon laquelle les observateurs des préceptes, les moines du Nembutsu de l’île de Sado, notamment Yuiamidabutsu, Shōyu-bō, Inshō-bō, Jidō-bō, et les disciples des uns et des autres s’étaient réunis par centaines pour décider de mon sort. L’un dit : « Nichiren, ennemi notoire du bouddha Amida et mauvais maître pour tous les êtres, a été exilé dans notre province. Comme nous le savons tous, ceux qui sont exilés sur cette île parviennent rarement à survivre. Même s’ils y réussissent, ils ne regagnent jamais leur foyer. C’est pourquoi nul n’est puni lorsqu’il tue un exilé. Nichiren vit totalement seul dans un lieu appelé Tsukahara. Aussi fort et puissant soit-il, s’il n’y a personne avec lui, que pourra-t-il faire ? Réunissons-nous et criblons-le de flèches. » Un autre dit : « Il était censé être décapité mais son exécution a été reportée un temps parce que l’épouse du seigneur de Sagami est en passe d’avoir un enfant. Mais il ne s’agit que d’un report provisoire. J’ai entendu dire qu’il finira bien par être exécuté. » Un troisième déclara : « Demandons au seigneur Rokurō Saemon de le faire décapiter. S’il refuse, nous imaginerons un autre plan. » Il y eut beaucoup de propositions concernant le traitement à m’infliger mais c’est la troisième [de celles que je viens de citer] qui fut choisie. Finalement, ils furent plusieurs centaines à se rendre ensemble dans le bureau du gouverneur24.
Rokurō Saemon s’adressa à eux en ces termes : « Dans une lettre officielle, le régent nous donne pour instruction de ne pas exécuter ce moine. Il ne s’agit pas d’un criminel ordinaire et méprisable et, s’il devait lui arriver quoi que ce soit, moi, Shigetsura, je serais coupable d’une grave négligence dans l’exercice de ma fonction. Plutôt que de le tuer, pourquoi ne l’affronteriez-vous pas dans un débat religieux ? » Suivant cette suggestion, les moines du Nembutsu et d’autres écoles, accompagnés de jeunes moines portant, sous leurs bras ou pendus à leur cou, les trois sūtras de la Terre pure, La Grande Concentration et Pénétration, les sūtras du Shingon et d’autres écrits, se réunirent à Tsukahara, le seizième jour du premier mois [en 1272]. Ils ne venaient pas seulement de la province de Sado, mais aussi des provinces d’Echigo, d’Etchū, de Dewa, de Mutsu et de Shinano. Plusieurs centaines de moines et diverses autres personnes se 778rassemblèrent dans la vaste cour devant la masure et dans le champ adjacent. Il y avait là Rokurō Saemon, ses frères et la totalité de son clan, ainsi que des moines séculiers paysans25 en grand nombre. Les moines du Nembutsu proférèrent des torrents d’injures, les moines du Shingon devinrent blêmes, et les moines du Tendai clamèrent que j’étais un ennemi qu’il fallait vaincre. Les croyants laïcs [du Nembutsu] poussèrent ce cri de haine : « Le voilà — l’ennemi notoire de notre bouddha Amida ! » Tapage et railleries résonnèrent comme le tonnerre et parurent ébranler la terre. Je les ai laissés crier un moment avant de dire : « Je vous demande à tous de vous taire ! Vous êtes ici pour un débat religieux. Ce n’est pas le moment de proférer des injures. » Rokurō Saemon et d’autres manifestèrent alors leur approbation et certains saisirent au collet ces croyants injurieux du Nembutsu pour les repousser.
Les moines entreprirent de citer les doctrines de La Grande Concentration et Pénétration et des enseignements du Shingon et du Nembutsu. Je répondis à chacun, en reformulant avec précision ce qui avait été dit, avant de lancer à mon tour des questions. Je n’eus cependant à en poser tout au plus qu’une ou deux avant de les réduire totalement au silence. Ils étaient bien inférieurs aux moines du Shingon, du Zen, du Nembutsu et de l’école Tendai de Kamakura, vous imaginez donc quelle tournure prit le débat. Je les réfutai aussi facilement qu’un sabre acéré tranche une courge ou qu’une tempête fait plier l’herbe. Non seulement ils avaient une connaissance médiocre des enseignements bouddhiques, mais en plus ils se contredisaient. Ils confondaient les sūtras ou les commentaires avec les traités. Je discréditai le Nembutsu en expliquant comment Shandao était tombé d’un saule et réfutai le récit du sceptre de diamant en forme de trident du Grand Maître Kōbō et celui de sa transformation en l’Ainsi-Venu Mahavairochana26. À mesure que je démontrais le caractère erroné et aberrant [de tous les arguments exposés], certains moines se mirent à jurer, d’autres furent frappés de mutisme, d’autres encore blêmirent. Des croyants du Nembutsu admirent que leur école était erronée, certains jetèrent aussitôt leurs habits de moine et leurs chapelets et firent le serment de ne plus jamais réciter le Nembutsu.
Les membres du groupe commencèrent tous à partir, à l’instar de Rokurō Saemon et de ses hommes. Alors qu’ils traversaient la cour, je rappelai le seigneur pour prophétiser devant lui. Je lui demandai tout d’abord quand il allait partir pour Kamakura et il me répondit que ce serait autour du septième mois, une fois que ses paysans auraient achevé les travaux dans ses champs. Je lui annonçai alors : « Pour un guerrier, “les travaux des champs” consistent à aider le seigneur en temps de conflit et à recevoir des fiefs en reconnaissance de ses services. À Kamakura, l’heure de la bataille est proche. Vous devriez vous y rendre rapidement pour vous distinguer au combat et vous serez alors récompensé en recevant des fiefs. Puisque vos guerriers sont renommés dans toute la province de Sagami, si vous restez ici, à la campagne, en vous occupant de vos terres, et arrivez trop tard à la bataille, votre nom sera frappé de disgrâce. » Je ne sais ce qu’il en pensa mais, [visiblement] stupéfait, Homma ne dit mot. Les moines du Nembutsu et les croyants laïcs qui observent les préceptes paraissaient perplexes, incapables de comprendre le sens de mes propos.
Après qu’ils furent tous partis, j’entrepris de mettre en forme une œuvre en deux volumes intitulée Sur l’ouverture des yeux, sur laquelle je travaillais depuis le onzième mois de l’année précédente. Je voulais y rapporter la prodigieuse histoire de Nichiren au cas où je serais décapité. Le message essentiel de cette œuvre est que la destinée du Japon ne dépend que de Nichiren. Une maison sans pilier s’effondre et 779une personne sans âme est morte. Nichiren est l’âme du peuple de ce pays. Hei no Saemon a déjà renversé le pilier du Japon et le pays s’agite toujours plus à mesure que des rumeurs et des suppositions infondées s’élèvent comme des fantômes pour créer la dissension parmi le clan au pouvoir. De plus, le Japon est sur le point d’être attaqué par un pays étranger, comme je l’ai annoncé dans [mon traité] Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays. Après avoir mis tout cela par écrit, j’ai confié mon manuscrit au messager de Nakatsukasa Saburō Saemon-no-jō. Les disciples qui m’entouraient en trouvaient le contenu trop provocateur mais ne purent me dissuader de le faire.
C’est alors qu’un bateau arriva sur l’île, le dix-huitième jour du deuxième mois. Il apporta la nouvelle que la bataille avait éclaté à Kamakura, puis à Kyōto, causant d’indescriptibles souffrances. À la tête de ses hommes, Rokurō Saemon partit cette nuit-là sur des bateaux rapides pour se rendre à Kamakura. Avant son départ, il quémanda humblement mon aide, les mains jointes.
« J’ai, dit-il, douté du bien-fondé des paroles que vous avez prononcées, le seizième jour du mois dernier, mais elles se sont révélées exactes en moins de trente jours. Je me rends compte maintenant que les Mongols ne manqueront pas de nous attaquer et il est également certain que les croyants du Nembutsu sont voués à l’Enfer aux souffrances incessantes. Plus jamais je ne réciterai le Nembutsu. »
Sur quoi je répondis : « Quoi que je puisse dire, si le seigneur de Sagami ne tient pas compte de mes paroles, les habitants du Japon n’en tiendront pas compte non plus et, dans ce cas, notre pays ira certainement à sa perte. Même si je suis peut-être dérisoire, je propage le Sūtra du Lotus et je suis donc l’envoyé du bouddha Shakyamuni. Bien qu’insignifiants, la Grande Déesse du Soleil et le grand bodhisattva Hachiman sont traités avec un grand respect dans ce pays, alors qu’il ne s’agit que de dieux minuscules par rapport à Brahma, Shakra, aux dieux du soleil et de la lune et aux quatre rois célestes. On dit cependant que tuer quelqu’un qui sert ces deux dieux équivaut au crime consistant à tuer sept personnes. Le grand ministre d’État et moine séculier, et l’empereur retiré de l’île d’Oki périrent pour avoir agi de la sorte. Me persécuter est donc infiniment pire que d’importuner les serviteurs de ces deux dieux. Comme je suis l’envoyé du bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, la Grande Déesse du Soleil et le grand bodhisattva Hachiman s’inclinèrent devant moi, joignirent leurs mains et se prosternèrent. Le pratiquant est assisté par Brahma et Shakra qui sont à ses côtés, et les dieux du soleil et de la lune, qui sont devant et derrière lui, éclairent son chemin. Même si l’on tient compte de mes conseils, si l’on ne m’accorde pas le respect dû au pratiquant du Sūtra du Lotus, alors le pays périra. Il est de bien mauvais augure que les autorités aient retourné des centaines de personnes contre moi et m’aient même banni à deux reprises ! Ce pays court sûrement à sa perte, mais, comme j’ai demandé aux dieux de s’abstenir de le punir, il a survécu jusqu’à maintenant. Cependant, les actions insensées s’étant poursuivies, cette punition s’est finalement abattue sur lui. Et si, dans la situation qui est la nôtre, on ne suit pas mes conseils, les dieux inciteront l’empire mongol à envoyer ses forces pour détruire le Japon. C’est, semble-t-il, le désastre que Hei no Saemon a l’intention de provoquer. Quand cela adviendra, je doute que vous et votre suite trouviez la moindre sécurité sur cette île. » Quand j’eus fini de parler, Homma se mit en route, visiblement plongé dans une grande perplexité.
Après m’avoir écouté, les croyants laïcs se dirent entre eux : « Ce moine a peut-être une sorte de pouvoir transcendantal. C’est terrifiant ! Désormais, nous ferions mieux 780de cesser de faire des dons ou de soutenir les moines du Nembutsu et les observateurs des préceptes. » Les observateurs des préceptes, disciples de Ryōkan, et les moines du Nembutsu dirent : « [Puisque ce moine a prédit une rébellion dans notre pays], peut-être est-il l’un des conspirateurs. » Puis la situation s’apaisa un peu.
Ensuite, les moines du Nembutsu se réunirent de nouveau en conciliabule. « Si nous laissons les choses se poursuivre ainsi, dirent-ils, nous mourrons de faim. Cherchons par tous les moyens à nous débarrasser de ce moine ! Déjà plus de la moitié des habitants de cette province sont passés de son côté. Que faire ? »
Yuiamidabutsu, le responsable des moines du Nembutsu, ainsi que Dōkan, un disciple de Ryōkan, et Shōyu-bō, tous les deux maîtres des observateurs des préceptes, se rendirent en toute hâte à Kamakura. Là, ils rapportèrent au seigneur de la province de Musashi : « Si ce moine demeure sur l’île de Sado, il n’y aura bientôt plus un seul temple bouddhique debout et il ne restera plus un seul moine. Il prendra les statues du bouddha Amida et les jettera dans le feu ou les lancera à l’eau. Jour et nuit, il gravira les hautes montagnes, criera en direction du soleil et de la lune, et maudira le régent. Le son de sa voix sera entendu dans toute la province. »
Après les avoir écoutés, l’ancien gouverneur de Musashi jugea inutile d’en référer au régent. Il envoya plutôt des consignes personnelles pour que tous les disciples de Nichiren de la province de Sado en soient chassés ou soient emprisonnés. Il envoya aussi des lettres officielles contenant des instructions similaires. Il agit de la sorte à trois reprises. je ne vais pas tenter de décrire ici ce qui s’est produit durant cette période — vous pouvez probablement l’imaginer. Certains furent jetés en prison parce qu’on prétendit qu’ils seraient passés devant ma masure ; d’autres furent exilés parce qu’on rapporta qu’ils m’avaient fait des dons ; ce furent parfois leur épouse et leurs enfants qui furent arrêtés. L’ancien gouverneur de Musashi rapporta alors au régent les mesures qu’il avait prises. Mais, contrairement à ce qu’il attendait, le régent émit une lettre de grâce le quatorzième jour du deuxième mois de la onzième année de Bun’ei [1274], qui parvint à Sado le huitième jour du troisième mois.
Les moines du Nembutsu tinrent un autre conciliabule : « Cet homme, ennemi juré du bouddha Amida et calomniateur du révérend Shandao et du vénérable Hōnen, a suscité la fureur des autorités et s’est trouvé banni sur cette île. Comment pourrions-nous tolérer qu’il soit gracié et autorisé à rentrer chez lui vivant ? »
Alors qu’ils imaginaient diverses stratégies, et sans qu’on sache pourquoi, le temps changea de manière inattendue. Un vent favorable se leva, et je pus quitter l’île. Le détroit peut se traverser en trois jours quand le vent est favorable alors qu’on ne peut même pas le faire en cinquante ou cent jours par mauvais temps. La traversée fut très rapide.
Sur ce, les moines du Nembutsu, les observateurs des préceptes et les moines du Shingon de la capitale de la province d’Echigo et ceux du Zenkō-ji à Shinano se rassemblèrent de toutes les directions pour se concerter. « Quelle honte que les moines de Sado aient autorisé Nichiren à revenir vivant ! En aucun cas, nous ne devons laisser ce moine passer devant le corps vivant du bouddha Amida27. »
Mais, en dépit de leurs machinations, on m’envoya en guise d’escorte un certain nombre de soldats du bureau du gouvernement de la province d’Echigo. Je pus ainsi passer en toute sécurité devant le Zenkō-ji et les moines du Nembutsu ne purent m’arrêter. J’ai quitté l’île de Sado le treizième jour du troisième mois et je suis arrivé à Kamakura le vingt-sixième jour du même mois.
Le huitième jour du quatrième mois, je rencontrai Hei no Saemon. Par contraste avec son comportement des fois 781précédentes, il eut une attitude tout à fait douce et me traita avec courtoisie. Un moine séculier de l’escorte m’interrogea sur le Nembutsu, un laïc me posa des questions sur l’école Shingon, un autre sur le Zen et Hei no Saemon se soucia de savoir s’il était possible d’atteindre la Voie grâce à l’un des sūtras enseignés avant le Sūtra du Lotus. Je répondis à chacune de ces questions en citant des passages des sūtras.
Puis Hei no Saemon, qui agissait apparemment au nom du régent, demanda quand les forces mongoles envahiraient le Japon. Je répondis : « Elles arriveront certainement d’ici à la fin de l’année. J’ai déjà exprimé mon opinion à ce sujet mais elle n’a pas été prise en compte. Si vous essayez de traiter la maladie de quelqu’un sans en connaître la cause, vous ne ferez que rendre la personne plus malade qu’auparavant. De la même manière, si l’on autorise les moines du Shingon à tenter de vaincre les Mongols par leurs prières et leurs imprécations, elles ne feront que conduire à la défaite militaire du pays. En aucun cas, les moines du Shingon ou les moines de toute autre école ne devraient être autorisés à offrir des prières pour cela. Si vous avez une juste compréhension des enseignements bouddhiques, vous saisirez le sens de mes explications.
« Je note aussi que, alors que les conseils des autres sont pris en compte, lorsque c’est moi qui donne mon avis, il est, pour quelque étrange raison, systématiquement ignoré. J’aimerais néanmoins relater ici certains faits auxquels vous pourrez réfléchir par la suite. L’empereur retiré de l’île d’Oki était le souverain du pays et le régent en fonction [Hōjō Yoshitoki] était son sujet, [et pourtant, ce dernier attaqua et vainquit l’empereur retiré]. Pourquoi la Grande Déesse du Soleil a-t-elle autorisé un sujet à attaquer son souverain qui aurait dû être un père pour lui ? Pourquoi le grand bodhisattva Hachiman aurait-il autorisé un vassal à attaquer son seigneur en toute impunité ? Et pourtant, nous le savons, le souverain et les courtisans qui le soutenaient furent vaincus par Hōjō Yoshitoki. Cette défaite ne fut pas purement accidentelle. Elle était due à leur foi dans les enseignements trompeurs du Grand Maître Kōbō et dans les opinions fausses des Grands Maîtres Jikaku et Chishō. Elle était due aussi au fait que, dans leur opposition au shogunat de Kamakura, les moines du mont Hiei, du Tō-ji et de l’Onjō-ji avaient offert des prières pour sa défaite. Ainsi, le “mauvais sort se retourna contre celui qui l’avait lancé”28 et cela eut pour conséquence la défaite inexorable du souverain et de ses courtisans. Les dirigeants militaires de Kamakura ne savaient rien de ces rituels, de sorte qu’ils n’offrirent aucune prière pour soumettre l’ennemi ; ils purent ainsi l’emporter. Mais, s’ils dépendent maintenant de prières de ce genre, ils rencontreront le même destin que celui des courtisans.
« Le peuple Ezo, au nord du Japon, n’a pas la moindre compréhension des principes des naissances et des morts. Andō Gorō29 était un homme pieux. Il connaissait la loi de la cause et de l’effet et il érigea de nombreux temples bouddhiques. Comment le peuple Ezo aurait-il pu alors le faire décapiter ? En raison de ces précédents, je suis absolument convaincu que, si ces moines sont autorisés à poursuivre leurs prières pour la victoire, Votre Seigneurie sera confrontée à quelque fâcheux événement. Quand cela se produira, vous ne devrez en aucun cas dire que je ne vous avais pas prévenu. » C’est en ces termes sévères que je me suis adressé à lui.
En rentrant chez moi, j’appris qu’on avait demandé au Sceau-du-Dharma du hall d’Amida30 de prier pour la pluie à partir du dixième jour du quatrième mois. Ce Sceau-du-Dharma est le moine le plus érudit du Tō-ji et le maître du prélat d’Omuro31. Il a maîtrisé les enseignements ésotériques des Grands Maîtres Kōbō, Jikaku et Chishō de l’école Shingon, et mémorisé l’ensemble des doctrines des diverses écoles telles que le Tendai et le Kegon. Il 782se mit à prier pour la pluie le dixième jour et, le onzième jour, une forte pluie tomba. Il n’y eut pas de vent, juste une pluie douce, qui dura tout un jour et toute une nuit. On dit que le régent, le seigneur de Sagami, fut si profondément impressionné qu’il offrit au Sceau-du-Dharma trente ryō, d’or, un cheval et d’autres cadeaux à titre de récompense.
Quand les habitants de Kamakura l’apprirent, qu’ils soient éminents ou humbles, tous applaudirent, les lèvres pincées, et se moquèrent en disant : « Ce Nichiren a exposé un enseignement erroné et il s’en est fallu de peu qu’il n’ait la tête tranchée. Il fut finalement gracié mais, au lieu de retenir la leçon, il continue de calomnier les écoles Nembutsu et Zen, et il ose même dire du mal des enseignements ésotériques du Shingon. Fort heureusement, cette pluie apporte la preuve du pouvoir des prières du Shingon ! »
Confrontés à de telles critiques, mes disciples furent totalement abattus et me reprochèrent d’avoir été trop provocateur dans mes attaques contre l’école Shingon. Mais je leur dis : « Attendez encore un peu. Si les mauvais enseignements du Grand Maître Kōbō étaient en fait corrects et produisaient des prières efficaces pour le bien du pays, alors l’empereur retiré de l’île d’Oki aurait sûrement remporté la victoire dans son combat contre le shogunat de Kamakura, et Seitaka32, le serviteur préféré du prélat d’Omuro, n’aurait pas eu la tête tranchée.
« Dans son Traité sur les dix étapes de l’esprit, Kōbō déclare que le Sūtra du Lotus est inférieur au Sūtra de la Guirlande de fleurs. Dans un autre écrit intitulé La clé précieuse du trésor secret, il prétend que le bouddha Shakyamuni du chapitre “Durée de la vie” du Sūtra du Lotus est un homme du commun et, dans la Comparaison entre les enseignements exotériques et ésotériques, il traite le Grand Maître Tiantai de voleur. De plus, dans ses Règles des rites pour révérer les reliques du Bouddha, Shōgaku-bō33 déclare que le Bouddha qui a enseigné le Véhicule Unique du Sūtra du Lotus n’est même pas digne de garder les sandales d’un maître du Shingon. Le Sceau-du-Dharma du hall d’Amida est un disciple des hommes qui ont enseigné ces doctrines erronées. Si un tel homme pouvait se révéler supérieur à moi, alors les rois-dragons qui font tomber la pluie sont les ennemis du Sūtra du Lotus et ils seront sûrement châtiés par les dieux Brahma et Shakra et par les quatre rois célestes. Mais il doit y avoir autre chose que nous ne pouvons encore voir. »
« Qu’entendez-vous par “il doit y avoir autre chose que nous ne pouvons encore voir” ? », demandèrent mes disciples, avec un sourire ironique.
Je répondis : « Shanwuwei et Bukong firent l’un et l’autre pleuvoir en réponse à leurs prières, mais on rapporte qu’ils déclenchèrent aussi de grands vents. Quand Kōbō pria pour qu’il pleuve, la pluie tomba au bout de vingt et un jours. Mais, dans un tel cas, c’est exactement comme s’il n’avait obtenu aucun résultat puisqu’il est dans le cours naturel des choses qu’il ne s’écoule pas vingt-et-un jours sans pluie. Qu’il ait plu alors qu’il priait dans ce sens n’est en rien remarquable. Ce qui est vraiment impressionnant, c’est qu’il pleuve grâce à une seule cérémonie, à l’instar de ce qui se passa pour Tiantai et Senkan34. C’est pourquoi je trouve cette pluie bien curieuse. »
Je n’avais pas même fini de parler qu’un grand vent se mit à souffler. Des maisons de toutes tailles, des temples bouddhiques, de vieux arbres et des bâtiments du gouvernement, tout s’envola dans les airs ou s’effondra au sol. Un énorme objet brillant traversa le ciel et la terre fut couverte de poutres et de chevrons. Emportés par le souffle, des hommes et des femmes périrent et de nombreux chevaux et têtes de bétail furent terrassés. Un vent aussi mauvais aurait pu s’expliquer en automne, saison des typhons, mais nous n’étions alors qu’au quatrième 783mois, au début de l’été. De plus, ce vent ne souffla pas sur tout le pays, mais frappa seulement les huit provinces de la région du Kantō, ou plutôt uniquement les deux provinces de Musashi et de Sagami. C’est à Sagami qu’il souffla le plus fort ; et, à l’intérieur de Sagami, ce fut à Kamakura ; et, à Kamakura, ce fut sur les bâtiments du gouvernement, sur Wakamiya, et sur le Kenchō-ji et le Gokuraku-ji. Il était évident qu’il ne s’agissait pas d’un vent ordinaire mais plutôt du résultat des seules prières du Sceau-du-Dharma. Ceux qui, auparavant, avaient fait la moue et s’étaient moqués de moi se calmèrent subitement et mes disciples eux aussi furent étonnés et firent part de leur émerveillement.
J’avais décidé depuis le début que si, après trois tentatives auprès des autorités du pays, mes conseils n’étaient toujours pas pris en compte, je quitterais le pays. Cette pensée en tête, je quittai donc Kamakura le douzième jour du cinquième mois pour me rendre ici, au mont Minobu.
Lors du dixième mois de la même année [1274], les Mongols lancèrent leur attaque. Non seulement les îles d’Iki et de Tsushima35 furent attaquées et occupées, mais les forces militaires de Dazaifu, à Kyūshū, furent également vaincues. Quand les responsables militaires, Ōtomo36 et le moine séculier Shōni, apprirent la nouvelle, ils s’enfuirent et le reste des soldats fut vaincu sans difficulté. [Bien que les forces mongoles se soient ensuite retirées], cela fit apparaître combien, à l’évidence, le Japon aurait du mal à se défendre si les Mongols lançaient une autre attaque.
Il est dit dans le Sūtra des rois bienveillants : « Une fois que les sages seront partis, les sept désastres ne manqueront pas de se produire. » Et dans le Sūtra de l’excellent roi : « Les personnes mauvaises étant respectées et privilégiées alors que les personnes de bien sont sujettes à des sanctions, des pilleurs viendront d’autres pays et les habitants seront confrontés à la mort et au désordre. » Si ces déclarations du Bouddha sont exactes, alors il existe certainement des hommes mauvais dans notre pays, et le souverain privilégie et respecte ces hommes, alors qu’il traite les hommes bons avec hostilité. Il est dit dans le Sūtra de la Grande Collection : « Le soleil et la lune ne répandront plus leur lumière. Les quatre directions seront toutes affectées par la sécheresse. (...) Les souverains et les mauvais moines qui accomplissent les dix actes mauvais maudiront et détruiront mon enseignement correct. » Dans le Sūtra des rois bienveillants, nous lisons : « Espérant acquérir gloire et profit, les mauvais moines se présentent fréquemment devant le souverain, le prince héritier ou les autres princes pour prêcher des doctrines qui conduisent à la transgression de la Loi bouddhique et à la destruction du pays. Incapable de percevoir la situation telle qu’elle est, le souverain écoute ces doctrines et leur accorde foi. (...) Il provoque ainsi la destruction de la Loi bouddhique et du pays. » Et, dans le Sūtra du Lotus, il est question « des mauvais moines de cette époque souillée37 ». Si ces passages de sūtras sont justes, il s’agit sans aucun doute des mauvais moines de ce pays. Les arbres tordus sur une montagne aux trésors sont destinés à être coupés et les cadavres sont rejetés par le grand océan. Même si le grand océan de la Loi bouddhique et la montagne aux trésors du Véhicule Unique admettent les débris et décombres des cinq transgressions capitales ou l’eau sale des quatre fautes majeures38, il n’y a de place en eux ni pour les « cadavres » de ceux qui calomnient la Loi ni pour « les arbres tordus » que sont les icchantika, ou personnes à l’incroyance incorrigible.
C’est pourquoi ceux qui s’efforcent de pratiquer la Loi bouddhique et se soucient de leur sort dans leurs vies futures devraient savoir combien il est effrayant de calomnier le Sūtra du Lotus.
Beaucoup se demandent pourquoi il faudrait accorder du crédit à quelqu’un comme moi qui dénigre le moine Kōbō, le 784moine Jikaku, et les autres adeptes de leurs écoles. Je ne sais ce qu’il en est des autres régions mais, dans la province d’Awa, je sais que partout les gens ont de bonnes raisons de croire mes paroles. Ils en ont eu la preuve juste sous leurs yeux. Endon-bō d’Inomori, Saigyō-bō et Dōgi-bō du [temple] de Kiyosumi, et Jitchi-bō du [temple] de Kata’umi étaient tous des moines éminents ; mais on devrait se demander dans quelles circonstances ils vont mourir. Je n’en dirai cependant pas plus en ce qui les concerne. Enchi-bō passa trois années dans le Grand hall du Seichō-ji à copier minutieusement le texte du Sūtra du Lotus, en s’inclinant à trois reprises devant chaque caractère. Il avait mémorisé l’ensemble des dix volumes et chaque jour, chaque nuit, pendant une période de cinquante ans, il récita deux fois le Sūtra dans sa totalité. Tout le monde disait qu’il deviendrait à coup sûr bouddha. Mais je fus le seul à dire que, comme Dōgi-bō, il tomberait dans les profondeurs de l’Enfer aux souffrances incessantes de manière encore plus certaine que les moines du Nembutsu. Vous feriez bien de vous pencher sérieusement sur la façon dont ces hommes sont morts. Sans mon intervention, les gens auraient cru que ces moines avaient atteint la bouddhéité.
Vous devriez en conclure que les conditions dans lesquelles sont morts Kōbō, Jikaku et les autres indiquaient qu’à l’avenir un destin véritablement misérable les attendait. Mais leurs disciples s’efforcèrent de garder ce point secret si bien que même les membres de la Cour impériale n’en surent jamais rien. C’est pourquoi, le temps passant, on accorda à ces hommes toujours plus de respect. S’il n’y avait pas eu quelqu’un comme moi pour révéler la vérité, on aurait continué à les vénérer à jamais. Le maître non bouddhiste Uluka [se changea en pierre à sa mort] mais, huit cents ans plus tard, [ses erreurs furent dévoilées] et la pierre fondit pour se changer en eau. Quant à Kapila, un autre maître non bouddhiste, mille ans se sont écoulés avant que ses fautes ne soient mises au jour39.
Les gens peuvent naître sous forme humaine pour avoir observé les cinq préceptes dans une existence antérieure. S’ils continuent à observer les cinq préceptes en cette vie, les vingt-cinq divinités bienveillantes les protégeront et Même-Naissance et Même-Nom, les deux messagers célestes postés sur leurs épaules depuis leur naissance, veilleront sur eux. Tant qu’ils ne commettent pas de faute, il est totalement exclu que les démons leur nuisent. Pourtant, au japon, innombrables sont ceux qui crient leur souffrance. Nous connaissons aussi les souffrances infligées par les Mongols aux habitants des îles d’Iki et de Tsushima, et nous savons ce qu’il advint des responsables militaires de Dazaifu, à Kyūshū. De quelle faute les gens de ces contrées étaient-ils coupables pour connaître un tel destin ? On aimerait avoir la réponse. Peut-être y en a-t-il un ou deux parmi eux qui ont pu commettre des actes mauvais, mais comment cela pourrait-il être le cas de tous ?
La faute réside entièrement dans le fait que ce pays abonde de disciples de tous ceux qui ont méprisé le Sūtra du Lotus — les moines du Shingon suivant les doctrines transmises depuis Kōbō, Jikaku et Chishō ; les moines du Nembutsu, disciples, à l’époque de la Fin de la Loi, de Shandao et de Hōnen ; et les disciples de Bodhidharma et des autres patriarches de l’école Zen. C’est pourquoi Brahma, Shakra, les quatre rois célestes et les autres divinités célestes, ont envoyé cette punition, fidèles au vœu qu’ils avaient fait, au moment où fut exposé le Sūtra du Lotus, de briser en sept morceaux la tête [de tous ceux qui « importunent et dérangent les maîtres de la Loi40 »].
Certains peuvent en douter et objecter que, alors que ceux qui nuisent au pratiquant du Sūtra du Lotus sont censés avoir la tête brisée en sept morceaux, des calomniateurs du moine Nichiren n’ont pourtant pas eu la tête brisée. Ils se demandent 785peut-être : devons-nous en conclure que le moine Nichiren n’est pas un véritable pratiquant du Sūtra du Lotus ?
Ma réponse est que, si Nichiren n’est pas un pratiquant du Sūtra du Lotus, alors qui l’est ? Est-ce Hōnen, le pratiquant, lui qui dans ses écrits ordonnait de rejeter le Sūtra du Lotus ? Est-ce le Grand Maître Kōbō qui a dit que le bouddha Shakyamuni était encore dans la région des ténèbres ? Ou les pratiquants sont-ils Shanwuwei et Jikaku, qui ont enseigné que le Sūtra du Lotus et le Sūtra de Mahavairochana sont égaux sur le plan du principe, mais que le second est supérieur sur le plan de la pratique ?
De plus, en ce qui concerne cette image de la tête brisée en sept morceaux, il ne faut pas imaginer sept fentes provoquées par un sabre tranchant. Au contraire, il est dit dans le Sūtra du Lotus que les fentes sont comparables à celles des « branches de l’arbre arjaka41 ». À l’intérieur de la tête de chaque personne, il y a sept gouttes de liquide et, à l’extérieur, sept divinités malfaisantes. Si les divinités malfaisantes boivent une goutte, cela produit un début de migraine. S’ils boivent trois gouttes, la vie est en danger, et, s’ils boivent les sept gouttes, la personne meurt. Nos contemporains ont tous la tête brisée, comme les branches de l’arbre arjaka, mais ils sont si profondément plongés dans leur mauvais karma qu’ils n’en ont pas même conscience. Ils sont comme des gens qui ont été blessés dans leur sommeil ou en état d’ivresse, et qui n’ont pas encore conscience de leurs blessures.
Plutôt que de dire que la tête est brisée en sept morceaux, nous disons parfois que c’est l’esprit qui est fendu en sept. [Cela signifie que] la boîte crânienne, sous le cuir chevelu, craque, voire se brise au moment de la mort. Nombreux sont ceux, en notre temps, qui ont eu la tête brisée lors du grand tremblement de terre de l’ère Shōka [1257] ou au moment de l’apparition de la grande comète de l’ère Bun’ei [1264]. Lorsque leurs têtes se fendirent, ils eurent une grave quinte de toux et, quand leurs cinq organes internes solides42 cessèrent de fonctionner correctement, ils souffrirent de dysenterie. Comment ont-ils pu ne pas prendre conscience que leur punition était due à leurs calomnies à l’encontre du pratiquant du Sūtra du Lotus !
On tue le cerf parce que sa viande a bon goût ; on tue la tortue pour l’huile que l’on tire de son corps. Si une femme est belle, elle suscite bien des jalousies. Le souverain d’un pays a de nombreuses raisons de redouter les autres pays, et la vie d’un homme pourvu d’une grande richesse est constamment en danger. Celui qui reste fidèle au Sūtra du Lotus atteindra inévitablement la bouddhéité. C’est pourquoi le roi-démon du sixième ciel, seigneur de ce monde des trois plans, éprouvera une intense jalousie à l’égard de toute personne qui garde le Sūtra. On dit que ce roi-démon s’attache aux gens comme le kami de la peste, sans qu’on puisse le détecter à l’œil nu. Par la suite, telles des personnes qu’un vieil alcool enivre peu à peu, les autorités, les pères et les mères, les épouses et les enfants tombent graduellement sous son emprise et sont emplis de jalousie envers le pratiquant du Sūtra du Lotus. C’est précisément la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, dans le monde qui nous entoure. Du fait que je récite Nam-myōhō-renge-kyō, je suis depuis plus de vingt ans chassé de lieu en lieu. À deux reprises, j’ai suscité la fureur des autorités et, pour finir, je me suis retiré sur cette montagne.
Je suis ici entouré de quatre montagnes, le mont Shichimen à l’ouest, le mont Tenshi à l’est, le mont Minobu au nord, et le mont Takatori au sud. Chacun d’eux est si élevé qu’il en touche le ciel et si abrupt que même les oiseaux peinent à le survoler. En ce lieu coulent quatre rivières appelées respectivement Fuji, Haya, Ōshira et Minobu. Au milieu, dans un ravin large d’un chō43, j’ai bâti ma masure. Je n’y vois ni le soleil le jour, ni la lune la nuit. En 786hiver, la neige est épaisse et, en été, l’herbe pousse drue. Ceux qui viennent me rendre visite sont si rares que le sentier est d’accès bien difficile. Cette année, la neige a été particulièrement épaisse et je n’ai pas eu le moindre visiteur. Sachant que ma vie peut s’achever à chaque instant, j’ai placé toute ma confiance dans le Sūtra du Lotus. En de telles circonstances, votre lettre a été tout particulièrement bienvenue. Il m’a presque semblé que c’était un message du bouddha Shakyamuni ou de mes parents défunts et je ne puis vous dire combien j’en ai éprouvé de la reconnaissance. Nam-myōhō-renge-kyō, Nam-myōhō-renge-kyō.
Notes
1. L’expression « les barbares de l’ouest » fut créée par les Chinois pour décrire les tribus de l’ouest et Nichiren l’applique ici aux Mongols.
2. Bai Juyi (772-846), aussi connu sous le nom de Bai Letian, était un dignitaire et poète chinois, connu pour son Xinyuefu, « Nouveau yuefu », une série de poèmes en yuefu, c’est-à-dire écrits sous forme de ballade pour dénoncer les maux sociaux et politiques de l’époque.
3. Ces lettres ont été adressées aux autorités ainsi qu’aux principales écoles de Nara.
4. Fuchai (décédé en 473 avant notre ère) fut le vingt-cinquième souverain de l’État de Wu. Son père fut tué par Goujian, roi de l’État de Yue, et Fuchai se vengea deux ans plus tard en parvenant à le vaincre sur le champ de bataille. Goujian proposa un règlement pacifique à Fuchai mais planifiait en fait d’attaquer de nouveau l’État de Wu. Wu Zixu, ministre loyal de Fuchai, découvrit le complot et exhorta le roi à tuer Goujian, mais le roi ne l’écouta pas. Tout au contraire, il obligea Wu Zixu à se suicider en 485 avant notre ère.
5. Commentaire textuel du Sūtra du Lotus.
6. Annotations sur le Sūtra du Nirvana.
7. Ce n’est pas une citation littérale mais l’interprétation par Nichiren des convictions de Shakyamuni, se fondant sur divers passages du Sūtra du Lotus et d’autres sūtras.
8. Ryōkō et Ryōken complotèrent contre le gouvernement de Kamakura ; leurs complots furent découverts et ils furent mis à mort. Ryōkō fut exécuté en 1251 et Ryōken en 1261.
9. Le cinquième volume comprend les chapitres douze à quinze ; il est dit dans le treizième chapitre, “Exhortation à la persévérance”, que le pratiquant du Sūtra du Lotus sera attaqué à coups de sabre et de bâton. « Les neuf autres rouleaux du Sūtra », dont il est question ensuite, correspondent aux sept autres volumes du Sūtra du Lotus ainsi qu’au volume du Sūtra aux sens infinis et à celui du Sūtra du bodhisattva Sagesse-Universelle. Ces deux sūtras sont considérés respectivement comme le prologue et l’épilogue du Sūtra du Lotus.
10. Unité de mesure du Japon de l’époque qui correspond à trois mètres.
11. Izumi Shikibu (né autour de 976) était une poétesse de l’ère Heian, célèbre pour ses aventures sentimentales passionnées. Nōin (né en 988), qui est mentionné dans la phrase suivante, était un moine poète qui vivait à Kyōto. Les œuvres d’Izumi Shikibu et de Nōin comprennent également des poèmes de prières pour la pluie.
12. Parmi les divers préceptes du Hinayana, l’un des huit préceptes est l’abstinence. Voir glossaire.
13. Le seigneur de la province de Musashi est Hōjō Nobutoki, qui fut en même temps gouverneur de la province de Musashi (1267-1273) et gouverneur de la province de Sado. On le présente aussi dans cette lettre comme « l’ancien gouverneur de Musashi ».
14. Rue principale de Kamakura qui traverse la ville du nord au sud. Le sanctuaire Tsurugaoka Hachiman, où Nichiren adressa des remontrances au grand bodhisattva Hachiman, s’élève dans cette rue.
15. Wake no Kiyomaro (733-799) était un haut dignitaire de la Cour. Il déjoua la tentative du moine Ryōkan d’usurper le trône, ce qui lui valut de subir des persécutions.
16. Sūtra du Lotus, chap. 22.
17. Li Quang (décédé en 74 avant notre ère) était un chef militaire qui dirigea les forces chinoises dans une attaque contre les tribus nomades Xiungnu, habitant au nord de la Chine, mais il fut finalement capturé par les tribus ennemies.
18. Le Véhicule Unique désigne ici l’enseignement du Sūtra du Lotus.
19. Sūtra du Lotus, chap. 14.
20. Ibid., chap. 13.
21. Ibid., cf. chap. 10.
22. Ibid., chap. 2. « La réalité ultime » renvoie au principe selon lequel les pratiquants du Sūtra du Lotus devront être persécutés ; et « tous les phénomènes » concernent les persécutions qui s’abattirent à la fois sur Shakyamuni et sur Nichiren. Dans l’expression « cohérence du 787début jusqu’à la fin », « le début » désigne l’époque de Shakyamuni et « la fin » celle de Nichiren.
23. Wada Yoshimori (1147-1213) et l’empereur retiré Gotoba (1180-1239). Yoshimori était le chef de la police militaire sous le règne de Minamoto no Yoritomo, fondateur du régime de Kamakura, mais en 1213 il se retourna contre le clan Hōjō, ce qui lui valut d’être vaincu et tué. Gotoba tenta de renverser le régime de Kamakura en 1221 mais fut vaincu et exilé à Oki (cf. les troubles de l’ère Jōkyū). C’est pourquoi on l’appela l’empereur retiré de l’île d’Oki. Ce sont des heurts de ce genre qui permirent au clan Hōjō d’établir son pouvoir.
24. Le gouverneur de la province de Sado était Hōjō Nobutoki, seigneur de la province de Musashi, qui vivait à Kamakura. Homma Rokurō Saemon, l’intendant de Niiho, à Sado, travaillait dans ce bureau en tant que vice-gouverneur de la province.
25. Les moines séculiers paysans étaient des personnes qui, bien qu’ayant prononcé leurs vœux en tant que religieux, ne vivaient pas dans un temple mais continuaient à cultiver leurs terres et demeuraient dans leur propre foyer.
26. On dit que Shandao (613-681), l’un des grands maîtres de la tradition de la Terre pure en Chine, désirait avec tant de ferveur renaître dans la Terre pure [d’Amida] qu’il tenta de se pendre à un saule mais il tomba de l’arbre et se blessa mortellement. Quant à Kōbō, l’autre personnage cité ici, au moment où, selon la légende, il s’apprêtait à quitter la Chine pour regagner le Japon, il lança son sceptre de diamant en forme de trident dans les airs ; ce dernier fut retrouvé plus tard au Japon, sur le mont Kōya. En une autre occasion, alors qu’il débattait à la Cour avec des maîtres bouddhistes éminents, on dit qu’il s’est changé en Mahavairochana, le bouddha révéré par l’école Shingon.
27. Le corps vivant du bouddha Amida désigne la statue du bouddha Amida enchâssée dans le temple Zenkō-ji, dans la province de Shinano (aujourd’hui préfecture de Nagano).
28. Sūtra du Lotus, chap. 25. Dans le Sūtra, la phrase est conjuguée au futur. Elle a été modifiée ici pour respecter le contexte de la lettre.
29. Andō Gorō (dates inconnues) était un magistrat qui exerçait son autorité sur la région nord du Japon, au temps du régent Hōjō Yoshitoki (1163-1224).
30. Le Sceau-du-Dharma du hall d’Amida désigne le moine du Shingon Kaga Jōsei, qui en fut le surintendant à Kamakura.
31. Le prélat d’Omuro est le prince Dōjo (dates inconnues), un fils de l’empereur Gotoba devenu moine. Ce titre de prélat d’Omuro était généralement attribué à un empereur ou à un prince retiré devenu moine, qui vivait au Ninna-ji, temple du Shingon à Kyōto. Omuro est un autre nom utilisé pour désigner le Ninna-ji.
32. Seitaka (décédé en 1221) fut le sixième fils de Sasaki Hirotsuna, guerrier qui apporta son soutien à l’empereur Gotoba. Il était le favori bien-aimé du prince-moine Dōjo, du Ninna-ji, et fut décapité en 1221, au moment des troubles de l’ère Jōkyū.
33. Shōgaku-bō (1095-1143), également appelé Kakuban, fut le précurseur de la branche Shingi (nouvelle doctrine) de l’école Shingon.
34. Senkan (918-983) était un moine de l’école Tendai. Lors de l’été 962, alors que le Japon souffrait de sécheresse, l’empereur lui donna pour ordre de prier pour la pluie. On dit que, dès que l’envoyé impérial parvint jusqu’à lui, la pluie tomba.
35. Iki et Tsushima sont des îles au large de Kyūshū, dans le sud du Japon. Dazaifu était un centre administratif pour Kyūshū, Iki et Tsushima, et servait de lieu de contact avec l’étranger ainsi que de point de ralliement en cas d’invasion étrangère. Durant l’attaque mongole de 1274, ce fut un point de défense central contre les Mongols.
36. Il s’agit de Shōni Sukeyoshi (1198-1281), gouverneur de Chikuzen et d’Ōtomo Yoriyasu (1222-1300), gouverneur de Bungo.
37. Sūtra du Lotus, chap. 13.
38. Les quatre fautes majeures sont les préceptes pour les moines concernant le meurtre, le vol, les conduites sexuelles illicites et le mensonge.
39. Kapila était le fondateur de l’école Samkhya, l’une des six écoles principales du brahmanisme en Inde. Selon les Annotations sur La Grande Concentration et Pénétration, il se changea en pierre parce qu’il avait peur de la mort. Mais quand le bodhisattva Dignaga écrivit un verset sur cette pierre manifestant son admiration, elle éclata en morceaux, révélant ainsi, mille ans après sa mort, que les enseignements de Kapila étaient erronés.
40. Sūtra du Lotus, chap. 26. Il est dit précisément : « Si certains, faisant fi de nos formules magiques, importunent et dérangent les maîtres de la Loi, leur tête se brisera en sept morceaux (...). »
41. Ibid., En fait, il s’agit de fleurs arjaka qui poussent en Inde et dans d’autres régions 788tropicales. On dit que, lorsqu’une fleur tombe au sol, elle se défait en sept pétales. Il est certain que Nichiren n’en connaissait l’existence que par les écrits sanskrits traduits par Kumarajiva en chinois.
42. Les poumons, le cœur, la rate, le foie et les reins.
43. Unité de mesure du Japon de l’époque, qui correspond à environ 110 mètres.