Points de repère
Cette lettre, datée du quatorzième jour du neuvième mois de la huitième année de Bun’ei (1271), fut adressée à Toki Jōnin, juste après la persécution de Tatsunokuchi.
Lorsqu’il rédige cette missive, Nichiren se trouve à la résidence de Homma Rokurō Saemon-no-jō, à Echi, dans la province de Sagami. Il a été condamné à l’exil sur l’île de Sado, sous la surveillance de Hōjō Nobutoki, le gouverneur de Sado. Néanmoins, les autorités tentent de le décapiter à Tatsunokuchi, dans les premières heures du treizième jour. Mais la tentative échoue et Nichiren est placé sous la garde de Homma Rokurō, adjoint de Hōjō Nobutoki. Nichiren annonce dans cette lettre qu’il restera sûrement à Echi quatre ou cinq jours, mais il y demeure en fait jusqu’au dixième jour du mois suivant.
Pour la première fois dans ses écrits, Nichiren cite le passage du Sūtra du Lotus où il est dit : « Nous serons bannis encore et encore. » Cela signifie ici que, avec son bannissement antérieur à Izu (1261-1263) et avec l’exil à venir à Sado, Nichiren lit et expérimente avec sa vie les mots du Sūtra « encore et encore ». Bien qu’à la fin de cette lettre Nichiren se dise certain d’atteindre l’illumination dans l’avenir, on peut penser qu’il manifeste ici l’état de vie du Bouddha de l’époque de la Fin de la Loi, tant sa conviction face aux persécutions est grande.
Les persécutions des autorités à mon encontre manifestent clairement ma foi dans le Sūtra du Lotus. Il ne fait aucun doute que la lune croît et décroît et que la marée connaît flux et reflux. Dans mon cas aussi, puisque la sanction est déjà intervenue, le bienfait est imminent. À quoi bon alors se lamenter ?
À l’heure du Coq [entre dix-sept heures et dix-neuf heures], le douzième jour [du mois], j’ai attiré sur moi le courroux des autorités. Placé sous la garde du seigneur de Musashi1, j’ai quitté Kamakura à l’heure du Bœuf [entre une heure et trois heures] le treizième jour, pour être exilé dans la province de Sado. À présent, je suis dans un lieu appelé Echi, sur le domaine de Homma2, sous la surveillance d’un certain Uma Tarō, adjoint de Homma Rokurō Saemon-no-jō d’Echi. Je resterai probablement ici quatre ou cinq jours.
Votre peine est compréhensible mais, pour ma part, étant préparé à cela depuis le début, je ne me plains aucunement. Je regrette plutôt de n’avoir pas encore été décapité. Si l’on m’avait coupé la tête dans une existence passée pour le compte du Sūtra du Lotus, je ne serais pas né en cette vie comme une personne de si basse condition.
J’endure des persécutions répétées, conformément aux mots du Sūtra « (...) nous serons bannis encore et encore3 », et 196je peux ainsi effacer les graves offenses du passé et atteindre la bouddhéité en cette vie. C’est donc de mon plein gré que je m’engage dans ces pratiques difficiles.
Nichiren
Le quatorzième jour du neuvième mois
Réponse à Toki
Notes
1. Le seigneur de Musashi est Hōjō Nobutoki, gouverneur de la province de Musashi qui occupa ce poste de 1267 à 1273. Il était aussi le gouverneur de Sado.
2. Homma est Homma Rokurō Saemon-no-jō Shigetsura, serviteur de Hōjō Nobutoki et aussi adjoint au gouverneur de Sado.
3. Sūtra du Lotus, chap. 13.