La publication de ce volume de cent soixante-douze écrits de Nichiren Daishōnin est, pour moi, la source d’une joie immense. Je suis convaincu que la parution de cet ouvrage est un événement significatif qui offrira aux deux cent cinquante millions de personnes que compte le monde francophone une belle voie de dialogue sur le bouddhisme de Nichiren. C’est extrêmement important pour l’histoire du bouddhisme, mais aussi pour l’histoire des religions dans le monde, et cela aura sans aucun doute une influence à long terme sur l’avenir de notre humanité.
Quant à l’ouverture de la voie de dialogue offerte grâce à ce livre, on peut penser qu’elle comporte aussi une dimension civilisationnelle qui fera progresser, dans toute la francophonie, le dialogue entre le bouddhisme et les autres religions.
On ne soulignera jamais assez que la mission fondamentale de toutes les religions est d’apporter une réponse aux questions suivantes : comment insuffler de l’espoir à toute l’humanité ? Comment donner du sens à la vie humaine ? Apporter la quiétude et la paix dans le cœur de chaque être humain, permettre aux peuples de parvenir au bonheur et à la paix, n’est-ce pas là l’objectif d’une religion ? De ce point de vue, toute religion doit fondamentalement être une « religion au service de l’humanité ». Je suis convaincu que, dans notre contexte de mondialisation, toute religion véritable doit se fonder, aujourd’hui, sur une prise de conscience profonde de cette nécessité. C’est ainsi que l’on pourra promouvoir des dialogues interreligieux et interculturels, qui constituent désormais un devoir pour chacun et sont indispensables à l’humanité.
Certes, chaque religion a ses caractéristiques propres. Ainsi, l’appréhension de concepts comme la quiétude et la paix de l’esprit diffère selon les religions, qui essaient de répondre chacune à sa façon aux attentes de l’humanité. Certaines s’appuient sur l’amour de Dieu, d’autres sur une force absolue et invisible à laquelle nos vies seraient liées, d’autres encore soulignent l’importance de suivre sa conscience ou de contrôler ses passions... Les différences entre toutes ces croyances reposent sur des facteurs complexes et multiples — le plus souvent en rapport avec l’époque, la culture et la longue histoire des différentes régions du monde, ainsi qu’avec la diversité des êtres humains eux-mêmes. Tous ces éléments s’entremêlent et s’influencent mutuellement.
Mais, au cœur de ces différentes doctrines, se retrouvent la même intuition et la même sincérité, mises au service de la réalisation du bonheur de l’être humain. En reconnaissant mutuellement leurs différences, tout en restant ouvertes aux intuitions et à la sincérité propres à chaque doctrine, les religions pourront sans aucun doute incarner toutes ensemble l’idéal d’une « religion au service de l’humanité ».
Je suis de ceux qui croient profondément que, en progressant de concert sur cette voie du dialogue, nous pourrons permettre à toutes les religions de déployer leur valeur propre et d’œuvrer pour devenir une force motrice indispensable à la réalisation de la paix mondiale.
C’est au XXe siècle que les diverses religions de l’humanité ont commencé à se reconnaître mutuellement. Sans doute les tragédies suscitées par les deux guerres mondiales ont-elles conduit les êtres humains à réfléchir et à prendre peu à peu conscience de ce qu’était l’objectif fondamental des religions : le bonheur humain et la paix pour l’humanité. Ce courant de reconnaissance mutuelle entre religions, qui est né et s’est développé au XXe siècle, a fini par devenir un fleuve très puissant. Au XXIe siècle, les religions ont pour devoir de s’inscrire dans cet élan.
La Soka Gakkai, mouvement qui s’appuie sur la croyance dans le bouddhisme de Nichiren et sur sa mise en pratique, a été fondée dans l’entre-deux-guerres, en 1930. Toutes les religions du Japon étaient, à l’époque, sous le contrôle de l’État et sous la coupe du régime militaire. Elles n’ont alors eu ni le courage ni la force d’empêcher la société de glisser vers la guerre. Dans ce contexte religieux, la Soka Gakkai, « mouvement visant au bonheur de l’humanité », a permis de redécouvrir les enseignements de Nichiren et le Sūtra du Lotus sur lequel ils sont fondés, développant ainsi une pratique et une croyance tendues vers la réalisation du bonheur humain.
Mais cela valut à la Soka Gakkai de virulentes attaques de la part du gouvernement militariste de l’époque, et son premier président, Tsunesaburō Makiguchi, ainsi que son futur successeur, Jōsei Toda, furent tous deux emprisonnés pour avoir défendu leurs convictions religieuses, fondées sur l’enseignement de Nichiren. Et c’est en prison que Tsunesaburō Makiguchi mourut.
Selon le Sūtra du Lotus, quintessence du bouddhisme du Mahayana, le désir inné fondamental de tous les êtres humains et de tous les êtres vivants correspond précisément au grand vœu du bodhisattva : atteindre à la fois son bonheur personnel et permettre aux autres de faire de même. Éveiller les êtres humains à ce désir, c’est leur permettre d’entrer en contact avec la bonté inhérente à leur vie, ce qui constitue la mission fondamentale non seulement du bouddhisme, mais aussi de toutes les religions.
Selon le Sūtra du Lotus, les « bodhisattvas sortis de la terre », qui véhiculent cette mission dans le monde, sont aussi nombreux que les grains de sable dans le Gange. Tous ceux qui font leur ce vœu peuvent, eux aussi, devenir des « bodhisattvas sortis de la terre ».
Le Sūtra du Lotus dépeint magnifiquement le comportement du bodhisattva Fukyō (Jamais-Méprisant) qui s’inclinait devant chaque personne, en signe de profonde considération, et prononçait la salutation suivante : « J’éprouve envers vous un profond respect. » Même si cela lui valut des insultes, il garda toujours cette attitude bienveillante. Je tiens à souligner que l’adoption du comportement bienveillant du bodhisattva, dans la vie quotidienne, et la reconnaissance de la nature de bouddha propre à chacun constituent l’essence même du bouddhisme.
Dans son écrit intitulé Les trois sortes de trésors, Nichiren a déclaré avec force : « Au cœur des enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant, se trouve le Sūtra du Lotus et le cœur de la pratique du Sūtra du Lotus réside dans le chapitre “[Le bodhisattva] Jamais-Méprisant”. Que signifie le profond respect du bodhisattva Jamais-Méprisant pour les gens ? Le but de l’apparition en ce monde du bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, réside dans son comportement en tant qu’être humain. » Autrement dit, le comportement du bodhisattva Jamais-Méprisant, consistant à manifester du respect envers chacun, représente à lui seul le cœur de la pratique du Sūtra du Lotus et la quintessence de l’enseignement du Bouddha. Nichiren vécut au Japon au XIIIe siècle et prit conscience que, à cette époque, le grand vœu du Bouddha — permettre à tous d’atteindre la bouddhéité — avait été perdu. Or, en oubliant ainsi ce qui constitue le potentiel inhérent à la vie le plus élevé, les êtres humains tombent invariablement dans l’égoïsme et dans les trois poisons (avidité, haine et ignorance). La vie de chacun et la société dans son ensemble se trouvent alors entraînées vers le bas, comme par un torrent de boue. Dès lors se perpétue un cercle vicieux qui conduit les êtres de malheur en malheur.
Dans la période de crise où il vivait, Nichiren ne cessa jamais d’affirmer avec force que, pour réaliser le grand vœu du Bouddha en cette vie, il fallait à la fois accomplir la mission dévolue aux « bodhisattvas sortis de la terre » et se comporter à l’égard de tous comme le bodhisattva Jamais-Méprisant, en propageant largement cette manière d’être à travers le monde. Dans ce dessein, Nichiren déploya d’innombrables efforts et prit lui-même la tête d’un mouvement de propagation auquel il consacra toute son énergie.
Dans cet ouvrage où figurent les écrits et lettres adressés à ses disciples, se trouve le cœur de son enseignement : révéler la mission et la pratique du bodhisattva, qui consistent à œuvrer à son propre bonheur et à celui d’autrui, en encourageant et en stimulant sans cesse les autres.
La présente édition se fonde sur le texte original japonais des Œuvres complètes de Nichiren Daishōnin, publié en japonais par la Soka Gakkai en avril 1952, un an à peine après la nomination, en tant que deuxième président de la Soka Gakkai, de mon maître Jōsei Toda (qui avait survécu à deux ans d’incarcération dans des conditions particulièrement pénibles, durant la guerre). La progression de la Soka Gakkai, après la Seconde Guerre mondiale, sous la présidence de Jōsei Toda, a en quelque sorte véritablement commencé avec la publication de cet ouvrage.
Depuis, les membres de notre mouvement fondent leur foi et leur vie sur ce livre et œuvrent en faveur de la paix et du bonheur de l’humanité — ce que l’on appelle kōsen rufu — fidèles en cela aux dernières volontés de Nichiren. Ils incarnent à merveille ces « bodhisattvas sortis de la terre » décrits par le Sūtra du Lotus.
Pour mon premier voyage à l’étranger, en 1960, je me suis rendu en Amérique du Nord et en Amérique latine ; puis, en 1961, je suis allé en Asie et dans neuf pays d’Europe, dont la France. Ces visites furent le point de départ de la propagation du bouddhisme de Nichiren, qui s’est depuis largement répandu dans toutes les régions du monde. Cette année, partout en Europe, on fête le cinquantième anniversaire de mon premier séjour sur ce continent.
Mes compagnons « bodhisattvas sortis de la terre » ne cessent d’apparaître et pratiquent le bouddhisme de Nichiren avec enthousiasme et joie à travers le monde. Le cercle de ces pratiquants, qui a connu un grand essor, couvre aujourd’hui cent quatre-vingt-douze pays et territoires.
Durant ces cinquante années, je me suis rendu dans cinquante-quatre pays et j’ai rencontré des personnalités de premier plan avec lesquelles j’ai engagé le dialogue.
En France, en particulier, je me souviens d’entretiens et de rencontres qui ont laissé des souvenirs très chers et bien vivaces dans mon esprit. Je me rappelle notamment mes rencontres avec l’homme politique Alain Poher, alors président du Sénat, mais aussi philosophe, et avec d’autres personnalités éminentes dans toutes sortes de domaines, qui incarnaient la grandeur de la France.
En juin 1989, j’ai eu l’honneur d’être invité à prononcer à l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France, véritable palais de l’intelligence, une communication sur le thème « Art et spiritualité en Orient et en Occident », qui fut aussi pour moi un autre souvenir inoubliable.
René Huyghe, membre de l’Académie française, avec qui j’ai publié un livre de dialogues intitulé La nuit appelle l’aurore, a lui aussi manifesté un profond intérêt pour le bouddhisme du Mahayana, à l’occasion de nos entretiens.
Avec André Malraux, écrivain engagé en politique, j’ai eu l’occasion de m’entretenir par deux fois, en 1974 à Tōkyō et en 1975 à Paris, sur la situation du monde et les civilisations. Cet entretien a été publié en japonais sous le titre Ningen Kakumei to Ningen no Jōken (Condition humaine et révolution humaine).
Lorsque je me rappelle les réflexions pleines de sagesse et de pertinence de ces personnages publics français, tous grands érudits, j’ai la conviction que le bouddhisme de Nichiren ne manquera pas de gagner la sympathie des francophones, du fait de leur spiritualité profonde, ouverte au monde et profondément humaniste.
Pour finir, je voudrais exprimer ma vive reconnaissance envers tous ceux qui ont participé à ce projet : le traducteur, le comité éditorial de Tōkyō, et tous ceux qui ont apporté leur contribution à cette édition française des Écrits de Nichiren.
La présente traduction doit également beaucoup à M. Dennis Gira, théologien chrétien, chercheur et spécialiste du bouddhisme, qui a revu et corrigé les textes avec l’aide de Mme Nicole Gira. Leur travail minutieux a beaucoup contribué à la réussite de ce projet.
Le 5 octobre 2011, en ce beau jour du cinquantième anniversaire
de ma première visite en Europe
Daisaku Ikeda
Président de la Soka Gakkai internationale