Soka Gakkai Bibliothèque du bouddhisme de Nichiren

Skip to main content (Press Enter).

  • Explications
  • Caractères foncés sur fond d'écran clair
  • Caractères clairs sur fond d'écran foncé
  • Diminuer la taille des caractères
  • Augmenter la taille des caractères
  • Les écrits de Nichiren

Retour

  • Chercher dans le texte

  • Recherche Précédent
  • Recherche Suivant
  • Fermer

Skip items for smartphones (Press Enter).

Guide de lecture
Chercher
Recherche de texte
  • Fermer

Retour

  • Précédent
  • Suivant
  • Fermer

Skip navigation (Press Enter).

Onglet Page Nombre
  • 1ère page
  • Page précédente
  • Page suivante
  • Dernière page
  • Ajouter un onglet
  • Glossaire Fermer
  • Recherche

Skip navigation (Press Enter).

ÉCRITS Guide de lecture

Intro. Matériaux MENU

TOC
Contexte
Signet
Accédez au signet

Glossaire
Couleur du texte
Taille du texte Petit
Taille du texte Grand
  • Avant-propos
  • Guide de lecture
  • Note du comité éditorial

Guide de lecture


REMARQUES PRÉLIMINAIRES


L’une des figures les plus importantes de toute l’histoire du bouddhisme japonais est sans aucun doute Nichiren (1222-1282). En effet, pas moins de quarante écoles et mouvements se fondent aujourd’hui sur ses enseignements. Dans leur ensemble ils constituent ce qu’on appelle le « bouddhisme de Nichiren ». Ce terme permet de distinguer ce courant de bien d’autres courants du bouddhisme qui, selon l’époque, ont exercé une très forte influence sur le développement de la tradition bouddhique au Japon, et notamment de ceux du bouddhisme de la Terre pure et du bouddhisme Zen. Ces derniers, comme le bouddhisme de Nichiren, remontent, en tant qu’écoles, à la période de Kamakura (1185-1333), laquelle fut aussi turbulente que spirituellement stimulante et riche. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si ces trois courants sont actuellement les plus importants du Japon. Et, parmi eux, ce sont le bouddhisme de Nichiren et le Zen qui se répandent aujourd’hui le plus en dehors du Japon. Pourtant, si le Zen est très connu en Occident grâce à toute une littérature le concernant, la pensée de Nichiren, source d’inspiration pour des dizaines de millions de bouddhistes dans le monde, y demeure très mal connue. On peut espérer que cette édition en langue française des Écrits de Nichiren aidera à corriger cette situation aussi bien vis-à-vis du grand public que dans les centres qui se consacrent à l’étude du bouddhisme.

 

Vers une lecture « attentive » et « intelligente » des Écrits de Nichiren

 

Puisque ces Écrits donnent accès à la pensée de Nichiren sur les grandes questions concernant la condition humaine (la mort, la vie, la souffrance, la fragilité...), sur l’enseignement du Bouddha, notamment tel qu’il est dispensé dans le Sūtra du Lotus, et sur la pratique apte à conduire tous les êtres à l’illumination, il est essentiel d’en faire une lecture « attentive » et « intelligente ». Une telle lecture des cent soixante-douze écrits de Nichiren, présentés selon l’ordre chronologique de leur rédaction dans cette édition du Gosho (go étant un préfixe honorifique qualifiant les écrits [sho] de Nichiren), permet aussi de rencontrer ce penseur dans son humanité, dans ses relations très chaleureuses avec ses disciples et dans celles, très conflictuelles, qu’il eut avec les maîtres d’autres formes du bouddhisme et leurs disciples et avec les responsables politiques du pays. Elle aide aussi à mieux comprendre l’idée que Nichiren se faisait de sa mission et comment les efforts considérables qu’il a faits pour la remplir ont pu contribuer à une transformation du milieu religieux du Japon et de la conscience religieuse du peuple japonais, et ce jusqu’à nos jours. En résumé, ce type de lecture aide à entrer dans la « cohérence interne » du bouddhisme de Nichiren, à découvrir les liens logiques qui existent entre les multiples aspects de l’expérience humaine et spirituelle de Nichiren et sa pensée. Chaque forme du bouddhisme a évidemment sa propre « cohérence interne ».

Parmi ceux qui, grâce à leur lecture des Écrits de Nichiren, arriveront à entrer dans la « cohérence interne » de la pensée et de l’expérience de Nichiren, un certain nombre y trouveront de quoi étancher leur soif spirituelle et s’y sentiront vraiment chez eux. Il pourra s’agir de personnes qui sont déjà membres de l’un ou l’autre mouvement ou école du bouddhisme de Nichiren ou encore de personnes qui découvrent cette cohérence pour la première fois et reconnaissent en elle des affinités avec la recherche spirituelle qu’ils mènent depuis longtemps. D’autres entreront dans cette même « cohérence interne » mais sans vraiment y chercher de quoi nourrir leur vie spirituelle. Il pourra s’agir de bouddhistes désireux, pour des raisons personnelles, de comprendre l’enseignement de Nichiren, mais qui sont convaincus de la vérité des enseignements de leur propre école. Il peut s’agir aussi de chrétiens, ou de croyants d’autres religions qui, dans un esprit de dialogue, veulent découvrir ce que Nichiren dit, et non pas simplement ce qu’on dit de sa pensée. D’autres encore seront des chercheurs de vérité qui, après avoir un peu découvert le sens de l’enseignement de Nichiren, iront simplement continuer leur recherche ailleurs. Dans tous les cas, c’est cette lecture « attentive » et « intelligente » qui compte, car c’est la seule façon de saisir le véritable sens des propos de Nichiren.

Dans cette édition des Écrits de Nichiren tout a donc été fait pour que chaque lecteur puisse entrer dans une lecture de ce type. Pour ceux qui le feront afin de nourrir leur vie de foi en s’appuyant sur l’enseignement de Nichiren et sur le Sūtra du Lotus, cette lecture « attentive » et « intelligente » pourra devenir aussi une lecture « croyante » qui les aidera à maintenir l’équilibre dynamique entre leur foi, leur pratique et leur étude. Nichiren lui-même souligne l’importance de ces trois éléments dans les dernières lignes de La réalité ultime de tous les phénomènes, lettre adressée à Sairen-bō Nichijō, l’un de ses disciples, et adressée à travers lui à tous ses disciples :


Exercez-vous dans les deux voies de la pratique et de l’étude. Sans pratique ni étude, il ne peut y avoir de Loi bouddhique (...) Pratique et étude proviennent toutes deux de la foi. (Écrits, 40)


Quant à ceux qui lisent Les écrits de Nichiren dans un esprit de dialogue, on peut espérer que, enrichis par cette lecture et par leur rencontre avec ce qui est le plus fondamental dans l’expérience de Nichiren, expérience « autre » que la leur, ils pourront mieux réfléchir au sens de leur propre tradition et ainsi approfondir leur foi. En ce qui concerne ceux qui continueront ailleurs leur recherche de la vérité, le contact avec certains aspects de la pensée et de l’expérience spirituelle de Nichiren leur rendra sans doute service, quelle que soit la voie (spirituelle, intellectuelle ou autre) qu’ils choisiront de suivre à l’avenir.

Mais comment s’y prendre pour faire cette lecture « attentive » et « intelligente » des Écrits de Nichiren ? Ce livre est en effet bien volumineux (plus de mille trois cents pages !), et, dans la présente édition, il exprime en français l’expérience d’un moine japonais qui, lui, s’est exprimé dans une langue qui est aujourd’hui difficile à comprendre même pour la majorité des Japonais. Or, Nichiren a employé toute une série de mots qui n’ont aucun équivalent dans les langues occidentales : des termes techniques dont l’origine se trouve dans la pensée bouddhique, par exemple ; des mots qui n’ont que peu de sens en dehors du contexte historique et culturel dans lequel ils ont été employés ou du contexte littéraire, parfois chinois, parfois japonais, d’où ils viennent. Il faut garder à l’esprit aussi que tous les écrits de Nichiren présentés ici ont été rédigés entre 1255 et 1282, et que chacun d’eux, selon la date de sa rédaction, reflète un stade de l’évolution de la pensée de Nichiren. Il est donc difficile, surtout pour ceux qui découvrent Nichiren pour la première fois, de savoir où commencer la lecture et comment aborder ces écrits si divers. Dans cette brève introduction, nous voudrions donc d’abord proposer quelques clés de lecture destinées à aider tous les lecteurs à mieux « naviguer » à l’intérieur des Écrits afin qu’ils puissent en saisir le sens et l’importance, car ces textes ne leur seront peut-être pas immédiatement accessibles pour les raisons mentionnées ci-dessus et aussi à cause de la complexité de l’enseignement de Nichiren. Ensuite, nous réfléchirons au développement du bouddhisme au Japon jusqu’à la naissance de Nichiren. Enfin, nous suivrons Nichiren, depuis sa naissance jusqu’à sa disparition, en analysant chaque étape de cet itinéraire à la lumière des clés de lecture proposées. À travers cette analyse, le lecteur découvrira peu à peu quelques-uns des maîtres bouddhistes qui ont joué un rôle décisif dans le développement du bouddhisme japonais avant Nichiren, le jugement que Nichiren porta sur leurs enseignements et les raisons pour lesquelles il le fit. (Nous nous limiterons vraiment à l’essentiel car chaque écrit de Nichiren est accompagné de « points de repère » qui décrivent le contexte dans lequel il a été rédigé, et de nombreuses notes qui expliquent le sens des termes difficiles, décrivent les personnages mentionnés dans le texte et donnent les références des citations employées par Nichiren. Les nombreuses annexes et le glossaire constituent une autre source essentielle d’informations.)

 

Quelques clés de lecture

 

La première chose qu’il faut garder à l’esprit quand on « entre » dans ce livre, c’est que tous les écrits de Nichiren concernent d’abord son expérience, spirituelle ou simplement humaine, et il faut toujours se souvenir que l’expérience en question est totalement liée aux événements fondateurs de sa vie. Cette expérience, ces événements, le conduisirent à une conscience toujours croissante à la fois du sens profond du Sūtra du Lotus et du sens de sa propre mission, laquelle est indissociable de ce Sūtra. Chacun de ses écrits communique quelque chose de ce qui était absolument essentiel pour lui dans ce qu’il vivait, et quelque chose de ce qu’il désirait partager avec tous à une époque extrêmement troublée politiquement, socialement, économiquement et religieusement. Bref, chacun d’eux aide à mieux comprendre tel ou tel aspect de la véritable cohérence interne de son enseignement et de sa vie. Cela aide à comprendre à quel point il est important de lire l’ensemble des Écrits, en prenant le temps qu’il faut, et de ne pas se satisfaire simplement d’interprétations ou de citations trop souvent sorties de leur contexte. Finalement, il s’agit de reconnaître que le meilleur interprète de Nichiren, c’est Nichiren lui-même. En effet, chacun de ses écrits aide à mieux comprendre l’ensemble de son œuvre, tout comme l’ensemble de son œuvre aide à mieux saisir le sens de chacun des écrits qui s’y trouvent. La première clé de lecture, c’est donc une attention permanente aux réalités fondamentales que Nichiren veut communiquer dans chacun de ses écrits, en sachant que les détails que nous y trouvons n’ont d’importance que dans la mesure où ils permettent de mieux comprendre cet essentiel. Ainsi, lorsque nous rencontrons des passages difficiles à comprendre ou qui nous heurtent, il faut être patient et poursuivre notre lecture. Souvent les explications, plus simples ou plus nuancées, nécessaires pour comprendre ce que Nichiren veut communiquer dans un écrit, se trouvent dans un autre, simplement parce qu’il s’adresse à des personnes dont les capacités requièrent des explications plus ou moins développées. Et cela nous conduit à la deuxième clé de lecture.

Cette deuxième clé concerne plus directement le contexte de chacun des écrits de Nichiren. On a tendance à oublier cette évidence : Nichiren écrit toujours en fonction des questions (que nous ignorons parfois) ou des besoins de ses destinataires. Il est toujours sensible à leurs sentiments, leurs souffrances, leurs doutes, la qualité de leur foi... Il affirme ce qu’il pense être la vérité ultime, avec toutes ses exigences, mais toujours en des termes compréhensibles pour les personnes auxquelles cette vérité est destinée. Il est clair aussi que, pour Nichiren, communiquer cette vérité est quelque chose d’urgent, de très urgent. Ce sens de l’urgence, qui donne à bon nombre de ses écrits un ton souvent jugé « dur » ou « intransigeant » par des lecteurs modernes, fait partie lui aussi du contexte des écrits de Nichiren. Il faut bien comprendre qu’il est très lié à la conscience qu’avait Nichiren, tout comme les destinataires de ses écrits et une bonne partie de la population du Japon, des implications du fait de vivre à l’époque, redoutée et redoutable, de la Fin de la Loi (voir plus loin). En réfléchissant sur l’itinéraire spirituel de Nichiren, nous verrons plus précisément comment et pourquoi le fait de vivre à cette époque-là a marqué absolument toute sa pensée et donc tous ses écrits.

La deuxième clé de lecture révèle donc l’importance d’apprécier à leur juste valeur les situations très variées de ceux à qui Nichiren s’adresse, la diversité de leurs dispositions intérieures, ainsi que le contexte immédiat de la rédaction de ces écrits. La troisième clé, quant à elle, nous rappelle qu’il faut garder à l’esprit que Nichiren n’écrit pas de nulle part. Il ne cesse de montrer que son expérience et son enseignement ne se comprennent pas en dehors de la longue histoire du bouddhisme en Inde, en Chine et surtout au Japon. Certes, son enseignement était neuf, mais cette nouveauté elle-même ne se comprend qu’à la lumière de la tradition dans laquelle elle s’inscrit. Nichiren était profondément bouddhiste. Et c’est sans doute pour cela qu’il ne cesse d’étudier avec passion cette tradition et de chercher avec ferveur la Loi ultime du Bouddha, celle qui serait capable de conduire chacun à l’illumination, même à l’époque de la Fin de la Loi. Dans cette démarche, il doit lutter contre d’autres maîtres, d’autres formes de bouddhisme que celle qui était fondée sur le Sūtra du Lotus, voire contre certaines tendances qui, au sein de cette forme même, cachent, selon lui, l’enseignement véritable. Voir clairement où se situait Nichiren aide à comprendre l’importance qu’il accorde à tout un vocabulaire employé dans les divers écrits bouddhiques qu’il cite abondamment, directement ou indirectement, surtout dans ses traités et dans ses lettres les plus développées. C’est en grande partie grâce à ce que Nichiren juge erroné dans les enseignements des autres que nous pouvons mieux saisir l’originalité de sa pensée. Il est évident aussi que son expérience est étroitement liée à toute l’histoire religieuse et politique du Japon. C’est une des raisons pour lesquelles il parle de la situation politique du pays dans de nombreux écrits, soit pour critiquer le gouvernement de son époque, soit pour l’interpeller, soit pour faire des remontrances, soit pour donner des conseils à certains de ses disciples laïcs proches du pouvoir. Toute cette attitude montre l’importance qu’il accorde au rôle du pouvoir politique dans la propagation de la Loi correcte du bouddhisme.

Une quatrième clé de lecture nous oriente vers l’avenir. Dans ses écrits, Nichiren ne passe pas son temps à penser simplement au présent. Pour lui, il est extrêmement urgent de faire connaître la vérité du Sūtra du Lotus à tous, de « proclamer et de répandre largement » les éléments essentiels de son bouddhisme. Et il confie cette mission à tous ceux qui sont prêts à devenir ses disciples. Il existe donc une sorte de tension entre le présent, le sien ou celui de ses disciples d’aujourd’hui, et l’avenir qui, grâce au Sūtra du Lotus, verra la transformation des êtres et du monde. Pour Nichiren, qui se considère comme le véritable pratiquant du Sūtra du Lotus, cette tension va de pair avec les persécutions qu’il a connues et qui, en quelque sorte, éclairent le caractère dynamique de son bouddhisme.

Aucune de ces quatre clés de lecture n’a de sens si elle est isolée des autres. Et c’est sans doute là une cinquième clé de lecture très utile. Pour entrer dans la pensée de Nichiren, il faut s’en laisser imprégner. Cela ne veut pas dire abandonner tout sens critique, sans lequel une lecture « attentive » et « intelligente » est impossible. Se laisser imprégner par la pensée de Nichiren, c’est simplement prendre le temps de comprendre ce que fut son expérience fondamentale, ce qu’il en dit dans ses écrits, pourquoi il le dit, pourquoi il pensait que son enseignement était essentiel pour tous, pourquoi ce qu’il dit a été parlant pour tant de Japonais à travers l’histoire et pour des personnes d’autres pays aujourd’hui. Voilà aussi ce que signifie « entrer dans la cohérence interne » de Nichiren. Cette « cohérence interne » n’est pas forcément celle du lecteur, d’où l’importance de toutes les clés mentionnées ci-dessus. Ce sont des clés qui finalement aident à se mettre à « l’écoute » de Nichiren, une écoute qui demande du temps et des efforts, pour les raisons que nous avons déjà vues, et qui demande aussi à chaque lecteur de ne pas l’interpréter selon les critères de sa propre cohérence, car une telle interprétation ne peut être que fausse. Or, toute critique, positive ou négative, de la pensée et de l’enseignement de Nichiren est sans aucune pertinence si elle repose sur une interprétation fausse de ses écrits.

Ces quelques notions mises en place, nous voilà prêts à découvrir les éléments du contexte dans lequel Nichiren est né et qui pourront éclaircir les diverses étapes de l’évolution de sa pensée et de sa foi. Cela sera une sorte de « balise » qui, comme les cinq clés de lecture, permettra aux lecteurs d’entrer plus facilement dans Les écrits de Nichiren.


L’ÉPOQUE REDOUTÉE DE LA FIN DE LA LOI


Dans le cadre de ce guide de lecture, qui se veut centré sur l’expérience spirituelle de Nichiren, il est essentiel de souligner la place importante que la notion de mappō (Fin de la Loi) occupait dans certains milieux bouddhiques, notamment ceux qui étaient fortement influencés par l’école Tendai (dans ce guide nous employons le mot « école » plutôt que celui de « secte », employé dans le passé, pour désigner les diverses formes de bouddhisme qui se sont établies au Japon au long de l’histoire). Par contre, d’autres écoles, celles dites « de Nara », par exemple, ou encore l’école Shingon, lui accordaient peu d’importance. Pour ceux qui croyaient à son importance, les malheurs engendrés par les troubles politiques au temps de Nichiren et avant faisaient partie de tout un ensemble de désastres directement liés au mappō : épidémies, famines, tremblements de terre, tempêtes, incendies, désordres civils très importants... On peut lire des descriptions extrêmement impressionnantes de certains de ces désastres — les incendies qui ont détruit des quartiers entiers de la capitale, par exemple — dans Notes de ma cabane de moine (Hōjō-ki). Ce livre fut écrit en 1212 par Kamo no Chōmei qui se lamente souvent d’être né à l’époque de la Fin de la Loi et d’être ainsi le témoin désolé de tant de malheurs. Le pire malheur, du moins selon les maîtres qui avaient médité longuement sur tous ces événements, était d’ordre spirituel. En effet, puisque personne n’était capable de pratiquer la Voie bouddhique de manière juste et efficace à l’époque en question, l’illumination était désormais inaccessible à tous. Cela plongea une partie de la population dans un désespoir total, surtout à partir du milieu du XIe siècle, car, selon un certain nombre de maîtres, cette époque terrifiante avait déjà commencé.

Afin de mieux apprécier l’impact qu’eut la théorie de l’époque de la Fin de la Loi sur le développement du bouddhisme au Japon, il faut savoir qu’il s’agissait, pour ceux qui y croyaient, de la dernière des trois époques qui devaient se succéder après la disparition du Bouddha. Selon cette théorie, la première de ces époques était celle de la Loi correcte (shōhō), temps pendant lequel la Loi bouddhique devait prospérer, puisque la doctrine était transmise efficacement, que ceux qui l’entendaient pouvaient la pratiquer correctement et qu’ils pouvaient donc arriver à l’illumination promise par le Bouddha. La deuxième époque était celle de la Loi formelle (zōhō) pendant laquelle la doctrine et la pratique existaient toujours, mais ne portaient plus les fruits escomptés à cause de la diminution radicale des capacités spirituelles des êtres. La troisième et dernière époque était celle de la Fin de la Loi (mappō), au cours de laquelle l’enseignement du Bouddha allait perdre son efficacité et la situation des êtres, prisonniers de l’avidité, de la haine et de l’ignorance, allait devenir telle que personne ne serait plus capable ni de pratiquer la Loi, ni d’arriver à l’illumination, d’où le désespoir auquel nous avons déjà fait allusion. En conséquence, une très grande confusion régnerait partout. Il existait diverses opinions sur la durée de ces trois époques. Pour Nichiren, la durée de chacune des deux premières époques était de mille ans et celle de l’époque de la Fin de la Loi, de dix mille ans, expression qui désigne une période de temps dont la longueur dépasse tout calcul. Et, puisque la date de la disparition du Bouddha généralement acceptée au Japon à cette époque-là se situait au milieu du Xe siècle avant notre ère, on considérait que l’époque de la Fin de la Loi avait commencé en 1052.


LE BOUDDHISME DANS LE JAPON MÉDIÉVAL : UNE RÉALITÉ EXTRÊMEMENT COMPLEXE


La période de « Paix et tranquillité », ou Heian (794-1185), a connu d’immenses bouleversements d’ordre politique, climatique et autres, avec tous les signes de l’approche de l’époque de la Fin de la Loi ou, après 1052, de son avènement. Elle fut aussi témoin de changements non moins saisissants sur le plan religieux qui affectèrent aussi le bouddhisme. En effet, le milieu bouddhique tout entier était indissociable des structures sociales, politiques et économiques du Japon. Mais à cette époque les grands temples ne pouvaient plus compter sur l’aide considérable qu’ils recevaient du gouvernement auparavant, et ils commencèrent à créer leur propre patrimoine et à exercer dans le pays une influence de plus en plus importante. D’autres bouddhistes, qui n’avaient jamais fait partie de ce milieu privilégié, ou qui en avaient été écartés, commencèrent à proposer des enseignements plus faciles à comprendre et donc plus accessibles aux samouraïs, par exemple, et aux gens tout à fait ordinaires. Ce faisant, ils préparèrent un terrain propice au développement et à la propagation de formes de bouddhisme, dont le bouddhisme de Nichiren et celui de la Terre pure, qui allaient plus tard exercer à leur tour une grande influence sur le Japon.

Il faut reconnaître la complexité du développement du bouddhisme au Japon et savoir que les historiens aujourd’hui sont en train d’en débattre sur de très nombreux points, mais il sera utile, pour faire la lecture « attentive » des écrits de Nichiren, de jeter un rapide coup d’œil sur certaines phases de ce développement jusqu’au XIIIe siècle. Nous nous limiterons à ce qui, d’une manière ou d’une autre, put avoir un impact sur la pensée et l’expérience personnelles de Nichiren.

 

Introduction du bouddhisme au Japon

 

Selon les Chroniques du Japon (Nihon-shoki), le plus ancien document que nous ayons sur l’histoire du Japon, le bouddhisme aurait été introduit dans le pays en 552, mais on pense aujourd’hui, en se fondant sur des sources plus fiables, que cette introduction date de 538. En réalité, les dates données pour l’introduction du bouddhisme dans le pays ne concernent que les contacts officiels entre cette tradition et la Cour impériale. Mais le bouddhisme fut présent dans le pays bien avant cela grâce aux contacts pris, au Ve et au VIe siècle, avec des Chinois et des Coréens, dont un certain nombre de bouddhistes. Une fois cette « nouvelle » présence officiellement reconnue, il y aurait eu, toujours selon les Chroniques du Japon, un conflit entre les familles aristocrates les plus puissantes du pays : fallait-il oui ou non accueillir le bouddhisme ? Ce sont les Soga, clan favorable au bouddhisme, qui l’ont emporté vers la fin du VIe siècle grâce au jeune prince Umayado (voir plus loin) et à ses prières pour la victoire. Pour Nichiren, cet événement, auquel il fait souvent allusion, manifestait la puissance de la Loi bouddhique. En se fondant sur des sources chinoises et des découvertes archéologiques, on peut conclure que le bouddhisme a été accepté de manière substantielle au plus tard à l’époque de l’impératrice régnante Suiko (592-628). Selon les Chroniques du Japon, c’est son neveu, le prince Umayado, qui dirigea les affaires du pays. Plus tard, ce prince a été en quelque sorte « divinisé » et a reçu le titre, posthume, de Shōtoku, littéralement celui qui est doué de la vertu (toku) d’un sage (shō).

En 645, le très puissant clan des Soga fut victime de la spirale de violence qui accompagna la lutte pour le pouvoir à l’époque et disparut de la scène. À la suite de cet événement, la Cour impériale adopta le système politique de la Chine afin de mieux asseoir son propre pouvoir sur le Japon. Or, en Chine, les moines bouddhistes étaient entièrement sous le contrôle de l’État. Ils avaient le statut de fonctionnaire et leur service consistait à prier pour la protection de l’État. La même responsabilité leur fut donc également confiée au Japon.

 

Le bouddhisme pendant les périodes de Nara et de Heian

 

Pendant les quatre-vingt-quatre ans de la période de Nara (710-794), le bouddhisme, dont la tâche principale était de prier pour la protection et le bien-être de l’État, vit augmenter peu à peu son influence. La grandeur des temples construits à l’époque (le Tōdai-ji, le Kōfuku-ji, le Gangō-ji, le Daian-ji, le Yakushi-ji et le Hōryū-ji) le montre bien. Les moines de ces grands temples allaient en Chine pour étudier ou étudiaient les divers textes importés de ce pays, et ils formèrent peu à peu des écoles pour favoriser leur recherche. C’est ainsi que naquirent les six écoles de Nara (Sanron, Jōjitsu, Hossō, Kusha, Kegon et Ritsu). Les écoles les plus puissantes, et qui menaient souvent le débat doctrinal, furent les écoles Sanron et Hossō.

La construction de l’image géante du Bouddha au Tōdai-ji, et sa consécration en 752, à laquelle assistèrent des moines venus d’Inde et de Chine, marqua une certaine maturation du bouddhisme comme institution au Japon. Notons aussi le développement d’un bouddhisme populaire capable de répondre aux besoins spirituels et peut-être surtout matériels du peuple. Mais le processus de la véritable intériorisation de l’enseignement du Bouddha commençait à peine.

Les choses allaient s’accélérer considérablement au cours des siècles suivants, pendant la période de Heian, à partir de 794. Cette année-là l’empereur Kammu (781-806) installa la capitale dans la nouvelle ville de Heian-kyō (l’actuelle Kyōto). Les bouddhistes continuèrent à prier pour la protection et la prospérité de l’État et à entretenir des liens très étroits avec les grandes familles proches du pouvoir. La période de Heian a vu naître aussi, et c’est essentiel pour comprendre l’évolution de la pensée de Nichiren, les écoles Tendai et Shingon qui jouèrent un rôle capital dans l’histoire du bouddhisme au Japon. Ces écoles furent fondées respectivement par Saichō (767-822), qui reçut le titre posthume de Dengyō Daishi, Grand Maître (daishi) de la transmission de l’enseignement (dengyō), et Kūkai (774-835), qui reçut le titre de Kōbō Daishi, Grand Maître de la propagation de la Loi (kōbō).

Peu de temps après avoir reçu les préceptes sur l’estrade d’ordination du Tōdai-ji à Nara en 785, Saichō quitta la capitale pour se rendre au mont Hiei. Il y construisit un ermitage dans lequel il espérait consacrer toute sa vie à l’étude des textes bouddhiques et à la discipline mentale, essentiellement selon l’enseignement de l’école Tiantai (Tendai en japonais), dont la doctrine avait été organisée par le maître chinois Zhiyi (538-598), ou Grand Maître Tiantai. En 804, l’empereur Kammu envoya Saichō en Chine où il put approfondir sa connaissance du bouddhisme. Sa mission de huit mois et demi terminée, il revint au Japon en 805, avec plus de deux cents textes bouddhiques. Un an plus tard, il fonda l’école Tendai sur le sol japonais.

Le petit ermitage du mont Hiei devint en quelques décennies l’un des plus grands centres monastiques du Japon. Chacun des grands réformateurs du bouddhisme de Kamakura, dont Nichiren, y pratiqa et y étudia le bouddhisme. Après Saichō, l’école Tendai se mit à introduire à l’intérieur de sa propre doctrine des éléments importants du bouddhisme ésotérique. Nichiren critiqua vertement cette tendance qui menait l’école loin de son enseignement essentiel. Or Saichō lui-même avait étudié les enseignements ésotériques. Selon Nichiren pourtant, il n’aurait accordé à ces enseignements qu’une importance secondaire.

Comme Saichō ne resta en Chine que quelques mois, il étudia relativement peu avec les maîtres du bouddhisme ésotérique. Ce fut différent pour Kūkai qui, en 804, reçut la permission d’accompagner la mission japonaise en Chine. À la différence de Saichō, qui passait beaucoup de temps au centre de l’école Tiantai, Kūkai se rendit dans la capitale où il put rencontrer le grand maître du bouddhisme ésotérique Huiguo (746-805). Ce dernier l’initia aux enseignements les plus profonds du bouddhisme ésotérique (qui deviendrait le Shingon au Japon). Après la mort de Huiguo, Kūkai revint au Japon, apportant avec lui des textes ésotériques, des copies des mandalas et les objets utilisés dans les rites ésotériques. Il établit ainsi l’école Shingon qui devint la « rivale » de l’école Tendai tout au long de la période de Heian et pendant les siècles suivants. Il faut noter que l’influence de Kūkai déborda les limites de l’école Shingon. Les pratiques ésotériques commencèrent, grâce à lui, à occuper une place de plus en plus importante dans le pays, y compris au sein des autres écoles. Pendant quelques décennies, la popularité de l’école Shingon dépassa celle de l’école Tendai, ce qui conduisit cette dernière à introduire des pratiques ésotériques au mont Hiei, situation dont Nichiren se plaint dans nombre de ses écrits. On peut comprendre comment les rites ésotériques et les résultats immédiats (guérisons, par exemple, et pluie pendant des périodes de sécheresse) promis par l’école Shingon attirèrent l’attention de l’aristocratie.

 

Le bouddhisme pendant la période de Kamakura

 

Les écoles Shingon et Tendai, ainsi que les formes de bouddhisme présentes dans le pays depuis la période de Nara, continuèrent à évoluer pendant la période de Kamakura (1185-1333). Certaines tendances, déjà présentes au Japon depuis longtemps, et parfois très liées à l’une ou l’autre des écoles mentionnées ci-dessus, prirent leur essor vers la fin de la période de Heian et au début de celle de Kamakura. Les tendances les plus importantes à garder en mémoire pour notre lecture « attentive » des Écrits de Nichiren sont celle du Zen, celle de la Terre pure (caractérisée par la foi en le bouddha Amitayus ou Amitabha — Amida en japonais — et par la pratique du Nembutsu ou invocation du nom du bouddha Amitabha), et celle liée à l’enseignement de Nichiren.

En Occident, les noms les plus souvent associés à la pratique du Zen au début de la période de Kamakura sont ceux d’Eisai (1141-1215) et de Dōgen (1200-1253), mais les véritables pionniers du Zen furent Dainichi Nōnin (XIIe siècle) et Eisai. Dainichi Nōnin, à la différence d’Eisai et de Dōgen, s’est adonné à la pratique du Zen, en entraînant d’autres avec lui, sans s’être rendu en Chine pour pratiquer auprès des maîtres chinois, ce qui lui donne un statut particulier au sein de la tradition Zen au Japon. Il est important de noter cela dans le cadre de ce guide de lecture parce que Nichiren lui-même, quand il parle du Zen, cite le plus souvent le nom de Nōnin.

À vrai dire, les maîtres Zen ne se préoccupaient pas des théories concernant la Fin de la Loi. Cela ne posa de difficultés ni pour Nichiren ni pour les autres maîtres qui, eux, étaient très conscients des implications de ces théories pour leurs contemporains. Ce qui les gêna fut l’attitude des maîtres Zen envers les sūtras (textes attribués au Bouddha) et l’ensemble des écrits bouddhiques. En effet, dans la tradition Zen, ces textes n’avaient finalement aucune valeur et la transmission se faisait d’esprit à esprit, sans passer par la parole, ce qui évidemment ne pouvait que relativiser l’importance de l’étude des écrits bouddhiques. C’était inacceptable pour Nichiren, pour les pratiquants du Nembutsu et pour bien d’autres courants du bouddhisme, parce qu’ils fondaient leurs enseignements précisément sur l’enseignement du Bouddha tel qu’il était présenté dans les sūtras.

L’autre tendance qui prit une importance considérable au Japon au milieu de la période de Heian et surtout pendant et après la période de Kamakura, mais dont les origines remontent à la période de Nara, est la tradition de la Terre pure. Ses adeptes étaient l’ensemble des pratiquants du Nembutsu qui espéraient renaître dans leur prochaine existence dans la Terre pure du bouddha Amida. C’est cette tendance qui fut critiquée le plus souvent, et le plus violemment, par Nichiren. En effet, le sens de l’urgence qui avait poussé le moine Hōnen (1133-1212) à chercher une doctrine et une pratique qui pourraient aider l’être humain à échapper aux malheurs inhérents à l’époque de la Fin de la Loi était analogue à celui qui poussa Nichiren à chercher la vérité ultime qui seule permettrait à l’être humain de devenir bouddha à cette époque. Hōnen découvrit cette doctrine et cette pratique dans les écrits fondamentaux de la tradition de la Terre pure. Celle-ci existait bien avant Hōnen, mais, grâce à lui, elle se cristallisa en un mouvement indépendant. Selon la tradition de la Terre pure, l’être humain, qui à l’époque de la Fin de la Loi était trop faible pour arriver à l’illumination en s’adonnant aux pratiques classiques proposées par le bouddhisme, pouvait cependant renaître lors de son existence suivante dans la Terre pure du bouddha Amida où il atteindrait immanquablement l’illumination. Il suffisait de pratiquer le Nembutsu, c’est-à-dire de méditer sur le Bouddha ou d’invoquer son nom, en ayant une foi inébranlable en la promesse qu’avait faite Amida d’accueillir dans sa Terre pure tous ceux qui méditeraient sur lui et sa Terre ou qui invoqueraient son nom avec foi et avec le désir d’y renaître. Concrètement, il s’agissait, selon Hōnen, de réciter, même une seule fois, la formule Namu-Amida-butsu (Vénération au bouddha Amida). La conviction qu’avait Hōnen de l’efficacité de cette pratique était tellement forte qu’il enseigna qu’elle seule pourrait être efficace à l’époque de la Fin de la Loi. Toute autre pratique devait être abandonnée en faveur du Nembutsu invocatoire. Puisque cet enseignement considérait les actes vertueux liés à la vie ordinaire et l’observance des préceptes comme n’ayant aucune pertinence en ce qui concerne la renaissance dans la Terre pure, certains pratiquants du Nembutsu se comportaient de manière telle que l’ordre public était perturbé et ils attaquaient ouvertement, parfois violemment, la foi bouddhique traditionnelle. Hōnen essaya de mettre fin à de tels comportements, mais sans succès. À cause des actes illégaux de ses disciples, il fut condamné et exilé dans la province de Tosa en 1206. Finalement, il se rendit à Sanuki, plus proche de Kyōto. Et puis, à la fin de la même année, il fut gracié. Il séjourna ensuite dans la province de Settsu jusqu’en 1211, et puis à Kyōto jusqu’à sa mort en 1212.

Il n’est pas difficile de voir pourquoi Nichiren réagit si violemment à l’enseignement de Hōnen. Il n’y avait tout simplement pas « l’espace » au Japon à cette époque pour deux doctrines exclusives (l’une fondée sur la promesse d’Amida et l’autre sur le Sūtra du Lotus) et deux pratiques, également exclusives (le Nembutsu et le Nam-myōhō-renge-kyō).


L’ITINÉRAIRE HUMAIN ET SPIRITUEL DE NICHIREN


La naissance

 

Nichiren (son nom de naissance fait débat) est né le seizième jour du deuxième mois de l’année 1222 dans la province d’Awa (actuellement préfecture de Chiba) et son père vivait de la pêche. Ses origines humbles le sensibilisèrent à la condition de beaucoup de gens très pauvres qui souffraient encore plus que les autres des désastres qui frappèrent le pays en cascade durant ces années situées en pleine époque de la Fin de la Loi.

Nichiren passa les onze premières années de sa vie dans sa famille. Mais il n’était pas destiné à passer toute sa vie dans ce qu’il appelle lui-même « un coin reculé à l’est du Japon » (voir Bannissement à Sado — Écrits, 25). À l’âge de douze ans, il quitta sa famille pour entrer, non loin de chez lui, au Seichō-ji, temple de l’école Tendai sur le mont Kiyosumi. Il y entra avec le désir de devenir « la personne la plus sage de tout le Japon » et, sans doute, l’assurance qu’il le deviendrait si on peut en juger par ce qu’il écrivit dans Le Maître des Trois Corbeilles Shanwuwei :


Depuis ma petite enfance, j’ai prié le bodhisattva Trésor-de-l’Espace, en demandant à devenir la personne la plus sage de tout le Japon. Le bodhisattva se transforma en un vénérable moine sous mes propres yeux et m’octroya un joyau de sagesse aussi brillant que l’étoile du matin. Sans doute est-ce pourquoi je suis parvenu à une maîtrise globale des principaux enseignements des huit plus anciennes écoles bouddhiques du Japon, ainsi que de ceux des écoles du Zen et du Nembutsu. (Écrits, 17)


Pendant les années passées au Seichō-ji, Nichiren fut marqué par la recherche doctrinale sur l’enseignement ésotérique menée au sein même de l’école Tendai et par l’impact de la pratique de la Terre pure. Loin de le satisfaire, cela créa en lui une soif insatiable de vérité et, tout au long de sa formation, il chercha la vérité ultime et le sūtra qui la contenait. Cette expérience, très complexe et sans doute frustrante, constitue la première grande étape de l’itinéraire spirituel qui le conduisit finalement à se consacrer totalement à la Loi du Sūtra du Lotus.

 

L’insatisfaction et la recherche du jeune Zeshō-bō

 

À l’âge de seize ans, le jeune Nichiren fut admis comme novice dans l’Ordre des moines avec l’accord de son maître Dōzen-bō. Il est appelé à cette époque Zeshō-bō. Il devint officiellement moine plus tard, lors d’une cérémonie d’ordination au mont Hiei. Après ses études en ce lieu, il étudia à l’Onjō-ji (Mii-dera), qui se situe au pied du mont Hiei, au mont Kōya dans la province de Kii (actuelle préfecture de Wakayama), au Shitennō-ji dans la province de Settsu (actuelle préfecture d’Ōsaka) et dans bien d’autres lieux.

Au cours de sa quête, Nichiren arriva à la conviction que le Daimoku du Sūtra du Lotus seul était la vérité ultime. Cette conviction ne fut pas simplement le fruit de ses études auprès des maîtres, mais le résultat de sa propre lecture des sūtras et de sa profonde méditation. Tout cela explique sans doute qu’il ait médité si longuement sur la signification d’une phrase du Sūtra du Nirvana (du Mahayana) qu’il cite souvent dans ses œuvres : « Appuyez-vous sur la Loi et non sur les personnes » (voir, par exemple, Sur l’acquittement des dettes de reconnaissance — Écrits, 88).

Zeshō-bō passa ainsi dix ans de sa vie à étudier dans divers temples et centres d’études, lisant les sūtras et les traités fondamentaux de la tradition bouddhique, surtout ceux dont s’inspiraient les écoles présentes au Japon, lisant aussi, bien sûr, les commentaires de ces œuvres qu’avaient écrits les grands maîtres indiens, chinois et japonais. Il passa beaucoup de temps au mont Hiei où il se concentra sur l’enseignement de Tendai. Et même si cet enseignement s’était, selon lui, éloigné de celui de l’école Tiantai en Chine et de celui de Saichō au Japon, il permit à Zeshō-bō de comprendre que la vérité ultime qu’il avait cherchée pendant si longtemps se trouvait dans le Sūtra du Lotus. Très conscient des implications liées à l’avènement de l’époque redoutée de la Fin de la Loi, et convaincu de la puissance et de la valeur absolue et universelle du Sūtra du Lotus, il décida de tout faire pour le répandre. Au Seichō-ji, là où son itinéraire spirituel avait commencé près de vingt ans plus tôt, Zeshō-bō, dans la matinée du vingt-huitième jour du quatrième mois de l’année 1253, proclama sa foi dans la Loi de Nam-myōhō-renge-kyō (Daimoku et titre du Sūtra du Lotus). C’est à ce moment-là aussi, selon une tradition, qu’il changea de nom pour la dernière fois. Désormais il s’appellerait Nichiren.

 

Nichiren partage le fruit de sa recherche spirituelle

 

Dans l’après-midi du même jour, et toujours au Seichō-ji, Nichiren exposa l’essentiel de son enseignement en public, devant son ancien maître Dōzen-bō et d’autres moines du Seichō-ji. Les principaux disciples laïcs se convertirent grâce à cet exposé. Pourtant, la plupart de ses auditeurs ne comprirent ni le sens de ses propos sur la prééminence du Sūtra du Lotus, ni celui de la pratique qui consistait en la récitation des sept caractères sino-japonais Nam(u)-myōhō-renge-kyō. Ils ne comprirent pas non plus son attitude négative envers les autres enseignements bouddhiques, surtout ceux de l’école de la Terre pure (Jōdo). D’où sans doute la réaction très violente de l’administrateur de la région, Tōjō Kagenobu, fidèle de la tradition de la Terre pure, qui voulut l’arrêter et ainsi se débarrasser de ce rival potentiel de l’école Jōdo. Contraint de quitter le Seichō-ji, Nichiren s’installa plus tard dans un petit ermitage à Nagoe, près de Kamakura. Là, il commença à faire connaître ce qui, pour lui, était le véritable sens du Sūtra du Lotus, qu’il avait compris, grâce à ses études et à son propre itinéraire intérieur, et finalement proclamé au Seichō-ji.

Même en exil, même confronté à la mort, Nichiren s’efforça de propager cette vérité auprès de tous les Japonais. Il en approfondit sans cesse sa compréhension et chercha les moyens de l’expliquer de manière de plus en plus nuancée, de plus en plus organisée. On le découvre surtout dans les grands traités comme Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays (Écrits, 2), Sur l’ouverture des yeux (Écrits, 30), L’objet de vénération pour observer l’esprit, établi dans la cinquième période de cinq cents ans après la disparition de l’Ainsi-Venu (Écrits, 39), Choisir en fonction du moment (Écrits, 66) et Sur l’acquittement des dettes de reconnaissance (Écrits, 88). On le voit aussi dans de nombreuses lettres dans lesquelles il aborde l’un ou l’autre aspect de son enseignement ou de la pratique qu’il propose (voir Lettre à la Sage Nichimyō — Écrits, 36), ou encore dans des réponses à telle ou telle question posée par l’un de ses disciples.

 

Le positionnement de Nichiren par rapport aux autres enseignements

 

Dès le début, la pensée de Nichiren heurta les sensibilités des croyants d’autres formes de bouddhisme dont il n’hésita pas à critiquer ouvertement les enseignements et les pratiques, et cela en termes très sévères. Cette attitude, que tous ceux qui étaient la cible de ses attaques jugeaient intransigeante, fut à la source de ses nombreux ennuis, plus encore peut-être que sa manière d’affirmer que le Sūtra du Lotus était le roi de tous les sūtras. En effet, sa position sur la valeur absolue du Sūtra du Lotus aurait pu être un sujet de débat entre les autres bouddhistes de cette époque et lui-même. De fait, bien d’autres maîtres n’hésitaient pas à affirmer la supériorité des sūtras qu’ils considéraient comme les plus importants, sans pour autant être persécutés. Une exception notable fut celle de Hōnen et de quelques-uns de ses disciples, Kōsai (1163-1247) et Ryūkan (1148-1227), par exemple, qui furent tous exilés.

La foi de Nichiren dans le Sūtra du Lotus allait de pair avec sa conscience aiguë de la situation dramatique dans laquelle se trouvaient tous les êtres nés à l’époque de la Fin de la Loi. Ce sens de l’urgence de la situation l’amena à dénoncer et même à vouloir vaincre tous les enseignements bouddhiques autres que celui du Sūtra du Lotus ainsi que toutes les pratiques bouddhiques autres que celle de la récitation du titre du Sūtra, ou Daimoku, dans la formule Nam-myōhō-renge-kyō. Ce besoin de défaire, voire de démolir les enseignements provisoires tout en propageant l’enseignement véritable se reflète dans son commentaire d’une parole du Grand Maître Tiantai tirée du Sens profond du Sūtra du Lotus. Il se trouve dans Sur la pratique telle que le Bouddha l’enseigne, lettre adressée à tous ses disciples en 1273 lors de son exil sur l’île de Sado.


« Le Sūtra du Lotus est l’enseignement du shakubuku, la réfutation des doctrines provisoires. » Comme le disent littéralement ces paroles d’or, les croyants des enseignements et des écoles provisoires seront tous vaincus jusqu’au dernier et rejoindront les partisans du roi du Dharma. Le temps viendra où tous les gens abandonneront les véhicules de toutes sortes pour adopter le Véhicule Unique de la bouddhéité, et seule la Loi merveilleuse fleurira dans tout le pays. (Écrits, 42)


Pour éviter des malentendus, il est essentiel de réfléchir à ce qu’était cet « enseignement de shakubuku ». En Chine, ce mot (les deux caractères pris ensemble) avait le sens de « sanctionner ». Plus tard, on sépara les deux caractères, shaku (zhe en chinois) ayant le sens de « briser » et fuku (fu en chinois) celui de « faire plier ». Aussi étrange que cela puisse sembler aux Occidentaux, qui ont leur idée de ce que doit être la compassion, c’est parfois en utilisant le shakubuku que Nichiren exerça la plus grande compassion concevable, du moins selon un point de vue bouddhique qui est beaucoup plus répandu que l’on ne l’imagine, surtout en Asie. Car finalement, pour Nichiren, comme pour tout maître bouddhiste, pratiquer la compassion, la grande compassion, c’est faire tout le nécessaire pour que ses auditeurs, ou ses lecteurs, puissent accéder à l’illumination parfaite. La grande différence entre lui et les autres maîtres de son temps tenait au « contenu » de ce « nécessaire ». Nichiren était le seul à lier directement l’accès à l’illumination parfaite au Sūtra du Lotus et à la pratique de Nam-myōhō-renge-kyō. Se taire sur ce point, laisser penser que l’être humain à l’époque de la Fin de la Loi pouvait atteindre l’illumination grâce à un autre enseignement ou à une autre pratique aurait été, de son point de vue, totalement irresponsable. Et, dans l’exercice de ce qui était clairement pour lui la vertu de compassion, il n’économisa jamais ses efforts parce qu’il était convaincu d’avoir reçu la mission de pratiquer et de propager cette vérité. Cette mission, on le voit bien, ne pouvait qu’attirer sur lui la haine et la persécution, non seulement de la part des responsables politiques et religieux contemporains, mais aussi des croyants ordinaires très attachés à d’autres formes de bouddhisme que Nichiren jugeait totalement inefficaces, et donc nuisibles.

Nichiren lui-même considérait ces persécutions comme autant de preuves que la mission de propager le Sūtra lui avait été confiée par le Bouddha lui-même. Cela explique le parallèle qui s’établit entre Nichiren et le bodhisattva Pratiques-Supérieures dont parle le Sūtra du Lotus dans le chapitre “Surgir de terre” et comment Nichiren put se considérer comme une manifestation de ce bodhisattva. On comprend aussi la présence dans Les écrits de Nichiren de nombreuses citations, très souvent tirées directement des écrits bouddhiques, et qui soulignent à quel point le pratiquant du Sūtra du Lotus doit souffrir de la main de ses adversaires. À la suite de ses premières prédications, les persécutions en question ne tardèrent pas.

 

Les persécutions se multiplient

 

Les persécutions visant Nichiren se multiplièrent après son traité Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays qu’il présenta en 1260 à Hōjō Tokiyori (1227-1263), ancien régent, le cinquième du shogunat de Kamakura, et qui se retira du monde en 1256 quand il renonça à la régence en faveur de Hōjō Nagatoki (1230-1264). Il devint moine séculier sous la direction de Dōryū (Daolong en chinois, 1213-1278), moine zen originaire de Chine, et termina sa vie au monastère du Saimyō-ji. En réalité, au moment où Nichiren lui présenta son traité, c’était le membre le plus influent du clan Hōjō, et sans doute l’homme le plus puissant du Japon. Dans ce traité, Nichiren exposait les résultats de l’étude des écrits bouddhiques qu’il avait menée afin d’identifier les véritables causes de toute une série de catastrophes (tremblements de terre, épidémies, famines, tempêtes...) qui avaient frappé le Japon à partir de 1256. Selon Nichiren, toutes ces catastrophes venaient des fausses doctrines qu’enseignaient les autres écoles et leurs maîtres, et surtout de l’opposition du culte de la Terre pure à l’enseignement véritable du Sūtra du Lotus. La seule manière de remédier à la situation et de protéger le Japon des désastres qui, selon le Sūtra du Nirvana (du Mahayana), s’abattraient sur tout pays qui se fierait à de fausses doctrines était donc de supprimer ces écoles et ces cultes, leurs enseignements et leurs pratiques, en faveur de la Loi correcte. Pour le Japon, la situation était particulièrement grave parce que deux autres désastres, mentionnés dans certains sūtras, frapperaient immanquablement le pays si le gouvernement n’agissait pas selon les conseils de Nichiren : le premier serait les désordres internes et le second une attaque du pays par des forces extérieures.

Si Hōjō Tokiyori, le « moine séculier du Saimyō-ji », et les membres du gouvernement n’accordèrent apparemment aucune importance aux arguments de Nichiren, on ne peut pas en dire autant de certains membres actifs du culte de la Terre pure, dont Hōjō Shigetoki, le père du régent Hōjō Nagatoki. Pour ceux-ci, l’attaque frontale de Nichiren contre l’enseignement de Hōnen, et contre sa personne même, était aussi une attaque contre leur foi en le bouddha Amida et contre leur manière d’exprimer cette foi à travers l’invocation du nom d’Amida. Toute leur démarche spirituelle était en fait radicalement mise en question. La réaction, très violente, ne se fit pas attendre : un bon nombre d’entre eux se regroupèrent pour attaquer l’ermitage de Nagoe où résidait Nichiren : ce dernier leur échappa de justesse. Peu de temps après, sous l’instruction du régent qui avait cédé aux demandes de son père, Nichiren fut envoyé à Itō, dans la péninsule d’Izu.

Gracié en 1263 par Hōjō Tokiyori, Nichiren revint à Kamakura. Mais ce fut pour partir l’année suivante dans la province d’Awa afin d’être aux côtés de sa mère qui était très malade. Quand l’administrateur Tōjō Kagenobu, qui s’était opposé à Nichiren après son enseignement au Seichō-ji en 1253, apprit qu’il était présent dans la région, il chercha l’occasion de l’éliminer. Avec un groupe de soldats, il l’attaqua, lui et ses disciples, à Matsubara dans Tōjō en 1264. Lors de cette attaque, Nichiren fut blessé. À la suite de cette « Persécution de Komatsubara », Nichiren passa quelques années à propager le Sūtra du Lotus, avec le même enthousiasme et plus que jamais convaincu de l’authenticité et de l’urgence de sa mission ; c’était d’ailleurs une conviction qui se renforçait avec chaque persécution, car les choses ne pouvaient pas se passer différemment pour un pratiquant du Sūtra du Lotus à l’époque de la Fin de la Loi. Finalement, ces quelques années furent comme une période de consolidation et d’approfondissement pour Nichiren et ses disciples fidèles.

 

Nichiren et l’invasion imminente de Khoubilaï Khan

 

Cette période céda le pas à une autre, encore plus mouvementée. En 1268, le gouvernement de Kamakura reçut une lettre inquiétante de la part de l’empereur mongol Khoubilaï Khan (1214-1294), qui exigeait que le Japon le reconnaisse comme suzerain et lui paie un tribut, faute de quoi les forces mongoles envahiraient l’archipel. Pour Nichiren, il s’agissait clairement de l’accomplissement de la prophétie contenue dans les sūtras. À son avis, cela aurait dû, en principe, donner une vraie crédibilité à toutes ses critiques envers les enseignements provisoires des écoles bouddhiques qu’il n’avait jamais cessé de mettre en question et à sa propagation de l’enseignement véritable du Sūtra du Lotus. Nichiren envoya onze « lettres de remontrances » à des responsables politiques et religieux dans lesquelles il rappelait ce qu’il avait écrit en 1260 dans son traité Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays. Il demanda aussi que des débats soient organisés pour qu’il puisse défendre sa position. Parmi les destinataires de ces lettres, se trouvaient le sixième régent, Hōjō Tokimune, Hei no Saemon, haut fonctionnaire de la régence des Hōjō, et Ninshō (1217-1303), moine de l’école Shingon. Cependant, malgré la conviction de Nichiren, toutes ces lettres restèrent sans réponse et le gouvernement demanda à tous les temples bouddhiques et sanctuaires shintō de prier pour la sécurité du pays.

Convaincus de la justesse de leur interprétation des écrits bouddhiques et de la signification de la menace d’une invasion par les forces de Khoubilaï Khan, Nichiren et ses disciples continuèrent à critiquer les autres écoles bouddhiques tout en attirant l’attention des gens sur l’invasion qu’ils pensaient imminente. Cela créa à Kamakura un trouble qui était insupportable pour le gouvernement. Les moines Ryōchū (ou Nen’a), Dōkyō (ou Dōa) et Ninshō (ou Ryōkan), avec certains responsables du shogunat, saisirent l’occasion pour comploter contre Nichiren. Finalement, une liste de charges, dont celle de diffamation, fut établie et soumise au gouvernement. Nichiren dut comparaître devant la justice pour répondre aux charges en question, ce qu’il fit, tout en soulignant non seulement la menace d’une invasion mais aussi le désordre interne dans le pays, autre désastre mentionné dans les écrits bouddhiques qu’il avait étudiés avant d’écrire son traité Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays. À cela, il ajouta des attaques contre les fausses doctrines des écoles de ceux-là mêmes qui l’avaient accusé. Peu de temps après, il fut arrêté par Hei no Saemon et envoyé en exil sur l’île très inhospitalière de Sado. Mais Hei no Saemon n’avait aucune intention de le laisser y arriver. Des soldats l’emmenèrent de nuit sur le lieu des exécutions de Tatsunokuchi afin de le décapiter, mais sans succès. En effet, au moment même de l’exécution, un objet lumineux apparut dans le ciel, ce qui effraya tout l’entourage de Nichiren et lui sauva la vie.

 

L’exil sur l’île de Sado

 

Peu de temps après la « Persécution de Tatsunokuchi », le dixième mois de 1271, Nichiren arriva à Sado. Ses disciples, Nikkō le premier, le suivirent. En lisant les écrits qu’il rédigea sur cette île peu accueillante, on saisit combien son expérience à Tatsunokuchi fut un tournant dans sa vie. Nous avons déjà vu comment et pourquoi Nichiren se considéra comme une manifestation du bodhisattva Pratiques-Supérieures, et donc chargé de propager le Sūtra du Lotus à l’époque de la Fin de la Loi. À la suite de la persécution de Tatsunokuchi, qu’il avait surmontée de manière miraculeuse, il commença à utiliser un autre vocabulaire pour parler de lui-même. Dans son traité Sur l’ouverture des yeux, rédigé en 1272, il écrit ceci : « Le douzième jour du neuvième mois de l’année dernière, entre les heures du Rat et du Bœuf [entre onze heures du soir et trois heures du matin], la personne nommée Nichiren a été décapitée. C’est son esprit qui est parvenu sur l’île de Sado » (Écrits, 30). Dans les premières lignes du même traité, il affirme : « Il y a trois figures que tous les êtres devraient respecter : le souverain, le maître et le parent » (Écrits, 30). Et, plus loin, il déclare : « Moi, Nichiren, je suis le souverain, le maître, et le parent de tout le peuple du Japon » (Écrits, 30). Ces paroles de Nichiren furent interprétées de diverses manières. Certains affirment qu’elles montrent la conviction de Nichiren, à la suite de son expérience à Tatsunokuchi, d’être le bouddha de l’époque de la Fin de la Loi car les trois attributs de souverain, de maître et de parent sont ceux d’un bouddha qui protège tous les êtres (souverain), les instruit et les conduit à l’illumination (maître) et désire ardemment les soutenir (parent). D’autres pensent que ces trois attributs sont simplement ceux du pratiquant du Sūtra du Lotus. Dans ce cas, en les employant pour parler de lui-même, Nichiren approfondit l’idée qu’il se fait de sa mission, qui demeure celle du bodhisattva Pratiques-Supérieures. Quoi qu’il en soit, il semble bien que, après cette expérience à Tatsunokuchi, Nichiren sentit le besoin d’affirmer l’importance non seulement de sa mission mais de sa personne. Dans Les actions du pratiquant du Sūtra du Lotus, où Nichiren donne une description très précise de cette expérience, il écrit ceci :


Après qu’ils [les gens avec qui il discutait après l’événement] furent tous partis, j’entrepris de mettre en forme une œuvre en deux volumes intitulée Sur l’ouverture des yeux, sur laquelle je travaillais depuis le onzième mois de l’année précédente. Je voulais y rapporter la prodigieuse histoire de Nichiren au cas où je serais décapité. Le message essentiel de cette œuvre est que la destinée du Japon ne dépend que de Nichiren. Une maison sans pilier s’effondre et une personne sans âme est morte. (Écrits, 93)


Quel est l’état de vie, ou l’illumination, que Nichiren affirme avoir atteint ? Comment aborder cette question du point de vue doctrinal ? Ces questions sont légitimes pour ceux qui se réclament du bouddhisme de Nichiren, mais seule une lecture « croyante » des écrits peut y répondre de manière satisfaisante, et non pas la lecture « attentive » préconisée dans ce « guide de lecture ».

C’est également après l’expérience à Tatsunokuchi que Nichiren parla de l’objet de vénération ou Gohonzon, qui est au fond la concrétisation de la compréhension qu’il avait de Nam-myōhō-renge-kyō, la Loi implicite ancrée dans les profondeurs du Sūtra du Lotus. L’année suivante, dans L’objet de vénération pour observer l’esprit, établi dans la cinquième période de cinq cents ans après la disparition de l’Ainsi-Venu (Écrits, 39), il donna une description détaillée du Gohonzon en précisant que le contenu de cet écrit devait être réservé à ceux dont la foi était forte. On découvre ainsi que Nichiren utilisa ce temps d’exil pour rendre plus explicite ce qui jusque-là avait été sous-entendu dans son expérience spirituelle et dans son enseignement, et pour mieux en organiser l’énonciation. On pourrait dire que la « Persécution de Tatsunokuchi » a été pour lui une sorte de renaissance, lui permettant de voir encore plus clairement la plénitude de la vérité du Sūtra du Lotus.

Sur l’île de Sado, malgré la rudesse de la vie qui lui était imposée, Nichiren continua à enseigner comme il l’avait toujours fait, avec le même sens de l’urgence, et à peu près les mêmes résultats. Quelques habitants de l’île accueillirent son enseignement, mais la majorité lui était très hostile à cause de l’idée qu’ils se faisaient de lui, idée inspirée par les moines qui s’opposaient à lui de manière systématique. En 1272, Nichiren débattit aussi avec les maîtres à Tsukahara et il aurait démontré clairement en cette occasion la supériorité de ses enseignements. De temps en temps, il recevait des nouvelles de Kamakura et de Kyōto : l’annonce, en 1272, des conflits au sein même du clan Hōjō, puis celle de l’imminence de l’invasion du pays par l’empire mongol. Nichiren avait déjà annoncé que de tels désastres ne pouvaient manquer de frapper un pays dont le gouvernement s’opposait au Sūtra du Lotus. Finalement réhabilité, il revint à Kamakura en 1274. Interrogé au sujet de l’invasion, il répondit, le huitième jour du quatrième mois de 1274, que l’empire mongol allait lancer son attaque sur le Japon avant la fin de l’année, ajoutant qu’il ne fallait surtout pas demander aux maîtres de l’école Shingon de prier pour la défaite des envahisseurs. Il ne fut pas entendu et le gouvernement continua à faire confiance aux autres écoles du bouddhisme. C’était ainsi la troisième fois que Nichiren alertait le gouvernement sur ce genre de désastre, toujours en vain : il l’avait fait une première fois dans son traité Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays, une deuxième fois avant la « Persécution de Tatsunokuchi », puis de nouveau quand il fut interrogé à la suite de sa réhabilitation et de son retour de Sado. Comprenant qu’il ne serait jamais entendu, il décida de se retirer dans un petit ermitage au mont Minobu et laissa le gouvernement se défendre comme il le pouvait contre l’attaque des armées de l’empire mongol qui commença, comme Nichiren l’avait prédit, six mois plus tard.

 

La vie de Nichiren au mont Minobu

 

Nichiren passa les dernières années de sa vie au mont Minobu avec certains de ses disciples. Il continua à enseigner et à encourager ceux qui l’écoutaient à mettre leur foi dans le Sūtra du Lotus et à pratiquer le Daimoku. Malgré les difficultés qu’impliquait un voyage jusqu’au mont Minobu, Nichiren put garder le contact avec un grand nombre de ses disciples, comme en témoignent ses lettres et les visites qu’il reçut. Notons également que, au mont Minobu, il écrivit plusieurs de ses traités. Les persécutions continuèrent aussi, mais Nichiren n’en fut pas la seule victime. Plusieurs de ceux qui, dans la région, s’étaient convertis à son enseignement furent torturés et tués. Pendant ce temps, Nichiren travailla également à consolider la foi des personnes qui étaient prêtes à adopter et à pratiquer le Sūtra du Lotus. Il voulait les aider à en approfondir la compréhension et finalement à saisir qu’eux aussi étaient appelés à faire connaître son enseignement à ceux qu’ils côtoyaient, en étant conscients de ce que cela pourrait leur coûter. Jusqu’à ce qu’il quitte ce monde, le treizième jour du dixième mois de l’année 1282, Nichiren a tout fait pour que ceux qui le suivaient persévèrent dans leur foi et continuent à témoigner de la vérité du Sūtra du Lotus, en puisant leur force dans leur pratique assidue du Daimoku — ce que l’on voit avec le martyre de simples adeptes en 1279 à Atsuhara.


À LA DÉCOUVERTE DE LA « COHÉRENCE INTERNE » DU BOUDDHISME DE NICHIREN


Les quelques remarques faites ci-dessus aideront le lecteur à entrer dans ce que nous avons appelé la « cohérence interne » du bouddhisme de Nichiren. Il s’agit, nous l’avons vu, de la cohérence qui existe entre les divers aspects de l’expérience humaine et spirituelle de Nichiren et sa pensée. Le lecteur la découvrira au fur et à mesure qu’il étudiera ou simplement lira les divers écrits de Nichiren. Nous reprendrons ici quelques-uns des éléments déjà traités pour montrer comment ils sont tous indissociables les uns des autres. Notre point de départ sera la conscience aiguë qu’avait Nichiren de ce qu’impliquait le fait de vivre à l’époque de la Fin de la Loi ; car il s’agissait vraiment d’un « fait » pour lui et pour beaucoup de ses contemporains. Quand on mesure l’impact que cette conscience eut sur Nichiren, on comprend mieux sa recherche inlassable d’un enseignement et d’une pratique capables d’amener tous les êtres à l’illumination, précisément pendant cette époque tragique. C’est ainsi qu’il étudia les enseignements des diverses écoles présentes au Japon et leurs antécédents en Inde et en Chine, surtout ceux de l’école Tendai. Les conclusions qu’il en tira se reflètent dans son analyse du Sūtra du Lotus qui fut, pour lui, l’enseignement véritable du bouddhisme du Mahayana (tous les autres étant provisoires), puisqu’il révèle la véritable identité du Bouddha. En effet, à la différence de ce que disent les autres sūtras, la seconde partie du Sūtra du Lotus affirme que le bouddha Shakyamuni atteignit l’illumination dans le passé lointain et non pas pendant sa vie en Inde : on parle de l’illumination originelle du Bouddha. Le même Sūtra enseigne la vérité concernant l’illumination qu’il affirme possible pour tous les êtres vivants, même pour ceux qui auraient posé les actes les plus nuisibles, même pour ceux qui sont d’une « incroyance incorrigible ». D’où l’intérêt de ce Sūtra et de son enseignement pour les êtres qui naissent pendant l’époque désespérante de la Fin de la Loi.

Selon Nichiren toute la puissance du Sūtra est contenue ou concentrée, pour ainsi dire, dans le titre, ou Daimoku, du Sūtra, ce qui aide à saisir l’importance qu’il accorda à la récitation de Nam-myōhō-renge-kyō (le nam ayant le sens pour Nichiren de « se dévouer » — c’est-à-dire, toujours selon lui, d’« offrir sa vie au Bouddha » — et Myōhō-renge-kyō étant la prononciation japonaise du titre de la traduction chinoise du Sūtra faite par Kumarajīva tout au début du Ve siècle). Finalement, il n’est pas si étonnant que Nam-myōhō-renge-kyō soit considéré comme la vérité ultime et éternelle. Et c’est pourquoi, en toute logique, il peut déclarer que cette pratique entraîne autant de bienfaits que l’ensemble des pratiques à travers tous les temps. Il faut noter que le Daimoku est l’une de ce qu’on appelle les Trois Grandes Lois Cachées. Une autre est le Gohonzon, l’objet fondamental de vénération mentionné plus haut, qui est un mandala tracé à l’encre noire (sumi), ayant en son centre l’inscription Nam-myōhō-renge-kyō suivie du nom de Nichiren, son créateur. La dernière est le Kaidan ou estrade d’ordination, lieu où le pratiquant fait sa profession de foi et récite le Daimoku. Nichiren donne une description très précise du Gohonzon dans La composition du Gohonzon (Écrits, 101). Ces Trois Grandes Lois ne furent pas révélées avant que Nichiren ne le fasse pour les hommes et les femmes de l’époque de la Fin de la Loi, ce qui explique pourquoi elles sont qualifiées de « Cachées ».

Le sens de l’urgence qui anima Nichiren et sa découverte de la vérité du Sūtra du Lotus et de l’efficacité de Nam-myōhō-renge-kyō se manifestèrent tout « naturellement », pour ainsi dire, dans sa manière de propager le Sūtra. En effet, il lui fallut montrer, sans aucune complaisance, comment les autres enseignements et pratiques ne pouvaient qu’empêcher les gens d’atteindre l’illumination, précisément parce que tous ces enseignements écartaient obligatoirement la seule pratique valable à l’époque de la Fin de la Loi. Travaillant à cette propagation, Nichiren expliqua soigneusement le sens de tous les enseignements, ceux des maîtres qui l’avaient précédé ainsi que les siens, qui étaient enracinés dans son analyse du Sūtra du Lotus et de son contenu. Il le faisait tantôt de manière plus argumentée et plus nuancée, dans ses traités, par exemple, et tantôt en des termes plus concrets, comme dans certaines des lettres qu’il adressa à ses fidèles, moines et laïcs, hommes et femmes.

Les lecteurs des Écrits de Nichiren découvriront beaucoup d’autres éléments qui font partie de la « cohérence interne » du bouddhisme de Nichiren et qu’il est impossible de mentionner ici. En mettant en pratique les conseils donnés dans les clés de lecture, notamment celle qui postule que le meilleur interprète de Nichiren est Nichiren lui-même, ils saisiront le sens de tous ces éléments et verront comment chacun d’eux se situe dans l’ensemble de son enseignement.

Pour conclure, soulignons qu’une lecture « attentive » et « intelligente » des Écrits ne saurait ignorer la profonde humanité de Nichiren. Cette humanité s’exprime dans le respect dont il fait preuve à l’égard de ses disciples, dans la manière dont il consolait et encourageait ceux qui étaient en difficulté, dans son insistance sur le fait que les femmes pouvaient, elles aussi, atteindre la bouddhéité en cette vie, et même dans une certaine souplesse dont il savait faire montre vis-à-vis de la faiblesse des croyants qui avaient du mal à dire leur foi en public. Concernant ce dernier point, il faut lire sa Lettre à Misawa où il écrit des mots extrêmement touchants concernant la pratique de ses fidèles laïcs :


J’ai fait la promesse que, quelles que soient les difficultés qui s’abattent sur moi, je conserverais ma foi sans régresser et que, si je devenais bouddha, je mènerais chacun de vous à l’illumination. Vous connaissez moins que moi les enseignements bouddhiques et, de plus, vous êtes des croyants laïcs, avec des terres, des épouses et des enfants, ainsi que des vassaux. Il peut donc être extrêmement difficile pour vous de maintenir votre foi tout au long de votre vie. C’est pourquoi je vous ai toujours dit que, du fait de votre position, vous feriez mieux de prétendre tout ignorer de cet enseignement. Quoi qu’il arrive dans l’avenir, soyez assuré que je ne vous abandonnerai ni ne vous négligerai jamais. (Écrits, 112)


Armé de toutes les clés de lecture, des informations sur le contexte dans lequel Nichiren est né et a vécu et des mises en perspective de divers aspects de son expérience humaine et spirituelle, le lecteur peut maintenant mieux aborder Les écrits de Nichiren. S’il se sent parfois un peu perdu au milieu de tous les noms des écoles bouddhiques, des multiples maîtres auxquels Nichiren fait référence, des dates... ou s’il perd de vue la « cohérence interne » du bouddhisme de Nichiren, il pourra toujours revenir consulter ce « Guide de lecture ». Quoi qu’il en soit, l’effort fait pour se plonger dans un texte parfois ardu portera à coup sûr de beaux fruits de dialogue.

 

Dennis Gira

Haut de la page
Retour
  • Manuel d’utilisation
  • Conditions d'utilisation
  • Plan du site
  • Commentaires sur le site
  • Politique d’Accessibilité du Web

© 2016 Soka Gakkai