Points de repère
Shijō Kingo rendit visite à Nichiren sur l’île de Sado, le quatrième mois de la neuvième année de Bun’ei (1272), et Nichiren lui confia cette lettre pour son épouse, Nichigen-nyo, une disciple fervente qui se consacrait à ses enseignements. Nichigen-nyo est le nom que lui avait attribué Nichiren. Il donna aussi un nom à sa fille : Tsukimaro.
D’abord, Nichiren exhorte Nichigen-nyo à lire la lettre avec l’épouse de Tōshirō. On sait peu de chose de Tōshirō et de son épouse, mais on pense qu’il s’agissait d’un des collègues de Shijō Kingo, au sein du gouvernement de Kamakura.
Dans la société féodale de l’époque, la vie était difficile pour les femmes, leur statut social étant toujours inférieur à celui des hommes. Néanmoins, bien qu’elle n’ait pas d’autre appui que son époux, Nichigen-nyo l’encouragea à effectuer le voyage de Kamakura à Sado, malgré les difficultés et le danger que cela représentait. C’est pourquoi Nichiren rend un vibrant hommage à sa foi.
J’espére que vous lirez et relirez cette lettre avec l’épouse de Tōshirō. Le soleil chasse les ténèbres. On peut comparer le cœur d’une femme aux ténèbres et le Sūtra du Lotus au soleil. Il arrive qu’un nourrisson ne reconnaisse pas sa mère mais jamais la mère n’oublie son bébé. On peut comparer le bouddha Shakyamuni à la mère et les femmes au nourrisson. Si deux personnes pensent avec amour l’une à l’autre, en principe elles ne se séparent jamais. Si une personne pense à une autre, mais que ce ne soit pas réciproque, il arrive que la rencontre se produise mais il se peut aussi qu’elle n’ait pas lieu. Le Bouddha peut être comparé à la personne qui pense à l’autre, et la femme, à la personne qui n’éprouve pas de sentiment réciproque. Si nous recherchons de tout notre cœur le Bouddha, comment le bouddha Shakyamuni pourrait-il ne pas apparaître ?
Il ne suffit pas de qualifier une pierre de joyau pour qu’elle en devienne un. Inversement, un joyau qualifié de pierre demeure néanmoins un joyau. À notre époque, les doctrines des écoles Nembutsu et autres, fondées sur les enseignements provisoires du Bouddha, sont toutes pareilles à des pierres. Il ne suffit pas que les gens prétendent le Nembutsu égal au Sūtra du Lotus pour qu’il le devienne réellement. Et ils peuvent bien calomnier le Sūtra du Lotus, il n’en serait pas plus affecté qu’un joyau que l’on traiterait de pierre.
Il y eut par le passé en Chine un mauvais souverain qui était l’empereur Huizong. Égaré par les moines du Dao, il détruisit les statues et sūtras bouddhiques et contraignit tous les moines et nonnes à 319revenir à la vie profane. Pas un seul ne refusa d’abandonner sa vocation religieuse. Parmi eux, cependant, le Maître des Trois Corbeilles Fadao ne se laissa pas intimider par le commandement impérial. Cela lui valut d’être marqué au visage et exilé dans une région située au sud du fleuve Yangzi Jiang. Je suis né à une époque où les souverains ont foi dans l’école Zen, aussi erronée que la doctrine du Dao, et j’ai aussi, comme Fadao, rencontré de grandes difficultés.
Vous êtes toutes deux nées de basse condition et vous habitez à Kamakura, mais vous croyez dans le Sūtra du Lotus, sans vous soucier du regard des autres ni du danger que cela peut faire peser sur votre vie. C’est tout simplement extraordinaire. Si je peux me permettre une comparaison, c’est comme si l’on plaçait un joyau dans de l’eau boueuse et que cette eau s’éclaircissait. Ou comme si quelqu’un, apprenant de nouvelles choses d’un sage, croyait en chacun de ses mots et parvenait ainsi à appréhender la vérité. Se pourrait-il que le bouddha Shakyamuni et les bodhisattvas Sagesse-Universelle, Roi-de-la-Médecine, et Fleur-Souverain-Constellations résident dans votre cœur ? C’est sûrement ce que signifie le passage du Sūtra du Lotus où il est dit que les personnes du continent du Jambudvipa croient dans ce Sūtra, grâce au pouvoir du bodhisattva Sagesse-Universelle1.
Ainsi, les femmes sont comme la glycine et les hommes comme le pin. Si la glycine est séparée du pin, ne serait-ce qu’un instant, elle cesse à jamais de grimper. Cependant, dans un monde aussi troublé, alors que vous ne pouviez compter sur aucun serviteur, vous avez envoyé votre mari auprès de moi. Voilà qui prouve que votre sincérité est encore plus profonde que la terre, et les divinités terrestres en ont certainement conscience. Elle est encore plus élevée que le ciel et les dieux célestes, Brahma et Shakra doivent eux aussi le savoir. Le Bouddha a enseigné que chaque personne, dès le moment de sa naissance, est accompagnée de deux messagers, Même-Naissance et Même-Nom, qui la suivent comme son ombre, sans jamais se séparer d’elle, ne serait-ce qu’un instant. Tous deux en alternance montent au ciel pour rapporter ses fautes et ses bonnes actions, à la fois grandes et petites, sans négliger le moindre détail. Le ciel doit donc lui aussi être parfaitement informé. C’est vraiment rassurant ! Vraiment rassurant !
Nichiren
Le quatrième mois
Réponse à l’épouse de Shijō Kingo