Points de repère
La date et le destinataire de cette lettre sont inconnus, tout comme les raisons qui ont poussé Nichiren à l’écrire. Cependant, les expressions « Celui qui garde le Sūtra du Lotus et subit un emprisonnement » et « condamner celui qui garde le Sūtra du Lotus » indiquent que Nichiren écrivit cette lettre à une époque où lui et ses disciples enduraient des persécutions. Plusieurs hypothèses ont été avancées concernant l’année de sa rédaction. Selon l’une d’entre elles, cette lettre aurait été écrite en 1261 alors que Nichiren était en exil à Izu ; une deuxième hypothèse la situe en 1271, alors que Nichiren était en exil sur l’île de Sado ; et une troisième, en 1279, durant la pire période de la persécution d’Atsuhara. Parmi toutes ces hypothèses, 1261 semble la plus probable.
Dans cette lettre, Nichiren dit qu’il existe six sortes de saveurs, parmi lesquelles la salée est la plus importante. Sans sel, tout aliment paraît insipide. Par cette analogie, Nichiren entend indiquer que les sūtras ne dévoilent leur véritable signification que s’ils reposent sur la vérité révélée dans le Sūtra du Lotus. Puis il cite les huit caractéristiques mystérieuses de l’océan qui sont énumérées dans le Sūtra du Nirvana. Mais, alors que le Sūtra du Nirvana s’attribue apparemment ces caractéristiques, Nichiren soutient qu’elles servent en fait à louer la supériorité du Sūtra du Lotus.
Dans la partie finale, Nichiren compare le sel dans un pot ou dans une cuve de conserves au vinaigre à un pratiquant du Sūtra du Lotus, et le sel de l’océan au bouddha Shakyamuni. L’eau salée dans un pot ou dans une cuve connaît un flux et un reflux semblables à ceux de l’océan et, par analogie, emprisonner un pratiquant du Sūtra du Lotus revient à emprisonner le bouddha Shakyamuni.
Il existe six sortes de saveurs. La première est subtile [par exemple la délicatesse d’une décoction d’algues], la deuxième est salée, la troisième épicée, la quatrième acide, la cinquième sucrée et la sixième amère. Même si l’on préparait un festin avec cent saveurs, si la seule saveur du sel venait à manquer, ce ne pourrait être le festin d’un grand roi. Sans sel, tous les mets délicieux de la terre et de la mer sont insipides.
L’océan a huit caractéristiques mystérieuses. Premièrement, il devient peu à peu plus profond. Deuxièmement, du fait de sa profondeur, il est bien difficile d’en sonder le fond. Troisièmement, il conserve partout la même saveur salée. Quatrièmement, il est régulièrement soumis au flux et au reflux des marées. Cinquièmement, il contient diverses réserves à trésors. Sixièmement, il existe des créatures de grande taille qui résident en son sein. Septièmement, il 40refuse d’abriter des cadavres. Huitièmement, il reçoit tous les fleuves et toutes les fortes pluies sans croître ni décroître.
[Le Sūtra du Nirvana] compare « il devient peu à peu plus profond » au Sūtra du Lotus qui conduit tout le monde sur la Voie du Bouddha, depuis les hommes du commun à la compréhension insuffisante jusqu’aux sages les plus instruits. [Quant à la métaphore] « du fait de sa profondeur, il est bien difficile d’en sonder le fond », [elle signifie] que le monde du Sūtra du Lotus ne peut être compris et partagé qu’entre bouddhas, alors que ceux qui sont au stade de l’illumination presque parfaite ou au-dessous sont incapables de le maîtriser. « Il conserve partout la même saveur salée » revient à comparer tous les fleuves, dépourvus de sel, à tous les sūtras autres que le Sūtra du Lotus, qui n’offrent aucun moyen d’atteindre l’illumination. [Le Sūtra du Nirvana] compare l’eau de tous les fleuves qui coulent vers la mer, où elle acquiert la saveur salée, aux gens de facultés diverses instruits par les différents enseignements provisoires et qui atteignent la Voie du Bouddha en adoptant la foi dans le Sūtra du Lotus. L’image « il est régulièrement soumis au flux et reflux des marées » illustre le fait que les pratiquants de la Loi merveilleuse atteindront [immanquablement] le stade de non-régression même s’ils devaient perdre la vie. « Les diverses réserves à trésors » contenues [dans l’océan] sont comparées aux innombrables pratiques et bonnes actions de tous les bouddhas et bodhisattvas et aux bienfaits des divers paramita1 contenus dans la Loi merveilleuse. « Il existe des créatures de grande taille qui résident en son sein » signifie que, grâce à leur grande sagesse, les bouddhas et bodhisattvas peuvent être appelés « créatures de grande taille » et que la grandeur de leur corps, de leur esprit de recherche, de leurs traits distinctifs, de leur force pour vaincre le mal, de leur enseignement, de leur autorité, de leurs pouvoirs transcendantaux, de leur compassion et de leur pitié émane naturellement du Sūtra du Lotus. S’il « refuse d’abriter les cadavres », c’est parce qu’avec le Sūtra du Lotus on peut se libérer à jamais de la calomnie et de l’incroyance incorrigible. « Sans croître ni décroître » signifie que le cœur du Sūtra du Lotus est l’universalité de la nature de bouddha de tous les êtres vivants.
Dans une cuve ou dans un pot où l’on a mis des feuilles de vigne à macérer, la saumure suit un mouvement de flux et de reflux semblable à celui de la marée2. Celui qui garde le Sūtra du Lotus et subit un emprisonnement est comparable au sel qui se trouve dans une cuve ou dans un pot alors que l’Ainsi-Venu Shakyamuni qui s’est échappé de la maison en feu3 est comme le sel de la mer. Condamner celui qui garde le Sūtra du Lotus revient à condamner l’Ainsi-Venu Shakyamuni. Brahma, Shakra et les quatre rois célestes doivent en être stupéfaits ! Si ce n’est pas maintenant, quand se réalisera le vœu des dix filles rakshasa de briser en sept morceaux4 la tête de celui qui persécute un pratiquant du Sūtra du Lotus ?
Ajatashatru, qui avait fait emprisonner le roi Bimbisara, subit une brutale éruption de variole dans son existence d’alors. Comment aurait-il pu en être autrement pour celui qui a fait emprisonner un pratiquant du Sūtra du Lotus ?
Nichiren
Notes
1. Paramita, pratiques requises pour les bodhisattvas du Mahayana afin d’atteindre la bouddhéité.
2. Dans le processus de conservation, on ajoute du sel dans un pot de vinaigre pour en extraire l’eau. On dit que cette eau salée croît et décroît en fonction de la marée.
3. « Une maison en feu » est une référence au passage du chapitre “Analogies et paraboles” du Sūtra du Lotus où il est dit : « Il n’y a nulle sécurité dans le monde des trois plans à l’instar de la maison en flammes. »
4. On trouve ce vœu dans le vingt-sixième chapitre du Sūtra du Lotus.