Points de repère
Le troisième mois de la deuxième année de Kenji (1276), Nichiren écrivit cette lettre pour la nonne séculière Toki, et il chargea son mari, Toki Jōnin, qui lui rendait alors visite au mont Minobu, de la lui remettre.
La mère de Toki était décédée vers la fin du deuxième mois de l’année. Lors du troisième mois, Toki transporta ses cendres depuis son domicile à Wakamiya, dans la province de Shimo’usa, jusqu’au lointain mont Minobu, où un service funéraire fut accompli pour elle. D’après une lettre envoyée par Nichiren à Toki un an plus tôt, en 1275, il est clair que la mère de celui-ci avait plus de quatre-vingt-dix ans au moment de sa mort. On pense aussi qu’elle était extrêmement attachée à son fils.
Le contenu de cette lettre laisse entendre que la nonne séculière Toki fit tout son possible pour soutenir et aider son mari. De plus, Nichiren compare sa foi à « la lune qui croît ou la marée montante », suggérant ainsi qu’elle avait une pratique assidue. Il lui fait aussi part des sentiments du seigneur Toki à propos de la mort de sa mère et de sa reconnaissance envers elle, son épouse, qui avait accordé tant de soins et d’attention à sa belle-mère. Ainsi, Nichiren encourage avec compassion la nonne séculière Toki qui luttait contre la maladie depuis l’année précédente.
Il est possible que cette maladie ait été due au moins partiellement aux efforts épuisants accomplis pour sa belle-mère. Nichiren se préoccupe de sa santé dans cette lettre et dans un autre courrier envoyé à Toki Jōnin lors du onzième mois de 1276, où il écrit : « Je pense à la maladie de votre femme comme si c’était la mienne et je prie le Ciel jour et nuit. » On ne connaît pas avec certitude l’année du décès de la nonne séculière mais cela pourrait être, d’après une certaine source, en 1303, ce qui laisse entendre qu’elle a pu en fait se rétablir et prolonger sa vie de nombreuses années.
J’ai bien reçu vos mille pièces de monnaie et votre récipient en bambou.
C’est la puissance de l’arc qui détermine la trajectoire de la flèche, c’est la puissance du dragon qui contrôle le mouvement des nuages et c’est la force de l’épouse qui guide les actes de son mari. De la même façon, c’est votre soutien qui a permis à Toki de me rendre maintenant visite en ce lieu. Nous connaissons le feu par sa fumée, nous discernons la nature du dragon par la pluie [qu’il déclenche], et nous identifions la femme en observant son mari. C’est pourquoi, alors que je suis actuellement en présence de Toki, il me semble que je vous vois aussi.
Toki m’a rapporté que, malgré la tristesse causée par le décès de sa mère, il éprouvait de la reconnaissance parce qu’elle s’est éteinte paisiblement, et que vous l’avez soignée avec beaucoup de dévouement. Il m’a 661dit, plein de joie, qu’il ne pourrait jamais oublier cela dans aucune de ses vies à venir.
Rien ne me préoccupe davantage maintenant que votre maladie. Avec la ferme conviction que vous recouvrerez la santé, vous devriez poursuivre votre traitement par le moxa pendant trois ans, aussi régulièrement que si vous veniez juste de le commencer. Même ceux qui ne souffrent d’aucune maladie ne peuvent échapper à l’impermanence de la vie, mais vous n’êtes pas encore âgée et, comme vous êtes une pratiquante du Sūtra du Lotus, vous ne connaîtrez pas une mort prématurée. Votre maladie n’est sûrement pas due au karma mais, même si c’était le cas, vous pourriez compter sur le pouvoir du Sūtra du Lotus pour en guérir.
Le roi Ajatashatru prolongea sa vie de quarante ans en adoptant le Sūtra du Lotus. Chen Zhen ajouta quinze ans à sa vie. Vous êtes aussi une pratiquante du Sūtra du Lotus et votre foi est comme la lune qui croît ou la marée montante. Soyez donc profondément convaincue qu’il n’est pas possible que votre maladie persiste et que, à coup sûr, votre vie sera prolongée ! Prenez bien soin de vous et ne laissez pas le chagrin accabler votre esprit.
Quand la tristesse vous gagne, pensez aux îles d’Iki et de Tsushima et au Quartier général de Dazaifu1. Ou pensez aux gens de Kamakura qui goûtaient les délices du royaume céleste ; mais quand les soldats partirent pour l’île de Tsukushi, laissant femme et enfants derrière eux, ils ressentirent [douloureusement] cette séparation, comme l’écorce qu’on arrache d’un arbre. Ils pressèrent leurs visages l’un contre l’autre et pleurèrent ensemble. Aujourd’hui, les hommes sont de plus en plus loin, ayant traversé dans leur voyage la plage de Yui, Inamura, Koshigoe, Sakawa et le col de Hakone. Un jour s’écoule ainsi, puis un autre, leur marche les éloigne toujours plus, et les rivières, les montagnes et les nuages les séparent de leurs familles. Les larmes les accompagnent, le chagrin est leur compagnon. Comme ils doivent être tristes !
Si les forces mongoles viennent à les attaquer tandis qu’ils se désolent ainsi, en montagne ou sur mer, ils seront faits prisonniers, et subiront un sort affreux, sur les bateaux ou en Corée. Cela est entièrement dû au traitement que ces gens ont infligé à Nichiren, le pratiquant du Sūtra du Lotus, qui n’a commis aucune faute et qui est le père et la mère de tous les êtres vivants au Japon. Ils l’ont insulté, battu, et exhibé dans les rues sans raison. Pareille folie a suscité les réprimandes des dix filles rakshasa, et a ainsi provoqué la situation actuelle. De plus, des événements cent, mille, dix mille, un million de fois plus difficiles à endurer se dérouleront à l’avenir. Vous verrez ces événements mystérieux se passer sous vos yeux. Il n’y a aucune raison de se lamenter si nous considérons que nous deviendrons à coup sûr bouddhas. Devenir l’épouse d’un empereur, quel intérêt cela peut-il bien avoir ? Renaître dans le ciel, à quoi cela servirait-il ? Vous devrez plutôt suivre la voie de la fille du roi-dragon et vous ranger au côté de la nonne Mahaprajapati. C’est vraiment merveilleux ! Vraiment merveilleux ! Veuillez donc réciter Nam-myōhō-renge-kyō, Nam-myōhō-renge-kyō.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le vingt-septième jour du troisième mois
À la nonne séculière Toki