Points de repère
Envoyée depuis Ichinosawa, sur l’île de Sado, lors du cinquième mois de 1273, cette lettre s’adresse à Gijō-bō, qui avait été un des moines principaux de Nichiren au Seichō-ji, dans la province d’Awa. Environ un mois plus tôt, Nichiren avait envoyé L’objet de vénération pour observer l’esprit, dans lequel il avait expliqué à la fois l’objet de vénération du point de vue de la Loi et la pratique correcte pour atteindre l’illumination à l’époque de la Fin de la Loi. Cette lettre reprend brièvement le contenu profond de L’objet de vénération pour observer l’esprit.
Nichiren dit que, parmi tous les chapitres du Sūtra du Lotus, le chapitre “Durée de la vie” est particulièrement important pour lui. Il cite un passage « (...) n’ayant à l’esprit qu’un seul désir, celui de voir le Bouddha (...) » et note : « Grâce à ce passage, j’ai eu la révélation de la bouddhéité dans ma propre vie. » Il déclare que, en tant que bouddha de l’époque de la Fin de la Loi, il s’est éveillé au Nam-myōhō-renge-kyō des Trois Grandes Lois Cachées, lequel est contenu de façon implicite dans les profondeurs du chapitre “Durée de la vie”, et qu’il a concrétisé cette Loi.
C’est là l’une des toutes premières références dans les écrits de Nichiren aux Trois Grandes Lois Cachées : l’objet de vénération (le Gohonzon), l’invocation (Nam-myōhō-renge-kyō), et le lieu de vénération (lieu de culte).
J’ai attentivement examine votre question concernant les enseignements bouddhiques. Le bienfait du Sūtra du Lotus est un état de vie qui ne peut être compris que par des bouddhas. Même la sagesse des émanations de Shakyamuni dans l’ensemble des dix directions ne saurait peut-être égaler une telle illumination intérieure. C’est pourquoi, comme vous le savez bien, dans son commentaire sur le caractère « myō », même le Grand Maître Tiantai l’a défini comme ce qui est au-delà de la compréhension ordinaire1. Le Sūtra [du Lotus] se divise cependant en pratiques diverses. Il s’agit des enseignements qui ne furent connus que par des hommes comme Tiantai, Miaole et Dengyō. Ainsi, le Grand Maître Dengyō, considéré comme la réapparition de Tiantai, envoya en de nombreuses occasions des émissaires dans la Chine des Tang, dans sa détermination à permettre à d’autres de dissiper leurs doutes. Ce qui est essentiel ici, c’est qu’au cœur du Sūtra on trouve ces enseignements : l’inclusion mutuelle des dix états, les cent états et les mille facteurs, et les trois mille mondes en un instant de vie. Tous ces enseignements sont présentés dans l’œuvre intitulée La Grande Concentration et Pénétration.
Vient ensuite l’enseignement du chapitre “Durée de la vie” sur lequel moi, Nichiren, je m’appuie personnellement. Même si Tiantai et Dengyō ont également 393compris sa signification générale, ils ne l’ont jamais formulée ni proclamée. Cela est vrai aussi de Nagarjuna et de Vasubandhu. Il est dit dans la partie en vers de ce chapitre : « (...) n’ayant à l’esprit qu’un seul désir, celui de voir le Bouddha, sans hésitation aucune, même au péril de leur vie2. » Grâce à ce passage, j’ai eu la révélation de la bouddhéité dans ma propre vie. C’est en effet cet extrait de Sūtra qui m’a permis de concrétiser les Trois Grandes Lois Cachées3, soit, la réalité des trois mille mondes en un instant de vie, contenues dans le chapitre “Durée de la vie”. Mais gardez cela secret, gardez-le bien secret.
Le Grand Maître du mont Hiei [Dengyō] se rendit en Chine où lui fut enseigné le sens de ce passage. « Seul » [dans l’expression « n’ayant à l’esprit qu’un seul désir (...) »] désigne la Voie pure et unique, et « esprit » correspond à tous les phénomènes4. Le Grand Maître Tiantai a donc expliqué que le caractère chinois « esprit » était composé de [quatre coups de pinceau représentant] la lune et trois étoiles, ce qui implique que l’esprit de l’effet [la bouddhéité] est pur et immaculé5. Moi, Nichiren, je dis que « seul » correspond à myō ou merveilleux, « esprit » à hō ou Loi, « désir » à ren ou lotus, « voir » à ge ou fleur, et « Bouddha » à kyō ou sūtra. Les pratiquants devraient propager ces cinq caractères « sans hésitation aucune, même au péril de leur vie ».
« N’ayant à l’esprit qu’un seul désir, celui de voir le Bouddha » peut se lire ainsi : n’ayant à l’esprit que le désir d’observer le Bouddha, de concentrer son esprit pour voir le Bouddha et, en regardant son propre esprit, de percevoir qu’il s’agit du Bouddha. Pour avoir atteint le fruit de la bouddhéité, les Trois Corps originellement inhérents, je devance peut-être même Tiantai et Dengyō, et surpasse aussi Nagarjuna et Mahakashyapa. Le Bouddha écrivit qu’il fallait devenir maître de son esprit et ne pas le laisser devenir le maître6. C’est ce que je veux dire quand je vous exhorte énergiquement à aller jusqu’au don de votre corps et à ne jamais donner votre vie à contrecœur pour le Sūtra du Lotus. Nam-myōhō-renge-kyō, Nam-myōhō-renge-kyō.
Nichiren
Le vingt-huitième jour du cinquième mois de la dixième année de Bun’ei [1273]
Réponse à Gijō-bō
Notes
1. On trouve cette déclaration dans l’introduction au Sens profond du Sūtra du Lotus.
2. Une autre traduction pourrait être : « d’un seul cœur, désirant voir le Bouddha (...) ». Ici, Nichiren ne cite pas littéralement le Sūtra du Lotus mais le transcrit en japonais de son époque.
3. Il s’agit de l’invocation de Nam-myōhō-renge-kyō de l’objet de vénération et du lieu de culte. Par opposition à l’enseignement théorique explicite, l’enseignement caché ne peut être compris que par la pratique.
4. La « Voie pure et unique » désigne l’aspect réel inhérent à tous les phénomènes.
5. Source inconnue.
6. On trouve cette déclaration à la fois dans le Sūtra du Nirvana et le Sūtra des six paramita.