Points de repère
Cette lettre a été envoyée à Toki Jōnin lors de la septième année de l’ère Kenchō (1255), deux ans après que Nichiren a rendu public son enseignement : Nam-myōhō-renge-kyō. Quand il rédige cette lettre, Nichiren a trente-quatre ans et vit à Kamakura, où se trouve le siège du gouvernement militaire. Fervent disciple de Nichiren, Toki Jōnin demeure à Wakamiya, dans la province de Shimo’usa. Il reçoit une trentaine de lettres, dont la Lettre de Sado et un traité majeur, L’objet de vénération pour observer l’esprit. Au service du seigneur Chiba, gouverneur de Shimo’usa, Toki Jōnin devient disciple de Nichiren autour de 1254.
Parmi tous les écrits du milieu des années 1250, Sur l’atteinte de la bouddhéité en cette vie est le texte qui se concentre le plus clairement sur les principes essentiels du bouddhisme de Nichiren ; parmi les autres œuvres de cette période, beaucoup visent principalement à réfuter les doctrines erronées des autres écoles et à discuter de questions théoriques. Ce court essai reflète non seulement les théories formulées par Tiantai en s’appuyant sur le Sūtra du Lotus, mais révèle aussi la pratique concrète pour atteindre la bouddhéité, qui consiste en l’occurrence à réciter Nam-myōhō-renge-kyō, ce qui faisait défaut dans l’ensemble théorique de Tiantai.
Myōhō-renge-kyō est le titre du Sūtra du Lotus, mais pour Nichiren c’est bien plus encore : c’est l’essence du Sūtra, la révélation de la Loi suprême elle-même. Cet essai révèle à la fois la profondeur de sa pensée et sa conviction que Nam-myōhō-renge-kyō est le seul enseignement qui puisse conduire les êtres vivants à la bouddhéité en cette vie.
Si vous souhaitez arrêter le cycle1 sans commencement des naissances et des morts et parvenir absolument à l’illumination suprême en cette vie, vous devez percevoir le merveilleux principe inhérent à tous les êtres vivants : Myōhō-renge-kyō. La récitation de Myōhō-renge-kyō vous permettra donc de percevoir le principe merveilleux inhérent à tous les êtres vivants.
Le Sūtra du Lotus est le roi des sūtras, authentique et correct dans les mots comme dans les principes. Ses mots sont la réalité ultime, et cette réalité est la Loi merveilleuse [ou myōhō]. On l’appelle Loi merveilleuse parce qu’elle révèle le principe de la relation d’inclusion mutuelle entre chaque instant de vie et tous les phénomènes. C’est pourquoi ce Sūtra est la sagesse de tous les bouddhas.
La vie à chaque instant inclut le corps et l’esprit, le soi et l’environnement de tous les êtres vivants et de tous les êtres non sensitifs, dans les dix états ainsi que dans les trois mille mondes, notamment les plantes, le ciel, la terre et même la plus infime 4particule de poussière. La vie à chaque instant imprègne tous les phénomènes, et s’y manifeste [c’est le sens de l’Entité de la Loi]. S’éveiller à ce principe est en soi la relation d’inclusion mutuelle entre chaque instant de vie et tous les phénomènes. Toutefois, même si vous récitez et gardez Myōhō-renge-kyō, si vous considérez la Loi comme extérieure à vous, vous ne pratiquez pas la Loi merveilleuse mais un enseignement inférieur. « Enseignement inférieur » désigne les sūtras autres que celui-ci [le Sūtra du Lotus], qui constituent des moyens opportuns et donc provisoires. Aucun des enseignements provisoires ne conduit directement à l’illumination. Or, sans voie directe vers l’illumination, vous ne pourrez pas atteindre la bouddhéité, même si vous pratiquez vie après vie pendant d’innombrables kalpa. Atteindre la bouddhéité en cette vie est alors impossible. Par conséquent, quand vous récitez ou lisez « myōhō » et « renge », vous devez faire surgir la foi profonde que Myōhō-renge-kyō est votre vie elle-même.
Ne pensez jamais que l’un des quatre-vingt mille enseignements exposés par le bouddha Shakyamuni de son vivant, ou par les bouddhas et bodhisattvas des dix directions et des trois phases de l’existence, soit extérieur à vous. Votre pratique des enseignements bouddhiques ne vous délivrera pas des souffrances du cycle des naissances et des morts tant que vous n’aurez pas perçu la véritable nature de votre vie. Si vous cherchez l’illumination en dehors de vous-même, même dix mille pratiques et dix mille actes bons seront inutiles. Vous serez comme un homme pauvre qui compte nuit et jour la fortune de son voisin sans gagner lui-même le moindre sou. C’est pourquoi on lit dans un commentaire de Tiantai : « Si vous ne percevez pas la nature de votre propre vie, vous ne pourrez pas éradiquer vos fautes graves2. » Ce passage signifie que la pratique de ceux qui ne perçoivent pas la nature de leur propre vie deviendra une interminable et pénible austérité. Ceux qui étudient de la sorte les enseignements bouddhiques sont donc réprouvés comme les non-bouddhistes. [Le traité de Tiantai] La Grande Concentration et Pénétration déclare que, bien qu’ils étudient les enseignements bouddhiques, leurs conceptions ne diffèrent en rien de celles des non-bouddhistes.
Réciter le nom du Bouddha3, lire le Sūtra, ou simplement offrir des fleurs et de l’encens, tous ces actes méritoires sèmeront des bienfaits et des racines de bien dans votre propre vie. Avec cette conviction, faites des efforts dans la foi. Il est dit dans le Sūtra de l’enseignement de Vimalakirti que, lorsque l’on recherche dans l’esprit des êtres vivants la délivrance obtenue par les bouddhas, on découvre que la vie de ces êtres [ordinaires] est en elle-même l’illumination et que le cycle des naissances et des morts est le nirvana. Il y est dit aussi que, si l’esprit des êtres vivants est impur, leur terre aussi est impure mais que, si leur esprit est pur, leur terre l’est également. Il n’y a pas de terre pure ou impure en soi. La différence réside seulement dans le bien ou le mal à l’intérieur de notre esprit.
Il en va de même entre un bouddha et un être ordinaire. Quand on est dans l’illusion, on est appelé être ordinaire mais, quand on est dans l’illumination, on est appelé bouddha. Tel un miroir terni qui brillera comme un joyau une fois poli. Un esprit assombri par les illusions de l’obscurité inhérente à la vie est comme un miroir terni. Une fois poli, il deviendra inéluctablement un clair miroir réfléchissant la nature fondamentale de tous les phénomènes et la réalité essentielle. Faites surgir une foi profonde et polissez constamment votre miroir, jour et nuit. Comment le polir ? Seulement en récitant Nam-myōhō-renge-kyō.
Quel est donc le sens de « myō » ? C’est simplement la nature mystérieuse de notre vie, d’instant en instant, inconcevable par l’esprit et inexprimable par les mots. Lorsque nous observons notre propre 5esprit à un moment donné, nous ne voyons ni forme ni substance prouvant qu’il existe. Pourtant, nous ne pouvons nier son existence car de nombreuses pensées différentes ne cessent de se présenter à nous. L’esprit ne peut être considéré comme existant ou non existant. La vie est en fait une réalité insaisissable qui transcende à la fois les mots et les concepts d’existence et de non-existence. Elle n’est ni existence, ni non-existence, mais manifeste les qualités de ces deux aspects. C’est l’Entité merveilleuse de la Voie du Milieu qui est la réalité ultime. « Myō » est le nom donné à la nature merveilleuse de la vie, et « hō », à ses manifestations. « Renge », qui signifie fleur de lotus, sert à symboliser le mystère de cette Loi. Si nous comprenons que notre vie au moment présent est « myō », alors nous comprendrons que notre vie à d’autres moments est la Loi merveilleuse. Cette prise de conscience est le « kyō », ou sūtra merveilleux. Le Sūtra du Lotus est le roi des sūtras, la voie directe vers l’illumination, car il explique que l’Entité de notre vie, qui manifeste soit le bien soit le mal à chaque instant, est en fait l’Entité de la Loi merveilleuse.
Si vous récitez Myōhō-renge-kyō avec une foi profonde en ce principe, vous êtes assuré d’atteindre la bouddhéité en cette vie. C’est pourquoi il est dit dans le Sūtra : « (...) Après ma disparition [une personne pleine de sagesse] devrait accepter et garder ce Sūtra. Une telle personne assurément, et sans doute aucun, atteindra la Voie du Bouddha4. » N’en doutez jamais si peu que ce soit.
Avec tout mon respect.
Conservez votre foi et parvenez à la bouddhéité en cette vie. Nam-myōhō-renge-kyō, Nam-myōhō-renge-kyō.
Nichiren