Points de repère
Nichiren envoya cette lettre lors du neuvième mois de la onzième année de Bun’ei (1274) à Saemon-no-jō, généralement connu sous le nom de Shijō Kingo, l’un de ses principaux disciples à Kamakura. Shijō Kingo était un samouraï au service de la famille Ema, branche du clan Hōjō au pouvoir. Nichiren le loue pour le courage dont il fit preuve en présentant l’enseignement de Nichiren à son seigneur, Ema.
La « complicité dans l’opposition à la Loi », présentée dans le titre, consiste à faire des offrandes aux calomniateurs de la Loi ou à agir en accord avec eux, sans leur adresser de remontrances. Nichiren explique qu’il s’agit là d’une faute, même si l’on ne s’oppose pas personnellement à la Loi.
Shijō Kingo avait présenté les enseignements de Nichiren au Seigneur Ema, à peu près à l’époque où Nichiren s’était retiré au mont Minobu. Comme beaucoup d’autres disciples, Shijō Kingo avait connu un regain de croyance lorsque Nichiren revint contre toute attente, sain et sauf, de Sado. Durant l’exil à Sado, la prophétie d’une lutte interne, énoncée par Nichiren dans son traité Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays, s’était matérialisée sous la forme d’une lutte de pouvoir au sein du clan régnant, le clan Hōjō. De plus, sachant que les Mongols s’apprêtaient à attaquer le Japon, l’accomplissement de sa deuxième prophétie, l’invasion étrangère, semblait imminente. Ce sont peut-être ces raisons qui poussèrent Shijō Kingo à s’adresser à son seigneur.
Le seigneur Ema était à cette époque un disciple du moine Ryōkan, du Gokuraku-ji. On dit aussi que la famille Ema fit bâtir le Chōraku-ji, temple de l’école du Nembutsu, qui est également l’un des sept temples principaux de Kamakura. Le seigneur Ema eut alors le sentiment que son vassal tentait de le convertir et n’apprécia pas du tout sa démarche, qu’il jugea présomptueuse. Il menaça même de transférer Shijō Kingo dans la province éloignée d’Echigo, au bord de la mer du Japon, s’il ne renonçait pas à sa foi dans le Sūtra du Lotus. Il fallut trois ans au samouraï pour regagner la confiance de son seigneur.
Dans cette lettre, Nichiren rappelle que l’interdiction de tuer est le premier de tous les préceptes bouddhiques. Mais il explique que, en un sens, l’opposition au Sūtra du Lotus est une faute encore plus grave que celle de tuer, car celui qui s’oppose au Sūtra nie en fait la nature de bouddha éternellement inhérente à tous les êtres vivants.
J’ai bien reçu vos deux mille pièces de monnaie.
Pour tous les êtres vivants, il n’est pas de trésor plus précieux que la vie elle-même. Il est certain que ceux qui ôtent la vie tomberont dans les trois mauvaises voies. C’est pour cela que les rois-qui-font-tourner-la-roue ont suivi le précepte de « ne pas tuer », premier des dix préceptes de bien, et que le Bouddha a enseigné les cinq préceptes au début des sūtras du Hinayana, en instituant l’interdiction de tuer comme le premier d’entre eux. Le Bouddha a aussi enseigné que « ne pas tuer » était le premier des dix préceptes majeurs énoncés dans le sūtra du Mahayana intitulé Sūtra du filet de Brahma. C’est dans le chapitre “Durée de la vie” du Sūtra du Lotus qu’on découvre le mérite obtenu par l’Ainsi-Venu Shakyamuni grâce à la pratique du précepte de « ne pas tuer ». Ainsi, donc, ceux qui ôtent la vie seront abandonnés par tous les bouddhas des trois phases de l’existence [le passé, le présent et l’avenir], et jamais les divinités des six cieux du monde du désir n’assureront leur protection. Les érudits de notre époque en ont bien conscience et moi, Nichiren, j’en ai une compréhension globale.
L’acte d’ôter la vie peut cependant être de nature différente. La personne tuée peut l’avoir été pour avoir commis elle-même une faute plus ou moins grave. Si l’on tue celui qui a assassiné notre père, notre mère, notre souverain ou notre maître, bien qu’il s’agisse toujours d’un meurtre, ce qui aurait dû être une faute grave se révélera probablement au contraire une faute légère. C’est là un point dont les érudits d’aujourd’hui ont bien conscience. Mais même les bodhisattvas, avec leur grande compassion, tomberont à coup sûr dans l’Enfer aux souffrances incessantes s’ils adressent des offrandes aux ennemis du Sūtra du Lotus. En revanche, même ceux qui commettent les cinq transgressions capitales, s’ils font preuve d’hostilité envers les ennemis [du Sūtra], renaîtront à coup sûr dans le monde humain ou céleste. Le roi Sen’yo qui avait anéanti cinq cents ennemis du Sūtra du Lotus et qui, [devenu plus tard] le roi Détenteur-de-Vertu, en avait tué une quantité incalculable devint le bouddha Shakyamuni en ce monde. Les disciples tels que Mahakashyapa, Ananda, Shariputra, Maudgalyayana, et les innombrables autres [disciples], étaient à cette époque en première ligne, triomphant des ennemis, les tuant, les blessant, ou prenant plaisir à les combattre. Le moine Éveil-à-la-Vertu devint le bouddha Kashyapa. C’était un pratiquant du Sūtra du Lotus d’une grande compassion qui, à cette époque, exhorta le roi Détenteur-de-Vertu à attaquer les ennemis du Sūtra, comme s’il s’agissait d’individus qui avaient trahi son père et sa mère dans une existence antérieure.
Notre époque est pareille à la leur. Si le souverain de notre pays avait accepté les paroles de Nichiren, il aurait très bien pu devenir semblable aux deux rois [précédemment cités]. Mais, non content de rejeter [mes propos], il a en fait pris le parti des ennemis du Sūtra du Lotus, si bien que tout le pays m’attaque. Du souverain aux gens ordinaires, tous sont devenus des calomniateurs de la Loi dont la faute dépasse les cinq transgressions capitales. Tout le monde de fait est au côté du souverain. Bien que votre cœur soit en accord avec Nichiren, puisque vous êtes engagé au service de votre seigneur, il aurait dû normalement vous être extrêmement difficile de ne pas être complice de l’opposition [à la Loi]. Qu’il est admirable que, malgré cela, vous ayez transmis cet enseignement à votre seigneur en l’exhortant à y croire. Même s’il ne l’accepte pas tout de suite, vous êtes parvenu à éviter la faute de complicité.
Désormais, prenez bien garde à vos propos. Il est de toute façon certain que les divinités célestes vous protégeront. Je leur dirai personnellement d’y veiller.
463Veillez à prendre toutes les précautions possibles. Ceux qui vous détestent ne cesseront d’être à l’affût d’une occasion de vous nuire. La nuit, ne vous joignez plus à d’autres buveurs. Quel désagrément y a-t-il à boire du saké, en tête à tête avec votre épouse ? Et, durant la journée, ne relâchez pas votre vigilance lorsque vous vous retrouverez avec d’autres dans un banquet. Vos ennemis n’auront pas la moindre occasion de vous attaquer, en dehors de vos sorties pour boire. Aucune précaution ne sera superflue.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le vingt-sixième jour du neuvième mois
Réponse à Saemon-no-jō