Points de repère
Nichiren écrit cette lettre à Kamakura au cours de la première année de Kōchō (1261), environ deux semaines avant d’être exilé à Itō, sur la péninsule d’Izu. On ne sait pratiquement rien du destinataire, Shiiji Shirō, sinon qu’il vécut dans la province de Suruga et connaissait deux des principaux disciples de Nichiren, Shijō Kingo et Toki Jōnin.
Le titre de cette lettre est tiré d’un passage du chapitre “Les actes antérieurs du bodhisattva Roi-de-la-Médecine” du Sūtra du Lotus où il est question d’« une personne trouvant un bateau pour traverser les mers ». Dans cette lettre, Nichiren enseigne que Nam-myōhō-renge-kyō est le « bateau » qui peut, de façon certaine, nous faire traverser l’océan des inévitables souffrances de la vie, pour nous conduire jusqu’au rivage lointain de l’illumination.
Quand je l’ai interrogé sur ce que vous m’avez dit l’autre jour, il m’a tout à fait confirmé vos propos. Vous devriez donc plus que jamais persévérer dans votre foi pour recevoir les bienfaits du Sūtra du Lotus. Écoutez avec les oreilles de Shi Kuang et observez avec les yeux de Li Lou1.
À l’époque de la Fin de la Loi, le pratiquant du Sūtra du Lotus se distinguera de façon certaine. Plus les persécutions qui s’abattront sur lui seront grandes, plus il ressentira de joie grâce à la force de sa foi. Un feu ne brûle-t-il pas avec plus d’intensité lorsqu’on y ajoute des bûches ? Tous les fleuves se jettent dans la mer et a-t-on déjà vu la mer repousser leurs eaux ? Le flot des persécutions se déverse dans l’océan du Sūtra du Lotus et assaille celui qui le pratique. Mais l’océan ne repousse pas les eaux des fleuves, ni le pratiquant la souffrance. Sans les eaux des fleuves, il n’y aurait pas de mer. De même, sans épreuves, il n’y aurait pas de pratiquant du Sūtra du Lotus. Comme l’a dit Tiantai : « Tous les fleuves se jettent dans la mer, et les bûches attisent le feu2. »
Vous devriez prendre conscience du fait que c’est en raison d’un profond lien karmique formé dans le passé que vous pouvez enseigner aux autres ne serait-ce qu’une seule phrase du Sūtra du Lotus. On lit dans le Sūtra : « Sourdes à la Loi correcte, de telles personnes sont difficiles à sauver3. » La Loi correcte désigne le Sūtra du Lotus ; il est difficile de sauver ceux qui sont sourds aux enseignements de ce Sūtra.
On lit dans un passage du chapitre “Le maître de la Loi” : « Si l’un de ces hommes ou l’une de ces femmes de bien [est capable, dans les temps qui suivront ma disparition, d’exposer secrètement le Sūtra du Lotus à quelqu’un, ne serait-ce même qu’une seule phrase, tu dois savoir que] cette personne est un messager de l’Ainsi-Venu4. »
Autrement dit, quiconque enseigne aux autres ne serait-ce qu’une phrase du 34Sūtra du Lotus est l’envoyé de l’Ainsi-Venu, qu’il s’agisse d’un moine ou d’une nonne, d’un laïc homme ou femme. Vous êtes un croyant laïc et donc l’un des « hommes de bien » décrit dans le Sūtra. Celui qui écoute ne serait-ce qu’une phrase de ce Sūtra et la grave au fond de son cœur est comme un bateau traversant l’océan des naissances et des morts. Le Grand Maître Miaole déclara : « Même une seule phrase profondément gravée dans notre cœur nous aidera immanquablement à atteindre l’autre rive. Méditer sur une phrase et la mettre en pratique revient à naviguer5. » Seul le bateau de Myōhō-renge-kyō nous permet de traverser l’océan des naissances et des morts.
Le Sūtra du Lotus évoque « quelqu’un trouvant un bateau pour effectuer la traversée6 ». Ce « bateau » pourrait faire l’objet de la description suivante : comme un constructeur de navires à la sagesse infiniment profonde, l’Honoré du monde à la Grande Illumination, seigneur des enseignements, rassembla le bois des quatre saveurs7 et des huit enseignements8, le rabota en éliminant clairement les enseignements provisoires, découpa et assembla les planches, réunissant aussi bien le correct que l’erroné9, et acheva l’ouvrage en enfonçant les clous du véritable enseignement suprême, comparable à la saveur du beurre clarifié (ghee)10. Puis il lança le bateau sur l’océan des naissances et des morts. Hissant les voiles des trois mille mondes sur le mât du véritable enseignement suprême de la Voie du Milieu [ou voie moyenne], poussé par le vent favorable de la « réalité ultime de tous les phénomènes11 », le bateau s’élance, avec à son bord tous ceux qui n’ont pu y « accéder que grâce à leur seule foi12 ». L’Ainsi-Venu Shakyamuni est à la barre, l’Ainsi-Venu Maints-Trésors largue les amarres et les quatre bodhisattvas menés par Pratiques-Supérieures actionnent les avirons grinçants, qui sont en aussi parfaite harmonie qu’une boîte et son couvercle. Voilà ce qu’est ce « bateau effectuant la traversée ». Ceux qui peuvent monter à bord sont les disciples, moines et laïcs de Nichiren. Croyez cela de tout votre cœur. Et, quand vous rendrez visite à Shijō Kingo, parlez, s’il vous plaît, sérieusement avec lui. Je vous enverrai de plus amples détails ultérieurement.
Avec mon profond respect,
Nichiren
Le vingt-huitième jour du quatrième mois
À Shiiji Shirō
Notes
1. Selon une légende chinoise, Shi Kuang était un musicien de Cour dont l’ouïe était si fine qu’il pouvait juger de la qualité d’une cloche nouvellement fondue alors que des musiciens ordinaires en étaient incapables. Quant à Li Lou, il avait un regard si perçant qu’il pouvait voir la pointe d’un cheveu à cent pas.
2. La Grande Concentration et Pénétration.
3. Sūtra du Lotus, chap. 2.
4. Ibid., chap. 10.
5. Annotations sur le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus. « L’autre rive » représente le nirvana, ou l’illumination, alors que la rive où nous vivons représente l’illusion.
6. Sūtra du Lotus, chap. 23.
7. Il s’agit des quatre premières parmi les cinq saveurs. Tiantai utilisa cette métaphore pour expliquer les cinq périodes de l’enseignement de Shakyamuni. Voir glossaire.
8. Système de classification des enseignements de Shakyamuni établi par Tiantai. Voir glossaire.
9. « Réunissant aussi bien le correct que l’erroné » signifie que le bien et le mal sont l’un et l’autre originellement inhérents à la vie. Les sūtras provisoires prétendent que les personnes mauvaises ne peuvent pas atteindre l’illumination, mais le Sūtra du Lotus révèle que même de telles personnes possèdent la nature de bouddha, en donnant l’exemple de Devadatta qui atteignit la bouddhéité.
10. Ghee : beurre clarifié auquel on compare le Sūtra du Lotus.
11. Sūtra du Lotus, chap. 2.
12. Ibid., chap. 3.