J’ai bien reçu le cordon1 de pièces de monnaie, le sac de riz blanc et le vêtement blanc que vous m’avez fait parvenir.
Collines et champs ondulants s’étendent sur plus de cent ri au sud de cette montagne. Au nord s’élève le mont Minobu, qui rejoint au loin les sommets du mont Shirane. À l’ouest se dresse une montagne abrupte qui porte le nom de Shichimen. La neige reste sur ces sommets durant toute l’année. Il n’y a pas la moindre habitation dans la région, excepté la mienne. Les uniques visites que je reçois, et elles sont rares, sont celles des singes qui se balancent à la cime des arbres. À mon grand regret, ils ne restent pas longtemps mais repartent rapidement d’où ils viennent. À l’est coulent les eaux vives de la rivière Fuji, semblables aux tourbillons de sable du désert. Il est tout à fait extraordinaire que vous ayez pu m’envoyer de temps à autre des lettres en ce lieu si inaccessible que les visiteurs y sont rares.
J’ai entendu dire que, pour être devenu mon disciple, l’érudit Nichigen, du Jissō-ji, fut chassé par ses propres disciples, moines et laïcs, et dut abandonner ses terres, si bien qu’il n’y a plus d’endroit où il soit chez lui2. Pourtant, il me rend encore visite et prend soin de mes disciples. Quel dévouement à la Voie ! Nichigen est un sage. Sur le plan de l’érudition bouddhique, il n’a pas son pareil. Il a rejeté tout désir de gloire et de fortune pour devenir mon disciple. Il a vécu les mots du Sūtra : « Nous n’épargnerons ni notre corps ni notre vie3. » Pour s’acquitter de sa dette de reconnaissance envers le Bouddha, il vous a instruit, vous ainsi que vos amis disciples, et vous a incité, vous, Matsuno, à faire ces offrandes sincères. Tout cela est vraiment merveilleux.
Le Bouddha a déclaré que, à l’époque de la Fin de la Loi, les moines et les nonnes aux cœurs semblables à ceux des chiens seraient aussi nombreux que les grains de sable du Gange4. Il voulait dire par là que les moines et les nonnes de notre époque seraient attachés à la gloire et à la fortune. Vêtus de robes et d’habits de moine, ils ont l’apparence de moines et de nonnes ordinaires. Mais, dans leur cœur, ils brandissent le sabre des positions erronées, se hâtant ici et là parmi leurs bienfaiteurs pour les combler d’innombrables mensonges de façon à les éloigner des autres moines ou nonnes. C’est ainsi qu’ils s’efforcent de garder leurs bienfaiteurs pour eux-mêmes et d’empêcher les autres moines et nonnes de les approcher. Ils sont pareils à un chien qui entre dans une maison en quête de nourriture, mais grogne et se lance à l’attaque dès que s’avance un autre chien. Il est certain que tous ces moines et nonnes tomberont, sans aucune exception, dans les voies mauvaises. En sa qualité d’érudit, Nichigen a dû lire ce passage de Sūtra. J’apprécie profondément la considération exceptionnelle [dont il fait preuve à mon égard] et les visites fréquentes qu’il me rend, à moi ainsi qu’à mes disciples.
Dans votre lettre, vous écrivez : « Depuis que j’ai adopté la foi dans ce Sūtra [le Sūtra du Lotus], sans la moindre négligence, je n’ai cessé de réciter5 les dix facteurs de la vie et la partie en vers du chapitre “Durée de la vie” ainsi que le Daimoku. Mais quelle différence y a-t-il entre les bienfaits obtenus par un sage qui récite le Daimoku et les bienfaits obtenus quand nous, nous le récitons ? » La réponse est que l’un n’est, en aucune façon, supérieur à l’autre. L’or détenu par un insensé ne diffère en rien de l’or détenu par un sage ; le feu allumé par un insensé est le même que le feu allumé par un sage.
Il y a cependant une différence si l’on récite le Daimoku en s’opposant à 761l’intention du Sūtra. Il existe diverses étapes dans la pratique de ce Sūtra [et donc, diverses formes de calomnies]. Résumons-les en citant le cinquième volume des Annotations sur le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus : « En ce qui concerne les différentes sortes de maux, il est seulement dit dans le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus : “Propagez parmi les sages mais non parmi les insensés6.” Un érudit7 énumère ainsi les différentes sortes de maux : “Je ferai d’abord la liste des mauvaises causes, puis celle de leurs effets. Les mauvaises causes sont au nombre de quatorze : (1) l’arrogance, (2) la négligence, (3) les vues erronées concernant le soi, (4) une compréhension superficielle, (5) l’attachement aux désirs terrestres, (6) l’absence de compréhension [due au contentement de soi], (7) l’absence de foi, (8) une attitude renfrognée, (9) les doutes, (10) la calomnie de la Loi, (11) le mépris [de ceux qui ont la foi], (12) la haine [de ceux qui ont la foi], (13) la jalousie [vis-à-vis des pratiquants] et (14) la rancune [vis-à-vis des pratiquants]”. » Puisque ces quatorze oppositions concernent également les moines et les laïcs, vous devez être vigilant à leur égard.
Le bodhisattva Jamais-Méprisant des temps anciens a dit que tous les êtres ordinaires avaient la nature de bouddha et que, s’ils adoptaient le Sūtra du Lotus, ils atteindraient sans aucun doute la bouddhéité. Plus encore, il déclara que manquer d’égard envers une personne, c’était manquer d’égard envers le Bouddha lui-même. Sa pratique consistait donc à révérer tous les êtres humains. Il révérait même ceux qui n’adoptaient pas le Sūtra du Lotus parce qu’ils avaient aussi la nature de bouddha et pourraient un jour croire dans le Sūtra. Il est donc encore plus naturel de révérer ces moines et ces laïcs qui pratiquent effectivement ce Sūtra.
Il est dit dans le quatrième volume du Sūtra du Lotus que si quelqu’un prononçait ne serait-ce qu’un seul mot d’insulte ou de calomnie envers les laïcs, moines ou nonnes qui gardent et prêchent le Sūtra du Lotus, alors sa faute serait encore plus grave que celle qui consiste à insulter le bouddha Shakyamuni en sa présence pendant toute la durée d’un kalpa8. Il est dit aussi dans le Sūtra du Lotus : « [Quiconque voit une personne accepter et garder ce Sūtra et tente de la calomnier ou de révéler ses fautes], que ce qu’il dise soit vrai ou non, [il sera affligé de la lèpre blanche en cette existence]9. » Gravez ces enseignements dans votre cœur et n’oubliez jamais que les croyants du Sūtra du Lotus devraient absolument être les derniers à se nuire les uns aux autres. Tous ceux qui gardent la foi dans le Sūtra du Lotus sont très certainement bouddhas et celui qui calomnie un bouddha commet une faute grave.
Si l’on récite le Daimoku en gardant à l’esprit qu’il n’y a pas de distinction entre ceux qui croient dans le Sūtra du Lotus, alors les bienfaits obtenus équivaudront à ceux du bouddha Shakyamuni. Il est dit dans un commentaire : « Les êtres et l’environnement de l’enfer Avīci se trouvent également dans la vie du plus grand des sages [le Bouddha] et, mieux encore, la vie et l’environnement du [bouddha] Vairochana ne transcendent jamais la vie des hommes du commun10. » Vous pouvez deviner le sens des quatorze oppositions à la lumière de ces citations.
Que vous m’interrogiez à propos des enseignements bouddhiques montre que vous vous préoccupez sincèrement de votre vie prochaine. Il est dit dans le Sūtra du Lotus : « (...) la personne capable d’écouter une telle Loi est tout aussi difficile à rencontrer11. » Si le véritable envoyé du Bouddha n’apparaît pas en ce monde, qui pourra exposer ce Sūtra en parfait accord avec l’intention du Bouddha ? De plus, ceux qui s’interrogent sur le sens du Sūtra dans le but de dissiper leurs doutes afin d’y croire de tout leur cœur semblent très rares. Vous devriez poser des questions sur le sens du Sūtra à celui, aussi humble soit-il, dont la 762sagesse est, ne serait-ce qu’un peu supérieure à la vôtre. Mais, en notre époque mauvaise, les êtres ordinaires sont si arrogants, si remplis de préjugés, si attachés à la gloire et au profit, qu’ils redoutent d’être méprisés des autres en devenant disciples d’une personne humble ou en tentant d’apprendre d’elle. Ils ne se départissent jamais de cette attitude erronée, si bien qu’ils semblent voués aux voies mauvaises.
Il est dit dans le chapitre “Le maître de la Loi” que si vous faites des offrandes au moine qui enseigne le Sūtra du Lotus et écoutez ses enseignements, ne serait-ce qu’un instant, vous connaîtrez la joie parce que vous pourrez obtenir des bienfaits encore plus grands que celui qui offre d’incommensurables trésors au Bouddha pendant une durée de quatre-vingts millions de kalpa12.
Même un ignorant peut obtenir des bienfaits en servant quelqu’un qui enseigne le Sūtra du Lotus. Qu’il s’agisse d’un démon ou d’un animal, si un être proclame ne serait-ce qu’une seule phrase du Sūtra du Lotus, vous devriez le respecter comme s’il s’agissait du Bouddha. C’est ce que signifie ce passage du Sūtra : « Tu devras te lever et le saluer de très loin, en lui montrant autant de respect que s’il s’agissait d’un bouddha13. » Vous devriez vous respecter mutuellement, comme Shakyamuni et Maints-Trésors au cours de la cérémonie14 décrite dans le chapitre “L’apparition de la Tour aux trésors”.
Le moine Sammi-bō est peut-être de basse condition, mais, puisqu’il peut expliquer, ne serait-ce qu’un peu, les enseignements du Sūtra du Lotus, vous devriez le respecter comme s’il s’agissait du Bouddha et l’interroger sur les enseignements. « S’appuyer sur la Loi et non sur les personnes15 », telle devrait être votre devise.
Il y a fort longtemps, dans les montagnes Neigeuses, vivait un jeune homme que l’on appelait le garçon Montagnes-Neigeuses. Il ramassait des fougères et des fruits secs pour survivre, se confectionnait des vêtements en peau de daim pour habiller son corps, et pratiquait paisiblement la Voie du Bouddha. En observant constamment le monde avec la plus grande attention, le garçon finit par comprendre que rien n’est permanent et que tout change. Tout ce qui naît est voué à mourir. Ce monde ennuyeux est aussi fugace qu’un éclair, que la rosée du matin qui s’évapore au soleil, qu’une lampe aisément soufflée par le vent, ou que les fragiles feuilles de plantain qui se cassent si facilement.
Nul ne peut échapper à cette impermanence. À la fin, chacun doit entreprendre le voyage au ténébreux pays de la mort. Quand nous imaginons ce voyage vers l’autre monde, nous pressentons l’obscurité la plus totale. Là ne brillent ni la lumière du soleil, ni celle de la lune ou des étoiles ; et pas la moindre flamme pour allumer une torche. Le long de cette route sombre, il n’est personne pour nous tenir compagnie. Dans le monde saha, nous sommes entourés de nos parents et des autres membres de notre famille, frères et sœurs, épouse et enfants, ainsi que de nos serviteurs. Les pères peuvent faire preuve d’une noble compassion et les mères d’une sympathie profonde et affectueuse. Mari et femme peuvent être aussi fidèles que deux crevettes dans la mer qui font le vœu de partager le même trou et ne se séparent jamais tout au long de leur vie. Pourtant, même s’ils disposent leurs oreillers côte à côte et se divertissent ensemble sous des édredons ornés de canards mandarins16, mari et femme ne pourront en aucun cas se retrouver ensemble pour ce voyage vers le pays des ténèbres. Quand vous voyagerez seul, dans une obscurité totale, qui viendra vous encourager ?
Bien qu’anciens et jeunes résident tous dans le monde de l’incertitude, il est dans l’ordre naturel que les aînés meurent en premier et que les jeunes restent encore un peu. Lorsque cela se produit, malgré notre peine, nous pouvons trouver une cause 763de consolation. Il arrive cependant que ce soient les plus vieux qui restent et les plus jeunes qui meurent en premier. Rien n’inspire plus d’amertume et de ressentiment qu’un jeune enfant mourant avant ses parents. Nul n’est plus profondément désespéré que des parents précédés par leurs enfants dans la mort. Les êtres humains vivent en ce monde éphémère où tout est incertitude et impermanence et pourtant, jour et nuit, ils ne pensent qu’à la fortune qu’ils pourront accumuler en cette vie. De l’aube au crépuscule, ils se concentrent sur les affaires de ce monde et ne révèrent pas le Bouddha, pas plus qu’ils n’ont foi dans la Loi. Ils ne font aucun cas de la pratique bouddhique et manquent de sagesse, laissant leurs jours s’écouler dans l’oisiveté. Et quand ils meurent et se retrouvent devant le tribunal de Yama, le seigneur de l’Enfer, quelles provisions peuvent-ils emporter pour leur long voyage à travers le monde des trois plans ? Quel bateau ou radeau peuvent-ils utiliser pour traverser l’océan des souffrances des naissances et des morts jusqu’à la Terre de la rétribution réelle, celle de la lumière paisible ? L’égarement est pareil à un rêve. Et l’illumination est comme l’éveil. Avec cette pensée à l’esprit, le garçon Montagnes-Neigeuses décida de sortir du rêve du monde transitoire pour rechercher la réalité de l’illumination. Il se retira donc dans les montagnes et s’absorba dans une profonde méditation, balayant la poussière des illusions et de la confusion, dans sa quête résolue de l’enseignement bouddhique.
Du haut du ciel, le dieu Shakra observait tout en bas le garçon Montagnes-Neigeuses. Il se dit : « Il y a quantité de bébés poissons mais rares sont ceux qui se développent jusqu’à devenir grands. Le manguier fleurit abondamment mais rares sont les fleurs qui se changent en fruits. De la même manière, nombreux sont les êtres humains qui aspirent à l’illumination, mais seuls quelques-uns poursuivent leur pratique et atteignent la véritable Voie. Chez les hommes du commun, l’aspiration à l’illumination est souvent entravée par les mauvaises influences et vacille facilement selon les circonstances ; nombreux sont les guerriers en armures, mais rares sont ceux qui vont sans crainte au combat. Allons tester la détermination de ce jeune homme. » Alors, Shakra se déguisa en démon et apparut près du garçon.
En ce temps-là, le Bouddha n’avait pas encore fait son apparition en ce monde et, bien que le garçon Montagnes-Neigeuses ait recherché partout les écrits du Grand Véhicule, il n’avait rien pu découvrir. C’est alors qu’il entendit une voix presque imperceptible : « Tout est changeant, rien n’est constant. Telle est la loi des naissances et des morts. » Le jeune homme regarda tout autour de lui, étonné, mais il n’y avait personne en vue, sinon un démon qui se trouvait non loin de là. Il était d’apparence cruelle et hideuse ; ses cheveux étaient dressés sur sa tête comme des flammes et les dents dans sa bouche ressemblaient à des sabres, tandis que ses yeux fixaient le garçon avec une expression furieuse. À sa vue, le garçon n’éprouva pourtant aucune crainte. Il était si joyeux d’avoir l’occasion d’entendre un enseignement bouddhique qu’il ne se posa pas la moindre question. Il était comme un veau séparé de sa mère qu’il entend meugler faiblement. « Qui a prononcé ce verset ? Il doit y avoir une suite ! » pensa-t-il, et, une nouvelle fois, il chercha autour de lui, mais toujours personne en vue. Il se demanda alors si le verset en question n’avait pas été récité par le démon. Mais, à bien y réfléchir, cela lui parut impossible car le démon avait dû naître démon en rétribution de quelque mauvais acte passé. Ce verset était certainement un enseignement du Bouddha, et il allait de soi qu’il n’aurait pu sortir de la bouche d’un vulgaire démon. Cependant, comme il n’y avait personne d’autre, il demanda : « Est-ce vous qui avez prononcé ce verset ? » « Ne me parle 764pas ! » répondit le démon. « Je n’ai rien mangé depuis des jours. Je suis affamé, épuisé, et je suis incapable de penser correctement. J’ai peut-être tenu des propos insensés mais, dans l’état d’hébétude qui est le mien, je ne m’en souviens même plus. »
« Pour moi, n’entendre que la moitié de ce verset, dit le garçon, c’est comme ne voir que la moitié de la lune ou n’obtenir que la moitié d’un joyau. C’est certainement vous qui avez parlé et je vous supplie donc de m’enseigner la seconde moitié. » Le démon répondit, sarcastique : « Tu es déjà éveillé et tu ne devrais donc éprouver aucun ressentiment, même si tu n’entends pas la seconde moitié du verset. Je meurs de faim et n’ai pas la force de parler. Alors tais-toi donc ! »
« Pourriez-vous m’instruire si vous obteniez de quoi manger ? » demanda le garçon. « Si j’avais à manger, je le pourrais », fit le démon. Le garçon s’exalta : « Dans ce cas, quel genre de nourriture vous faut-il ? » Mais le démon répondit : « Ah ! Restons-en là ! Tu serais certainement horrifié si tu apprenais ce que je mange. En plus, tu ne pourrais même pas me l’apporter. »
Le garçon Montagnes-Neigeuses insista encore : « Si vous voulez bien me dire simplement ce que vous désirez, j’essaierai de vous le trouver. » Le démon répondit : « Je ne me nourris que de la chair tendre des êtres humains et ne bois que leur sang chaud. Je m’envole très loin, dans les airs, en quête de nourriture, mais les êtres humains sont protégés par les bouddhas et les divinités de sorte que, même quand je veux les tuer, cela m’est impossible. Je ne peux tuer et dévorer que ceux que les bouddhas et les divinités ont abandonnés. »
En entendant cela, le garçon décida d’offrir son propre corps pour la Loi, de façon à entendre le verset dans son intégralité. « Votre nourriture est ici même, dit-il. Nul besoin d’aller [chercher] plus loin. Puisque je suis vivant, ma chair est chaude et, par conséquent, mon sang l’est aussi. Je vous demande donc de m’enseigner la suite du verset et, en échange, je vous offrirai mon corps. » De plus en plus furieux, le démon demanda : « Comment pourrais-je croire à tes paroles ? Une fois que je t’aurai enseigné la suite du verset, qui pourrai-je prendre à témoin afin de m’assurer que tu tiendras ta promesse ? »
Le garçon répondit : « Ce corps qui est le mien est mortel. Mais, si je donne ma vie pour la Loi, en rejetant ce corps vil qui, dans le cas contraire, mourrait en vain, dans la prochaine vie j’atteindrai certainement l’illumination et deviendrai bouddha. Je recevrai un corps pur et merveilleux. Ce sera comme rejeter un ustensile en terre pour recevoir en échange un récipient précieux. Je demande à Brahma et à Shakra, aux quatre rois célestes, et aux bouddhas et bodhisattvas des dix directions de tenir lieu de témoins. Il serait inconcevable que je vous trompe en leur présence. »
Quelque peu radouci, le démon annonça : « Si ce que tu dis est vrai, je t’enseignerai la suite du verset. » Le garçon Montagnes-Neigeuses exulta et, ôtant son vêtement en peau de daim, l’étendit pour que le démon puisse s’asseoir dessus pendant qu’il enseignait. Puis le garçon s’agenouilla, se prosterna au sol et, joignant les mains en signe de révérence, dit : « Je vous demande instamment de m’enseigner la suite de ce verset. » Tels furent les termes respectueux avec lesquels il s’adressa du fond du cœur au démon. Après s’être assis sur la peau de daim, le démon récita ces mots : « En mettant un terme au cycle des naissances et des morts, on entre dans la joie du nirvana. » En entendant cela, le garçon fut empli de joie, et ressentit pour ce verset une vénération illimitée. Déterminé à s’en souvenir dans sa prochaine vie, il le répéta encore et encore, et le grava profondément dans son cœur.
Méditatif, il se dit en lui-même : « Quelle joie ! Ce verset [bien que 765provenant d’un démon] ne diffère en rien de l’enseignement du Bouddha mais, en même temps, je déplore d’être le seul à l’avoir entendu et de ne pouvoir le transmettre à d’autres. » Sur ce, il grava le verset sur des pierres, des falaises et des arbres le long de la route et pria pour que ceux qui, par la suite, passeraient par là, en comprennent le sens et entrent finalement sur la vraie Voie. Cela fait, il se hissa sur la cime d’un grand arbre et se jeta aux pieds du démon. Mais, avant qu’il ait atteint le sol, le démon reprit sa forme originelle de Shakra, attrapa le garçon et le déposa doucement à terre. S’inclinant devant lui avec révérence, le dieu dit : « Afin de te tester, j’ai dissimulé un temps l’enseignement de l’Ainsi-Venu, suscitant ainsi de l’anxiété dans le cœur d’un bodhisattva. J’espère que tu pardonneras ma faute et que tu ne manqueras pas de me sauver dans ma prochaine vie. »
Puis tous les êtres célestes se réunirent pour louer le garçon Montagnes-Neigeuses en disant : « Excellent, excellent ! Il s’agit vraiment d’un bodhisattva. » En rejetant son corps pour écouter la moitié d’un verset, le bodhisattva put éradiquer les fautes qui le condamnaient à demeurer pendant douze kalpa dans le cycle des souffrances des naissances et des morts [et il atteignit l’illumination]. Son histoire est narrée dans le Sūtra du Nirvana.
Par le passé, le garçon Montagnes-Neigeuses fut prêt à donner sa vie pour n’entendre que la moitié d’un verset. Nous devrions être d’autant plus reconnaissants d’entendre un chapitre, voire un volume du Sūtra du Lotus ! Comment pourrions-nous seulement nous acquitter d’un tel bienfait ? Si vous vous souciiez de votre prochaine vie, vous devriez prendre ce bodhisattva pour exemple. Même si vous êtes peut-être trop pauvre pour offrir quoi que ce soit de précieux, si vous avez l’occasion de renoncer à votre vie pour acquérir la Loi du Bouddha, vous devriez en faire don afin de poursuivre votre quête de la Loi.
En définitive, ce corps qui est le nôtre finira par n’être rien de plus que le sol des collines et des champs. C’est pourquoi il ne faut pas donner votre vie à contrecœur car, même si vous le souhaitiez, vous ne pourriez pas la conserver toujours. Même ceux qui vivent longtemps dépassent rarement l’âge de cent ans. Et tous les événements d’une vie sont comme le rêve d’une courte sieste. Même si une personne peut avoir assez de chance pour naître en tant qu’être humain et pour quitter la maison [afin de devenir moine], si elle n’étudie pas l’enseignement bouddhique pour réfuter ses adversaires mais passe simplement son temps entre oisiveté et bavardages, alors cette personne n’est rien de plus qu’une bête vêtue d’habits de moines. Elle peut se qualifier de moine et gagner ainsi sa vie, mais ne mérite en aucun cas d’être considérée comme un véritable moine. Elle n’est rien de plus qu’un voleur qui en a usurpé le titre. C’est vraiment honteux et effrayant !
Dans l’enseignement théorique du Sūtra du Lotus, il est un passage où l’on lit : « Nous n’épargnerons ni notre corps ni notre vie car seule nous préoccupe la Voie inégalée17. » Et l’on trouve dans un autre passage de l’enseignement essentiel : « Sans hésitation aucune, même au péril de leur vie18. » Il est dit dans le Sūtra du Nirvana : « Notre corps est insignifiant alors que la Loi est suprême. Il faut donner sa vie afin de propager la Loi19. » Ainsi, aussi bien à travers l’enseignement théorique et l’enseignement essentiel du Sūtra du Lotus qu’à travers le Sūtra du Nirvana, tout indique qu’il faut donner sa vie pour propager la Loi. C’est une grave faute que d’aller à l’encontre de ces injonctions et, bien qu’invisibles à l’œil nu, ces erreurs, en s’accumulant, finissent par entraîner notre chute en enfer. C’est comme la chaleur ou le froid, qui n’ont ni forme ni apparence perceptibles à l’œil nu. Cependant, en hiver, le froid s’attaque aux arbres et aux herbes, aux êtres humains et aux bêtes sauvages 766et, en été, la chaleur tourmente les gens et les animaux.
En tant que laïc, l’important pour vous est de réciter résolument Nam-myōhō-renge-kyō et de soutenir les moines. Si nous nous en tenons aux termes du Sūtra du Lotus, vous devriez aussi enseigner le Sūtra au mieux de vos capacités. Si vous vous sentez découragé devant la réalité du monde, vous devriez réciter Nam-myōhō-renge-kyō en vous rappelant que, bien que les souffrances endurées en cette vie soient pénibles, celles de la vie prochaine pourraient être bien pires. Et quand vous êtes heureux, vous devriez vous rappeler que le bonheur en cette vie n’est qu’un rêve à l’intérieur d’un rêve et que le seul vrai bonheur se trouve dans la Terre pure du pic de l’Aigle. Avec cette pensée à l’esprit, récitez Nam-myōhō-renge-kyō. Poursuivez votre pratique sans jamais l’abandonner jusqu’au dernier instant de votre vie et, le moment venu, regardez ! Quand vous gravirez la montagne de l’illumination parfaite et regarderez autour de vous dans toutes les directions, vous verrez, à votre grand étonnement, que le monde des phénomènes dans sa totalité est la Terre de la lumière paisible. Le sol sera en lapis-lazuli et les huit voies20 seront séparées par des cordes d’or. Quatre sortes de fleurs21 tomberont des cieux et la musique retentira dans les airs. Tous les bouddhas et bodhisattvas seront présents, pleins de joie, caressés par les brises de l’éternité, du bonheur, du véritable soi et de la pureté. Le temps vient à grands pas où nous serons aussi parmi eux. Mais si notre foi est faible, nous n’atteindrons jamais ce lieu merveilleux. Si vous avez encore des questions, je suis prêt à les entendre.
Avec tout mon respect,
Nichiren
Le neuvième jour du douzième mois de la deuxième année de Kenji [1276], signe cyclique de hinoe-ne
Réponse à Matsuno