J’ai bien reçu les cinq mille pièces de monnaies vertes à œil-de-canard1 que vous m’avez fait parvenir.
Le premier des cinq préceptes consiste à ne pas ôter la vie, et le premier des six paramita est celui du don. Les dix préceptes de bien, les deux cent cinquante préceptes, les dix préceptes majeurs, et toutes les autres règles de conduite commencent par l’interdiction d’ôter la vie.
Pour chaque être, du plus grand sage au plus infime moustique ou moucheron, la vie est le bien le plus précieux. Ôter la vie à un être, c’est [donc] commettre la plus grave de toutes les fautes.
Quand l’Ainsi-Venu apparut en ce monde, il se fonda sur la compassion envers tout ce qui vit. Et, pour exprimer sa compassion envers la vie, s’abstenir de prendre la vie et pourvoir à la subsistance des êtres vivants sont les préceptes les plus importants.
En donnant à un autre de quoi subsister, on obtient trois sortes de bienfaits. Premièrement, on assure sa propre vie. Deuxièmement, le visage prend des couleurs. Troisièmement, on acquiert de la force.
« Assurer sa propre vie » signifie naître dans le monde humain ou céleste et obtenir la rétribution karmique d’une grande longévité. En devenant bouddha, on prend la forme de l’Ainsi-Venu du Corps du Dharma, corps aussi vaste que l’espace.
Puisqu’on « acquiert de la force », en naissant dans le monde humain ou céleste, on devient une personne de vertu et d’influence, attirant de nombreux disciples. En devenant bouddha, on prend la forme de l’Ainsi-Venu du Corps de rétribution, résidant sur un piédestal de lotus où l’on brille comme la pleine lune dans le ciel clair de la quinzième nuit du huitième mois.
Et puisque « le visage prend des couleurs », en naissant dans le monde humain ou céleste, on acquiert les trente-deux signes principaux et l’on devient aussi gracieux et plein de dignité qu’une fleur de lotus. En devenant bouddha, on prend la forme de l’Ainsi-Venu du Corps de manifestation et l’on finit par ressembler au bouddha Shakyamuni.
Si nous nous interrogeons sur l’origine du mont Sumeru, nous découvrons qu’il commença par un seul grain de poussière ; de même, le grand océan commença par une seule goutte d’eau. Un ajouté à un devient deux, deux devient trois, et ainsi de suite jusqu’à dix, cent, mille, dix mille, cent mille ou un asamkhya2. Pourtant, « un » est la mère de tout.
Venons-en aux débuts de la propagation de la Loi du bouddha au Japon. Après les sept règnes des divinités célestes et les cinq règnes des divinités terrestres, commencèrent les cent règnes des souverains humains, le premier étant celui de l’empereur Jimmu3. À l’époque de l’empereur Kimmei [539-571], trentième souverain à partir de Jimmu, plusieurs sūtras bouddhiques ainsi qu’une statue du bouddha Shakyamuni furent introduits au Japon par quelques moines et nonnes en provenance du royaume de Baekje.
Puis le prince Jōgū, fils de l’empereur Yōmei [585-587], entreprit d’étudier les écrits bouddhiques. Il se fit rapporter de Chine une copie du Sūtra du Lotus, écrivit un commentaire de ce texte et s’efforça de propager ses enseignements.
Par la suite, à l’époque de l’empereur Kōtoku [655-661], trente-septième souverain, le supérieur des moines Kanroku implanta au Japon les écoles Sanron et Jōjitsu, en provenance du royaume de Silla. Durant la même période, un moine nommé Dōshō introduisit de Chine les écoles Hossō et Kusha, et le précepteur Shinjō introduisit l’école Kegon.
Sous le règne de l’impératrice Genshō [715-724], quarante-quatrième souverain, un vénérable moine4 de l’Inde introduisit le Sūtra de Mahavairochana et, à l’époque du quarante-cinquième souverain, l’empereur 673Shōmu [724-749], le révérend Ganjin arriva de Chine et introduisit l’école Ritsu au Japon. Il apporta en même temps des œuvres de l’école Tendai dont le Sens profond du Sūtra du Lotus, le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus, La Grande Concentration et Pénétration, des commentaires sur le Sūtra de l’enseignement de Vimalakirti. Mais il ne propagea pas les enseignements de l’école Shingon et de l’école du Lotus [Tiantai].
Sous le règne de l’empereur Kammu [781-806], cinquantième souverain, vécut un jeune moine appelé Saichō, qui fut connu plus tard sous le nom de Grand Maître Dengyō. Avant de se rendre dans la Chine des Tang, il passa quinze ans à étudier par lui-même les écrits et commentaires des écoles Shingon et Tiantai. Par la suite, le septième mois de la vingt-troisième année de l’ère Enryaku (804), il fit voile vers la Chine. Il revint au Japon le sixième mois de l’année suivante et forma aussitôt aux enseignements des écoles Tiantai et Shingon plusieurs dizaines de moines érudits des sept temples majeurs de Nara.
Quatre cents ans se sont écoulés depuis. Cela fait plus de sept cents ans que les enseignements bouddhiques ont été introduits au Japon. Dans cet intervalle, certains exhortèrent la population à invoquer le nom du bouddha Amida, d’autres celui de Mahavairochana, ou celui de Shakyamuni. Mais nul n’a jamais exhorté à réciter Nam-myōhō-renge-kyō, le Daimoku [ou titre] du Sūtra du Lotus.
Cela n’est pas seulement le cas du Japon. En Inde, durant les mille ans suivant la disparition du Bouddha, de grands érudits tels que Mahakashyapa, Ananda, Ashvaghosha, Nagarjuna, Asanga et Vasubandhu s’employèrent à propager les enseignements bouddhiques dans l’ensemble des cinq régions du pays. Et, dans les premiers siècles qui suivirent l’introduction des enseignements bouddhiques en Chine, des personnes telles que Kashyapa Matanga, Zhu Falan, le Maître des Trois Corbeilles Kumarajiva, Nanyue, Tiantai et Miaole écrivirent des commentaires et exposèrent les enseignements des sūtras. Mais aucun d’eux n’incita à réciter le Daimoku du Sūtra du Lotus comme ce fut le cas pour le nom d’Amida. Ils se contentèrent de le réciter en privé ou de l’invoquer seuls lors de leurs enseignements sur le Sūtra du Lotus.
Les enseignements des « huit écoles » et des « neuf écoles »5 diffèrent les uns des autres mais, de manière générale, nous découvrons que, dans la majorité des cas, les fondateurs et les maîtres de ces écoles invoquaient le nom d’Amida. Puis, [parmi les maîtres vénérant d’autres bouddhas], on trouve par ordre décroissant ceux qui invoquèrent le nom de Sensible-aux-Sons-du-Monde, suivis de ceux qui invoquaient le nom du bouddha Shakyamuni, puis de ceux qui invoquaient le nom de Mahavairochana, de Maître-de-la-Médecine ou d’autres. Mais, pour une raison qu’on ignore, nul ne récita le Daimoku du Sūtra du Lotus, cœur même et essence des enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant.
Vous devriez sérieusement vous demander quelle en est la raison. Un médecin de talent, par exemple, peut percevoir les causes de toutes sortes de maladies ainsi que l’efficacité relative de divers médicaments, mais il s’abstient néanmoins d’employer sans discernement le médicament le plus puissant et emploie au contraire d’autres remèdes, en fonction de la maladie. Ainsi, durant les deux mille ans suivant la disparition du Bouddha, qui forment les époques de la Loi correcte et de la Loi formelle, la maladie des désirs terrestres n’avait peut-être pas atteint le seuil critique. Peut-être était-ce pour cela que nul ne poussa à l’adoption des cinq caractères de Myōhō-renge-kyō, qui constitue pourtant le meilleur médicament parmi tous les enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant. Mais nous sommes maintenant entrés dans l’époque de la Fin de la Loi et les gens souffrent tous d’une maladie grave. 674Cette maladie peut difficilement être guérie par des médicaments aussi légers que les invocations d’Amida, de Mahavairochana ou de Shakyamuni.
La lune est certes belle, mais c’est seulement à l’automne que l’on peut la voir briller dans toute sa splendeur. Les fleurs de cerisiers sont certes magnifiques, mais elles ne s’ouvrent qu’au printemps. Tout dépend du moment. Puisqu’il en est ainsi, ne peut-on pas supposer que, durant les deux mille ans des époques de la Loi correcte et de la Loi formelle, le moment n’était pas encore venu de propager le Daimoku du Sūtra du Lotus ?
De plus, ce sont les messagers du Bouddha qui propagent ses enseignements. Ces disciples du Bouddha ont reçu de lui différentes doctrines. Ainsi, les érudits apparus durant les mille ans de l’époque de la Loi correcte, et les maîtres apparus durant les mille ans de l’époque de la Loi formelle étaient pour la plupart des personnes à qui avaient été confiés l’enseignement du Hinayana, les enseignements provisoires du Mahayana, l’enseignement théorique ou d’autres doctrines du Sūtra du Lotus. Le bodhisattva Pratiques-Supérieures, à qui fut confié le Daimoku, essence de l’enseignement essentiel, n’était pas encore apparu dans le monde.
Il va apparaître maintenant, à l’époque de la Fin de la Loi, et propagera les cinq caractères de Myōhō-renge-kyō dans tous les pays et à tous les peuples de tout le Jambudvipa. Il est certain que cette pratique se propagera, de même que l’invocation du nom d’Amida s’est répandue dans tout le Japon à l’heure actuelle.
Moi, Nichiren, je ne suis le fondateur d’aucune école, ni, en cette époque de la Fin de la Loi, le disciple d’une école plus ancienne. Je suis un moine qui, n’ayant pas de préceptes, ne les garde pas davantage qu’il ne les enfreint. Je suis un être ordinaire, pareil à un bœuf ou à un mouton, ni particulièrement sage, ni particulièrement ignorant.
Pourquoi ai-je ainsi commencé à réciter comme je le fais ? C’est le bodhisattva Pratiques-Supérieures qui est voué à faire son apparition en ce monde pour propager les cinq caractères de Myōhō-renge-kyō. Mais, avant même son apparition, j’ai commencé, comme dans un rêve, dans un état de demi-conscience, à prononcer les mots Nam-myōhō-renge-kyō, et c’est ce que je récite désormais. Est-ce finalement une bonne ou une mauvaise chose ? Je ne le sais pas, et personne ne peut le dire de manière certaine.
Quand j’ouvre le Sūtra du Lotus et le lis respectueusement, je vois que même les bodhisattvas Manjusri, Maitreya, Sensible-aux-Sons-du-Monde et Sagesse-Universelle, qui avaient atteint le stade de l’illumination presque parfaite, ont pu difficilement garder ne serait-ce qu’une simple phrase de ce Sūtra parce qu’il est dit dans le Sūtra même que [la réalité ultime] « ne peut être comprise et partagée que par des bouddhas6 ».
C’est dans le Sūtra de la Guirlande de fleurs que fut exposé pour la première fois l’enseignement subit, enseigné juste après l’illumination du Bouddha. Il concrétise l’enseignement complet et parfait ; pourtant, c’est aux quatre bodhisattvas, notamment à Sagesse-du-Dharma, de l’exposer7. Sans être au même niveau que le Sūtra de la Guirlande de fleurs, les sūtras de la Sagesse représentent néanmoins les plus élevés des autres sūtras enseignés jusqu’alors par le Bouddha. Et c’est pourtant à Subhuti8 que fut confiée la tâche de les exposer.
Seul le Sūtra du Lotus représente le merveilleux enseignement sorti directement de la bouche d’or du bouddha Shakyamuni, qui est parfaitement doté des Trois Corps. C’est pourquoi même Sagesse-Universelle et Manjusri auraient eu bien du mal à en exposer une seule phrase. Il est donc d’autant plus difficile pour nous, simples hommes du commun vivant en cette époque de la Fin de la Loi, de garder ne serait-ce qu’un ou deux mots de ce Sūtra !
Puisque les fondateurs des diverses écoles lisent le Sūtra du Lotus, leurs disciples 675respectifs supposèrent tous que leur maître avait saisi le cœur de ce Sūtra. Cependant, si nous allons au fond des choses, nous découvrons que le Grand Maître Cien a lu le Sūtra du Lotus en faisant du Sūtra des profonds secrets et du Traité sur la doctrine du rien-que-conscience ses maîtres, et que le grand Maître Jiaxiang a lu le Sūtra du Lotus en faisant des sūtras de la Sagesse et du Traité sur la Voie du Milieu ses maîtres. Des hommes comme Dushun et Fazang ont lu le Sūtra du Lotus en faisant du Sūtra de la Guirlande de fleurs et du Commentaire sur le Sūtra des dix étapes leurs maîtres. Et Shanwuwei, Jingangzhi et Bukong ont lu le Sūtra du Lotus en faisant du Sūtra de Mahavairochana leur maître. Tous ces hommes pensaient avoir lu le Sūtra du Lotus. En fait, ils n’en avaient pas lu une seule phrase, pas un seul mot.
C’est à cela que se réfèrent ces paroles du Grand Maître Dengyō : « Bien qu’il fasse l’éloge du Sūtra du Lotus, il en détruit le cœur9. » Ils étaient comme des non-bouddhistes qui, lisant les sūtras bouddhiques, pensent qu’ils sont identiques à des enseignements non bouddhiques, ou comme des chauves-souris qui, dans leur cécité, confondent le jour et la nuit. On pourrait aussi les comparer à un homme au visage rouge qui, lorsqu’il se regarde dans un miroir bien clair, s’imagine que le miroir est rouge, ou comme un homme au visage rond qui, voyant son reflet sur la lame étroite d’un sabre, pense que son visage est long et mince.
Mais je suis différent des personnes de ce genre. Je garde fermement l’enseignement selon lequel le Sūtra du Lotus est le plus important des sūtras que le Bouddha a prêchés, prêche ou prêchera10. De plus, je récite le Daimoku, qui est le cœur et l’essence de tout le Sūtra, et j’exhorte les autres à faire de même. Même si l’armoise poussant dans un champ de chanvre ou le bois désigné pour la coupe par une ligne tracée à l’encre11 ne sont pas droits à l’origine, ils le deviendront tout naturellement.
De la même façon, celui qui récite le Daimoku comme le Sūtra du Lotus l’enseigne n’aura jamais l’esprit déformé. Il faut en effet savoir que, si l’esprit du Bouddha n’entre pas dans notre corps, nous ne pourrons pas en fait réciter le Daimoku.
Les enseignements bouddhiques que les autres propagent sont toujours ceux qu’ils ont appris et reçus de leurs maîtres respectifs. Ils sont comme les fiefs détenus par les proches vassaux du clan de Kamakura qui est au pouvoir, ou comme les domaines administrés par les intendants des provinces. Même si leurs terres ne mesurent peut-être qu’un ou deux chō12, ils les doivent toujours à une faveur du regretté shōgun13. Ceux dont les terres mesurent cent ou mille chō, qui ont la taille de toute une province ou qui sont l’équivalent de deux provinces entières sont donc d’autant plus endettés à son égard !
Celui qui transmet les doctrines d’un bon maître est qualifié de personne vertueuse. Celui qui s’éveille à la vérité par lui-même, sans l’aide d’un maître, est qualifié de sage. Dans les terres de l’Inde, de la Chine et du Japon, depuis la disparition du Bouddha, il y a eu deux sages. Il s’agit de Tiantai et de Dengyō. Ces deux hommes méritent d’être qualifiés de sages.
Ils méritent aussi d’être qualifiés de personnes vertueuses. Le Grand Maître Tiantai a transmis les doctrines de Nanyue ; en ce sens, c’était un homme vertueux. Mais, sur le lieu de méditation, il s’est aussi éveillé par lui-même au véhicule suprême de la bouddhéité ; en ce sens, c’était un sage.
De même, le Grand Maître Dengyō fut formé aux enseignements sur la pratique de la concentration et de la pénétration et aux grands préceptes de l’illumination parfaite et subite par ses maîtres Daosui et Xingman. En ce sens, c’était un homme vertueux. Mais avant son voyage en Chine, alors qu’il était encore au Japon, il avait déjà compris et maîtrisé sans l’aide d’un maître toutes les doctrines de l’école 676Shingon et de l’école Concentration et Pénétration [école Tiantai], et il avait fini par réaliser que la sagesse de l’école Tiantai surpassait celle des six ou sept écoles. En ce sens, c’était un sage.
Cela rejoint les paroles contenues dans l’un des classiques confucéens : « Ceux qui naissent avec cette compréhension sont élevés, ceux qui parviennent à cette compréhension en étudiant viennent ensuite. [“Élevés” désigne les sages, “ensuite” désigne les personnes vertueuses]14. » Et on lit dans un sūtra bouddhique : « Dans ma pratique religieuse, je n’ai pas l’aide d’un maître15. »
Shakyamuni, seigneur des enseignements, est le sage le plus important de ce monde saha. Tiantai et Dengyō étaient à la fois des sages et des personnes vertueuses. Ashvaghosha et Nagarjuna, Asanga et Vasubandhu, et Laozi16 et Confucius étaient à la fois des sages et des personnes vertueuses, les uns par rapport aux enseignements du Hinayana, les autres par rapport aux enseignements provisoires du Mahayana, ou aux enseignements non bouddhiques ; cependant, aucun d’eux n’était un sage ou une personne vertueuse par rapport au Sūtra du Lotus.
Aujourd’hui, je ne suis ni un sage, ni une personne vertueuse ; je n’adhère pas plus aux préceptes que je n’en suis dépourvu ; je ne possède pas plus de sagesse que je n’en manque. Néanmoins, je suis né quelque deux mille deux cent vingt ans après la disparition du Bouddha, dans la dernière période de cinq cents ans, au moment où le Daimoku du Sūtra du Lotus est destiné à être propagé. Avant que quiconque, dans aucune école, que ce soit ici, au Japon, ou dans les terres lointaines de l’Inde et de la Chine, n’ait commencé à invoquer le Daimoku, j’ai commencé à réciter Nam-myōhō-renge-kyō à voix haute et je n’ai jamais cessé de le faire depuis plus de vingt ans.
Durant ce laps de temps, j’ai été maudit, battu, et parfois soumis aux injures. À deux reprises, j’ai été exilé, j’ai été une fois condamné à mort17 et les autres grandes épreuves que j’ai endurées sont trop nombreuses pour être mentionnées. J’ai été comme une graine de soja jetée dans une grande marmite d’eau bouillante, ou comme un gros poisson dans une minuscule flaque d’eau.
Il est dit dans le Sūtra du Lotus : « Puisque du vivant même de l’Ainsi-Venu, haine et jalousie envers ce Sūtra abondent en ce monde, ne seront-elles pas pires encore après sa disparition18 ? » Il est dit aussi : « Il se heurtera à une grande hostilité dans le monde et on le croira difficilement19. » Ou encore : « Nombreux seront les ignorants qui nous insulteront, nous maudiront, et nous attaqueront au sabre ou au bâton, à coups de pierres et de tuiles (...) [et] nous serons bannis encore et encore20. »
Si moi, Nichiren, je n’étais pas né sur la terre du Japon, alors ces passages de sūtra n’auraient été que de simples mots de la part du Bouddha, vides de toute signification. Ils auraient été pareils à des fleurs qui s’ouvrent mais ne donnent pas de fruits, ou comme le tonnerre qui gronde mais n’est pas suivi de pluie. Ces paroles d’or du Bouddha auraient été vaines et le Sūtra du Lotus, dont les propos sont justes, se serait révélé entaché de graves erreurs. En considérant tout cela, j’ai l’impression d’égaler les sages Tiantai et Dengyō, et de me situer au-dessus de Laozi et de Confucius.
Dans tout le Japon, je suis le seul à réciter Nam-myōhō-renge-kyō. Je suis comme un grain de poussière seul, marquant le commencement du mont Sumeru, ou comme l’unique goutte de rosée, annonçant le début du grand océan. Il est probable que deux personnes, puis trois, puis dix, puis cent, se rassembleront pour réciter [ce Daimoku], jusqu’à ce qu’il se propage dans une province, dans deux, puis dans l’ensemble des soixante-six provinces du Japon, jusqu’à atteindre les deux îles d’Iki et de Tsushima. Les personnes qui m’ont calomnié finiront 677par pratiquer également ; et tous, depuis le souverain jusqu’à la multitude des gens ordinaires, réciteront Nam-myōhō-renge-kyō d’une seule voix, conformément à la description du chapitre “Les pouvoirs transcendantaux de l’Ainsi-Venu” du Sūtra du Lotus21. Même si les arbres désirent rester immobiles, le vent ne cesse pas pour autant de souffler ; même si l’on souhaite que le printemps perdure, il laisse place à l’été.
Les gens au Japon ont une haute idée du Sūtra du Lotus. Mais, comme ils sont très hostiles envers moi, le moine Nichiren, ils refusent de réciter Nam-myōhō-renge-kyō. Quand les envahisseurs du grand royaume des Mongols frapperont de nouveau une ou deux fois, comme ils l’ont fait à Iki et à Tsushima, attaquant et tuant les hommes et emmenant les femmes en captivité, quand ils livreront bataille jusqu’à Kyōto, la capitale, et jusqu’à Kamakura, capturant le souverain lui-même avec ses ministres les plus haut placés et cent personnages officiels, les jetant dans la poussière devant leurs bœufs et leurs chevaux, et les maltraitant violemment ; comment alors les habitants du Japon pourront-ils éviter de réciter Nam-myōhō-renge-kyō ?
Dans le passé, j’ai été frappé à plusieurs reprises au visage avec le cinquième rouleau du Sūtra du Lotus22 et je n’en ai éprouvé aucun ressentiment. En fait, j’en étais même ravi. En effet, être attaqué de la manière décrite dans le chapitre “Le bodhisattva Jamais-Méprisant”, subir l’agression prédite dans le chapitre “Exhortation à la persévérance” constituent un honneur grand et précieux.
Mais ces attaques doivent vraiment contrarier Brahma, Shakra, les dieux du soleil et de la lune et les quatre rois célestes, eux qui mirent par écrit en présence du Bouddha un serment selon lequel ils ne permettraient pas à des hommes mauvais de frapper le pratiquant du Sūtra du Lotus ! Si ceux qui me calomnient n’encouraient pas de sanctions des divinités célestes dans leur existence présente, il en résulterait de graves conséquences. Non seulement ces divinités [qui omettent de les punir] seraient anéanties pour toute la durée du passé, du présent et de l’avenir, mais dès à présent les bouddhas prennent certainement en compte leurs actes. Et quand cela se produira, ce ne sera en rien la faute de Nichiren. En se rangeant au côté de ces moines qui calomnient l’enseignement correct, ces divinités appelleront sur elles un grand désastre.
Sachant cela, la gentillesse avec laquelle vous me faites parvenir un don de cinq mille pièces de bronze chaque fois que vous en avez l’occasion mérite de vous faire connaître comme celui qui propage le Daimoku du Sūtra du Lotus au Japon. Au commencement une personne, puis deux, puis mille, dix mille, cent mille, puis tous les gens de tout le pays finiront par réciter le Daimoku et, avant même que vous ne le réalisiez, leurs bienfaits vous reviendront. Ces bienfaits seront comme les gouttes de rosée qui se rassemblent pour former le grand océan, ou les grains de poussière qui s’empilent pour constituer le mont Sumeru.
Les dix filles rakshasa, notamment, ont fait le vœu de protéger ceux qui adoptent le Daimoku du Sūtra du Lotus ; de ce fait, ces divinités doivent avoir la même considération pour vous, vénérable Myōmitsu, et pour votre épouse, qu’une mère pour son enfant unique. Elles vous apprécieront comme un yack aime sa propre queue et veilleront sur vous jour et nuit. C’est vraiment rassurant, vraiment encourageant !
J’aimerais encore ajouter bien des choses mais je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails. Veuillez expliquer soigneusement tout cela à votre épouse. Je n’écris pas ces mots par pure flatterie.
Plus l’or est chauffé par les flammes, plus brillante est sa couleur ; plus un sabre est aiguisé, plus il devient tranchant. Et, plus quelqu’un loue les bienfaits du Sūtra du Lotus, plus ses bienfaits s’accroissent. 678Gardez à l’esprit que les vingt-huit chapitres du Sūtra du Lotus ne contiennent que quelques passages élucidant la vérité, mais qu’on y trouve un grand nombre de paroles de louanges.
Nichiren
Le cinquième jour du troisième mois intercalaire
Réponse au vénérable à Kuwagayatsu Myōmitsu