Points de repère
Après avoir tenté en vain d’exécuter Nichiren à Tatsunokuchi, le douzième jour du neuvième mois de 1271, Hei no Saemon, adjoint au chef du bureau des affaires militaires et politiques, n’eut pas d’autre choix que de suivre les instructions premières du gouvernement consistant à livrer Nichiren à la garde de Homma Rokurō Saemon Shigetsura, adjoint au gouverneur de Sado. Nichiren fut enfermé pendant près d’un mois à la résidence de Homma, à Echi, dans la province de Sagami, en attendant que le gouvernement l’informe de son destin.
Le dixième jour du dixième mois, Nichiren quitta Echi, escorté par les guerriers de Homma. Quand le groupe atteignit la côte de la mer du Japon, le vingt et unième jour, la neige couvrait le sol et la mer était très mauvaise. Ils furent contraints de s’arrêter plusieurs jours dans un port appelé Teradomari, à Echigo, et d’attendre que les vents tombent avant d’effectuer la traversée vers l’île de Sado. On dit que Teradomari connut la prospérité à partir du début du IXe siècle en tant que port maritime reliant l’île de Sado à l’île principale du Japon. Le lendemain de son arrivée à Teradomari, Nichiren écrivit cette lettre et la confia à un moine séculier qui l’avait accompagné, à la demande de Toki Jōnin.
La communauté de croyants de Kamakura avait été durement secouée par la persécution de Tatsunokuchi et l’exil à Sado, et nombreux furent les disciples et adeptes laïcs de Nichiren qui succombèrent aux pressions du gouvernement et abandonnèrent leur foi, ou se mirent à douter en voyant Nichiren persécuté. Afin d’aider ses disciples à dissiper leurs doutes et à persévérer dans la foi, Nichiren rédigea un certain nombre d’écrits durant son exil. Cette lettre est le premier de ces écrits qui comprennent Sur l’ouverture des yeux, Lettre de Sado et Sur la pratique telle que le Bouddha l’enseigne.
Au début de cette lettre, Nichiren mentionne rapidement les épreuves et les difficultés rencontrées durant son voyage de douze jours jusqu’à Teradomari. Il cite ensuite des passages d’écrits qui témoignent du fait que, à l’époque de la Fin de la Loi, haine et jalousie envers le Sūtra du Lotus seraient pires encore que du vivant du Bouddha. Il se déclare lui-même confronté à une telle calomnie. Ensuite, citant Tiantai qui considérait le Sūtra du Nirvana comme de précieux joyaux destinés à racheter la vie du Sūtra du Lotus, Nichiren proclame la supériorité du Sūtra du Lotus sur tous les autres sūtras et souligne les conceptions erronées des érudits des diverses écoles, incapables de reconnaître cette réalité. Il mentionne notamment les erreurs de l’école Zhenyan (devenue l’école Shingon au Japon) qui viennent de Shanwuwei et quelques autres. Il avertit que les disciples des diverses écoles 207commettent la faute de calomnier le Sūtra du Lotus, car ils n’ont pas conscience que leurs patriarches reconnaissaient en leur for intérieur la validité des enseignements de l’école Tiantai, fondés sur le Sūtra du Lotus.
Nichiren énumère ensuite quatre critiques de sa méthode de propagation, fréquemment formulées par ses ennemis et par certains de ses propres disciples, et déclare que les difficultés qu’il a rencontrées correspondent parfaitement aux prophéties du chapitre “Exhortation à la persévérance” du Sūtra du Lotus. À la lumière du Sūtra, il révèle qu’il est clairement le pratiquant qui propage le Sūtra à l’époque de la Fin de la Loi.
J’ai bien reçu le cordon1 de pièces de monnaie que vous m’avez fait parvenir. Ceux qui sont résolus à rechercher la voie devraient se réunir et écouter le contenu de cette lettre.
Ce mois-ci (le dixième mois), en ce dixième jour, nous avons quitté le village d’Echi, dans la région d’Aikō, province de Sagami. Nous avons fait halte à Kumegawa, dans la province de Musashi et, après douze jours de route, nous sommes arrivés ici au port de Teradomari, dans la province d’Echigo. C’est de là que nous devons traverser la mer pour nous rendre dans la province insulaire de Sado, mais pour le moment les vents ne sont pas favorables et j’ignore quand nous partirons.
En chemin, les difficultés furent pires que je n’avais pensé, au point même que je ne peux les raconter par écrit. Je vous laisse imaginer ce que j’ai pu endurer. Mais, dès l’origine, j’étais prêt à rencontrer de telles difficultés et il n’y a donc aucune raison de s’en plaindre maintenant. Je n’en dirai pas plus à ce sujet.
On lit dans le quatrième volume du Sūtra du Lotus : « Puisque haine et jalousie envers ce Sūtra abondent en ce monde du vivant même de l’Ainsi-Venu, ne seront-elles pas pires encore après sa disparition2 ? » Et dans le cinquième volume : « Il se heurtera à une grande hostilité dans le monde et sera difficile à croire3. » Il est dit dans le trente-huitième volume du Sūtra du Nirvana : « À ce moment-là, il y eut d'innombrables non-bouddhistes qui conspirèrent et rendirent visite à Ajatashatru, roi du Magadha, pour lui dire : “Il existe aujourd’hui un homme d’une incomparable perversité, un moine appelé Gautama (...). Toutes sortes de gens mauvais, espérant obtenir profit et aumônes, se sont attroupés autour de lui pour devenir ses disciples. Ces gens ne pratiquent pas le bien mais utilisent le pouvoir des sortilèges et de la magie pour rallier des hommes comme Mahakashyapa, Shariputra et Maudgalyayana.” »
Ce passage du Sūtra du Nirvana rapporte les paroles mauvaises employées par des non-bouddhistes de toutes sortes contre le bouddha Shakyamuni parce qu’il réfutait les écrits enseignés par leurs maîtres originels, les deux divinités4 et les trois ascètes.
Toutefois, dans les passages du Sūtra du Lotus que je viens de citer, ce n’est pas la personne du Bouddha qui est considérée en ennemi. En l’occurrence, comme l’explique Tiantai, c’est au [Sūtra du Lotus que s’opposent] « les divers auditeurs et pratyekabuddha et les bodhisattvas qui ne recherchent que le Bouddha à l’illumination récente5 ». En d’autres termes, ceux qui ne témoignent d’aucun désir d’entendre ou de croire le Sūtra du Lotus ou qui disent qu’il ne convient pas à leur capacité, même s’ils ne le calomnient pas en ces termes, doivent tous être considérés comme des gens haineux et jaloux.
Si nous comparons la situation à l’époque où le Bouddha était en ce monde et celle prévalant depuis sa disparition, nous pouvons dire que les érudits des diverses écoles de notre époque sont comme les non-bouddhistes de l’époque du Bouddha. Ils parlent eux aussi d’« un homme d’une 208incomparable perversité », pour me désigner moi, Nichiren. Ils disent que « toutes sortes de gens mauvais se sont attroupés autour de lui », pour qualifier mes disciples et mes adeptes. Les non-bouddhistes, ayant mal reçu les enseignements transmis par les bouddhas antérieurs, manifestèrent de l’hostilité à l’égard du Bouddha ultérieur, Shakyamuni. Les érudits des diverses écoles d’aujourd’hui sont tout à fait semblables. En fait, leur interprétation personnelle des enseignements du Bouddha les a conduits vers des vues erronées. Ils sont comme des gens qui, enivrés par la boisson, pensent que la montagne gigantesque à laquelle ils font face tourne sur elle-même. C’est ainsi qu’aujourd’hui huit ou dix écoles se querellent les unes avec les autres à propos de leurs diverses doctrines.
Dans le dix-huitième volume du Sūtra du Nirvana est énoncée la doctrine des « précieux joyaux qui rachètent la vie6 ». Le Grand Maître Tiantai, après avoir étudié et réfléchi sur ce passage, en conclut que « la vie » se réfère au Sūtra du Lotus et les « précieux joyaux » aux trois premiers des quatre enseignements exposés dans le Sūtra du Nirvana. Mais qu’en est-il alors du quatrième, l’enseignement parfait, également exposé dans le Sūtra du Nirvana ? Cet enseignement reprend la doctrine de la nature de bouddha éternellement inhérente, déjà exposée dans le Sūtra du Lotus, et fut dispensé pour mener les gens au Sūtra du Lotus d’où il était issu. L’enseignement parfait du Sūtra du Nirvana concernant la nature de bouddha éternellement inhérente appartient en fait au Sūtra du Lotus. Les mérites propres au Sūtra du Nirvana sont par conséquent limités aux trois premiers des quatre enseignements.
Il est dit dans le troisième volume du Sens profond du Sūtra du Lotus de Tiantai : « Le Sūtra du Nirvana offre de précieux joyaux pour racheter la vie [du Sūtra du Lotus]. C’est comme taper dans la main [de quelqu’un] pour conclure un marché7. » Dans le troisième volume des Annotations sur le Sens profond du Sūtra du Lotus, cette citation est commentée ainsi : « L’école Tiantai utilise cette métaphore pour indiquer que le Sūtra du Nirvana contient de précieux joyaux. »
Dans son œuvre intitulée Quatre méditations, le Grand Maître Tiantai cite ce passage du Sūtra du Lotus « (...) bien qu’ils [les bouddhas] présentent diverses voies différentes8 » et déclare que les quatre parfums des enseignements doivent aussi être considérés comme de précieux joyaux. Dans ce cas, les sūtras enseignés avant et après le Sūtra du Lotus doivent tous être considérés comme de précieux joyaux offerts en l’honneur du Sūtra du Lotus.
Mais les érudits bouddhistes du monde actuel pensent que cette interprétation constitue une doctrine propre à l’école Tiantai et qui n’est reprise par aucune autre. À ce propos, j’aimerais rétorquer ceci : les huit ou dix écoles dont nous parlons sont toutes apparues après la disparition du Bouddha et sont la création des divers érudits et maîtres de l’époque. Mais il ne faut pas évaluer les sūtras prêchés par le Bouddha de son vivant sur la base des doctrines des écoles établies après sa disparition. En revanche, les jugements énoncés par Tiantai s’accordent parfaitement avec les enseignements de tous les sūtras. Il n’est pas juste de les rejeter sous prétexte qu’ils ne représentent que les opinions d’une école particulière.
Les érudits des diverses écoles continuent à s’accrocher aux opinions erronées de leurs maîtres respectifs. Ils déclarent donc que les pratiques bouddhiques doivent s’adapter à la capacité de chacun, ou bien ils se réfèrent aux opinions de leurs fondateurs ou encore tentent de rallier à leurs points de vue les souverains sages de leur époque. Pour finir, ils s’abandonnent totalement au désir de nuire, s’engagent dans des querelles et des débats doctrinaux, et prennent plaisir à faire du tort aux gens du commun qui ne sont coupables d’aucune faute.
209Parmi les diverses écoles, les opinions de l’école Zhenyan [devenue l’école Shingon au Japon] sont particulièrement déformées. Ses fondateurs, Shanwuwei et Jingangzhi, ont affirmé : « Le concept des trois mille mondes en un instant de vie est le plus important de tous les principes de Tiantai et le cœur et l’essence des enseignements énoncés par le Bouddha de son vivant. Mais si l’on excepte la doctrine de l’inclusion des trois mille mondes dans l’esprit, fondement des enseignements aussi bien ésotériques qu’exotériques, les mudra et les mantras forment la partie essentielle des enseignements bouddhiques. » Les maîtres de l’école Zhenyan ont pris prétexte de cette déclaration pour affirmer que tous les sūtras où il n’est fait mention ni des mudra, ni des mantras doivent être considérés comme inférieurs et ne diffèrent en rien des enseignements non bouddhiques.
Certains maîtres ésotériques prétendent que le Sūtra de Mahavairochana fut enseigné par [l’Ainsi-Venu Mahavairochana,] un bouddha distinct de l’Ainsi-Venu Shakyamuni, d’autres déclarent que c’est le plus élevé de tous les enseignements énoncés par le bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, d’autres encore disent que le même bouddha s’est manifesté tantôt sous la forme du bouddha Shakyamuni pour prêcher les enseignements exotériques, tantôt sous la forme de l’Ainsi-Venu Mahavairochana pour prêcher les enseignements ésotériques. Ainsi, en se méprenant sur les principes de base des enseignements bouddhiques, ils produisent un enchaînement sans fin d’opinions erronées. Ils sont comparables à un groupe de personnes qui, ignorant la véritable couleur du lait, se risquent à diverses spéculations à ce sujet, sans qu’aucun n’avance de réponse correcte9. Ou ils sont comme les aveugles de la parabole essayant de deviner à quoi ressemble un éléphant10. De ce point de vue, les érudits des diverses écoles doivent comprendre que le Sūtra de Mahavairochana, s’il est enseigné avant le Sūtra du Lotus, se situe au même niveau que le Sūtra de la Guirlande de fleurs, et que, s’il est enseigné après le Sūtra du Lotus, il se situe au même niveau que le Sūtra du Nirvana.
Est-il possible qu’en Inde le Sūtra du Lotus ait contenu des descriptions de mudra et de mantras, omises par les traducteurs du texte en chinois ; notamment par Kumarajiva qui nomma sa version le Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse ? Et Shanwuwei n’aurait-il pas pu par ailleurs ajouter des mudra et des mantras et appeler sa version le Sūtra de Mahavairochana ? Il y a eu par exemple d’autres versions du Sūtra du Lotus, telles que le Sūtra du Lotus de la Loi correcte, la Version complétée du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse, le Sūtra de la méditation du Lotus et le Saddharmapundarika-sūtra11.
En Inde, après la disparition du Bouddha, le bodhisattva Nagarjuna fut le seul à comprendre véritablement la relation entre le Sūtra du Lotus et les autres sūtras, et en Chine, Tiantai Zhizhe fut le premier à en avoir une perception correcte. Des hommes comme Shanwuwei, de l’école Zhenyan, Chengguan, de l’école Huayan [devenue l’école Kegon au Japon], Jiaxiang de l’école Sanlun [devenue l’école Sanron], et Cien de l’école Faxiang [devenue l’école Hossō] soutinrent chacun publiquement les doctrines de l’école qu’ils avaient établie, mais leur cœur était acquis aux enseignements de l’école Tiantai [devenue l’école Tendai]. Cependant, leurs disciples l’ignoraient et développèrent donc une compréhension faussée. Comment peuvent-ils alors ne pas se rendre coupables de calomnie vis-à-vis de l’enseignement correct ?
Certains me critiquent en ces termes : « Nichiren ne comprend pas la capacité des gens de notre époque, mais prêche un peu partout de façon très rude ; c’est pourquoi il rencontre des difficultés. » D’autres disent : « Les pratiques décrites dans le chapitre “Exhortation à la persévérance”12 sont destinées aux bodhisattvas parvenus à un 210stade très élevé ; [Nichiren devrait prôner les pratiques] du chapitre “Pratiques paisibles” [mais il ne le fait pas]. » D’autres encore déclarent : « Je connais la suprématie du Sūtra du Lotus mais je n’en parle pas. » Il en est aussi qui me reprochent de mettre l’accent exclusivement sur les enseignements doctrinaux13.
J’ai bien conscience de toutes ces critiques à mon encontre. Mais je me rappelle le cas de Bian Ho14 qui eut les jambes coupées jusqu’au genou et de Kiyomaro15 [Homme pur] qui fut surnommé Kegaremaro [Homme souillé] et faillit être exécuté. Tous leurs contemporains les raillèrent, mais, contrairement à ces deux hommes, les moqueurs ne laissèrent pas une bonne réputation derrière eux. Tous ceux qui élèvent des critiques injustes à mon égard rencontreront un destin similaire.
Il est dit dans le chapitre “Exhortation à la persévérance” : « Nombreux seront les ignorants qui nous insulteront et nous maudiront16. » Je vois ma propre situation dans ce passage. Pourquoi est-ce que ces propos ne s’appliqueraient pas à vous tous également ? Et le passage poursuit ainsi : « Ils nous attaqueront au sabre et au bâton17. » J’ai lu ce passage du Sūtra [avec mon propre corps]. Pourquoi est-ce que vous, mes disciples, ne faites pas de même ? De plus, il est dit plus loin : « Comme ils cherchent sans cesse à nous dénigrer dans la grande assemblée18 », « ils s’adresseront aux gouvernants et aux ministres, aux brahmanes et aux chefs de clan [pour nous calomnier et nous dénigrer]19 » et « ils nous attaqueront, lançant insultes et regards courroucés ; nous serons bannis encore et encore20 ». « Encore et encore » signifie maintes et maintes fois. Et moi, Nichiren, j’ai été chassé à maintes reprises et deux fois condamné à l’exil.
Le Sūtra du Lotus s’accorde avec la manière de prêcher de tous les bouddhas des trois existences21. Les événements passés décrits dans le chapitre “[Le bodhisattva] Jamais-Méprisant22”, j’en fais aujourd’hui l’expérience, conformément aux prédictions du chapitre “Exhortation à la persévérance” ; ainsi, la situation présente annoncée dans le chapitre “Exhortation à la persévérance” correspond au passé décrit dans le chapitre “Jamais-Méprisant”. Le chapitre “Exhortation à la persévérance” [dont les prédictions s’accomplissent] aujourd’hui, sera le chapitre “Jamais-Méprisant” à l’avenir, et à ce moment-là, moi, Nichiren, je serai le bodhisattva Jamais-Méprisant.
Le Sūtra du Lotus est une œuvre unique en huit volumes et vingt-huit chapitres, mais j’ai entendu dire que le Sūtra tel qu’il existait en Inde était assez long pour recouvrir tout un yojana. En d’autres termes, il devait comporter bien plus de chapitres. La version en vingt-huit chapitres utilisée aujourd’hui en Chine et au Japon représente l’essentiel d’une version abrégée.
Laissons pour l’instant de côté la partie révélation23 du Sūtra. Dans la partie transmission qui suit, les trois déclarations24 du chapitre “L’apparition de la Tour aux trésors” sont délivrées devant l’assemblée réunie au pic de l’Aigle que l’on retrouve aussi à la Cérémonie dans les Airs. Quant au vœu émis dans le chapitre “Exhortation à la persévérance” par les vingt mille, les quatre-vingt mille, et les huit cent mille millions de nayuta de grands bodhisattvas, un homme à la sagesse superficielle comme moi ne peut l’appréhender. Mais la formule « dans une ère dominée par la peur et le mal », qui figure dans ce chapitre, désigne néanmoins le début de l’époque de la Fin de la Loi. Le chapitre suivant, “Les pratiques paisibles”, évoque « cette ère dominée par la peur et le mal » avec les mots « à l’époque de la Fin de la Loi ». Si nous comparons avec d’autres traductions du Sūtra, nous découvrons que, dans le Sūtra du Lotus de la Loi correcte, il est question de « l’époque de la Fin de la Loi qui va suivre » ou de « l’époque de la Fin de la Loi à venir » alors que, dans la Version complétée du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse, on parle d’« une ère dominée par la peur et le mal ».
211À cette époque de la Fin de la Loi, qui correspond à notre propre époque, trois puissants ennemis sont apparus, mais on ne voit nulle part ne serait-ce qu’un seul des huit cent mille millions de nayuta de bodhisattvas. C’est comme un lac qui se serait asséché et auquel manquerait sa pleine provision d’eau, ou comme une lune qui décroît, et s’éloigne de sa plénitude. Si l’eau est claire, elle reflétera l’image de la lune et, si l’on plante des arbres, les oiseaux pourront s’y nicher. C’est pourquoi, moi, Nichiren, je propage ce Sūtra à la place des huit cent mille millions de nayuta de bodhisattvas. Je demande à ces bodhisattvas de m’accorder leur aide et leur protection.
Le moine séculier à qui je confie cette lettre m’a dit que vous lui aviez donné pour instruction de m’accompagner jusqu’à la province de Sado. Mais, à cause du coût du voyage et d’autres difficultés, je le renvoie auprès de vous. Je sais déjà combien votre considération est profonde. Veuillez expliquer aux autres le contenu de ma lettre. Je me fais beaucoup de soucis pour les moines en prison25, et j’espère que vous m’informerez de leur situation dans les meilleurs délais.
Avec tout mon respect
Nichiren
À l’heure du Coq [entre cinq et sept heures du soir], le vingt-deuxième jour du dixième mois
À Toki
Notes
1. Pièces percées enfilées sur un cordon.
2. Sūtra du Lotus, chap. 10.
3. Ibid., chap. 14.
4. Shiva et Vishnu.
5. C’est une reformulation d’un passage des Annotations sur le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus. Le « Bouddha à l’illumination récente » désigne Shakyamuni dans ses aptitudes provisoires en tant que Bouddha qui atteignit l’illumination en Inde en cette vie.
6. Cette citation apparaît en fait dans le Sens profond du Sūtra du Lotus. Il est dit dans le Sūtra du Nirvana que le magasin aux sept joyaux peut racheter notre vie quand elle est menacée par la famine, les bandits ou un mauvais roi. Sur la base de ce passage, le Sens profond du Sūtra du Lotus utilise l’expression « les précieux joyaux qui rachètent la vie » pour indiquer que le Sūtra du Nirvana a pour fonction de protéger et de soutenir, en le répétant, l’enseignement parfait du Sūtra du Lotus.
7. La formule « taper dans la main pour conclure un marché » indique que, après avoir exposé l’enseignement parfait dans le Sūtra du Lotus, Shakyamuni le répéta dans le Sūtra du Nirvana.
8. Les Quatre méditations ne cite pas ce passage mais un autre du même chapitre “Moyens opportuns” où il est dit : « Je me suis servi du pouvoir des moyens opportuns pour prêcher aux cinq ascètes. » Ces deux passages développant les mêmes principes, Nichiren a pu préférer citer l’un plutôt que l’autre.
9. Il est dit dans le Sūtra du Nirvana que les brahmanes, ignorant les enseignements de Shakyamuni à propos de l’éternité, du bonheur, du véritable soi et de la pureté, tombent dans des visions erronées, comme les aveugles qui ne connaissent pas la vraie couleur du lait.
10. Cette parabole apparaît dans le Sūtra du Nirvana. Un roi chargea son Premier ministre d’amener un éléphant auprès d’un groupe d’aveugles et de leur demander de le lui décrire. Un aveugle qui pressa ses mains contre le ventre de l’éléphant dit que cela ressemblait à un pot ; un autre qui toucha la queue de l’éléphant déclara que cela devait être une corde ; un autre encore qui caressa la trompe était convaincu que l’animal ressemblait à un pilon, etc. Dans cette parabole, Shakyamuni compare la vérité que le roi détient à la sagesse du Bouddha, le Premier ministre au Sūtra du Nirvana, l’éléphant à la nature de bouddha, et les aveugles aux hommes du commun qui ignorent la nature de bouddha.
11. Le Sūtra du Lotus de la Loi correcte et la Version complétée du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse sont deux des trois traductions du Sūtra du Lotus en chinois qui ont été conservées. Elles ont été effectuées respectivement par Dharmaraksha en 206 et par Jnanagupta et Dharmagupta en 601. Le Sūtra de la méditation du Lotus a été perdu. Le Saddharmapundarika-sūtra indiqué ici ne concerne pas le texte sanskrit mais sa traduction chinoise. Cette version a, elle aussi, été perdue.
12. Le chapitre “Exhortation à la persévérance” décrit comment les huit cent mille millions de nayuta de bodhisattvas font le vœu 212d’enseigner le Sūtra partout, dans une ère dominée par la crainte et le mal après la disparition du Bouddha. Ils expriment leur détermination à faire face aux persécutions qui résulteront de cette propagation. C’est la pratique du shakubuku qui suscite de telles persécutions et c’est de cela dont Nichiren parle ici. En revanche, le chapitre “Les pratiques paisibles” détaille les quatre sortes de pratiques paisibles : actions, paroles, pensées et vœux paisibles.
13. Par contraste avec « l’observation de l’esprit » ou la perception par la méditation sur la réalité ultime inhérente à notre vie. Cela, avec l’étude doctrinale des sūtras, est l’un des deux aspects indispensables de la pratique enseignée dans l’école Tendai. Nichiren souligne l’importance de la méditation (l’invocation du Daimoku), mais déclare ici qu’on lui reproche de ne pas le faire parce qu’il s’appuie également sur la comparaison des écrits pour établir la supériorité du Sūtra du Lotus.
14. Bian Ho est né dans l’État de Chu, en Chine, durant la période des Printemps et Automnes (770-403 avant notre ère). Selon le Han Feizi, Bian Ho découvrit une pierre précieuse au mont Chu qu’il offrit au roi Li. Ce dernier la jaugea et estima qu’il ne s’agissait que d’une pierre ordinaire. Il fit alors couper la jambe gauche de Bian Ho jusqu’au genou. Après la mort du roi, Bian Ho offrit de nouveau le joyau, cette fois au roi Wu mais, une nouvelle fois accusé de tromperie, cela lui valut d’avoir la jambe droite coupée jusqu’au genou. Plus tard, après l’accession au trône du roi Wen, Bian Ho pleura trois jours durant au pied du mont Chu. La pierre précieuse entre ses mains, il versait des larmes de sang en pensant à l’ignorance des rois. Apprenant cela, le roi Wen demanda qu’on lui apporte la pierre et la fit polir. Elle fut alors reconnue comme authentique, ce qui lui valut, dit-on, d’être largement chérie par la population.
15. Il s’agit de Wake no Kiyomaro (733-799). Cet éminent officiel de la Cour déjoua les tentatives du moine Dōkyō qui, favori de l’impératrice Shōtoku (764-770), voulait accéder au trône, ce qui lui valut d’être persécuté. Cependant, après la mort de l’impératrice, Dōkyō fut dépossédé de son pouvoir, et Kiyomaro fut gracié de sa peine d’exil et rappelé au service à la Cour.
16. Sūtra du Lotus, chap. 13.
17. Ibid.
18. Ibid.
19. Ibid.
20. Ibid.
21. Cette affirmation provient d’un passage du chapitre “Moyens opportuns” du Sūtra du Lotus où il est dit : « Tout comme les bouddhas des trois phases de l’existence prêchant la Loi, je vais à présent à mon tour prêcher la Loi sans distinction. » Les cinq catégories de bouddhas (tous les bouddhas en général, les bouddhas du passé, les bouddhas du présent, les bouddhas de l’avenir et le bouddha Shakyamuni) suivent toujours la même méthode d’enseignement, en exposant d’abord divers enseignements provisoires pendant une période relativement longue pour mener les gens au Véhicule Unique du Bouddha, ou Sūtra du Lotus, qu’ils révèlent par la suite.
22. Le chapitre “Le bodhisattva Jamais-Méprisant” décrit les pratiques du bodhisattva Jamais-Méprisant, qui vécut à l’époque de la Loi formelle du bouddha Roi-du-Son-Effrayant, persévéra face aux persécutions pour le bien de l’enseignement correct et atteignit finalement la bouddhéité.
23. La partie « révélation » est l’une des trois divisions d’un sūtra (préparation, révélation et transmission) utilisées pour interpréter les enseignements du Bouddha. Nichiren n’applique ici ces divisions qu’à l’enseignement théorique (première moitié) du Sūtra du Lotus. De ce point de vue, la préparation comprend le Sūtra aux sens infinis et le chapitre “Introduction” ; la révélation va du chapitre “Moyens opportuns” aux chapitres “Prophéties” ; et la transmission, du chapitre “Le maître de la Loi” au chapitre “Les pratiques paisibles”.
24. Les trois déclarations sont les exhortations de Shakyamuni, qui demanda à trois reprises à l’assemblée qui était devant lui de propager le Sūtra du Lotus après sa disparition.
25. Après la persécution de Tatsunokuchi, cinq des disciples de Nichiren, dont Nichirō, furent enfermés dans un cachot.