Points de repère
Rédigée à Ichinosawa, sur l’île de Sado, en 1272, cette lettre s’adresse à Shijō Saburō Saemon-no-jō Yorimoto, connu sous le nom de Shijō Kingo. Ce samouraï, disciple de Nichiren, vivait à Kamakura. Nichiren voulait exprimer sa gratitude envers Shijō Kingo pour les offrandes qu’il lui avait fait parvenir par messager, à l’occasion de la troisième cérémonie annuelle des funérailles de sa mère (correspondant au deuxième anniversaire de sa mort).
Peu après l’exil de Nichiren sur l’île de Sado, Shijō Kingo lui envoya en effet un messager avec diverses offrandes. Nichiren confia à ce messager son traité, Sur l’ouverture des yeux, achevé lors du deuxième mois de 1272. Quelques mois plus tard, Shijō Kingo lui-même vint jusqu’à Sado rendre visite à Nichiren. Il effectua de nouveau le voyage le cinquième mois de 1273.
Dans cette lettre, Nichiren explique d’abord que le souverain a le pouvoir d’influencer tout le pays. Cela est particulièrement évident en matière de propagation des enseignements bouddhiques, où le soutien du souverain peut assurer la prospérité du bouddhisme, alors que son opposition peut entraver considérablement sa propagation. Citant des exemples historiques, Nichiren déclare que les mérites des différentes écoles bouddhiques, qui devraient dépendre de la valeur de leurs enseignements respectifs, ont trop souvent dépendu des choix des personnes au pouvoir. Il ajoute que ses propres tourments proviennent des critiques qu’il osa formuler à l’égard des doctrines auxquelles croyaient à la fois le souverain et ses sujets.
Cependant, à la lumière du Sūtra du Lotus, Nichiren déclare qu’il est l’envoyé du Bouddha, apparu au Japon en accord avec le mandat du Bouddha. De plus, il propage le cœur même du Sūtra du Lotus, dont la justesse a été reconnue par tous les bouddhas et qui inclut toutes les vérités. Chaque mot ou phrase du Sūtra contient le mérite de tous les bouddhas et est donc comparable à un joyau-qui-exauce-les-vœux auquel on prête le pouvoir de produire d’inépuisables trésors.
Dans le passage final, d’où la lettre tire son nom, Nichiren explique la signification de « la voix pure et portant loin » (la voie brahmique) du Bouddha. Il explique qu’il s’agit du plus important des trente-deux signes principaux du Bouddha parce qu’il traduit l’esprit ou l’intention de Shakyamuni. Cette voix pure et portant loin a été conservée grâce à la transcription qui en a été faite dans le Sūtra du Lotus ; le Sūtra est donc en soi le corps vivant du bouddha Shakyamuni.
Dans les temps féodaux où vivait Nichiren, comme dans les époques antérieures, en Inde et en Chine, le souverain et ses 332ministres détenaient un pouvoir quasiment absolu sur leurs sujets. Comme l’indique cette lettre, sans le consentement du souverain, il était extrêmement difficile de propager les enseignements bouddhiques, et les moines étaient contraints d’obtenir le soutien de puissants bienfaiteurs afin de protéger les enseignements. Mais aujourd’hui, dans les pays où la souveraineté repose sur les gens ordinaires et où la liberté de religion est garantie, ce sont les citoyens qui ont pour mission de protéger et de propager le bouddhisme.
En conclusion, Nichiren souligne combien la grandeur du véritable enseignement bouddhique dépasse, et de loin, l’autorité d’un souverain.
Le souverain Huan1, du royaume de Qi, aimait porter des vêtements violets [et de ce fait, tous les habitants de son royaume firent de même]. Le roi Chuang2, du royaume de Chu, n’aimait pas les femmes à la taille épaisse ; toutes les courtisanes s’efforcèrent alors d’avoir la taille fine et bon nombre d’entre elles moururent de faim en tentant d’y parvenir. On voit donc que les goûts d’un homme particulier ont pu être suivis par tous les habitants d’un pays, même si cela ne s’accordait pas avec leurs propres goûts. À titre d’analogie, on pourrait comparer le souverain à un grand vent qui fait plier herbes et arbres, ou à un grand océan qui attire à lui toutes les rivières et tous les ruisseaux. Si herbes et arbres ne plient pas sous le vent, ne seront-ils pas brisés ou déracinés ? Et, si les petits ruisseaux ne se jetaient pas dans le grand océan, où pourraient-ils aller ?
Quelqu’un devient souverain parce qu’il a, dans son existence précédente, surpassé de loin tous les autres, dans l’observance des grands préceptes3. C’est pour cela que le ciel, la terre et les diverses divinités lui ont permis de devenir souverain. [L’importance du] pays gouverné dépend du degré de mérite acquis en gardant les préceptes. Ce ne sont pas deux ou trois personnes qui sont choisies comme souverain [mais une seule], et toutes les divinités qui régissent le ciel et la terre, les océans et les montagnes, se rassemblent toutes autour d’elle et la protègent. Comment, alors, les habitants de ce pays pourraient-ils se détourner de leur souverain ?
Même quand le souverain commet des actes mauvais ou dépravés, la première, deuxième ou troisième fois, les divinités s’abstiennent de le punir. Mais, s’il accomplit des actes qui déplaisent fortement aux divinités célestes et aux autres divinités, alors elles commenceront par provoquer des perturbations inhabituelles dans les cieux et d’étranges événements sur la terre afin de le réprimander. Et, s’il va trop loin dans ses mauvais actes, les divinités célestes et les divinités bienveillantes abandonneront son pays. Par ailleurs, si le mérite acquis en observant les préceptes devait être entièrement épuisé, alors, le moment venu, son pays pourrait tout simplement périr. Ou encore, s’il devait accumuler une multitude de crimes et de mauvais actes, son pays pourrait être conquis par un royaume voisin. Pour le meilleur ou pour le pire, les habitants du pays partageront inévitablement le même destin que le souverain.
Ainsi va le monde. De la même façon va la Loi du Bouddha. Il y a longtemps, le Bouddha confia la protection de ses enseignements au souverain. Alors, même lorsque apparaissent des sages ou des hommes vertueux, si ces derniers ne se soumettent pas à l’autorité du souverain, ils ne parviendront pas à propager la Loi du Bouddha. Et, si cette propagation avait lieu par la suite, elle serait d’abord sans aucun doute confrontée à de grands obstacles.
Le roi Kanishka vécut environ quatre cents ans après la disparition du Bouddha et régna à sa guise sur le royaume de Gandhara. Il rassembla autour de lui cinq cents arhat qu’il vénéra, et il se trouve à l’origine de 333la compilation en deux cents volumes du Grand commentaire sur l’Abhidharma. Mais tous les habitants du royaume étaient des disciples des enseignements du Hinayana et les enseignements du Mahayana n’y progressaient que très difficilement. Par ailleurs, le roi Pushyamitra dirigea les cinq régions de l’Inde en éliminant les enseignements du Bouddha et en faisant décapiter les moines bouddhistes et nul, quelle que soit sa sagesse, ne put s’y opposer.
L’empereur Taizong fut un dirigeant de grande valeur. Il fit son maître de Xuanzang, Maître des Trois Corbeilles, adopta les enseignements de l’école Faxiang [devenue l’école Hossō au Japon], et aucun de ses sujets ne se risqua à faire autrement. L’école Faxiang est une branche du Mahayana, mais elle enseigne la doctrine des cinq natures distinctes, qui représente une grave opposition [à la Loi] au sein même de la tradition bouddhique. C’est une mauvaise doctrine, pire que tous les enseignements fallacieux dispensés par les religions non bouddhiques, et elle n’aurait jamais dû bénéficier du moindre soutien ni en Inde, ni en Chine, ni au Japon. Elle fut finalement discréditée au Japon par le Grand Maître Dengyō. Cependant, malgré les graves erreurs de l’école Faxiang, l’empereur Taizong adopta ses enseignements et nul ne s’opposa à son exemple.
L’école Zhenyan [devenue l’école Shingon au Japon] se fonde sur le Sūtra de Mahavairochana, le Sūtra de la couronne de diamants et le Susiddhikara-sūtra. On les considère comme les trois sūtras fondamentaux du Shingon. Sous le règne de l’empereur Xuanzong, les Maîtres des Trois Corbeilles, Shanwuwei et Jingangzhi, les emportèrent de l’Inde vers la Chine. L’empereur Xuanzong accorda plus de respect à ces sūtras qu’aux enseignements des écoles Tiantai et Huayan [devenues les écoles Tendai et Kegon au Japon]. Il les considéra comme supérieurs aux enseignements des écoles Faxiang et Sanlun [devenue l’école Sanron au Japon]. Et tout le monde en Chine finit alors par croire le Sūtra de Mahavairochana supérieur au Sūtra du Lotus. Au Japon aussi, jusqu’à aujourd’hui, les gens ont cru l’école Tendai inférieure à l’école Shingon. Les moines éminents du Tō-ji, de l’école Tendai, qui pratiquent les enseignements du Shingon, se sont rendus coupables d’arrogance et considèrent ce qui est inférieur comme supérieur !
Quand on place côte à côte le Sūtra de Mahavairochana et le Sūtra du Lotus pour les examiner sans partialité ni préjugé, on voit que le Sūtra de Mahavairochana est comme la lumière d’une luciole, alors que le Sūtra du Lotus est comme la pleine lune ; autrement dit, les enseignements de l’école Shingon sont comme des amas d’étoiles minuscules, tandis que ceux de l’école Tendai sont pareils au soleil. Une personne pleine de préjugés dira alors : « Vous n’avez pas pleinement compris les profonds principes de l’école Shingon, et c’est pourquoi vous en parlez sans cesse de manière négative. » Mais plus de six cents ans se sont écoulés depuis l’introduction de l’école Zhenyan en Chine et cela fait plus de quatre cents ans qu’elle se propage au Japon [sous le nom de Shingon]. J’ai pu acquérir une connaissance générale des diverses attaques et réfutations des maîtres bouddhistes durant cette période. Et le Grand Maître Dengyō fut le seul à avoir vraiment saisi la nature fondamentale des enseignements de cette école. Mais elle reste encore aujourd’hui la plus fautive des écoles du Japon parce qu’elle tient pour supérieur ce qui est inférieur, et pour inférieur ce qui est supérieur. Voilà pourquoi, lorsqu’on utilise aujourd’hui les prières [de cette école] pour tenter d’écarter les envahisseurs mongols, elles ne font au contraire qu’attirer ces envahisseurs sur nous.
L’école Huayan fut fondée par le Maître du Dharma Fazang. L’impératrice Wu adopta ses enseignements et, dès lors, cette école jouit d’une si grande faveur qu’aucune autre ne put rivaliser avec elle. Il 334semble donc que la supériorité relative des écoles dépende du pouvoir et de l’autorité du souverain, non des doctrines qu’elles enseignent.
Même les érudits et les maîtres qui se sont éveillés au sens profond de la Loi du Bouddha ne peuvent s’élever contre l’autorité du souverain. Ceux qui, à l’occasion, tentèrent de le faire, ne rencontrèrent [en retour] que de grandes persécutions. Le vénérable Aryasimha fut décapité par le roi Dammira, le bodhisattva Aryadeva fut assassiné par un non-bouddhiste, Zhu Daosheng fut contraint de se retirer sur une montagne, à Suzhou, et le Maître des Trois Corbeilles Fadao fut marqué au visage et banni dans la région au sud du fleuve Yangzi Jiang.
Moi, Nichiren, je ne suis pas digne d’être qualifié de pratiquant du Sūtra du Lotus, ni de figurer parmi les moines. De plus, suivant l’exemple de mes contemporains, j’ai autrefois invoqué le nom du bouddha Amida. Le révérend Shandao, qui passait pour une manifestation du bouddha Amida, a dit : « [Si des personnes pratiquent constamment le Nembutsu jusqu’à la fin de leur vie], toutes sans exception, dix sur dix ou cent sur cent, renaîtront dans la Terre pure. (...) En revanche, pas une seule personne sur mille n’y parviendra [grâce à un autre enseignement]4. » L’honorable Hōnen, révéré comme une manifestation du bodhisattva Grand-Pouvoir, interpréta ainsi cette déclaration : « À l’époque de la Fin de la Loi, parmi ceux qui récitent le Nembutsu, mais le mêlent à d’autres pratiques, comme celle du Sūtra du Lotus, pas même un sur mille ne renaîtra [dans la Terre pure]. Mais, parmi ceux qui invoquent le seul nom du bouddha Amida, dix personnes sur dix renaîtront [en ce lieu]5. »
Depuis cinquante ans ou plus, tous les habitants de ce pays, qu’ils soient sages ou ignorants, ont vénéré cette doctrine et ont eu foi en elle, et nul ne l’a remise en cause. Moi seul, Nichiren, me distingue des autres, en soulignant que le bouddha Amida, dans son vœu originel, a fait le serment de sauver tout le monde, « sauf ceux qui commettent les cinq transgressions capitales ou qui calomnient l’enseignement correcte6 ». Je cite aussi ce passage du Sūtra du Lotus : « Si quelqu’un n’y accorde pas foi et au contraire dénigre le Sūtra [du Lotus], il réduira aussitôt à néant toutes les graines qui lui auraient permis en ce monde de devenir un bouddha. (...) Lorsque sa vie s’achèvera, il se retrouvera dans l’enfer Avīci7. » Ces déclarations révèlent que Shandao et Hōnen sont des ennemis de l’enseignement correct, et qu’ils ont donc sûrement été abandonnés par le bouddha Amida auquel ils se réfèrent. Et, puisqu’ils ont déjà rejeté tous les autres bouddhas et sūtras, ils ne peuvent plus aspirer au salut. Comme le dit le passage du Sūtra du Lotus [que je viens de citer], ils sont sans aucun doute voués à tomber dans l’Enfer aux souffrances incessantes.
Cependant, puisque tous les habitants du Japon sont disciples de Shandao et de Hōnen, je ne peux évidemment pas échapper aux grandes épreuves qui m’attendent [quand je tiens de tels propos]. Les gens me détestent et ne cessent de comploter en secret pour me nuire.
Je ne reviendrai pas sur les diverses persécutions dont j’ai souffert précédemment et ne mentionnerai que celle de l’année dernière lorsque, le douzième jour du neuvième mois, j’ai encouru la fureur des autorités gouvernementales et que l’on s’apprêtait à me décapiter8 en pleine nuit. Pour une raison qui m’échappe, j’ai pu vivre jusqu’au matin et je me suis retrouvé dans cette province insulaire de Sado où je réside depuis. J’ai été abandonné par le monde, délaissé par la Loi du Bouddha, et les divinités célestes ne font preuve d’aucune pitié à mon égard. Je suis à la fois rejeté par les mondes profane et bouddhique.
Cependant, vous avez eu assez de détermination pour m’envoyer un messager avec des offrandes pour la troisième cérémonie 335annuelle9 commémorant le décès de votre mère bien-aimée, événement marquant de votre vie. Durant ces deux ou trois dernières journées, j’ai vécu comme dans un rêve. Je me sens pareil à l’administrateur du Hosshō-ji qui, en exil sur l’île d’Iōgashima, rencontra soudain le jeune homme qui l’avait longtemps servi10. Quand Yang Gong11, le barbare du nord, fut fait prisonnier en Chine et conduit dans le Sud, il vit des oies sauvages traverser le ciel et, [pensant qu’elles venaient de son Nord natal], il poussa un long soupir d’attendrissement. Je crois pourtant que son émotion alors ne surpasse pas la mienne [aujourd’hui].
Il est dit dans le Sūtra du Lotus : « Si l’un de ces hommes ou l’une de ces femmes de bien est capable, dans les temps qui suivront ma disparition, d’exposer secrètement le Sūtra du Lotus à quelqu’un, ne serait-ce même qu’une seule phrase, tu dois savoir que cette personne est un messager de l’Ainsi-Venu, dépêché par l’Ainsi-Venu pour mener l’œuvre de l’Ainsi-Venu12. » Celui qui récite ne serait-ce qu’un verset du Sūtra du Lotus et le transmet à un autre est l’émissaire du bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements. Et moi, Nichiren, aussi humbles que soient mes origines, j’ai reçu l’ordre royal du bouddha Shakyamuni de venir en ce pays. Il apparaît donc évident, au regard du Sūtra, que toute personne proférant une parole de calomnie à mon égard commettra un crime qui le condamnera à l’Enfer aux souffrances incessantes, alors que quiconque offrira ne serait-ce qu’un verset [du Sūtra] en ma faveur acquerra des bienfaits plus grands que s’il avait adressé des offrandes à d’innombrables bouddhas.
Le bouddha Shakyamuni est le seigneur de tous les enseignements bouddhiques, le guide et le maître de tous les êtres vivants. Ses quatre-vingt mille enseignements sont tous des paroles d’or ; les douze catégories d’écrits sont toutes authentiques. L’interdiction de proférer des mensonges, observée par le Bouddha pendant d’innombrables millions de kalpa, se reflète dans la totalité des sūtras. La véracité de tous ces enseignements ne fait donc aucun doute.
Il ne s’agit cependant ici que d’une approche globale. Si nous entrons dans les détails, nous découvrons que les enseignements émis par les paroles d’or de l’Ainsi-Venu peuvent être divisés en diverses catégories, Hinayana et Mahayana, enseignements exotériques et ésotériques, et enseignements provisoires et enseignement véritable. Il est dit dans le Sūtra du Lotus : « Renonçant très clairement à me servir des moyens opportuns, [je vais prêcher seulement la Voie inégalée]13. » Ou encore : « L’Honoré du monde [qui depuis longtemps déjà expose des doctrines adaptées à ses auditeurs] doit maintenant révéler la vérité [tout entière]14. » Au regard de ces déclarations, qui pourrait douter [que le Sūtra du Lotus représente la vérité ultime] ? À cela s’ajouta le témoignage de l’Ainsi-Venu Maints-Trésors et des bouddhas [des dix directions] qui étendirent leur langue jusqu’au ciel de Brahma, apportant ainsi une preuve supplémentaire.
L’ensemble du texte de ce Sūtra correspond donc en fait à trois textes, chaque phrase à trois phrases, chaque mot à trois mots, car le bienfait du Sūtra du Lotus est tel qu’un seul de ses mots contient les triples bienfaits de Shakyamuni, Maints-Trésors, et des bouddhas des dix directions.
On pourrait comparer cela au joyau-qui-exauce-tous-les-vœux. Un tel joyau équivaut à cent joyaux du même genre. Un joyau-qui-exauce-tous-les-vœux peut faire pleuvoir d’innombrables trésors, et cent joyaux peuvent eux aussi produire d’inépuisables trésors. C’est encore comme réduire en poudre cent plantes médicinales pour confectionner une dose, ou pour en fabriquer cent. Qu’il y en ait une ou cent, ce remède aura le pouvoir de guérir la maladie. Prenons encore l’exemple du grand océan ; chaque goutte contient 336[la saveur] de la multitude des cours d’eau qui se jettent en lui, et l’océan lui-même contient la saveur de tous les courants qui se jettent en lui.
Le Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse est un nom global, alors que les vingt-huit chapitres ont chacun un titre particulier. De même, Terre de la Lune15 désigne l’Inde dans son ensemble, alors que ce pays est plus précisément divisé en cinq régions. Nous pouvons aussi parler du Japon, qui est un nom global ou, plus précisément, en citer les soixante-six provinces16.
Les joyaux-qui-exaucent-les-vœux sont les reliques du bouddha Shakyamuni. Les rois-dragons les reçurent et les portèrent sur la tête, et Shakra les tint dans sa main et en fit pleuvoir des trésors17. Le corps et les os du Bouddha peuvent devenir des joyaux-qui-exaucent-les-vœux parce que le grand précepte18 qu’il observa durant une période d’innombrables kalpa a imprégné son corps de son parfum et pénétré ses os, de sorte qu’ils devinrent des joyaux capables de sauver tous les êtres.
Les gens disent que les crocs d’un chien se dissolvent au contact des os d’un tigre ou que les arêtes de poisson fondent lorsqu’elles sont aspirées par un cormoran19. Ou encore que, si l’on pince des cordes de koto20 fabriquées avec les tendons d’un lion, les cordes provenant des boyaux d’autres animaux se briseront automatiquement, sans que nul ne les coupe. On appelle « rugissement du lion » l’enseignement de la Loi par le Bouddha, et le Sūtra du Lotus est le plus puissant rugissement qui soit.
Un bouddha possède trente-deux signes principaux. Chacun de ces signes est doté des caractéristiques des cent mérites acquis par le Bouddha. La protubérance crânienne, la touffe de poils blancs entre les sourcils, et les autres signes sont comme des fruits, alors que les pratiques accomplies dans le passé sont comme des fleurs, qui produisent autant de bienfaits ; c’est pourquoi le corps du Bouddha finit par être pourvu de ces trente-deux signes principaux.
Un des quatre-vingts signes secondaires du Bouddha est le sommet du crâne invisible21. Le bouddha Shakyamuni mesurait plus de seize pieds, mais un brahmane de l’école du Bâton de bambou ne put évaluer sa taille. C’est en vain qu’il tenta d’apercevoir le sommet du crâne de Shakyamuni. Le bodhisattva Digne-de-Garder22 fut lui aussi incapable de voir le sommet du crâne du Bouddha, et cela est également vrai du roi céleste Brahma. Si nous nous demandons pourquoi, nous découvrons que, dans le passé, le Bouddha inclina la tête jusqu’au sol en signe de révérence envers ses parents, son maître et son souverain, ce qui lui valut en retour d’acquérir ce signe caractéristique.
Le plus important des trente-deux signes principaux du Bouddha est sa voix brahmique [pure et portant loin]23. Rois inférieurs, grands rois et rois-qui-font-tourner-la-roue, tous possèdent jusqu’à un certain point ce signe. C’est pourquoi un seul mot de ces rois peut suffire à détruire le royaume ou à garantir l’ordre en son sein. Les édits promulgués par les dirigeants correspondent en quelque sorte à la voix pure et portant loin. Dix mille paroles prononcées par dix mille sujets ordinaires ne peuvent égaler une seule parole de roi. Les œvres connues sous le nom des Éminents Classiques ne contiennent que les paroles des rois inférieurs.
Si l’ordre règne dans ce petit royaume du Japon, si le roi céleste Brahma exerce son autorité sur les habitants du monde des trois plans, et le Bouddha la sienne sur Brahma, Shakra et les autres divinités, c’est uniquement grâce à cette voix pure et portant loin. Ce sont les paroles du Bouddha qui composent l’ensemble des sūtras et apportent des bienfaits à tous les êtres vivants. Et, parmi les sūtras, le Sūtra du Lotus est l’expression écrite du dessein de l’Ainsi-Venu Shakyamuni ; c’est sa voix sous forme écrite. Le cœur du Bouddha s’incarne donc dans ces 337mots écrits. À titre d’exemple, on pourrait comparer cela à la germination des graines qui se transforment en plantes et produisent du riz. Même si le riz prend des formes différentes, son essence demeure la même.
Le bouddha Shakyamuni et les mots écrits du Sūtra du Lotus sont deux choses diférentes, mais leur cœur n’est qu’un. C’est pourquoi, quand vous portez les yeux sur les mots du Sūtra du Lotus, vous devez considérer que, devant vous, se trouve le corps vivant de l’Ainsi-Venu Shakyamuni.
Le bouddha Shakyamuni sait déjà que vous avez envoyé de très loin des offrandes jusqu’en cette province de Sado. Il n’y a pas en vérité d’acte plus loyal ni plus dévoué que celui-là.
Avec mon profond respect,
Nichiren
La neuvième année de Bun’ei [1272]
Réponse à Shijō Saburō Saemon-no-jō
Notes
1. Le souverain Huan, qui régna de 685 à 643 avant notre ère, fut le quinzième souverain du royaume de Qi, en Chine. Il réforma le système militaire et s’efforça d’accroître la richesse et la force militaire de son royaume. Quand les seigneurs féodaux s’assemblèrent pour former une ligue en 651 avant notre ère, il se porta à leur tête. On trouve l’histoire de ses vêtements violets dans le Han Feizi.
2. Chuang, qui régna de 613 à 591 avant notre ère, fut le vingt-deuxième souverain du royaume de Chu. Dans bon nombre d’ouvrages philosophiques anciens, on considère que le souverain aimant les femmes minces serait plutôt le roi Ling qui régna de 541 à 529 avant notre ère.
3. Les grands préceptes sont ici les dix préceptes de bien destinés aux laïcs, qui correspondent à l’interdiction d’accomplir les dix mauvais actes.
4. Ces propos de Shandao figurent dans son ouvrage l’Éloge de la renaissance dans la Terre pure, qui prône le Nembutsu, pratique consistant à invoquer le nom du bouddha Amida, comme voie vers le salut.
5. Choix du Nembutsu par-dessus tout.
6. Il s’agit là du dix-huitième des quarante-huit vœux émis par le bouddha Amida alors qu’il se livrait encore à la pratique du bodhisattva, en tant que bodhisattva Trésor-du-Dharma.
7. Sūtra du Lotus, chap. 3.
8. Cela fait référence à la persécution de Tatsunokuchi, en 1271.
9. Au Japon la troisième cérémonie annuelle commémorant un décès se déroule en fait à l’occasion du deuxième anniversaire du décès, la première se déroulant tout de suite après la mort. Il s’agit là d’une date importante, selon la tradition, tout comme les septième, quarante-neuvième et centième jours après la mort et les premier, troisième, treizième, dix-septième, vingt-troisième, vingt-septième, trente-troisième et cinquantième anniversaires d’un décès. En ces occasions, les gens organisent des services funéraires pour les défunts.
10. L’administrateur du Hosshō-ji se réfère à Shunkan (décédé en 1179) qui était un des directeurs administratifs de ce temple de l’école Tendai, à Kyōto. En 1177, il rencontra plusieurs autres proches de l’empereur retiré Goshirakawa, dans une villa, à Shishigatani, pour organiser un soulèvement contre Taira no Kiyomori qui, en sa qualité de grand chancelier, contrôlait militairement la capitale. Le complot fut découvert et les conspirateurs furent arrêtés. Comme Fujiwara no Naritsune et Taira no Yasuyori, Shunkan fut banni sur l’île d’Iōgashima, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Kyūshū. L’année suivante, Naritsune et Yasuyori furent graciés mais Shunkan demeura en exil jusqu’à sa mort. Selon Le Dit des Heike, lors de la troisième année de l’exil de Shunkan, un jeune homme nommé Ariō, qui était entré à son service alors qu’il n’était encore qu’un enfant, vint lui rendre visite dans l’île avec une lettre de sa fille.
11. Yang Gong : source incertaine.
12. Sūtra du Lotus, chap. 10.
13. Ibid., chap. 2.
14. Ibid.
15. La Terre de la Lune (ch. Yuezhi) était une façon de désigner l’Inde en Chine et au Japon. Dans la dernière partie du IIIe siècle avant notre ère, une tribu de l’Asie centrale, les Yuezhi, régna sur une partie de l’Inde. Comme il fallait traverser ce territoire pour se rendre en Chine, il semble que les Chinois ont considéré la terre des Yuezhi (la tribu de la Lune) comme étant l’Inde elle-même.
16. Les soixante-six provinces correspondaient autrefois à l’ensemble du Japon. Cette 338division du pays demeura en vigueur de l’an 813 jusqu’à la restauration de Meiji, dans la seconde moitié du XIXe siècle.
17. Selon le Traité de la grande perfection de sagesse, le dieu Shakra fit pleuvoir des trésors sur tout le continent du Jambudvipa, lors d’une bataille contre les asura.
18. Le grand précepte désigne ici le véritable enseignement, c’est-à-dire le Sūtra du Lotus.
19. Source inconnue. La première analogie montre combien les tigres ont les os durs, ce qui les rend supérieurs aux autres animaux, et la seconde signifie probablement qu’un poisson dévoré par un cormoran est si bien digéré par ce dernier qu’il n’en reste aucune arête.
20. Instrument de musique traditionnelle. Sorte de cithare japonaise horizontale.
21. « Le sommet du crâne invisible » est l’un des quatre-vingts signes secondaires du Bouddha. Il est généralement relié à la protubérance crânienne, un des trente-deux signes principaux du Bouddha. On dit que les êtres humains ou célestes ne peuvent voir le haut de la tête d’un bouddha. Ce signe symbolise le caractère illimité de la sagesse du Bouddha et son état d’éveil.
22. Il s’agit d’un bodhisattva qui apparaît dans le Sūtra des trésors accumulés et dans d’autres sūtras. Dans ses Annotations sur La Grande Concentration et Pénétration, Miaole dit que le bodhisattva Digne-de-Garder ne parvint pas à mesurer le Bouddha. Cela symbolise la grandeur physique et la sagesse du bouddha. Dans cette partie de son œuvre, Miaole commente en fait un passage de La Grande Concentration et Pénétration de Tiantai où il est dit que le grand roi céleste Brahma ne put voir le sommet du crâne du Bouddha.
23. On l’appelle aussi la voix qui atteint le ciel de Brahma. Selon le Traité de la grande perfection de sagesse, la voix d’un bouddha ravit ceux qui l’entendent ; elle touche en profondeur le cœur des gens et éveille un sentiment de vénération.