Voyons le sens général du chapitre intitulé “[Les actes antérieurs du bodhisattva] Roi-de-la-Médecine”. Figurant dans le septième volume, c’est le vingt-troisième des vingt-huit chapitres composant le Sūtra du Lotus.
Le premier volume du Sūtra contient deux chapitres, “Introduction” et “Moyens opportuns”. Le chapitre “Introduction” tient lieu de prologue à l’ensemble des vingt-huit chapitres.
Les huit chapitres allant de “Moyens opportuns” jusqu’à “Prophétie [aux novices et aux disciples confirmés]” expliquent d’abord comment les personnes des deux véhicules1 peuvent atteindre la bouddhéité puis, en second lieu, comment les bodhisattvas et les hommes du commun peuvent également y parvenir.
Les cinq chapitres suivants, “Le maître de la Loi”, “[L’apparition de la] Tour aux trésors”, “Devadatta”, “Exhortation à la persévérance” et “Les pratiques paisibles”, expliquent comment les enseignements présentés dans les huit chapitres précédents doivent être appliqués par les hommes du commun à l’époque de la Fin de la Loi.
Suit le chapitre “Surgir de terre” qui sert d’introduction au chapitre “La durée de la vie [de l’Ainsi-Venu]”. Les douze chapitres suivants, à partir de “Distinctions des bienfaits”, clarifient d’abord comment les doctrines développées dans le chapitre “Durée de la vie”, puis, en second lieu, celles des huit chapitres à compter de “Moyens opportuns”, doivent être appliquées par les hommes du commun à l’époque de la Fin de la Loi.
Le chapitre “Roi-de-la-Médecine” explique donc comment appliquer à la fois les enseignements des huit chapitres à compter de “Moyens opportuns” et ceux du chapitre “Durée de la vie”.
Le chapitre “[Les actes antérieurs du bodhisattva] Roi-de-la-Médecine” contient dix analogies, la première étant celle du grand océan. Je vais d’abord expliquer cette image dans ses grandes lignes. Sur le continent sud, le Jambudvipa, se trouvent deux mille cinq cents fleuves et rivières ; sur le continent de l’Ouest, le Godaniya, il en existe cinq mille. Sur les quatre continents, il y en a au total vingt-cinq mille neuf cents. Certains de ces cours d’eau ont une longueur de quarante ou cent ri2, d’autres d’un ri seulement, d’un pas ou d’une brasse. Mais aucun d’eux n’égale en profondeur le grand océan.
Parmi tous les sūtras tels que le Sūtra de la Guirlande de fleurs, les sūtras Agama, les sūtras Vaipulya, les sūtras de la Sagesse, ou le Sūtra des profonds secrets, le Sūtra d’Amida, le Sūtra du Nirvana, le Sūtra de Mahavairochana, le Sūtra de la couronne de diamants, le Susiddhikara-sūtra et le Sūtra de la solennité secrète, parmi tous les sūtras enseignés par les Ainsi-Venus Shakyamuni, Mahavairochana, Amida, Maître-de-la-Médecine, et parmi tous ceux qui ont été enseignés par les divers bouddhas des trois phases de l’existence — passé, présent et avenir —, parmi eux tous, le Sūtra du Lotus est le plus important. Sur un plan analogique, les autres sūtras sont pareils aux grands fleuves, aux fleuves de taille moyenne et aux rivières, alors que le Sūtra du Lotus est semblable à l’océan.
L’océan possède dix qualités qui marquent sa supériorité sur les fleuves. Premièrement, l’océan devient peu à peu plus profond. Deuxièmement, il refuse d’abriter les cadavres. Troisièmement, les fleuves perdent leur nom quand ils se jettent dans l’océan. Quatrièmement, la saveur de l’océan est la même partout. Cinquièmement, l’océan contient divers trésors qu’on ne trouve pas dans les fleuves. Sixièmement, l’océan est extrêmement profond. Septièmement, l’océan est d’une largeur illimitée. Huitièmement, l’océan abrite des créatures de grande taille. Neuvièmement, l’océan connaît le flux et le reflux des marées. Et, dixièmement, l’océan 93absorbe les eaux des pluies torrentielles ou des fleuves immenses sans jamais déborder.
De la même façon, le Sūtra du Lotus possède dix qualités alors que les autres sūtras ont dix défauts. Les bienfaits obtenus de ce Sūtra augmentent en profondeur et en bonté, et se prolongent jusqu’à la cinquantième personne qui en entend parler. Mais il n’y a aucun bienfait à attendre des autres sūtras, même pour leur premier auditeur, encore moins pour le deuxième, le troisième ou le quatrième, ainsi de suite jusqu’au cinquantième.
Les fleuves ont beau être profonds, ils ne peuvent égaler les parties les moins profondes de l’océan. Et, si les divers autres sūtras prétendent que, avec un seul verset ou grâce aux dix méditations3, ils peuvent mettre sur la bonne voie les personnes mauvaises ayant commis les dix mauvais actes ou les cinq transgressions capitales, [les bienfaits reçus par ces individus] ne peuvent égaler ceux que reçoit la cinquantième personne qui se réjouit d’entendre un seul verset du Sūtra du Lotus.
Dans le cas du Sūtra du Lotus, de même que l’océan refuse d’abriter les cadavres, ceux qui calomnient la Loi en s’opposant au Sūtra du Lotus seront rejetés par ce dernier même si, sur d’autres plans, ils peuvent être des personnes d’une très grande bonté. Et cela est d’autant plus vrai pour les personnes mauvaises qui, en plus de leurs mauvais actes, calomnient la Loi ! Même s’ils dénigrent ouvertement les autres sūtras, ceux qui ne s’opposent pas au Sūtra du Lotus sont assurés d’atteindre la Voie du Bouddha. Mais avoir foi dans tous les autres sūtras et s’opposer au Sūtra du Lotus conduit inéluctablement à tomber dans la grande citadelle de l’enfer Avīci.
Venons-en maintenant à la huitième vertu de l’océan, à savoir qu’il peut accueillir des créatures de grande taille. Il se trouve que l’océan abrite des poissons gigantesques tels que le makara4. Le lieu appelé Enfer aux souffrances incessantes mesure au total quatre-vingt mille yojana de long et autant de large. Mais, quand une personne tombe dans l’Enfer aux souffrances incessantes en commettant les cinq transgressions capitales, elle seule suffit à l’emplir totalement5. Nous savons donc que les habitants de cet enfer, qui ont commis les cinq transgressions capitales, sont des êtres de très grande taille.
Dans les autres sūtras, semblables à de petites rivières ou à de grands fleuves, il n’y a aucun poisson makara. Mais on en trouve bel et bien dans le grand océan du Sūtra du Lotus. De la même manière, il n’est pas dit clairement dans les autres sūtras que ceux qui commettent les cinq transgressions capitales sont capables d’atteindre la voie du Bouddha. Ou, si cela est dit, le vrai principe n’y est pas encore révélé.
C’est pourquoi le Grand Maître Tiantai Zhizhe, qui avait mémorisé tous les enseignements exposés par le Bouddha de son vivant, dit dans son commentaire du Sūtra du Lotus : « Les autres sūtras ne prédisent la bouddhéité que pour les bodhisattvas mais pas pour les personnes des deux véhicules. Ils ne la promettent qu’aux personnes vertueuses, pas aux personnes mauvaises. (...) Ce sūtra-ci prédit la bouddhéité pour tous6. » Mais je n’entrerai pas ici dans les détails.
La deuxième analogie est celle des montagnes. Le Sūtra dit que, parmi les dix montagnes aux trésors et parmi toutes les autres, le mont Sumeru est le plus important. Les dix montagnes aux trésors sont : les montagnes Neigeuses, le mont Embaumé, le mont Khadira, la Montagne des immortels et des sages, le mont Yugamdhara, le mont de l’Oreille de cheval, le mont Nimindhara, le mont Chakravada, la Montagne de la Sagesse du passé et enfin le mont Sumeru.
Les neuf premières montagnes sont des montagnes ordinaires, comme les divers autres sūtras. Chacune recèle des trésors. Mais le mont Sumeru contient une multitude de trésors, des trésors supérieurs à ceux des autres montagnes. Il est en quelque 94sorte comme l’or du Jambunada7 auquel on ne saurait comparer l’or ordinaire.
Le Sūtra de la Guirlande de fleurs enseigne que « le monde phénoménal est une pure création de l’esprit » ; les sūtras de la Sagesse énoncent dix-huit sortes de non-substantialité [vacuité] ; le Sūtra de Mahavairochana expose sa méditation en cinq étapes pour atteindre la bouddhéité, et le Sūtra de la méditation présente sa doctrine de renaissance dans la Terre pure. Mais l’enseignement de l’atteinte de la bouddhéité en cette vie [contenu dans] le Sūtra du Lotus les dépasse tous.
Le mont Sumeru est de couleur dorée. Toute créature venant sur cette montagne, bœuf ou cheval, être humain ou céleste, oiseau ou autre être vivant, perd inévitablement sa couleur originelle et prend la teinte dorée de la montagne. Cela n’est vrai pour aucune autre montagne. De la même manière, les divers sūtras, placés à côté du Sūtra du Lotus, perdent leur couleur originelle. Ce sont comme des objets noirs qui, exposés à la lumière du soleil ou de la lune, perdent leur couleur. Donc, les enseignements concernant la renaissance dans une autre terre ou l’atteinte de la bouddhéité qui colorent ces autres sūtras perdent inévitablement leur sens lorsqu’ils sont exposés à la lumière du Sūtra du Lotus.
La troisième analogie est celle de la lune. Parmi les diverses étoiles, certaines ne peuvent guère éclairer qu’une zone d’un demi-ri au plus, d’autres d’un ri, d’autres encore une zone atteignant au maximum huit ou seize ri. Mais la lune peut éclairer une zone de plus de huit cents ri. Ainsi, chaque étoile a son propre rayonnement, mais aucune ne peut rivaliser avec l’éclat de la lune.
Même si l’on réunissait cent, mille, dix mille ou un million d’étoiles, ainsi que les étoiles du monde des quatre continents d’un système de mondes majeurs, et de tous les mondes des dix directions, leur lumière n’égalerait pas celle d’une seule lune. Comment alors une simple étoile pourrait-elle éclairer autant que la lune ?
De même, si nous réunissions les divers sūtras, tels que le Sūtra de la Guirlande de fleurs, les sūtras Agama, les sūtras Vaipulya, les sūtras de la Sagesse, le Sūtra du Nirvana, le Sūtra de Mahavairochana et le Sūtra de la méditation, ils ne seraient jamais l’équivalent ne serait-ce que d’un seul caractère du Sūtra du Lotus.
Dans l’esprit de tous les êtres ordinaires, il existe trois catégories d’illusions : il y a celle des illusions de la pensée et du désir, celle des illusions dites aussi innombrables que les particules de poussière et de sable, et celle des illusions sur la véritable nature de l’existence. Il existe aussi le karma créé par les dix mauvais actes ou les cinq transgressions capitales. Tout cela forme une sorte de nuit obscure. Le Sūtra de la Guirlande de fleurs et les autres sont pareils à des étoiles dans cette nuit obscure alors que le Sūtra du Lotus est comme la lune. Pour ceux qui ont foi dans le Sūtra du Lotus, mais une foi peu profonde, c’est comme si une demi-lune éclairait l’obscurité. Mais, pour ceux dont la foi est profonde, c’est comme si la pleine lune illuminait la nuit.
Par une nuit sans lune où seules brillent les étoiles, des hommes forts ou des individus robustes pourront aller dehors, mais pas les personnes âgées et pas non plus les femmes. Mais, avec la pleine lune, même les femmes et les aînés vont où bon leur semble, à un banquet ou à la rencontre d’autres personnes. De même, dans les divers sūtras, on dit que les bodhisattvas et les hommes du commun aux facultés supérieures pourront atteindre l’illumination. Mais en ce qui concerne les personnes des deux véhicules, les hommes du commun [sans dons particuliers], les femmes, les hommes mauvais ou ceux qui, dans l’époque de la Fin de la Loi, sont âgés et paresseux et n’observent pas les préceptes, aucune garantie n’est donnée qu’ils pourront un jour renaître dans la Terre pure ou 95atteindre la bouddhéité. Cela n’est cependant pas vrai dans le cas du Sūtra du Lotus. Là, même les personnes des deux véhicules, les femmes et les hommes mauvais sont assurés de devenir bouddhas, à plus forte raison les bodhisattvas et les hommes du commun aux facultés supérieures.
Par ailleurs, la lune brille avec plus d’éclat autour de l’aube qu’en début de soirée et plus en automne et en hiver qu’au printemps et en été. De la même façon, le Sūtra du Lotus est encore plus apte à apporter des bienfaits aux êtres vivants de l’époque de la Fin de la Loi que durant les deux mille ans des époques de la Loi correcte et de la Loi formelle.
Question : Sur quelles preuves écrites vous appuyez-vous ?
Réponse : La vérité est d’une évidence éclatante. D’ailleurs, un chapitre [du Sūtra du Lotus] déclare ceci : « Quand je serai entré dans l’extinction, dans la dernière période de cinq cents ans, il te faudra le propager largement [le Sūtra du Lotus] dans tout le Jambudvipa, sans le laisser jamais disparaître (...)8. » Ce passage appelant à propager largement le Sūtra dans tout le continent sud du Jambudvipa, quand deux mille ans se seront écoulés, rejoint la troisième analogie, celle de la lune. Le Grand Maître Kompon, également connu sous le nom de Grand Maître Dengyō, avait cette idée à l’esprit lorsqu’il fit ce commentaire : « Les époques de la Loi correcte et de la Loi formelle sont presque achevées et l’époque de la Fin de la Loi s’approche. Voici venu le moment où le Véhicule Unique du Sūtra du Lotus prouvera qu’il convient parfaitement à la capacité de tous9. »
Les bienfaits conférés par le Sūtra du Lotus dépassaient déjà ceux des divers autres sūtras durant les mille ans de l’époque de la Loi correcte et les mille ans de l’époque de la Loi formelle. Mais, une fois passés le printemps et l’été des deux mille ans de la Loi correcte et de la Loi formelle, lorsque arrivent l’automne et l’hiver de la Fin de la Loi, alors la lumière de la lune brillera avec plus d’éclat que jamais.
La quatrième analogie est celle du soleil. Quand la lune apparaît dans un ciel où brillent les étoiles, même si sa lumière surpasse la leur, les étoiles ne perdent rien de leur éclat. Mais, quand paraît le soleil, non seulement les étoiles ne brillent plus, mais la lune aussi est privée de son éclat et perd son rayonnement.
Les sūtras enseignés avant le Sūtra du Lotus sont comme les étoiles, l’enseignement théorique du Sūtra du Lotus est comme la lune, et le chapitre “Durée de la vie”, comme le soleil. Quand le chapitre “Durée de la vie” fait son apparition, alors la lune de l’enseignement théorique ne peut l’égaler, et les étoiles représentées par les sūtras antérieurs encore moins.
La nuit, [quand brillent] les étoiles et la lune, les êtres humains laissent leurs occupations. Mais, une fois l’aube venue, ils retournent invariablement à leurs activités. De même, tant que prévaudront les sūtras antérieurs ou l’enseignement théorique du Sūtra du Lotus, il sera difficile pour les êtres humains de se libérer du cycle des naissances et des morts. Mais, une fois apparu le chapitre “Durée de la vie” de l’enseignement essentiel, alors les gens pourront à coup sûr se libérer du cycle des naissances et des morts.
Il y a dix analogies, mais je ne parlerai pas ici des six autres.
Outre ces dix analogies, le chapitre “Roi-de-la-Médecine” en développe beaucoup d’autres. L’une d’elles concerne un voyageur qui trouve un bateau au moment où il souhaite effectuer une traversée. Cette analogie signifie que, dans le grand océan des naissances et des morts, les sūtras enseignés avant le Sūtra du Lotus sont pareils à des radeaux ou à de petits bateaux. S’ils peuvent transporter les êtres humains d’une rive à l’autre du royaume des naissances et des morts, ils sont incapables de leur faire traverser l’océan des naissances et 96des morts jusqu’au rivage lointain du bonheur suprême10.
Ces sūtras sont pareils aux petites embarcations de notre monde qui peuvent aller de Kyūshū à la région de Bandō, ou de Kamakura à Enoshima11, mais qui ne peuvent atteindre la Chine. Par contre, un bateau destiné à se rendre en Chine est tout à fait capable d’effectuer sans entraves tout le trajet depuis le Japon jusqu’à la Chine.
Il y a encore l’analogie qu’on résume en ces mots : « Comme des pauvres découvrant des richesses. » Les terres représentées par les sūtras enseignés avant le Sūtra du Lotus sont des terres pauvres, et leurs habitants sont pareils à des esprits affamés. Par contre, le Sūtra du Lotus est une véritable montagne de richesses et ses habitants sont riches.
Question : Quand vous dites que les terres des sūtras enseignés avant le Sūtra du Lotus sont pauvres, sur quel passage des écrits vous appuyez-vous ?
Réponse : On peut lire dans le chapitre “La prophétie délivrée” du Sūtra du Lotus : « Imaginez qu’en arrivant d’une terre où sévirait la famine quelqu’un se retrouve soudain dans un banquet royal12. »
À propos de la renaissance dans la Terre pure et l’atteinte de la bouddhéité par les femmes, il est dit : « Si, dans la dernière des cinq périodes de cinq cents ans qui suivra la disparition de l’Ainsi-Venu, une femme vient à entendre ce Sūtra et suit toutes les pratiques prescrites par le Sūtra, quand sa vie sur terre parviendra à son terme, elle rejoindra immédiatement le monde de paix et de bonheur où réside le bouddha Amida, entouré d’une assemblée de grands bodhisattvas, et y renaîtra, assise sur un siège orné de joyaux au milieu d’une fleur de lotus13. »
Question : Pourquoi dans le Sūtra [du Lotus] et notamment dans ce chapitre est-il tant question de la renaissance des femmes dans la Terre pure ?
Réponse : Les intentions du Bouddha sont difficiles à sonder et cette question n’est donc pas facile à élucider. Mais, si je devais risquer une hypothèse, je dirais que c’est parce que l’on considère que les femmes sont à la racine de diverses erreurs et à la source de la chute du pays. C’est pourquoi, dans les écrits bouddhiques et non bouddhiques, on trouve beaucoup d’interdictions les concernant. C’est le cas, par exemple, des trois obéissances développées dans les écrits non bouddhiques. « Les trois obéissances » impliquent de se soumettre à trois sortes d’autorité : jeune, une femme doit obéir à ses parents ; quand elle se marie, elle doit obéir à son mari ; et, dans sa vieillesse, elle doit obéir à son fils. Elle est donc confrontée à ces trois obstacles et ne peut se comporter librement dans le monde.
Si nous considérons les écrits bouddhiques, nous découvrons qu’il y a cinq obstacles auxquels sont confrontées les femmes. Parmi ceux-ci, le premier est que, au cours de leurs renaissances multiples dans les six voies, contrairement aux hommes, elles ne peuvent jamais renaître en tant que Brahma, le grand roi céleste. Deuxièmement, elles ne peuvent jamais renaître en tant que Shakra, le roi céleste. Troisièmement, elles ne peuvent pas renaître en tant que roi-démon. Quatrièmement, elles ne peuvent pas renaître en tant que roi-qui-fait-tourner-la-roue. Et, cinquièmement, elles doivent rester à jamais au sein des six voies, sans pouvoir émerger du monde des trois plans pour devenir bouddha. (Ce passage se trouve dans le Sūtra de la méditation plus lumineuse que le soleil et la lune.) On peut lire dans le Sūtra sur la femme couleur argent : « Même si les yeux des bouddhas des trois phases de l’existence tombaient sur le sol, jamais aucune femme dans aucun domaine d’existence ne pourrait parvenir à la bouddhéité. »
Bien que ce soit des hommes du commun, les souverains valeureux et les sages 97ne profèrent pas de mensonge. Ainsi, Fan Yuqi offrit sa tête à Jin Ko et le prince Jizha accrocha son sabre sur la tombe du seigneur de Xu. Ils agirent ainsi pour ne pas trahir leurs promesses et ne pas se rendre coupables de mensonges éhontés. Et si de tels hommes ne profèrent pas de mensonge, cela est d’autant plus vrai des auditeurs, des bodhisattvas ou des bouddhas !
Dans le passé, alors que le Bouddha était encore un homme du commun et qu’il pratiquait les enseignements des sūtras du Hinayana, il entreprit d’observer les cinq préceptes. Et, parmi ceux-ci, le quatrième consiste à ne jamais mentir. Il observa rigoureusement ce précepte. Par la suite, il ne l’enfreignit jamais, même au risque de perdre ses biens ou sa vie.
Quand il pratiqua les enseignements des sūtras du Mahayana, il observa les dix préceptes majeurs et, parmi ces derniers, le quatrième était de ne jamais mentir. Il observa fidèlement ce précepte sans l’enfreindre une seule fois durant d’innombrables kalpa jusqu’à ce que, finalement, grâce au pouvoir acquis en observant ce précepte, il parvînt à acquérir le Corps d’un bouddha. Et, parmi les trente-deux signes principaux du Corps d’un bouddha, il obtint une longue et large langue.
La langue du Bouddha est si fine, si large et si longue qu’elle peut s’étendre jusqu’à recouvrir son visage ou atteindre la racine des cheveux, voire le ciel de Brahma. Cette langue sur laquelle figurent cinq motifs, comme des dessins en relief, est de couleur cuivrée. Sous elle, deux joyaux sécrètent de l’amrita14.
Le Bouddha acquit cette langue en vertu de son observation du précepte contre le mensonge. Et, avec cette langue, il déclara que, même s’il arrivait que les yeux de tous les bouddhas tombent au sol, aucune femme dans aucune des phases de l’existence ne pourrait jamais devenir bouddha. Nous pourrions donc penser qu’aucune femme, dans quelque monde que ce soit, ne pourrait jamais espérer devenir bouddha. Et l’on doit donc présumer que, pour une personne naissant avec un corps de femme, même le fait de s’élever jusqu’à figurer parmi l’une des trois générations des épouses d’empereur15 n’y changerait rien, et le fait d’accomplir des actes méritoires et de pratiquer les enseignements bouddhiques ne procurerait aucun bien.
Mais il est dit dans ce chapitre “Roi-de-la-Médecine” du Sūtra du Lotus que les femmes pourront renaître dans la Terre pure. Voilà qui est bien étrange ! Est-ce à dire que l’autre sūtra ment ? Ou est-ce celui-ci qui ment ? Quel que soit notre point de vue à ce sujet, il faut bien en déduire que l’un des deux ment. Et, si l’un des deux ment, cela signifie que le même bouddha dit deux choses différentes, ce qui est difficile à croire.
Cependant, dans le Sūtra aux sens infinis, le Bouddha dit : « Durant ces quelque quarante années, je n’ai pas encore révélé la vérité [tout entière]. » Et, dans le Sūtra du Nirvana : « Même si l’Ainsi-Venu ne dit pas de mensonge, si je savais qu’en prononçant des paroles fausses, [je pourrais aider les êtres vivants à obtenir les bienfaits de la Loi, alors pour leur bien, j’adopterais la conduite la mieux adaptée et j’emploierais de tels mots comme moyens opportuns]. »
Au regard de ces passages, il semble bien que le Bouddha n’ait pas dit la vérité en déclarant que les femmes ne pourraient pas parvenir à renaître dans la Terre pure et à atteindre la bouddhéité. Et, au vu des extraits du Sūtra du Lotus où il est dit « L’Honoré du monde [qui depuis longtemps déjà expose des doctrines adaptées à ses auditeurs] doit maintenant révéler la vérité [tout entière]16 » et « Le Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse (...) que tu [Shakyamuni] viens d’exposer est la pure vérité17 », nous devons en conclure que, en affirmant dans ce Sūtra que les femmes pourront à coup sûr atteindre la bouddhéité, le Bouddha fait une déclaration 98authentique et respecte ici le précepte contre le mensonge.
Il est des circonstances où, dans le monde séculier, un homme vertueux dont le fils se comporte étrangement ou se rend coupable d’une faute quelconque, peut déclarer qu’il n’est plus son fils. Pour authentifier cette déclaration, l’homme pourra même la transcrire officiellement ou prononcer un serment. Mais, lorsque approchera le moment de sa mort, il pardonnera à son fils. Malgré ce revirement, on ne saurait nier que c’est un homme vertueux ni l’accuser d’avoir prononcé des paroles mensongères. Le Bouddha agit lui aussi de la même manière en certaines circonstances.
Durant les quelque quarante ans où furent enseignés les sūtras antérieurs, le Bouddha reconnut que les bodhisattvas pouvaient atteindre la Voie, ainsi que les hommes du commun et les hommes de bien, mais il ne reconnut pas cette possibilité aux personnes des deux véhicules, aux femmes ou aux hommes mauvais. Il y eut des moments, cependant, où il parut l’envisager. C’est pourquoi un doute subsistait en ce domaine. Mais, au terme de ses quarante-deux premières années d’enseignement, alors qu’il s’apprêtait à enseigner pendant une période de huit ans le Sūtra du Lotus sur le mont Gridhrakuta, à Rajagriha, dans le royaume du Magadha, il prêcha d’abord le Sūtra aux sens infinis. Et dans ce sūtra il déclara : « Durant ces quelque quarante années [je n’ai pas encore révélé la vérité tout entière]. »
Nichiren