Lors du neuvième mois de la huitième année de Bun’ei [1271], sous le signe cyclique de kanoto-hitsuji, j’ai attiré sur moi la fureur des autorités et j’ai été exilé sur l’île de Sado, dans la mer du nord 663[du Japon]. Quand je vivais à Kamakura, dans la province de Sagami, la province d’Awa où je suis né me manquait un peu. Mais bien que ce fût ma région natale, en raison des sentiments des gens à mon égard, il me semblait bien difficile de créer des liens de proximité avec eux, si bien que mes visites dans la région étaient rares. Je dus alors encourir la fureur des autorités et je faillis être mis à mort, mais, à la place, je fus banni de la province de Sagami. Il apparut alors que, sauf circonstances exceptionnelles, je ne pourrais jamais retourner à Kamakura et qu’il ne me serait donc plus jamais possible de me rendre sur la tombe de mes parents. Comme j’avais toujours cette pensée en tête, j’étais consumé par le remords et ardemment désireux de me rendre immédiatement sur les lieux. Pourquoi, regrettais-je, n’avais-je pas, avant de me retrouver dans une situation pareille, traversé les mers et franchi les montagnes chaque jour, ou ne serait-ce qu’une fois par mois, pour me rendre sur la tombe de mes parents et m’enquérir de mon maître1 ?
Su Wu2 fut prisonnier sur le territoire des barbares du nord pendant dix-neuf ans. Il enviait les oies sauvages qui migraient vers le sud. Nakamaro3 se rendit dans la Chine des Tang en tant qu’émissaire de la Cour impériale du Japon. Les années passèrent, sans qu’il soit autorisé à rentrer chez lui. À chaque fois qu’il apercevait la lune, à l’est, il se consolait en pensant que cette même lune devait briller au-dessus du mont Mikasa, dans sa province natale, et que là, en cet instant précis, les gens la regardaient probablement. Au moment même où j’étais submergé par un désir similaire de [revoir] mon foyer, j’ai reçu de ma province natale le vêtement transmis par vos soins à quelqu’un qui partait pour l’île de Sado. Si Suwu trouva du soutien dans une simple lettre attachée à la patte d’une oie sauvage, moi, en ce qui me concerne, j’ai reçu ce vêtement ! Et la joie qui fut la sienne ne pourrait pas être comparée à la mienne.
Les gens de ce pays sont sans cesse abusés par les moines du Nembutsu ou par ceux des écoles Zen, Ritsu et Shingon. Ainsi, ils agissent en apparence comme s’ils révéraient le Sūtra du Lotus, mais, dans leur cœur, ils n’y croient pas. C’est pourquoi, bien que je pense n’avoir rien fait de particulièrement mauvais, quand j’affirme la suprématie du Sūtra du Lotus, tous éprouvent du ressentiment à mon égard, de même que les gens de l’époque de la Fin de la Loi du bouddha Roi-Son-Majestueux détestaient le bodhisattva Jamais-Méprisant. Depuis le souverain jusqu’aux gens ordinaires, tous éprouvent de la haine rien qu’en entendant mon nom, et plus encore en me voyant. C’est pourquoi, bien que n’étant coupable d’aucun méfait, une fois exilé, je n’ai pu être gracié. Circonstances aggravantes, j’avais dénoncé le Nembutsu — que les gens au Japon révèrent plus profondément que leurs propres parents et placent plus haut que le soleil et la lune — comme étant la cause karmique qui mène à l’Enfer aux souffrances incessantes. J’ai attaqué l’école Zen en tant qu’invention du démon céleste, et l’école Shingon en tant que mauvaise doctrine qui provoquerait la ruine du pays, j’ai soutenu que les temples des moines du Nembutsu, du Zen et du Ritsu devaient être brûlés et qu’il fallait décapiter les moines du Nembutsu et les autres4. J’ai même été jusqu’à affirmer que les deux moines séculiers défunts du Saimyō-ji et du Gokuraku-ji5 étaient tombés dans l’enfer Avīci. La gravité de ma faute allait jusque-là. Après avoir proféré de si graves accusations devant tous les gens, de haute comme de basse condition, il me devint impossible de paraître de nouveau dans le monde, que mes paroles aient été vraies ou mensongères. Pis encore, j’ai répété des propos de ce genre matin et soir, je les ai prononcés jour et nuit. J’ai aussi informé solennellement Hei no Saemon et plusieurs centaines d’officiers que, quelle que soit la punition encourue, je ne renoncerais pas à parler. C’est pourquoi, 664même s’il advenait qu’un énorme rocher au fond de la mer, ne pouvant être déplacé que par mille hommes, remonte de lui-même à la surface, ou que la pluie tombant du ciel n’atteigne pas le sol, moi, Nichiren, je ne pourrais toujours pas revenir à Kamakura.
J’ai cependant gardé courage en pensant que, si l’enseignement du Sūtra du Lotus était bien exact et que les dieux du soleil et de la lune ne m’abandonnaient pas, j’aurais encore l’occasion de retourner à Kamakura et de me rendre sur la tombe de mes parents. Grimpant alors au sommet d’une haute montagne, je me suis mis à crier haut et fort les mots suivants : « Qu’est-il advenu de Brahma et de Shakra, des dieux du soleil et de la lune, et des quatre rois célestes ? La Grande Déesse du Soleil et le grand bodhisattva Hachiman ne résident-ils plus dans ce pays ? Avez-vous l’intention de briser le vœu que vous avez prononcé en présence du Bouddha et d’abandonner le pratiquant du Sūtra du Lotus ? Même si vous ne me protégez pas, moi, Nichiren, je n’aurai aucun regret, quoi qu’il m’arrive. Rappelez-vous cependant votre serment solennel en présence du bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, de l’Ainsi-Venu Maints-Trésors et des bouddhas des dix directions. Si vous m’abandonnez à présent au lieu de me protéger, ne ferez-vous pas du Sūtra du Lotus, dans lequel le Bouddha a déclaré qu’il “renonçait très clairement à se servir des moyens opportuns”6, un grand mensonge ? Vous aurez trompé tous les bouddhas dans l’ensemble des dix directions et des trois phases de l’existence [le passé, le présent et l’avenir]. Cette faute est encore plus grave que les mensonges éhontés de Devadatta, et elle surpasse [même] les supercheries du vénérable Kokalika. Vous êtes peut-être actuellement considéré avec respect, en tant que grand roi céleste Brahma, et vous habitez au sommet du monde de la forme ; [et vous, Shakra] vous êtes révéré comme le dieu aux mille yeux7 et vous résidez au sommet du mont Sumeru. Mais, si vous me rejetez, moi, Nichiren, vous deviendrez des bûches qui s’en iront nourrir les flammes de l’enfer Avīci, et vous serez à jamais confinés dans la grande citadelle de l’Enfer aux souffrances incessantes. Si vous redoutez de commettre cette faute, hâtez-vous de manifester par un signe votre présence dans le pays, de façon à ce que l’on m’autorise à rentrer chez moi ! »
Puis, le onzième mois, peu après mon arrestation qui avait eu lieu le douzième jour du neuvième mois, une rébellion éclata8 et, le onzième jour du deuxième mois de l’année suivante, plusieurs généraux, puissants protecteurs du Japon, furent inutilement tués. Il était clair qu’il s’agissait d’une punition du Ciel. Apparemment ébranlées par cet incident, les autorités relâchèrent mes disciples prisonniers.
Cependant, je ne fus pas gracié pour autant, et je continuai donc à réprimander les divinités célestes avec toute la véhémence possible. Puis, un jour, un corbeau à tête blanche vola au-dessus de moi. Je me souvins que le prince Dan du Yan avait été relâché lorsqu’étaient apparus un cheval doté de cornes et un corbeau à tête blanche9, et je me rappelai le poème de l’honorable Nichizō10 :
« Même la tête du corbeau des montagnes est devenue blanche. Le temps de rentrer chez moi est enfin venu. »
Je fus dès lors convaincu que je serais relâché peu après. Conformément à mon attente, le gouvernement envoya une lettre annonçant ma grâce le quatorzième jour du deuxième mois de la onzième année de Bun’ei [1274], qui parvint dans la province de Sado le huitième jour du troisième mois.
J’ai quitté mon lieu de résidence à Sado le treizième jour de ce mois-là pour atteindre le port de Ma’ura, où j’ai passé la nuit du 14. J’aurais dû parvenir le 15 au port de Teradomari, dans la province d’Echigo, 665mais une tempête nous détourna de notre route. Cependant, nous sommes fort heureusement parvenus à Kashiwazaki après deux jours en mer et, le lendemain, je suis arrivé au siège de la province d’Echigo. Après douze jours de voyage11, je suis donc finalement revenu à Kamakura, le vingt-sixième jour du troisième mois. Le huitième jour du quatrième mois, j’eus une entrevue avec Hei no Saemon. Comme je m’y attendais, mes avertissements ne furent pas pris en compte. J’avais désormais adressé à trois reprises des remontrances aux autorités12, dans le seul but de sauver le Japon de la destruction. Comme celui dont les avertissements sont ignorés à trois reprises devait se retirer dans une forêt de montagne, j’ai quitté Kamakura le douzième jour du cinquième mois.
J’avais pensé un temps retourner sur mon lieu de naissance et me rendre une nouvelle fois sur la tombe de mes parents. Cependant, il est dans la tradition du clergé et du monde séculier de rentrer chez soi couvert de gloire. Devais-je retourner chez moi sans aucun honneur digne d’être mentionné ? Ne me comporterais-je pas ainsi comme un fils dépourvu de piété filiale ? Ayant déjà surmonté beaucoup d’épreuves et ayant pu regagner Kamakura, j’ai pensé que j’aurais peut-être encore l’occasion de rentrer chez moi, triomphant, et qu’il me fallait attendre ce moment pour me rendre sur la tombe de mes parents. Tout cela me touchant profondément, je ne suis pas encore allé sur mon lieu de naissance. Mais j’ai tellement le mal du pays que, chaque fois que l’on m’annonce que le vent qui souffle vient de l’est, je me précipite hors de chez moi pour le sentir, et, si l’on me dit que le ciel, à l’est, se couvre de nuages, je vais dans mon jardin les regarder. Cela provoque en moi tant d’émotion que je pense affectueusement à ceux avec qui je n’aurais pas d’affinités s’ils n’étaient originaires de ma province natale. Imaginez alors combien j’étais au comble de la joie en recevant votre lettre ! Je l’ai ouverte et lue en toute hâte, pour finalement apprendre que vous aviez perdu votre fils, Yashirō, voici deux ans, le huitième jour du sixième mois. Après cette mauvaise nouvelle, la joie précédant la lecture de votre lettre a fait place au dépit d’avoir agi si précipitamment. J’ai sans doute éprouvé autant de regrets qu’Urashima Tarō13 quand il ouvrit son coffret.
Je ne pense jamais à la légère aux habitants de ma province natale, pas plus que je ne cesse de me préoccuper de ce qu’il adviendra d’eux, même s’ils m’ont causé des tourments ou traité avec cruauté. Votre fils m’a tout particulièrement marqué. Il se distinguait des autres par sa beauté physique et l’on ne percevait pas une once d’entêtement dans son air pensif. Je l’ai vu pour la première fois lors d’un de mes enseignements publics sur le Sūtra du Lotus. Comme il y avait là bon nombre d’inconnus, je n’ai pas pris le risque de m’adresser à lui. Quand mon enseignement s’acheva, mes auditeurs partirent, et votre fils aussi. Mais, par la suite, il m’envoya un messager pour me transmettre ceci : « Je suis originaire d’un lieu appelé Amatsu, dans la province d’Awa. Depuis mon enfance, j’ai toujours profondément admiré votre engagement. Ma mère aussi se fait une haute idée de vous. Je m’adresse peut-être à vous avec une familiarité excessive, mais il y a un sujet sur lequel j’aimerais en toute confiance vous demander conseil. Je sais que je devrais [en principe] attendre que nous nous soyons vus plusieurs fois et que nous nous connaissions mieux. Cependant, étant au service d’un guerrier, j’ai peu de disponibilité et l’affaire est tout à fait urgente. C’est pourquoi, tout en ayant parfaitement conscience de mon manque de politesse, j’aimerais vous solliciter pour un entretien. »
C’est en ces termes courtois qu’il demanda à me consulter. Et, comme il était originaire de ma province natale, je lui ai répondu qu’il n’avait nul besoin d’être si cérémonieux et je l’ai invité à venir me rendre 666visite sur mon lieu de résidence. Il m’a parlé en détails du passé et de l’avenir. Puis il a dit : « L’impermanence est la voie du monde. Nul ne sait quand il va mourir. De plus, je suis engagé au service d’un guerrier et je ne peux éviter le défi d’aller combattre qui m’a été récemment lancé. Je redoute ce qui peut m’arriver dans ma prochaine vie. Je vous supplie de m’aider. »
Je l’ai instruit, en citant des passages de sūtra. Puis il me dit avec tristesse : « Il n’y a rien que je puisse faire pour mon père défunt. Mais si je mourais avant ma mère qui est veuve, je serais un fils infidèle. S’il devait m’arriver quelque chose, demandez, je vous prie, à vos disciples de veiller sur elle. »
C’est en ces termes respectueux qu’il m’adressa sa requête. Ai-je raison de supposer que rien de fâcheux ne s’est produit en cette occasion mais que sa mort a été provoquée par un incident ultérieur ?
Aucun être né sous forme humaine, qu’il soit de haute ou de basse condition, ne peut échapper à la tristesse et à l’anxiété. Pourtant, les troubles varient selon le moment et diffèrent selon la personne. De ce point de vue, la tristesse est comme la maladie : quelle que soit la maladie dont on souffre, plus elle empire et plus l’on pense que rien ne saurait être pire. Il n’est pas non plus facile de se défaire de la douleur de la séparation, que cette dernière concerne notre seigneur, l’un de nos parents, ou notre conjoint. On peut cependant servir un autre seigneur ou trouver un certain réconfort en se remariant. Mais la douleur d’avoir perdu l’un de ses parents ou un enfant ne semble que s’approfondir avec le passage des jours et des mois. Car, même si la mort est le lot de tous les êtres dans ce monde éphémère, il est dans le cours naturel des choses que les parents meurent et que les enfants poursuivent leur vie. Quelle tristesse alors lorsqu’une mère est précédée dans la mort par son enfant ! Vous pouvez éprouver en ce cas de la rancœur envers les divinités et les bouddhas. Pourquoi ne vous ont-ils pas emportée, vous, plutôt que votre fils ? Pourquoi lui avez-vous survécu, si c’est pour être tourmentée par un tel chagrin ? Cela doit être véritablement insupportable.
Même les animaux de faible intelligence ne supportent pas d’être séparés de leurs petits. Le faisan doré du monastère du Bosquet de bambous plongea dans les flammes et mourut pour sauver ses œufs14. Au parc des Gazelles, un cerf s’offrit au roi pour sauver le petit d’une biche qui n’était pas encore né15. L’amour des êtres humains envers leurs enfants est sans nul doute bien plus grand encore. Ainsi, la mère de Wang Ling se brisa le crâne [et mourut pour empêcher son fils de devenir un traître]16 et l’épouse de l’empereur Shen Yao s’ouvrit l’abdomen pour sauver le prince qu’elle portait dans son ventre17. Au regard de ces exemples, je suis certain que vous vous dites en votre for intérieur que vous n’hésiteriez pas à plonger vous-même dans le feu ou à vous briser le crâne si cela vous permettait de revoir votre fils. En imaginant votre peine, je ne peux retenir mes larmes.
Vous dites dans votre lettre : « Mon fils ayant tué d’autres personnes, j’aimerais que vous m’indiquiez dans quelle sorte de lieu il a pu renaître. » Une aiguille coule au fond de l’eau et la pluie ne reste pas dans le ciel. Ceux qui tuent ne serait-ce qu’une fourmi sont destinés à l’enfer et ceux qui ne font que découper les cadavres ne peuvent éviter les mauvaises voies. À plus forte raison, ceux qui tuent d’autres êtres humains doivent souffrir. Cependant, une grosse pierre peut flotter sur la mer quand elle est chargée à bord d’un bateau. Et l’eau n’éteint-elle pas un grand feu ? Une petite erreur conduit aux mauvaises voies si l’on ne s’en repent pas. Mais une faute grave peut être éradiquée si l’on s’en repent sincèrement.
Le moine qui avait volé du millet renaquit en tant que bœuf durant cinq cents vies consécutives18. La personne qui arracha de l’avoine tomba dans les trois 667mauvaises voies19. Plus de quatre-vingt mille rois, notamment Rama, Bhadrika, Viruchin, Nahusha, Karttika, Vishakha, Lumière-de-la-Lune, Éclat-de-la-Lumière, Lumière-du-Soleil, Raga, et Détenteur-de-beaucoup-de-Gens, accédèrent au trône en tuant leur père. Comme ils n’avaient pas rencontré d’amis de bien, leurs fautes ne purent être éradiquées et, finalement, ils tombèrent dans l’enfer Avīci.
Dans la ville de Varanasi vivait un homme mauvais appelé Ajita. Amoureux de sa propre mère, il tua son père et épousa sa mère. Quand l’arhat qui avait été le maître de son père lui adressa des remontrances, il le tua et, quand sa mère prit un autre homme pour époux, il la tua également. Il commit donc trois des cinq transgressions capitales. Honni par tout son entourage, il n’avait nulle part où aller. Il se rendit au monastère de Jetavana et tenta de se faire admettre dans la Communauté bouddhiste, mais les moines ne voulurent pas de lui. Le mal sévit alors plus que jamais dans son cœur et il mit le feu à bon nombre de dortoirs de moines. Il finit cependant par rencontrer le bouddha Shakyamuni et fut autorisé à devenir moine.
Il existait un royaume portant le nom de Petites-Pierres, dans l’Inde du Nord, qui était gouverné par un roi appelé Sceau-du-Dragon20. Sceau-du-Dragon tua son père mais, par la suite, horrifié par son acte, il abandonna son pays, se présenta devant le Bouddha et se repentit de ses mauvais actes ; alors, le Bouddha lui pardonna.
Le roi Ajatashatru était par nature soumis aux trois poisons, avidité, haine et ignorance, — et commettait toujours l’un ou l’autre des dix actes mauvais. De plus, il tua son père, tenta d’ôter la vie à sa mère et, acceptant Devadatta pour maître, massacra d’innombrables disciples du Bouddha. À cause de cette accumulation d’actes mauvais, le quinzième jour du deuxième mois, jour même où le Bouddha devait disparaître, de mauvais furoncles apparurent en sept endroits sur son corps royal, signe qu’il tomberait dans l’Enfer aux souffrances incessantes. Le roi se tordit de douleur ; il éprouvait la même souffrance que s’il avait été précipité dans un grand feu ou dans de l’eau bouillante. Ses six ministres se présentèrent devant lui et lui demandèrent instamment de convoquer les six maîtres non bouddhistes afin qu’ils le guérissent de ses furoncles infects. On pourrait comparer cela aux gens du Japon d’aujourd’hui s’appuyant sur les maîtres des écoles Zen et Ritsu ou sur les moines des écoles Nembutsu et Shingon, qu’ils prennent pour des amis de bien, convaincus que les prières de ces hommes pourront soumettre les Mongols et les aider dans leur prochaine vie. De plus, Devadatta, qu’Ajatashatru considérait comme son premier maître, avait mémorisé les soixante mille enseignements non bouddhiques et les quatre-vingt mille enseignements bouddhiques. Il avait une compréhension des questions séculières et des questions religieuses aussi claire que le soleil, la lune ou un miroir poli. Il était comme les moines érudits de l’école Tendai dans le monde d’aujourd’hui, qui sont versés dans les enseignements aussi bien exotériques qu’ésotériques et connaissent tous les écrits bouddhiques par cœur. Sous l’emprise de tels maîtres et de tels ministres, Ajatashatru avait refusé de se convertir à l’enseignement du Bouddha. C’est pourquoi son pays, le Magadha, avait connu à maintes reprises des perturbations dans les cieux et d’étranges événements sur terre, et était sans cesse ravagé par des vents violents, de graves sécheresses, des famines et des épidémies. Il fut également attaqué par un autre pays. Ajatashatru souffrait déjà de mauvais furoncles, et son royaume semblait au bord de la destruction. C’est alors qu’il se présenta soudain devant le Bouddha, qu’il se repentit de ses actes mauvais, et que ses fautes furent éradiquées.
En tout cas, même si des parents sont des malfaiteurs, leurs fautes seront 668pardonnées si leur enfant est bon. Réciproquement, un enfant peut être un malfaiteur, si ses parents sont bons, les fautes de l’enfant seront pardonnées. Par conséquent, même si votre regretté fils, Yashirō, a commis le mal, et si vous, la mère qui l’avez engendré, éprouvez de la peine pour lui et lui offrez des prières nuit et jour en présence du bouddha Shakyamuni, comment pourrait-il ne pas être sauvé ? Mieux encore, en raison de sa croyance dans le Sūtra du Lotus, c’est peut-être lui qui mènera ses parents à la bouddhéité.
Ceux qui croient dans le Sūtra du Lotus devraient se méfier des ennemis de ce Sūtra et s’en protéger. Sachez que les moines du Nembutsu, les observateurs des préceptes et les maîtres de l’école Shingon, en fait, tous ceux qui refusent de réciter Nam-myōhō-renge-kyō, sont les ennemis du Sūtra du Lotus, quelle que soit la ferveur avec laquelle ils le lisent. Si vous ne connaissez pas vos ennemis, ils vous tromperont. Comme j’aimerais vous voir en personne et parler avec vous de ces choses-là en détail ! À chaque fois que vous verrez Sammi-bō ou Sado-kō21 sur le point de quitter le mont Minobu pour se rendre dans votre région, demandez-leur de vous lire cette lettre. Placez-la sous la protection de Myōe-bō22. Il ne fait aucun doute que ceux qui manquent de sagesse se moqueraient de moi ou critiqueraient cette lettre en prétendant que je ne fais qu’y employer des mots rusés. Ou, me comparant avec d’autres, ils diraient : « Ce moine ne pourra jamais égaler le Grand Maître Kōbō ni surpasser le Grand Maître Jikaku ! » Considérez ceux qui prononcent de telles paroles comme des ignorants.
Nichiren
Écrit le troisième mois de la deuxième année de Kenji [1276], signe cyclique de hinoe-ne, dans les montagnes du village de Hakii, dans la région de Nambu, de la province de Kai
Notes
1. Celui que Nichiren appelle ici « mon maître » est Dōzen-bō, un moine du Seichō-ji, du village de Tōjō, dans la province d’Awa.
2. Su Wu (140-60 avant notre ère) était un ministre de l’empereur Wu de la dynastie des Han antérieurs. Suwu fut capturé et le successeur de Wu, l’empereur Zhao, exigea sa libération, mais les ravisseurs prétendirent faussement qu’il était déjà mort. Puis l’un des serviteurs de Suwu ordonna à l’envoyé de l’empereur d’annoncer aux barbares que l’empereur avait tué une oie sauvage près de la capitale et qu’une lettre était accrochée à la patte de cette dernière, rapportant que Suwu était encore en vie. Finalement, le chef des barbares du nord fut contraint de relâcher Suwu dix-neuf ans après sa capture.
3. Il s’agit d’Abe no Nakamaro (698-770). Il fut envoyé en 717 dans la Chine des Tang pour y faire des études et servit par la suite l’empereur Xuanzong en tant que fonctionnaire du gouvernement chinois. En 733, il tenta de revenir au Japon, mais les autorités Tang ne l’y autorisèrent pas. Par la suite, il obtint la permission de rentrer dans son pays, mais son bateau fit naufrage et il fut contraint de retourner en Chine, où il mourut.
4. Cette déclaration radicale constituait une mise en garde délibérément sévère à l’attention de ceux qui se consacraient aux enseignements provisoires et étaient promis de ce fait à des rétributions négatives. Nichiren n’entendait pas ici être pris à la lettre mais lançait un défi aux autorités afin qu’elles organisent un débat ouvert entre les principaux moines des quatre écoles majeures citées dans cette lettre et lui-même. Il affirmait qu’il était irrationnel de la part des autorités de rejeter ses enseignements et de le sanctionner sans écouter les deux parties. Selon son traité Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays, la décapitation des moines des enseignements provisoires revenait en fait à cesser de leur faire des offrandes.
5. Les deux moines séculiers défunts sont Hōjō Tokiyori, le cinquième régent du shogunat de Kamakura, et Hōjō Shigetoki, qui tenait lieu de cosignataire pour le régent Tokiyori.
6. Sūtra du Lotus, chap. 2.
7. Le “dieu aux mille yeux” est un autre nom de Shakra. On l’appelle ainsi, parce que selon les divers sūtras Agama, dans une existence antérieure, alors qu’il avait la forme d’un être humain, sa vaste sagesse lui avait permis de discerner et de sonder mille significations en un seul instant.
669 8. On ne sait pas exactement à quel incident il est fait ici référence. « Le onzième jour du deuxième mois de l’année suivante », comme il est dit, Hōjō Tokisuke, demi-frère aîné du régent Hōjō Tokimune, lança une conspiration pour s’emparer du pouvoir. Son complot fut découvert, et deux des conspirateurs, Nagoe Tokiaki et Nagoe Noritoki, furent exécutés le jour même. Tokisuke lui-même fut décapité le 15. À la suite de cette tentative de coup d’État, cinq généraux furent à leur tour décapités pour avoir accusé de conspiration et fait exécuter quelqu’un qui était en fait innocent. Cette scission dans le clan au pouvoir corrobora la prophétie concernant les querelles internes, émise précédemment par Nichiren.
9. On trouve cette histoire dans les Mémoires historiques (ch. Shiji, jp. Shiki) de Sima Qian (140-80 avant notre ère) et dans ses commentaires. Quand le prince Dan du Yan fut pris en otage chez les Chin, il supplia le roi de le relâcher. Mais le roi lui dit : « Je ne t’autoriserai à rentrer chez toi que le jour où l’on verra une tête de corbeau blanche et des cornes à un cheval. » Quand Dan du Yan leva les yeux au ciel, accablé par son malheur, surgit un corbeau à tête blanche et quand il se jeta au sol en se lamentant, des cornes poussèrent à un cheval. Le roi n’eut alors pas d’autre choix que de le laisser rentrer chez lui, comme il le lui avait promis.
10. Nichizō (dates inconnues) était un moine de l’école Hossō qui vivait dans le Ryūmon-ji, temple de la province de Yamato. En fait, ce poème n’est pas de Nichizō mais fut présenté dans la quatrième anthologie impériale, Recueil de connaissances ultérieures, comme une œuvre du moine Zōki. Il semble possible que Nichiren ait choisi la forme abrégée « l’honorable Zō » dans le manuscrit original, aujourd’hui disparu, et que son transcripteur ait écrit par erreur « l’honorable Nichizō ».
11. Ces douze jours correspondent à toute la durée du voyage, depuis le départ de Sado jusqu’à l’arrivée à Kamakura.
12. La première remontrance correspond à la remise du traité Sur l’établissement de l’enseignement correct pour la paix dans le pays à Hōjō Tokiyori, en 1260, la deuxième remontrance fut adressée à Hei no Saemon peu avant la persécution de Tatsunokuchi, en 1271, et la troisième fut présentée lors de la rencontre indiquée ici.
13. Personnage japonais légendaire. Après avoir passé trois années heureuses au fond de l’océan dans le palais du dieu de la mer, Urashima revint chez lui et se rendit compte qu’il ne reconnaissait personne dans son village natal. Dans sa perplexité et sa détresse, il ouvrit un coffret qui lui avait été offert dans le palais du dieu de la mer avec pour instruction de ne jamais l’ouvrir. Un nuage de fumée blanche s’en échappa, ses cheveux devinrent complètement blancs et, en un instant, il se changea en vieillard couvert de rides. En réalité, plusieurs siècles s’étaient écoulés depuis son départ.
14. Source inconnue. On trouve une histoire similaire dans le Traité de la grande perfection de sagesse. Selon cette version, lorsqu’un feu se déclara, près de Kushinagara, en Inde, un faisan trempa les plumes de ses ailes dans un cours d’eau et s’en servit pour éteindre les flammes, sacrifiant ainsi sa vie pour sauver les membres de sa famille. Le monastère du Bosquet de bambous fut bâti par le roi Bimbisara en offrande au bouddha Shakyamuni. Ce fut l’un des principaux centres d’enseignement de Shakyamuni. Il était situé à Rajagriha, en Inde.
15. On trouve cette histoire dans le Voyage en Occident et dans d’autres écrits. Autrefois, le seigneur de Varanasi chassait et tuait de nombreux cerfs sur un certain territoire. Le roi cerf l’implora de cesser cette tuerie inutile et promit de donner chaque jour au seigneur le nombre de cerfs dont il avait besoin. Un jour, il se trouva dans l’obligation d’envoyer une femelle pleine. Plutôt que de la sacrifier avec le faon qu’elle portait en elle, le roi cerf se rendit auprès du seigneur pour lui offrir à la place sa propre chair. Le seigneur fut si touché par la compassion du roi cerf qu’il lui fit don de son ancien territoire de chasse, ce qui lui valut d’être appelé par la suite le parc aux Cerfs (ou parc des Gazelles).
16. Wang Ling (disparu en 177 avant notre ère) était un haut dignitaire de la dynastie des Han antérieurs. Quand Xiang Yu, de la dynastie des Chu, lutta contre Liu Bang, de la dynastie des Han, pour s’emparer du pouvoir en Chine, il captura la mère de Wang Ling afin de contraindre ce dernier à devenir son allié. Cependant, la mère envoya un messager à son fils, l’exhortant à demeurer loyal envers Liu Bang. Puis elle se donna la mort.
17. L’empereur Li Yuan (565-635), fondateur de la dynastie des Tang, fut par la suite appelé Shen Yao. On dit que son épouse était douée pour l’écriture et la peinture et qu’elle était belle et intelligente.
18. On trouve cette histoire dans les Annotations sur le Commentaire textuel du Sūtra du Lotus. Gavampati, un des disciples de Shakyamuni, avait volé du millet dans une existence passée et, de ce fait, renaquit en tant que bœuf pendant cinq cents vies consécutives. On dit que, 670même après être devenu disciple du Bouddha, il se comporta à la façon d’un bœuf.
19. Source inconnue.
20. Cette histoire apparaît dans le Sūtra du Nirvana mais on sait peu de chose du pays Petites-Pierres et de son roi Sceau-du-Dragon.
21. Sado-kō est un autre nom de Nikō (1253-1314), l’un des six moines principaux de Nichiren.
22. Myōe-bō était l’un des disciples de Nichiren qui avait un lien avec le Seichō-ji. On sait peu de chose en ce qui le concerne.