Le Sūtra du Lotus est le cœur des quatre-vingt mille enseignements et l’essence des douze catégories d’écrits. Les bouddhas 496des trois phases de l’existence [le passé, le présent et l’avenir] atteignent l’illumination parce qu’ils font de ce Sūtra leur maître. Les bouddhas des dix directions guident les êtres vivants, l’enseignement du Véhicule Unique étant leur œil.
En entrant dans le lieu où sont entreposés les sūtras et en examinant la collection complète qui s’y trouve, j’ai découvert qu’il existait deux versions des sūtras et des traités apportés en Chine entre l’ère Yongping, de la dynastie des Han postérieurs, et la fin de la dynastie des Tang1. On compte cinq mille quarante-huit volumes de traductions anciennes2 et sept mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf de traductions plus récentes. Chaque sūtra se prétend le plus élevé de tous les enseignements en vertu de son contenu. Mais leur comparaison montre que le Sūtra du Lotus domine tous les autres sūtras, comme le ciel domine la terre. Il s’élève au-dessus d’eux, comme un nuage s’élève au-dessus d’un sol boueux. Si l’on compare les autres sūtras aux étoiles, le Sūtra du Lotus est comme la lune ; s’ils brillent autant que des torches, des feux de joie, des étoiles ou la lune, le Sūtra du Lotus brille alors comme le soleil. Telle est la comparaison générale [que l’on peut établir].
Plus spécifiquement, le Sūtra du Lotus contient vingt principes remarquables. Les deux plus importants concernent les enseignements implicites dans les termes : « kalpa de particules de poussière de systèmes de mondes majeurs » et « des kalpa et des kalpa de particules de poussière d’innombrables systèmes de mondes majeurs ». Le premier est expliqué dans le chapitre “La parabole de la cité illusoire”, compris dans le troisième volume. Supposez que quelqu’un réduise en poussière un système de mondes majeurs. Il prend alors cette poussière avec lui et se dirige vers l’est, mille systèmes de mondes majeurs plus loin, où il dépose une particule. Il se rend encore mille systèmes de mondes majeurs plus à l’est et dépose une deuxième particule. Il continue de cette façon, jetant une particule après l’autre, jusqu’à épuiser toutes les particules de poussière de l’ensemble du système de mondes majeurs. Puis il réunit tous les systèmes de mondes majeurs rencontrés en chemin, qu’ils aient ou non reçu une particule, et les réduit tous en poussière. Il dispose toutes ces particules de poussière côte à côte, en laissant s’écouler un kalpa complet entre le dépôt de chacune d’elles. Une fois passé le premier kalpa, il dispose donc la deuxième particule, puis la troisième, jusqu’à ce que se soient écoulés autant de kalpa qu’il y a de particules de poussière. Le terme « kalpa de particules de poussière de systèmes de mondes majeurs » désigne la durée correspondant à la totalité de ces kalpa.
C’est à une époque aussi reculée — dans le très lointain passé correspondant à autant de kalpa qu’il y a de particules de poussière dans les systèmes de mondes majeurs — que les trois groupes d’auditeurs, dont font partie Shariputra, Mahakashyapa, Ananda et Rahula, ont pris connaissance du Sūtra du Lotus et cela, grâce à un bodhisattva, seizième fils du bouddha Excellence-Sagesse-Grandes-Universelles. Mais, égarés par les mauvaises influences, ils finirent par abandonner le Sūtra du Lotus. Ils régressèrent jusqu’au Sūtra de la Guirlande de fleurs, aux sūtras de la Sagesse, au Sūtra de la Grande Collection ou au Sūtra du Nirvana, ou, plus bas encore, jusqu’au Sūtra de Mahavairochana, au Sūtra des profonds secrets, ou au Sūtra de la méditation, voire retombèrent au niveau des enseignements des sūtras Agama du Hinayana. Poursuivant leur chute, ils traversèrent la pratique du bien du monde humain et du monde céleste pour finalement échoir dans les voies du mal. Durant cette période correspondant à des kalpa de particules de poussière de systèmes de mondes majeurs, ils naquirent le plus souvent dans l’Enfer aux souffrances incessantes. Parfois, ils naquirent dans les sept grands enfers ou, moins fréquemment, dans la centaine d’autres enfers3 existants. En de très rares 497occasions, ils naquirent dans le monde des esprits affamés, des animaux et des asura, et ce n’est qu’après des kalpa aussi nombreux que des particules de poussière qu’ils purent renaître de nouveau dans le monde humain ou le monde céleste.
Il est dit dans le deuxième volume du Sūtra du Lotus : « Il séjournera continuellement en enfer, s’y promenant comme dans un jardin, tandis que les autres voies mauvaises de l’existence lui seront une demeure familière4. » Ceux qui commettent les dix actes mauvais tomberont dans l’Enfer où l’on se régénère constamment en proie à la souffrance ou dans l’Enfer aux cordes noires5, où ils devront passer cinq cents vies ou mille années-enfer. Ceux qui commettent les cinq transgressions capitales tomberont dans l’Enfer aux souffrances incessantes et renaîtront dans le monde après y être restés pendant un kalpa moyen.
Pourquoi, alors, ceux qui abandonnent le Sūtra du Lotus tomberont-ils dans l’Enfer aux souffrances incessantes pendant une durée égale à tant de kalpa qu’on ne peut même pas la concevoir ? La faute d’avoir abandonné la foi dans le Sūtra doit immédiatement paraître presque aussi terrible que celle qui consiste à tuer ses propres parents. En fait, même si quelqu’un tuait ses parents au cours d’une, deux, dix, cent, mille, dix mille, cent mille, un million, voire cent millions de vies, il n’aurait pas à rester en enfer pendant des kalpa de particules de poussière de systèmes de mondes majeurs. Même si quelqu’un devait tuer un, deux, dix, cent, mille, dix mille ou jusqu’à cent millions de bouddhas, il ne résiderait pas pour autant en enfer pendant des kalpa et des kalpa de particules de poussière d’innombrables systèmes de mondes majeurs. Mais les trois groupes d’auditeurs durent souffrir durant une période correspondant à des kalpa de particules de poussière de systèmes de mondes majeurs et les grands bodhisattvas durant des kalpa et des kalpa de particules de poussière d’innombrables systèmes de mondes majeurs, à cause de la faute commise en rejetant le Sūtra du Lotus. Voilà qui montre qu’une telle faute est d’une gravité inimaginable.
Pour parler simplement, lorsqu’on donne un coup de poing dans le vide, on ne se fait pas mal, mais si l’on frappe un rocher, on ressent de la douleur. La faute qui consiste à tuer une personne mauvaise est mineure par rapport à la faute grave consistant à tuer une personne de bien. Tuer quelqu’un d’extérieur à sa famille, c’est comme donner un coup de poing dans de la boue, mais tuer ses propres parents, c’est comme frapper un rocher. Un chien peut aboyer face à un cerf sans avoir le crâne brisé, mais, s’il aboie après un lion, ses entrailles pourriront. Un asura qui entreprit d’avaler le soleil et la lune eut la tête brisée en sept morceaux. Devadatta ayant blessé le Bouddha, la terre se fendit et l’engloutit vivant. La gravité d’une faute dépend de la personne que l’on blesse. Le Sūtra du Lotus est l’œil de tous les bouddhas. C’est le maître originel de Shakyamuni lui-même, seigneur des enseignements. Si quelqu’un rejette un mot ou même un seul trait de pinceau composant le Sūtra, la faute sera encore plus grave que s’il avait tué ses parents dix millions de fois, ou même versé le sang de tous les bouddhas des dix directions. C’est pourquoi ceux qui ont abandonné le Sūtra du Lotus durent souffrir pendant des kalpa de particules de poussière de systèmes de mondes majeurs ou pendant des kalpa et des kalpa de particules de poussière d’innombrables systèmes de mondes majeurs. De plus, il est extrêmement difficile de rencontrer une personne qui expose ce Sūtra en se conformant précisément à ce qu’il enseigne. C’est encore plus difficile que pour une tortue borgne de trouver un morceau de bois de santal flottant [à la surface des eaux] ou pour un être humain d’accrocher le mont Sumeru au ciel avec la fibre d’une tige de lotus.
Le Grand Maître Cien fut le disciple du Maître des Trois Corbeilles Xuanzang et 498le Maître de l’empereur Daizong. C’était un sage non seulement très versé dans les écrits sanskrits et chinois mais qui avait aussi mémorisé tous les sūtras du Bouddha. Les cendres du Bouddha tombèrent de la pointe de son pinceau de calligraphie, et de la lumière jaillit de ses dents6. Ses contemporains le respectaient comme s’il était le soleil et la lune, et les gens des âges ultérieurs recherchèrent passionnément ses enseignements pour guider leur vie. Cependant, le Grand Maître Dengyō le critiqua en déclarant que, tout en louant le Sūtra du Lotus, il en détruisait le cœur7. Cette citation signifie que, même si l’intention [de Cien] était de louer le Sūtra du Lotus, en fait, il le détruisait.
Le Maître des Trois Corbeilles Shanwuwei fut autrefois le roi d’Udyana, en Inde. Il renonça à son trône, devint moine et, dans le cours de sa pratique bouddhique, il visita et traversa plus de cinquante pays de l’Inde ; finalement, il maîtrisa tous les enseignements ésotériques et exotériques du Bouddha. Par la suite, il se rendit en Chine et devint le maître de l’empereur Xuanzong. En Chine comme au Japon, tous les moines du Shingon sont, depuis, devenus ses disciples. En dépit d’une telle grandeur, il eut une mort soudaine, tourmenté par Yama, le seigneur de l’enfer, sans que personne n’en comprenne la raison.
Pour moi, Nichiren, cela est dû au fait que, après avoir d’abord pratiqué le Sūtra du Lotus, Shanwuwei lut le Sūtra de Mahavairochana et le déclara supérieur au Sūtra du Lotus. De la même façon, ce n’est pas parce qu’ils avaient commis les dix actes mauvais ou les cinq transgressions capitales que Shariputra, Maudgalyayana et d’autres furent voués à errer dans les mauvaises voies de l’existence pendant des kalpa de particules de poussière de systèmes de mondes majeurs ou des kalpa et des kalpa de particules de poussière d’innombrables systèmes de mondes majeurs. Ce n’est pas davantage pour s’être rebellé ou pour avoir commis aucune autre des huit fautes8. C’est parce qu’ils avaient rencontré un ami qui les avait induits en erreur et qu’ils avaient rejeté le Sūtra du Lotus pour croire dans les sūtras provisoires.
Le Grand Maître Tiantai a fait ce commentaire : « S’ils rencontrent un ami qui les induit en erreur, ils perdront leur véritable esprit9. » « Le véritable esprit » est l’esprit qui croit dans le Sūtra du Lotus, et [le] « perdre » revient à trahir notre foi dans le Sūtra du Lotus pour faire allégeance à d’autres sūtras. On lit dans le Sūtra : « (...) mais lorsque le remède leur est tendu, ils refusent de le prendre10. » Tiantai déclara : « Ceux qui ont perdu l’esprit refusent de prendre le bon médicament, même si on le leur donne. Perdus dans les souffrances des naissances et des morts, ils s’enfuient vers un autre pays11. »
Puisqu’il en est ainsi, les croyants du Sūtra du Lotus devraient craindre ceux qui entravent leur pratique davantage que des bandits, des cambrioleurs, des bandes nocturnes, des tigres, des loups, ou des lions ; davantage encore que l’invasion actuelle des Mongols. Ce monde est le domaine du roi-démon du sixième ciel. Tous ses habitants sont sous la férule de ce roi-démon depuis le temps sans commencement. Non seulement il a bâti la prison des vingt-cinq domaines d’existence12 à l’intérieur des six voies et y confina tous les êtres humains, mais il fit aussi en sorte que les femmes et les enfants deviennent des entraves, et les parents et les souverains, des filets qui barrent le ciel. Pour éloigner les gens de leur véritable esprit qui est la nature de bouddha, il les amène à boire le vin de l’avidité, de la haine et de l’ignorance, et ne leur donne pour nourriture que les aliments du mal qui les laissent prostrés sur le sol des trois mauvaises voies. Quand il rencontre des personnes au cœur empreint de bonté, il s’évertue à les entraver. Il est déterminé à faire tomber dans le mal les croyants du Sūtra du Lotus, mais, s’il échoue, il essaie de 499les tromper peu à peu en les attirant vers le Sūtra de la Guirlande de fleurs, qui ressemble au Sūtra du Lotus.
C’est ainsi qu’il procéda avec Dushun, Zhiyan, Fazang, et Chengguan13. Puis Jiaxiang et Sengquan furent les mauvais compagnons qui trompèrent habilement les pratiquants du Sūtra du Lotus et les firent retomber vers les sūtras de la Sagesse. De même, Xuangzang et Cien les menèrent vers le Sūtra des profonds secrets tandis que Shanwuwei, Jingangzhi, Bukong, Kōbō, Jikaku et Chishō les trompèrent en leur faisant suivre le Sūtra de Mahavairochana. Bodhidharma et Huike les égarèrent avec l’école Zen, tandis que Shandao et Hōnen les incitèrent à croire dans le Sūtra de la méditation. Dans chaque cas, le roi-démon du sixième ciel s’empara de ces hommes de sagesse afin de tromper les gens de bien. C’est ce qu’indique le Sūtra du Lotus dans son cinquième volume : « Des divinités malfaisantes prendront possession de certaines gens14. »
Le puissant démon de l’obscurité fondamentale peut même entrer dans le corps des bodhisattvas qui ont atteint l’illumination presque parfaite et les empêcher d’obtenir le bienfait de l’illumination parfaite du Sūtra du Lotus. Il lui est donc d’autant plus facile de faire obstacle à ceux qui se trouvent à un stade inférieur de la pratique. Le roi-démon du sixième ciel s’empare du corps des épouses et des enfants, et les pousse à égarer leurs maris et leurs parents. Il s’empare aussi du souverain afin de menacer le pratiquant du Sūtra du Lotus, ou des pères et des mères, pour leur faire adresser des remontrances à leurs enfants pourtant dévoués.
Le prince Siddhartha entendait renoncer à son titre, mais son fils, Rahula, avait déjà été conçu. Le roi Shuddhodana l’exhorta donc à reporter son départ jusqu’à la naissance de l’enfant. Le démon profita de la situation et retarda cette naissance de six ans.
Shariputra commença sa pratique de bodhisattva dans le très lointain passé, à l’époque de la Fin de la Loi, après la disparition du bouddha Zentara. Il avait déjà pratiqué pendant soixante kalpa et le roi-démon du sixième ciel s’inquiéta en sachant qu’il ne restait plus que quarante kalpa à Shariputra pour achever sa pratique complète de cent kalpa. Le démon se déguisa [alors] en brahmane et supplia Shariputra de lui donner un œil. En réponse, Shariputra lui donna l’un de ses yeux mais, à partir de ce moment-là, il perdit toute volonté de pratiquer, puis abandonna, tombant ainsi dans l’Enfer aux souffrances incessantes pendant d’innombrables kalpa15. Dans l’ère qui suivit la disparition du bouddha Grand-Ornement, six cent quatre-vingts millions de croyants laïcs furent trompés par le moine Rivage-de-la-Souffrance et trois autres moines, si bien qu’ils dénoncèrent le moine Pratique-Universelle, ce qui leur valut de tomber dans le même enfer pendant autant de kalpa qu’il y a de particules de poussière sur terre. À l’époque de la Fin de la Loi, après la disparition du bouddha Roi-Son-Majestueux, hommes et femmes suivirent le moine Intention-Supérieure qui observait les préceptes mais se moquèrent du moine Racine-de-la-Joie, ce qui leur valut de tomber en enfer où ils restèrent pendant d’innombrables kalpa.
Il en est de même pour les disciples moines et laïcs de Nichiren. On lit dans le Sūtra du Lotus : « Puisque haine et jalousie envers ce Sūtra abondent en ce monde, du vivant même de l’Ainsi-Venu, ne seront-elles pas pires encore après sa disparition16 ? » On lit aussi : « Il se heurtera à une grande hostilité dans le monde et sera difficile à croire17. » Il est dit dans le Sūtra du Nirvana : « En subissant une mort prématurée, des réprimandes, des insultes ou des humiliations, en étant battus à coups de fouets ou de barres de fer, en connaissant l’emprisonnement, la faim, l’adversité ou d’autres souffrances en cette vie, on peut éviter de tomber en enfer. »
On lit dans le Parinirvana-sūtra : « Ils seront peut-être mal vêtus, ils manqueront 500peut-être de nourriture, ils rechercheront en vain la richesse, ils naîtront dans une famille pauvre et de basse condition ou ayant des conceptions erronées, ou ils seront persécutés par leur souverain. Ils peuvent avoir à subir diverses autres souffrances et rétributions. C’est grâce aux mérites obtenus en protégeant la Loi qu’ils peuvent atténuer dans cette vie leur souffrance et leurs rétributions. »
Ces passages signifient que nous, qui croyons maintenant dans l’enseignement correct, avons commis dans le passé la faute de persécuter ses pratiquants, et nous sommes donc destinés à tomber dans un terrible enfer dans l’avenir. Mais les bienfaits acquis en pratiquant l’enseignement correct sont si grands que, en étant confrontés à des souffrances mineures en cette vie, nous pouvons changer le karma qui nous destine à connaître de terribles souffrances à l’avenir. Comme le dit le Sūtra, nos oppositions passées peuvent nous faire subir diverses rétributions, comme celle de naître dans une famille pauvre ou aux visions erronées, ou d’être persécuté par notre souverain. « Une famille aux visions erronées » est une famille qui calomnie l’enseignement correct, et « la persécution par notre souverain » revient à vivre sous le règne d’un mauvais souverain. Telles sont les deux souffrances auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. Afin d’expier la faute de vos calomnies passées, vous faites face à l’opposition de vos parents, détenteurs de visions erronées, et vous devez vivre à l’époque d’un souverain qui persécute le pratiquant du Sūtra du Lotus. Le Sūtra est parfaitement clair à ce sujet. Ne doutez jamais d’avoir calomnié l’enseignement correct dans le passé. Si vous en doutez, vous ne pourrez pas supporter les souffrances mineures en cette vie. Il se peut alors que vous renonciez face à l’opposition de votre père et abandonniez à contrecœur le Sūtra du Lotus. N’oubliez pas que, dans ce cas, non seulement vous tomberez en enfer, mais que vos précieux parents tomberont eux aussi dans le grand enfer Avīci, ce qui signifie que vous connaîtrez tous une indescriptible souffrance. L’essentiel est donc d’avoir une grande détermination à atteindre la Voie.
Vous avez tous deux maintenu votre foi dans le Sūtra du Lotus ; de ce fait, vous êtes maintenant en train de vous libérer des graves fautes de votre passé. Ainsi, les défauts du fer montent à la surface quand on le forge. Soumise aux flammes, une pierre est réduite en cendres, alors que l’or devient de l’or pur. Cette épreuve, plus que toute autre, prouvera l’authenticité de votre foi, et les dix filles rakshasa du Sūtra du Lotus vous protégeront à coup sûr. Le démon qui apparut pour tester le garçon Montagnes-Neigeuses était en réalité Shakra. La colombe sauvée par le roi Shibi était le roi céleste Vaishravana18. Il est même possible que les dix filles rakshasa aient pris possession [du corps] de vos parents et vous tourmentent afin de mettre votre foi à l’épreuve. Toute faiblesse dans la foi sera cause de regret. Le chariot qui se renverse sur la route est un avertissement pour celui qui le suit.
Dans un monde comme le nôtre, on ne peut qu’avoir soif de la Voie. Vous pouvez détester ce monde, mais vous ne pouvez y échapper. Il est certain que le peuple japonais rencontrera de terribles malheurs dans l’avenir proche. La révolte19 qui éclata le onzième jour du deuxième mois de la neuvième année de Bun’ei [1272] fut aussi brutale que le saccage de fleurs par un vent violent ou que des rouleaux de soie brûlant dans un brasier. Comment ne pas haïr un monde comme le nôtre ?
Le dixième mois de la onzième année de Bun’ei, les habitants des îles d’Iki et de Tsushima20 furent tous massacrés d’un coup. Comment pouvons-nous dire que cela ne nous concerne pas ? Quel ne doit pas être le désespoir des soldats partis affronter les envahisseurs ! Ils ont dû laisser derrière eux leurs vieux parents, des 501enfants en bas âge, de jeunes épouses, et leurs foyers aimés pour aller défendre les côtes, sans aucun résultat. S’ils voient des nuages à l’horizon, ils imaginent qu’il s’agit des bannières de leurs ennemis. S’ils aperçoivent des bateaux de pêche, ils les prennent pour les bateaux de guerre mongols et sont paralysés par la peur. Une ou deux fois par jour, ils gravissent les collines pour scruter la mer. Trois ou quatre fois, au cours de la nuit, ils sellent et dessellent les chevaux. Bien qu’encore vivants ils ont l’impression d’être dans le monde des asura. Tout cela, ainsi que les difficultés que vous avez subies, peut en définitive être attribué au fait que le souverain de ce pays est devenu un ennemi du Sūtra du Lotus. Son opposition fut provoquée par les adversaires de l’enseignement correct, tout particulièrement par les observateurs des préceptes et par les moines du Nembutsu et du Shingon. Vous devez persévérer à travers cette épreuve et constater par vous-mêmes les bienfaits du Sūtra du Lotus. Moi, Nichiren, je lancerai aussi un appel énergique aux divinités célestes. Aujourd’hui plus que jamais, nous ne devons ni montrer, ni ressentir de frayeur.
Les femmes sont craintives et vos épouses ont probablement renoncé à leur croyance. Vous devez cependant serrer les dents et ne jamais faiblir dans votre foi. Soyez aussi intrépides que Nichiren lorsqu’il s’adressa fermement à Hei no Saemon-no-jō. Bien que la Voie de la bouddhéité ne soit pas la leur, les fils du seigneur de Wada21 et du gouverneur de Wakasa, ainsi que les guerriers dirigés par Masakado et Sadatō, se battirent jusqu’à la mort pour préserver leur honneur. La mort survient de toute façon, même s’il ne nous arrive jamais rien de malencontreux. Vous ne devez donc jamais être lâches, sous peine de vous ridiculiser.
Je me fais beaucoup de soucis pour vous deux. Aussi vais-je vous rapporter une histoire particulièrement significative pour vous. Deux princes, appelés Bo Yi et Shu Qi étaient fils du souverain de Kuchu, en Chine. Leur père avait transmis son titre au frère cadet, Shu Qi mais, après sa disparition, Shu Qi refusa de monter sur le trône. Bo Yi le pressa d’accepter, mais Shu Qi ne cessa de prétendre que c’était à Bo Yi, en qualité de frère aîné, d’accéder à ce titre. Bo Yi persista : comment son frère cadet pouvait-il contredire la volonté de leur père ? Shu Qi reconnut en effet avoir été clairement désigné par le père, mais il persévéra dans son refus, ne pouvant supporter l’idée d’écarter son frère aîné.
Les deux frères quittèrent alors le pays de leurs parents pour se rendre dans un autre, et c’est ainsi qu’ils entrèrent au service du roi Wen, de [la dynastie] des Zhou. Peu après, ce pays fut attaqué. Le roi Wen fut tué par le roi Zhou, de la dynastie des Yin. Moins de cent jours après la mort du roi Wen, son fils, le roi Wu, s’apprêtait à livrer bataille au roi Zhou, mais Bo Yi et Shu Qi, retenant les rênes de son cheval, s’efforcèrent de le dissuader en ces termes : « Vous devriez garder le deuil trois ans après le décès de votre père. Si vous vous lancez maintenant dans une guerre, pourra-t-on qualifier votre conduite de filiale ? » Furieux, le roi Wu s’apprêtait à les tuer tous les deux, mais son conseiller, Taigongwang, l’en dissuada.
Cela répugna tant à Bo Yi et Shu Qi qu’ils rompirent tout lien avec ce roi et se retirèrent au mont Shouyang où ils vécurent isolés, en se nourrissant de fougères. Un jour, un certain Ma Zi qui passait par là leur demanda : « Pourquoi vous êtes-vous cachés en pareil lieu ? » Ils contèrent toute l’histoire à Ma Zi qui leur répondit : « Et pourtant, ces fougères ne sont-elles pas aussi la propriété du roi ? » En entendant ce reproche, ils cessèrent aussitôt de manger ces plantes.
Il n’est pas dans l’habitude du ciel d’abandonner les hommes de mérite. C’est pourquoi un dieu apparut devant eux sous la forme d’une gazelle blanche qui leur 502offrit du lait. Après le départ de la gazelle, Shu Qi dit : « Puisque le lait de la gazelle blanche est si agréable à boire, sa chair doit avoir encore meilleur goût. » Bo Yi essaya de le faire taire, mais le ciel avait déjà entendu ses mots, et les frères furent aussitôt abandonnés. Aussi finirent-ils par mourir de faim. Même si l’on agit de manière vertueuse durant toute une vie, un seul mot peut causer notre perte. Ne sachant quelles pensées vous avez dans le cœur, j’ai de grandes inquiétudes à votre sujet.
Quand l’Ainsi-Venu Shakyamuni était prince, son père, le roi Shuddhodana, ne pouvait supporter de perdre son seul héritier et n’entendait donc pas l’autoriser à renoncer à son statut royal. Le roi plaça deux mille soldats en faction aux quatre portes du palais pour l’empêcher de partir. Néanmoins, le prince finit par quitter le palais contre la volonté paternelle. Pour toutes les affaires de ce monde, il est du devoir du fils d’obéir à ses parents et pourtant, sur la Voie de la bouddhéité, la désobéissance aux parents constitue en définitive la piété filiale. Dans le Sūtra de la contemplation sur les étapes de l’esprit se trouve expliquée l’essence de la piété filiale. « En renonçant à ses obligations et en entrant dans la vie bouddhique, on peut véritablement s’acquitter de l’ensemble de ses obligations22. » Autrement dit, afin d’entrer sur la véritable Voie, on laisse son foyer, ce qui va à l’encontre du désir de ses parents, pour atteindre la bouddhéité. C’est ainsi que l’on pourra vraiment s’acquitter de sa dette de reconnaissance envers eux.
Dans le monde profane aussi, si des parents fomentent une rébellion, le devoir filial consiste à ne pas les suivre. C’est ce que mentionne le Classique de la piété filiale. Quand le Grand Maître Tiantai s’engagea dans la méditation sur le Sūtra du Lotus, il vit ses parents défunts s’asseoir sur ses genoux pour entraver sa pratique bouddhique. Telle fut l’action du démon céleste, qui prit la forme de son père et de sa mère afin de s’opposer à lui.
Je viens de citer l’exemple de Bo Yi et de Shu Qi. Voici encore une leçon que vous devriez tirer de l’histoire. L’empereur Ōjin, qui est aujourd’hui le grand bodhisattva Hachiman, fut le seizième souverain du Japon. L’empereur Ōjin avait deux fils : le premier était le prince Nintoku et le second, le prince Uji. L’empereur transmit son trône au frère cadet, Uji. Après la disparition de leur père, Uji demanda à son frère aîné de prendre le trône, mais ce dernier le lui reprocha en disant : « Comment peux-tu refuser de te soumettre au testament de notre père ? »
Ils discutèrent sans fin et trois pleines années passèrent sans que ni l’un ni l’autre ne réclame le trône. Cela valut au peuple d’indescriptibles souffrances. Ce fut comme une malédiction sur le pays et le prince Uji finit par se dire : « Tant que je serai en vie, mon frère n’acceptera pas le trône. » Sur ce, il se suicida. Envahi par la tristesse, le prince Nintoku tomba dans le désespoir. Voyant cela, le prince Uji revint à la vie afin d’encourager son frère, puis disparut de nouveau. On rapporte que, lorsque Nintoku accéda finalement au trône, le pays devint paisible et reçut chaque année en tribut quatre-vingts bateaux de marchandises de la part des trois royaumes de Corée : Silla, Baekje et Goguryeo23.
Il existe d’autres cas où la relation entre les fils de souverains émérites ne fut pas harmonieuse. Quels liens vous ont permis à vous, les deux frères, de rester en si bons termes ? Seriez-vous les princes Pure-Resserre et Pure-Vision revenus à la vie, ou la manifestation des bodhisattvas Roi-de-la-Médecine et Médecine-Supérieure24 ? Quand votre père déshérita Tayū no Sakan25, je m’attendais à ce que Hyōe no Sakan26 refuse de prendre le parti de son frère, et il aurait été alors bien plus difficile pour votre père de dissiper ses doutes et de revenir sur son reniement [à l’égard de Tayū no Sakan]. Pourtant, si j’en crois le jeune messager Tsuruō, vous 503avez tous deux fait preuve d’une même détermination. Cette incroyable nouvelle m’a donné tant de joie que je me suis résolu à vous écrire cette autre lettre. Pourrait-il y avoir dans l’avenir plus merveilleuse histoire que la vôtre ?
Le Voyage en Occident rapporte l’histoire d’un ermite qui vivait dans le parc des Gazelles à Varanasi, en Inde, dans l’espoir de maîtriser les pouvoirs occultes. Il apprit à changer tuiles et cailloux en joyaux et à changer la forme des êtres humains et celle des animaux, mais il ne pouvait pas encore voguer sur les vents et les nuages ni se rendre au palais des Immortels. Afin d’y parvenir, il prit pour assistant un homme intègre. En lui remettant un long sabre, l’ermite lui donna pour instruction de se tenir dans un coin de l’estrade destinée à la prière et de retenir son souffle sans prononcer une seule parole. Si l’homme parvenait à garder le silence toute la nuit, jusqu’à l’aube, l’ermite parviendrait à coup sûr à maîtriser l’occulte. Résolu, l’ermite s’assit au centre de l’estrade, en tenant dans sa main un autre long sabre et récita des incantations. Faisant prêter serment à son assistant, il lui dit : « Même si cela doit te coûter la vie, ne dis rien. » L’homme répondit : « Dussé-je en mourir, pas un mot ne sortira de mes lèvres. »
Ils passèrent ainsi la nuit mais, au moment où l’aube allait poindre, l’homme poussa un cri : l’ermite avait échoué dans sa tentative. Il tança l’homme en ces termes : « Comment as-tu pu briser ton vœu ? C’est lamentable ! » Saisi d’un profond remords, l’homme dit : « Je me suis assoupi un moment et, dans un rêve, mon maître précédent m’apparut et m’adressa des remontrances. Mais j’ai enduré cela sans un mot, car ma dette de gratitude envers vous est bien plus grande. La fureur de mon ancien maître décupla, il menaça de me décapiter mais, là encore, je gardai le silence. Je fus finalement décapité et, quand je vis ma propre dépouille mortelle voyager à travers la mort jusqu’à la vie suivante, j’ai éprouvé une peine indescriptible. Je n’ai cependant pas dit un mot. Finalement, je renaquis dans une famille brahmane du sud de l’Inde. La douleur que je ressentis en entrant dans la matrice et en la quittant fut insupportable, mais je retins mon souffle et m’abstins de crier. J’ai grandi, je suis devenu un jeune homme, et je me suis marié. Mes parents sont morts. J’ai eu un enfant et je connus encore bien des joies et des peines, sans prononcer un mot. Je parvins ainsi à ma soixante-cinquième année. Ma femme me dit alors : “Si tu refuses encore de parler, je vais tuer ton enfant chéri.” Mon esprit fut traversé par la pensée que j’étais déjà dans les dernières années de ma vie et que, si mon enfant était tué, je ne pourrais pas en avoir d’autre. J’eus alors envie de crier (...) et je me suis soudain réveillé. »
L’ermite dit : « Nous n’étions pas assez forts. Vous et moi avons été trompés par un démon. Notre entreprise s’est soldée par un échec. » L’homme intègre se lamenta en ces termes : « À cause de mon manque de volonté, vous n’avez pas pu maîtriser l’occulte. » L’ermite répondit, plein de regrets : « C’est de ma faute. Je ne vous ai pas suffisamment mis en garde au préalable. » Néanmoins, selon le récit, l’homme éprouva tant de chagrin de n’avoir pas pu remplir ses obligations envers l’ermite qu’il ne cessa d’y repenser et connut une mort misérable.
En Chine, l’occultisme se développa à partir de l’école confucéenne et, en Inde, on le trouve dans les enseignements non bouddhiques. Cependant, il est loin d’avoir le niveau des enseignements des sūtras Agama du Hinayana et encore moins celui de l’enseignement intermédiaire, de l’enseignement spécifique ou de l’enseignement parfait. Comment pourrait-on alors le comparer au Sūtra du Lotus ? Les quatre démons s’opposent férocement même à la maîtrise d’un art aussi superficiel que l’occulte. Les disciples moines et laïcs de celui qui, le 504premier, adopte et propage au Japon les sept caractères de Nam-myōhō-renge-kyō, principe ultime du Sūtra du Lotus, connaîtront donc des tourments d’autant plus grands. Il est impossible de les imaginer et plus encore de les décrire avec des mots.
La Grande Concentration et Pénétration du Grand Maître Tiantai est l’essence des enseignements de toute sa vie et le cœur de l’ensemble des enseignements du Bouddha. Durant les quelque cinq cents années suivant l’introduction des enseignements du Bouddha en Chine, dix maîtres apparurent ; sept au Nord, trois au Sud. Leur sagesse était aussi brillante que le soleil et la lune, et leur vertu fut louée dans tout le pays, mais ils étaient pourtant bien confus lorsqu’il s’agissait de déterminer quels étaient les sūtras superficiels ou profonds, inférieurs ou supérieurs, et dans quel ordre ils avaient été enseignés. C’est le Grand Maître Tiantai Zhiyi qui non seulement clarifia les enseignements du Bouddha, mais aussi sortit de la resserre des cinq caractères de Myōhō-renge-kyō le joyau-qui-exauce-les-vœux, [le principe] des trois mille monde en un instant de vie, pour le remettre à tous les gens des trois pays27. Cet enseignement provenait de Chine. Même les érudits de l’Inde ne purent énoncer un tel concept. Le Grand Maître Zhangan fit ce commentaire : « Il n’y a jamais rien eu de comparable à l’éclat et à la sérénité de la concentration et de la pénétration28 » et « même les grands érudits de l’Inde n’étaient pas à son niveau29 ».
La doctrine des trois mille mondes en un instant de vie, révélée dans le cinquième volume de La Grande Concentration et Pénétration, est particulièrement profonde. Si vous la propagez, les démons ne manqueront pas d’apparaître. Sinon, il n’y aurait aucun moyen de savoir qu’il s’agit de l’enseignement correct. On lit dans un passage du même volume : « À mesure que la pratique progresse et que la compréhension grandit, les trois obstacles et les quatre démons émergent sous des formes trompeuses, rivalisant les uns avec les autres pour entraver [le pratiquant]. Il ne faut être ni influencé, ni effrayé par eux. Tomber sous leur influence nous mènera dans les voies du mal. Se laisser effrayer par eux nous empêchera de pratiquer l’enseignement correct. » Cette déclaration non seulement s’applique à moi mais constitue aussi un guide pour mes disciples. Faites respectueusement vôtre cet enseignement et transmettez-le comme principe de base de la foi aux générations futures.
Les trois obstacles cités dans le passage ci-dessus sont celui des désirs terrestres, celui du karma et celui de la rétribution. L’obstacle des désirs terrestres est l’entrave à notre pratique qui provient de l’avidité, de la haine, de l’ignorance, etc. ; l’obstacle du karma correspond aux entraves qui proviennent de notre femme et de nos enfants ; et l’obstacle de la rétribution correspond aux entraves provenant de notre souverain ou de nos parents. Parmi les quatre démons, les œuvres du roi-démon du sixième ciel relèvent de cette dernière catégorie.
Dans le Japon d’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui prétendent avoir maîtrisé la pratique de la concentration et de la pénétration. Mais y a-t-il quelqu’un qui ait vraiment rencontré les trois obstacles et les quatre démons ? La formule « Tomber sous leur influence nous mènera dans les voies du mal » ne désigne pas seulement les trois mauvaises voies mais aussi les mondes des êtres humains et célestes et, plus généralement, l’ensemble des neuf états. C’est pourquoi, à l’exception du Sūtra du Lotus, tous les sūtras — ceux de la période de la Guirlande de fleurs, de la période Agama, de la période Vaipulya et de la période de la Sagesse, et le Sūtra du Nirvana et le Sūtra de Mahavairochana — mèneront les gens vers les voies du mal. De plus, à l’exception de l’école Tendai, les croyants des sept autres écoles30 sont en réalité des gardiens de l’enfer qui conduisent les autres vers les voies 505mauvaises. Même dans l’école Tendai, ceux qui professent la foi dans le Sūtra du Lotus mènent pourtant les autres vers les enseignements antérieurs. Ce sont aussi des gardiens de l’enfer qui amènent les gens à tomber dans les voies mauvaises.
Vous, les deux frères, vous êtes aujourd’hui comparables à l’ermite et à l’homme intègre. Si l’un de vous abandonne à mi-chemin, vous ne pourrez ni l’un ni l’autre parvenir à la bouddhéité. Vous êtes comme les deux ailes d’un oiseau ou les deux yeux d’une personne. Et vos épouses sont votre soutien. Les femmes soutiennent les autres, et ainsi elles sont soutenues. Quand le mari est heureux, son épouse est comblée. Si le mari est un voleur, son épouse le deviendra aussi. Et cela ne concerne pas seulement cette vie-ci. Dans chaque existence, mari et femme sont aussi étroitement liés que la forme et l’ombre, les fleurs et les fruits, ou les racines et les feuilles. Les insectes mangent les arbres dans lesquels ils vivent, et les poissons boivent l’eau dans laquelle ils nagent. Quand les herbes se dessèchent, les orchidées en souffrent ; quand les pins croissent, les cyprès se réjouissent31. Même les arbres et les plantes entretiennent des liens aussi étroits. Le hiyoku est un oiseau doté d’un corps et de deux têtes. Ses deux bouches nourrissent un corps unique. Les himoku sont des poissons dotés chacun d’un seul œil, de sorte que le mâle et la femelle restent ensemble toute leur vie durant. Mari et femme devraient être comme eux.
Je m’adresse maintenant à vos épouses : n’ayez jamais aucun regret, même si vos maris devaient vous maltraiter à cause de votre foi en cet enseignement. Si vous vous unissez pour encourager vos maris dans leur foi, vous suivrez la voie de la fille du roi-dragon et deviendrez un modèle pour l’atteinte de la bouddhéité par les femmes, en cette époque mauvaise de la Fin de la Loi. Si vous agissez ainsi, Nichiren dira aux deux sages, aux deux rois du ciel32, aux dix filles rakshasa, à Shakyamuni et à Maints-Trésors de vous faire bouddha dans votre prochaine existence. Il est dit dans un passage du Sūtra des six paramita qu’il faut devenir maître de son esprit et ne pas le laisser devenir le maître.
Quelle que soit la difficulté présente, considérez-la comme un simple rêve et ne pensez qu’au Sūtra du Lotus. L’enseignement de Nichiren était particulièrement difficile à croire au début mais, maintenant que mes prophéties se sont accomplies, ceux qui m’ont calomnié sans raison ont fini par se repentir. Même si, dans l’avenir, d’autres hommes et d’autres femmes deviennent mes disciples, ils ne vous remplaceront pas dans mon cœur. Parmi les premiers croyants, beaucoup ont ensuite renoncé à leur foi, par crainte d’être rejetés par la société. Parmi ces derniers, il en est qui s’opposent plus férocement à moi que ceux qui m’ont toujours calomnié.
Du vivant du bouddha Shakyamuni, le moine Sunakshatra crut d’abord au Bouddha mais, par la suite, non seulement il retomba dans l’erreur mais aussi dans la calomnie avec tant de violence que même le Bouddha ne put le sauver de la chute dans l’Enfer aux souffrances incessantes. Cette lettre est plus particulièrement destinée à Hyōe no Sakan. Il faudrait la faire lire aussi à son épouse et à celle de Tayū no Sakan.
Nam-myōhō-renge-kyō, Nam-myōhō-renge-kyō.
Nichiren
Le seizième jour du quatrième mois de la douzième année de Bun’ei [1275]
Notes
1. L’ère Yongping commença en 58 de notre ère. La dynastie des Tang s’acheva en 907 de notre ère.
2. « Les traductions anciennes » désignent les premiers sūtras traduits en chinois par Kumarajiva (344-413) et Paramartha (499-569), qui s’évertuèrent à en véhiculer le véritable sens. « Les traductions plus récentes » sont celles de 506Xuanzang (602-664) et de traducteurs ultérieurs, qui mettaient principalement l’accent sur la traduction littérale.
3. Dans le Sens profond du Sūtra du Lotus, Tiantai décrit cent trente-six types d’enfer, huit grands enfers, divisés chacun en seize enfers auxiliaires. Le dernier, et le plus terrible, des huit grands enfers est l’Enfer aux souffrances incessantes. Cela signifie que notre souffrance varie en fonction de la nature et de l’intensité de notre faute.
4. Sūtra du Lotus, chap. 3.
5. L’Enfer où l’on renaît constamment en proie à la souffrance est le premier des huit grands enfers, où les victimes sont transpercées par des sabres et frappées à coups de barres de fer, mais leur corps se régénère aussitôt et ils endurent encore et encore les mêmes tourments. L’Enfer aux cordes noires est le deuxième des enfers chauds. Ses occupants y sont soit coupés en deux, soit tailladés à coups de hache chauffée à blanc. On dit que la souffrance y est dix fois plus grande que dans l’Enfer où l’on se régénère constamment en proie à la souffrance.
6. Voir les Biographies des moines éminents de la dynastie des Song.
7. Principes remarquables du Sūtra du Lotus.
8. Crimes définis par le code Taihō (entré en vigueur en 702) et le code Yōrō (en 757). Il s’agit : de la rébellion contre l’empereur, des dégâts causés sur les tombes ou dans les palais impériaux, de la trahison contre le pays, du meurtre des membres de sa famille, du meurtre de son épouse ou de plus de trois personnes appartenant à une autre famille, du vol ou des dommages infligés à des biens impériaux ou religieux, d’un manque de piété filiale envers ses parents ou des membres aînés de sa famille et du meurtre de notre maître ou d’un autre supérieur.
9. Sens profond du Sūtra du Lotus.
10. Sūtra du Lotus, chap. 16.
11. Sens profond du Sūtra du Lotus.
12. Subdivisions du monde des trois plans : les quatorze domaines du monde du désir, les sept du monde de la forme, et les quatre du monde sans forme. Ces vingt-cinq domaines relèvent tous de la catégorie des six états inférieurs.
13. Dushun (557-640), Zhiyan (602-668), Fazang (643-712) et Chengguan (738-839) furent les fondateurs et patriarches successifs de l’école de la Guirlande de fleurs en Chine. Jiaxiang (549-623), cité dans la phrase suivante, est parfois considéré comme le fondateur de l’école des Trois Traités et Sengquan fut un pratiquant de la première heure au sein de cette même école.
14. Sūtra du Lotus, chap. 13.
15. On trouve cette histoire dans le Traité de la grande perfection de sagesse. Un jour, alors que Shariputra pratiquait la voie du bodhisattva, un brahmane lui demanda de lui faire offrande d’un œil. Shariputra le lui donna, mais le brahmane fut si révolté par son odeur qu’il le jeta et l’écrasa. Voyant cela, Shariputra abandonna sa pratique de bodhisattva, retomba dans la pratique du Hinayana, et ne put donc pas atteindre la bouddhéité.
16. Sūtra du Lotus, chap. 10.
17. Ibid., chap. 14.
18. Selon le Traité de la grande perfection de sagesse et celui de la Guirlande des récits de naissance, la colombe sauvée par le roi Shibi était le dieu Vishvakarman. Pour Shibi, voir glossaire.
19. Allusion à un combat qui se déroula à Kamakura et à Kyōto, et qui résultait d’une lutte de pouvoir au sein de la famille Hōjō, laquelle gouvernait alors le pays.
20. Allusion à l’invasion par les troupes mongoles d’Iki et de Tsushima, îles situées au large de Kyūshū.
21. Le seigneur de Wada est Wada Yoshimori (1147-1213), officier militaire du régime de Kamakura, qui complota contre le clan Hōjō, et dont toute la famille fut éliminée. Le gouverneur de Wakasa est Miura Yasamura (décédé en 1247), qui fut lié aux Hōjō par le mariage, mais fut accusé de trahison ; lui et toute sa famille perdirent leur vie dans la bataille.
22. On ne trouve pas ce passage dans le Sūtra de la contemplation sur les étapes de l’esprit mais il est cité dans la Forêt de joyaux dans le jardin de la Loi comme un extrait du Sūtra du salut des hommes à la foi pure. Dans le contexte du sūtra, « la vie bouddhique » désigne une vie monacale, mais Nichiren l’interprète ici comme une vie fondée sur la foi dans la Loi merveilleuse.
23. On trouve cette histoire dans la partie des Chroniques du Japon consacrée à l’empereur Nintoku.
24. Bodhisattvas qui guérissent les maladies physiques et mentales. Selon le chapitre 27, “Les actes antérieurs du roi Merveilleux-Ornement”, dans une vie antérieure, ils étaient les frères Pure-Resserre et Pure-Vision et convertirent leur père, le roi Merveilleux-Ornement, à l’enseignement correct.
25. Autre façon de désigner la fonction de Munenaka, fils aîné d’Ikegami Yasumitsu.
26. Autre façon de désigner la fonction de Munenaga, fils cadet d’Ikegami Yasumitsu.
27. Inde, Chine et Japon.
507 28. Introduction à La Grande Concentration et Pénétration.
29. Sens profond du Sūtra du Lotus, œuvre majeure de Tiantai, transcrite par Zhangan.
30. Les sept écoles comprennent trois écoles du Hinayana : les écoles Kusha, Jōjitsu et Ritsu, et quatre écoles du Mahayana : Hossō, Sanron, Kegon et Shingon.
31. Il s’agit là d’une allusion aux Lamentations sur la disparition, œuvre de Luyun (261-303), contenues dans L’art de la littérature.
32. Les deux sages sont les bodhisattvas Roi-de-la-Médecine et Courageux-Donateur et les deux rois célestes sont Vaishravana et Dharmarastra.